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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17217/2017

ACPR/504/2023 du 27.06.2023 sur OCL/1499/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);PRÉVENU;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.429.al1.leta; CPP.430.al1.letc

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17217/2017 ACPR/504/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 27 juin 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 18 novembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 28 novembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 novembre 2022, notifiée le 23 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement de la procédure ouverte à son encontre (chiffre 1 du dispositif), a laissé les frais de celle-ci à la charge de l'État (ch. 2) et refusé de lui allouer une indemnité fondée sur l'art. 429 CPP (ch. 3).

Le recourant, qui agit en personne, semble conclure à l'annulation du chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée et à l'octroi d'un montant de CHF 232.- à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure de première instance.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 21 juin 2017, B______ s'est présentée au poste de police de C______ afin d'y déposer plainte contre A______ des chefs d'injure (art. 177 CP) et menaces (art. 180 CP).

En substance, elle a exposé que, le jour-même, alors qu'elle cheminait sur l'avenue 1______, à la hauteur d'un tea-room, elle avait aperçu un homme, qui s'avérera être D______, attablé avec deux autres, qui semblait la photographier à l'aide de son téléphone portable. Confronté à ce sujet, l'individu concerné avait d'abord nié, avant de lui montrer le contenu de son téléphone, sur lequel figuraient bel et bien des photographies d'elle. Après avoir contacté la police, qui lui avait suggéré d'effacer elle-même les photographies, l'un des deux autres hommes attablés – ultérieurement identifié comme étant A______ –, s'était levé et lui avait violemment arraché le téléphone des mains, après qu'elle eut refusé de le lui donner. Il l'avait ensuite injuriée et menacée de la frapper si elle ne restituait pas le téléphone à son ami. Pour sa part, elle lui avait répondu : "taisez-vous, vous pouvez gueuler tout ce que vous voulez, vous ne me faites pas peur et vous allez avoir de mes nouvelles", avant de partir et de téléphoner à la police. Une fois en ligne avec celle-ci, elle était revenue sur ses pas, mais les trois hommes avaient quitté les lieux. E______, témoin des faits, lui avait donné le numéro d'immatriculation du véhicule utilisé par les intéressés. La propriétaire du tea-room, prénommée "F______" et la mère de cette dernière avaient également assisté à l'altercation.

b.  Entendu le 20 juillet 2017 par la police en qualité de prévenu, A______, retraité, a contesté avoir injurié ou menacé B______, précisant l'avoir seulement traitée de "folle hystérique" en réponse à ses insultes. Cette dernière, qui s'était "excitée", l'avait traité de "gros porc" et lui avait dit "d'aller se faire mettre", ce à quoi il lui avait répondu "de dégager, de débarrasser le plancher".

Au terme de son audition, il a déposé plainte contre la prénommée du chef d'injure.

c. Auditionnée le 15 août 2017 par la police en qualité de prévenue, B______ a maintenu les termes de sa plainte du 21 juin 2017 et réfuté les accusations portées contre elle par A______.

d. Le 16 octobre 2017, le Ministère public a rendu deux ordonnances de non-entrée en matière relatives aux plaintes respectives des prénommés.

A______ n'a pas formé recours.

e. Par arrêt du 26 juin 2018 (ACPR/355/2018), la Chambre de céans a admis celui interjeté par B______ contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue en faveur de A______ et renvoyé la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

f. Par ordonnance pénale du 10 décembre 2018, A______ a été reconnu coupable d'injure et de menaces et condamné à une peine pécuniaire de 45 jours-amende à CHF 30.- le jour, assorti d'un sursis avec un délai d'épreuve de trois ans.

g. Ce dernier a, en personne, formé opposition contre cette décision, par courriers recommandés datés des 15 et 19 décembre suivants.

h. Lors de l'audience sur opposition du 9 août 2019 par-devant le Ministère public, B______ et A______ ont maintenu leurs précédentes déclarations.

i. Par lettre recommandée du 16 août 2019, reçue par le Ministère public le 19 suivant, A______ a sollicité l'audition de G______ et D______, qui étaient en sa compagnie au moment des faits litigieux.

j. Le 5 août 2020, le Ministère public a tenu une audience d'instruction, lors de laquelle G______ a été entendu en qualité de témoin. D______, résidant à une adresse inconnue au Canada, n'a pas pu être auditionné.

k. À teneur du rapport de renseignements du 10 décembre 2020, la police a contacté par téléphone la gérante du tea-room susmentionné, qui aurait expliqué se souvenir vaguement d'une altercation entre une femme et d'autres clients de son établissement, sans pouvoir fournir plus de détails.

l.a. Entendu le 28 octobre 2021 par la police en qualité de témoin, E______ a déclaré que A______ avait proféré des insultes contre B______ en réponse "à [son] hystérie", cette dernière ayant réagi de manière totalement disproportionnée lorsqu'elle avait constaté avoir été photographiée.

