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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4501/2021

ACPR/472/2023 du 21.06.2023 sur OCL/20/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : FRAIS JUDICIAIRES;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.426

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4501/2021 ACPR/472/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 21 juin 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me B______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 9 janvier 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 19 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 précédent, notifiée le lendemain par laquelle, le Ministère public, après avoir classé une partie de la procédure dirigée contre elle, a refusé de lui allouer une indemnité au sens de l'art. 429 CPP (ch. 3 du dispositif) et l'a condamnée aux 4/5ème des frais de la procédure (ch. 4).

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation des chiffres 3 et 4 du dispositif de l'ordonnance précitée et à ce que l'État de Genève soit condamné à lui verser des indemnités à titre de tort moral et de frais de défense dans la procédure de première instance.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par ordonnance du 20 novembre 2017, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de C______, née en 1933.

b. Fort du lien d'amitié entre A______ et C______, depuis de nombreuses années, celle-là avait été engagée en qualité de dame de compagnie de celle-ci, à tout le moins depuis 2017.

c. Par ordonnance du 9 novembre 2018, après que C______ et A______ se furent rendues à la banque pour tenter de retirer CHF 10'000.- du compte bancaire de celle-là, le TPAE a limité l'exercice des droits civils de C______ en matière contractuelle, ainsi que l'accès à toute relation bancaire ou à tout coffre-fort à son nom ou dont elle était ayant droit économique et a révoqué toute procuration établie au bénéfice de tiers.

À l'appui de sa décision, il a notamment retenu que C______ avait manifesté un "dévouement financier" à A______. La première nommée était apparue comme étant sous l'emprise "des désirs" de sa dame de compagnie, à laquelle elle était disposée à remettre de l'argent, alors que celle-ci percevait déjà un revenu pour le travail effectué, ainsi qu'à lui accorder d'autres "faveurs", sans en référer au préalable à l'accord de sa curatrice, ce qui pouvait prétériter ses intérêts.

d. Le 24 février 2021, la curatrice de C______ a déposé plainte, au nom et pour le compte de cette dernière, contre A______.

Il lui était reproché d'avoir, depuis une date indéterminée mais à tout le moins dès 2017, jusqu'à son licenciement – le 24 février 2021 – cherché à soutirer des fonds à son employeuse, C______ en ayant :

-          retiré, à une date indéterminée, avec cette dernière, du compte de celle-ci, une somme de CHF 10'000.- pour s'enrichir indument de ce montant;

-          fait établir, à une date indéterminée, un testament dans lequel C______ l'instituait héritière universelle de sa fortune, fiscalement estimée à CHF 5'000'000.-;

-          autour du 13 août 2019, tenté d'obtenir un 13ème salaire et un "crédit de CHF 6'000.-";

-          en décembre 2020, prelevé un montant de CHF 200.- sur la somme de CHF 800.- qui était allouée mensuellement par le TPAE à C______ afin d'offrir un cadeau à "D______", personne inconnue de celle-ci;

-          le 28 septembre 2018, tenté de faire retirer à C______, en profitant de sa situation cognitive et personnelle, en lui faisant croire qu'elle l'abandonnerait et en lui disant "nous deux, c'est à la vie, à la mort", la somme de CHF 10'000.-, étant précisé que l'employée de banque n'avait pas accédé à la demande;

-          le 12 février 2021, pénétré sans droit dans l'appartement de C______, vers 20h, alors que celle-ci allait se coucher.

Le 11 précédent, C______ lui avait révélé que A______ l'avait rendue malade, était méchante avec elle et lui criait dessus.

e. Le 29 juin 2021, la curatrice a déposé un complément de plainte, au nom et pour le compte de sa pupille, contre A______.

C______ était angoissée et avait peur de A______ car cette dernière n'était pas gentille, se moquait d'elle, était "affreuse" avec elle, se mettait en colère et "piquait" des crises épouvantables. C______ n'osait pas se plaindre et avait supporté cette attitude car elle n'avait personne d'autre au monde. Depuis le départ de sa dame de compagnie, elle se sentait mieux.