l.b. A______ a renoncé à assister à cette audition, par lettre recommandée du 22 octobre 2021.

m. Par avis de prochaine clôture du 28 octobre 2022, le Ministère public a informé le prénommé de son intention de rendre une ordonnance de classement en sa faveur. Un délai au 3 novembre 2022 lui était imparti pour présenter ses éventuelles réquisitions de preuves. S'il sollicitait une indemnisation, il lui était enjoint, en application de l'art. 429 al. 2 CPP, de prendre, dans le même délai, des conclusions chiffrées et de les justifier.

n. Dans le délai prolongé au 15 novembre 2022, A______ a sollicité une indemnité d'un montant total de CHF 5'250.- (soit CHF 197.- à titre de "consultations d'avocats, étude du dossier au MP", CHF 53.- de frais de courriers recommandés et CHF 5'000.- à titre de réparation de son tort moral). Aucune pièce justificative n'a été fournie.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public refuse d'allouer à A______ une indemnité au sens de l'art. 429 CPP. Ce dernier n'avait pas démontré avoir consulté un avocat dans le cadre de la procédure, de sorte qu'il ne se justifiait pas de lui octroyer un montant à ce titre. Par ailleurs, il n'avait produit aucune pièce justificative relative au dommage économique subi. Enfin, aucune indemnité pour tort moral ne lui était due, dans la mesure où il n'était pas établi que les souffrances qu'il avait subies dans le strict contexte de la procédure fussent supérieures aux désagréments liés à toute procédure pénale.

Les frais de la procédure étaient, pour le surplus, laissés à la charge de l'État (art. 422 et 423 al. 1 CPP).

D. a.a. Dans son recours, A______ réitère sa demande d'indemnisation, qu'il chiffre désormais à CHF 238.30 au total, montant comprenant les frais occasionnés par son recours, soit CHF 6.30 de frais de courrier recommandé (CHF 232.- + CHF 6.30).

Par ailleurs, le Ministère public avait "omis" d'octroyer une indemnité à G______ pour ses frais de déplacement à l'audience du 5 août 2020.

a.b. À l'appui de son recours, A______ produit les pièces suivantes :

-       la copie de quatre confirmation/quittance de la Poste, relatives à des courriers recommandés envoyés les 17, 19 décembre 2018 le 15 août 2019 au Ministère public et le 22 octobre 2021 à la police [4 x CHF 6.30] ;

-       une photocopie de la confirmation/quittance de la lettre recommandée envoyée le 16 juillet 2020 à D______ [CHF 9.80], domicilié au Canada, ainsi que la copie d'une missive reçue de ce dernier, datée de juillet 2020 et non signée, dans laquelle celui-ci expliquait ne pas être en mesure d'assister à l'audience par-devant le Ministère public du 5 août 2020 ;

-       trois quittances datées des 18 décembre 2018, 14 août 2019 et 20 juillet 2020, d'un montant total de CHF 160.-, en lien avec trois consultations d'un avocat auprès d'une permanence juridique ; et

-       un formulaire de demande de photocopie à l'entête du Ministère public, daté du 28 juillet 2020, ainsi qu'une quittance de paiement de CHF 37.-.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, au motif que les dépenses du recourant étaient insignifiantes (art. 430 al. 1 let. c CPP).

c. Invité par la Chambre de céans à produire des pièces relatives à sa situation financière, A______ a fourni notamment une facture relative au loyer de son appartement du mois de mai 2023, d'un montant de CHF 1'400.- ; et une copie de son avis de taxation pour l'année 2022, selon lequel son revenu annuel brut s'était élevé à CHF 31'564.- (CHF 25'008.- de rente AVS, CHF 6'502.- de subside d'assurance-maladie, CHF 4.- de revenu mobilier soumis à l'impôt anticipé IA et CHF 50.- de revenu mobilier non soumis à l'IA), et ses charges à CHF 18'161.-. Son revenu imposable était de CHF 13'403.- et sa fortune imposable de CHF 10'713.-. Ainsi, ses impôts cantonaux s'étaient élevés à CHF 60.- et ses impôts fédéraux à CHF 103.15.

Pour le surplus, le recourant requiert une indemnité pour les frais occasionnés par son recours (CHF 13.50 de frais de port) et prie la Chambre de céans d'indemniser G______ pour ses frais de déplacement à l'audience devant le Ministère public du 5 août 2020.

d. Le Ministère public n'a pas réagi à cette suite.

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé dans le délai prescrit (art. 396 al. 1 CPP), concerne un aspect d'une ordonnance sujet à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Bien que l'acte de recours ne contienne pas de conclusions formelles (art. 385 al. 1 CPP), on comprend que le recourant – qui agit en personne – demande l'annulation du chiffre 3 du dispositif de la décision querellée et à ce qu'une indemnité lui soit octroyée pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. Partant, le recours est recevable.

1.3. Les pièces nouvelles produites sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             En revanche, la demande du recourant, visant à ce qu'il soit statué sur l'indemnisation réclamée par le témoin G______ est irrecevable, faute d'intérêt juridiquement protégé personnel.

3.             Le recourant ne sollicite plus, en deuxième instance, une indemnité pour tort moral, ses griefs portant uniquement sur ses frais et débours liés à la défense de ses intérêts (consultations juridiques, frais de port et photocopies). Il est donc pris note de sa renonciation.

4.             Le recourant sollicite une indemnité pour ses frais de défense en première instance.

4.1.       Conformément à l’art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'indemnité concerne avant tout les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1). L’indemnité pour les frais de défense est en principe due quelle que soit la gravité des préventions qui étaient reprochées en procédure à la personne acquittée (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2016, n. 4 ad. art. 429 et les références). Ainsi, en principe, toutes les charges autres qu’une contravention justifient, sans autre examen, l’intervention d’un avocat.

Le prévenu a également la possibilité de procéder seul, sans l’assistance d’un avocat. Il peut, de ce fait, valoir tous les frais liés à la défense de ses intérêts. On pense en particulier aux débours (photocopies et frais de port), frais de traductions ou d'expertises privées (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 37 ad art. 429).

4.2.       L'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité, notamment lorsque les dépenses du prévenu sont insignifiantes (art. 430 al. 1 let. c CPP). Cette exclusion repose implicitement sur la certitude que l'ouverture d'une enquête pénale fait partie des aléas ordinaires de la vie, dont la réalisation n'entraîne pas automatiquement l'indemnisation pour des raisons de solidarité collective. Toutefois, la réduction, voire la suppression, de l'indemnisation du fait de la modicité du dommage subi doit être appréhendée restrictivement, car le fait d'être soupçonné d'avoir commis quelque infraction reste encore un évènement exceptionnel (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 9 ad art. 430).

4.3.       En l'espèce, les frais de la procédure préliminaire ont été laissés à la charge de l'État, de sorte que le recourant, prévenu, au bénéfice d'un classement, a droit, sur le principe, à une indemnisation au sens de l'art. 429 CPP.

En l'occurrence, ce dernier prétend à une indemnité de CHF 232.- pour sa défense en première instance, correspondant à CHF 160.- au titre de frais de consultation d'une permanence juridique et à CHF 72.- pour ses frais de port et de photocopies du dossier (CHF 35.- + CHF 37.-). Aucun document permettant d'apprécier le bien-fondé de la demande n'a certes été produit devant le Ministère public, lequel a invité le recourant, par l'avis de prochaine clôture du 28 octobre 2022, à chiffrer et justifier ses conclusions en indemnisation. Cela étant, ce dernier, qui procède seul, sans l'assistance d'un avocat, a versé, à l'appui de son recours, l'ensemble des pièces justificatives relatives à ses prétentions.

Dans ses observations sur le recours, le Ministère public a néanmoins persisté dans son refus d'allouer l'indemnité sollicitée, en se fondant sur l'art. 430 al. 1 let. c CPP, considérant les dépenses du recourant comme insignifiantes.

Au vu des pièces versées au dossier par ce dernier, cette appréciation ne saurait toutefois être suivie. En effet, l’importance des dépenses supportées par le prévenu acquitté ne peut être déterminée de manière abstraite, mais doit être établie en fonction de la situation financière du requérant. Or, in casu, l'indemnité réclamée ne saurait être qualifiée de peu importante, voire d'insignifiante, pour le recourant, qui perçoit mensuellement une rente AVS et un subside pour son assurance-maladie, à l'exclusion de tout autre revenu. Dans ces circonstances, et au vu des principes rappelés ci-dessus, il se justifie de lui allouer le montant sollicité et justifié de CHF 232.-.

5.             Fondé, le recours est par conséquent admis. Partant, le chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée sera annulé et le recourant se verra allouer une indemnité de CHF 232.-, sans TVA, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure dans la procédure préliminaire.

6.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

7.             Le recourant, ayant agi en personne, ne se verra pas allouer de dépens. Il n'y a pas non plus lieu de lui octroyer une indemnité de CHF 13.50 pour ses débours relatifs au dépôt du recours, puisque les dépenses dont il demande le remboursement sont modiques et qu'il est en mesure de les prendre en charge, malgré sa situation financière délicate (art. 430 al. 1 let. c CPP cum 436 al. 1 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 232.-, hors TVA, pour la procédure préliminaire.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Sarah RYTER, greffière.

 

 

La greffière :

Sarah RYTER

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).