À l'appui de son complément, différents documents ont été produits, en particulier, plusieurs tickets de caisse correspondant aux courses pour les besoins courants de C______ et dont il ressort que A______ achetait de la marchandise pour elle-même, qu'elle barrait par la suite.

f. Entendue par la police le 8 mars 2021, puis par-devant le Ministère public les 30 août 2021 et 28 mars 2022, A______ a contesté les faits reprochés.

g. Selon le rapport d'expertise du 9 février 2022 – confirmé par l'expert lors de l'audience du 3 juin 2022 – C______ souffrait d'anxiété généralisée, de personnalité dépendante, d'une démence de type Alzheimer et d'une dépendance aux benzodiazépines. Ses capacités de discernement étaient et restaient fortement diminuées, en raison des troubles sus décrits, en particulier à l'égard de la relation de soumission qu'elle entretenait avec sa dame de compagnie et de la gestion de ses affaires administratives et financières.

h. En parallèle à la décision querellée, par ordonnance pénale, le Ministère public a reconnu A______ coupable de tentative de contrainte pour avoir, le 28 septembre 2018, profitant de la situation cognitive et personnelle de C______ et lui faisant croire qu'elle l'abandonnerait si cette dernière ne répondait pas à ses souhaits, notamment en lui disant "nous deux, c'est à la vie, à la mort", ce qui l'avait effrayée et angoissée, tenté de faire retirer à C______ la somme de CHF 10'000.- de son compte.

A______ y a formé opposition.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que C______ souffrait dans sa santé psychique depuis de nombreuses années. Il n'était en revanche pas établi que A______ avait provoqué une nouvelle atteinte psychique à celle-là, ni ne l'avait rendue plus angoissée. Il n'y avait ainsi pas de place pour une quelconque lésion corporelle simple.

S'agissant de la somme de CHF 200.- pour "D______", les déclarations des parties étaient contradictoires et, au demeurant, C______ ne s'était pas opposée à son prélèvement auprès de sa curatrice. Quant aux tickets de caisse laissant apparaître des achats de marchandise pour A______, payés avec l'argent de C______, il n'était pas établi que celle-là n'avait pas remboursé celle-ci. Aucun abus de confiance ne pouvait être retenu.

Par ailleurs, aucun élément au dossier ne permettant de retenir une quelconque tromperie – astucieuse –, l'infraction d'escroquerie n'était pas réalisée.

A______ n'avait pas non plus commis de violation de domicile à l'encontre de C______, cette dernière lui ayant confié les clés et accepté sa venue le 12 février 2021.

Le Ministère public considère toutefois que A______ avait provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure pénale, se référant, en particulier, à l'art. 28 CC. Elle avait exercé "une emprise sur C______ et l'atteinte qui en résultait, tant sur le plan psychique que sur le droit à la considération morale, dépassait le seuil de tolérance que l'on pouvait attendre de n'importe quelle personne", comme l'avait relevé le TPAE dans son ordonnance du 9 novembre 2018. En outre, c'était le comportement colérique de A______ et son manque de transparence dans la gestion des finances de C______ auprès de la curatrice, qui avaient provoqué des soupçons de commission d'infractions, raison pour laquelle la plainte avait été déposée.

Partant, 4/5ème des frais de la procédure ont été mis à la charge de A______ et aucune indemnité ne lui a été octroyée.

D. a. Dans son recours, A______ explique que les motifs retenus par le Ministère public pour la mise à sa charge des frais étaient faux. Le dossier pénal ne dénotait aucun manque de transparence dans la gestion des finances. D'ailleurs, malgré plusieurs auditions, elle n'avait jamais été questionnée sur la gestion des finances de C______. À l'époque de la tentative de retrait des CHF 10'000.-, ni le TPAE, ni la curatrice n'avaient estimé qu'elle lui était imputable. En outre, aucun retrait des comptes bancaires de C______ n'avait été constaté dès 2018 ou ultérieurement, soit lorsque, selon le TPAE, elle exerçait une emprise sur la prénommée. La plainte pénale avait été déposée, non pas après les faits, mais quelques semaines avant son licenciement.

Les frais ne pouvaient pas lui être imputés et, compte tenu des nombreuses infractions dont elle avait été accusée, risquant ainsi l'expulsion au sens de l'art. 66a CP, elle n'avait eu d'autre choix que de faire appel à un avocat. Il convenait donc de l'indemniser à cet égard, ainsi que pour le tort moral subi.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, avec suite de frais, au rejet du recours.

c. A______ n'a pas répliqué.

d. Le 7 juin 2023, elle a transmis, à la Chambre de céans, le jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes, le 5 précédent.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante conteste la mise à sa charge des 4/5ème des frais de la procédure liés aux infractions classées, et, partant, le refus d'indemnisation.

2.1.  Aux termes de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a notamment droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) et à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c).

La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

2.2. Selon l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2; 119 Ia 332 consid. 1b; 116 Ia 162 consid. 2c).

Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2017 du 20 février 2018 consid. 1.1).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1; cf. art. 426 al. 3 let. a CPP). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées).

2.3. En l'espèce, le Ministère public a mis les frais de la procédure pour les infractions classées à charge de la prévenue et, partant, lui a refusé une indemnité au sens de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, au motif qu'elle avait de manière illicite et fautive, porté atteinte à la personnalité de C______, en exerçant une emprise sur cette dernière, se référant ainsi à l'art. 28 CC.

Par ce raisonnement, le Ministère public n'expose toutefois pas en quoi la recourante aurait commis un acte illicite.

En effet, on ne voit pas en quoi l'emprise évoquée dépasserait clairement "le seuil de tolérance que l'on peut attendre de toute personne" et le Ministère public ne l'explicite aucunement. Ladite emprise était déjà connue du TPAE, en novembre 2018 et, tant à l'époque, qu'aujourd'hui, ladite juridiction ne considérait pas qu'elle nécessitait d'être dénoncée aux autorités pénales.

Au surplus, ce motif ne peut, dans tous les cas, pas être retenu concernant les lésions corporelles simples, cette infraction ayant été classée, aucune atteinte à la personnalité de C______, y compris psychique, ne pouvant être imputée à la prévenue.

En outre, si les prétendus comportement colérique de la prévenue et manque de transparence dans la gestion des finances de C______ ont conduit la curatrice à avoir des soupçons de commission d'infraction, ces comportements ne sont pas établis dans la décision de classement et sont contestés par la prévenue. Du reste, sans autre explication, on ne voit pas que le "comportement colérique" de la prévenue constituerait un acte illicite.

Pour ces mêmes motifs, il n'est pas possible de mettre les frais à la charge de la prévenue s'agissant de l'infraction de violation de domicile.

Partant, on ne peut valablement considérer que la recourante a provoqué de manière illicite et fautive la présente procédure. Il n'y a donc pas lieu de la condamner aux frais de la procédure, lesquels doivent donc être mis à la charge de l'État (art. 423 CPP).

2.4    Le sort des frais préjugeant celui des indemnités au sens de l'art. 429 CPP, le Ministère public se doit, compte tenu de ce qui précède, d'examiner les prétentions émises par la recourante en indemnisation, à charge pour lui de déterminer les dépenses raisonnables en lien avec les infractions classées.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, les chiffres 3 et 4 du dispositif de l'ordonnance querellée seront annulés. La cause sera retournée au Ministère public pour qu'il statue sur les prétentions de la recourante en indemnités selon l'art. 429 al. 1 let. a et c CPP.

4.             L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP)

5.             La recourante, prévenue, obtient gain de cause et a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

Dans la mesure où elle n'a pas chiffré ses prétentions, mais où l'autorité pénale examine d'office ce poste (art. 429 al. 2 CPP), un montant de CHF 2'423.25 lui sera alloué, correspondant à 5h00 d'activité au tarif horaire de CHF 450.-, auquel s'ajoute la TVA en 7.7%, ce qui parait en adéquation avec le travail fourni, soit un recours de 18 pages (dont 3 pages de garde et de conclusions et 8 pages de développement en droit).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule les chiffres 3 et 4 de l'ordonnance querellée.

Dit que les frais de la procédure devant le Ministère public sont laissés à la charge de l'État.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur l'indemnité due à A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'423.25 TTC pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).