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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11677/2018

ACPR/452/2023 du 14.06.2023 sur OCL/163/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;PRESCRIPTION;DROIT TRANSITOIRE;DÉTOURNEMENT DE L'IMPÔT À LA SOURCE
Normes : CP.333.al6; LIFD.189; LPFisc.81; CP.333.al1

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11677/2018 ACPR/452/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 14 juin 2023

 

Entre

L'ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE, p.a. Direction des affaires juridiques, rue du Stand 26, case postale 3937, 1211 Genève 3,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 7 février 2023 par le Ministère public,

et

A______, domicilié ______, comparant par Me Robert ASSAEL, avocat, c/o Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 17 février 2023, l'Administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) recourt contre l'ordonnance du 7 février 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a prononcé le classement de la procédure P/11677/2018 à l'égard de A______.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et, cela fait, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il se prononce sur la réalisation de l'infraction de détournement de l'impôt à la source.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 12 octobre 2018, l'AFC a déposé plainte contre B______ SA, en liquidation, pour infraction à l'art. 27 de la loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 23 septembre 1994 (LISP – D 3 20).

Elle a expliqué que la société précitée, administrée par A______ du 1er janvier 2012 au 30 mai 2013, avait omis de lui reverser des montants de CHF 38'835.45 et de CHF 27'192.30, correspondant à l'impôt à la source retenu en 2012, respectivement en 2013. Le dirigeant de la société était, selon l'art. 18 al. 3 LISP, responsable du paiement de l'impôt à la source, dont le détournement paraissait certain.

b. Le 30 novembre 2018, l'AFC a déposé plainte contre la société C______ SA, en liquidation.

Selon elle, la société précitée, administrée par A______ en 2013, avait omis de lui reverser le montant total de CHF 17'902.40, correspondant à l'impôt à la source retenu pour l'année 2013.

c. Le 11 décembre 2020, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______, notamment pour les faits précités, après avoir joint les deux plaintes sous le numéro de cause P/11677/2018.

d. Le 15 décembre 2022, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement.

e. Le 10 janvier 2023, l'AFC a fait valoir que la prescription de l'action pénale dans le cas d'un détournement de l'impôt à la source était de 15 ans, en application de l'ancienne version de l'art. 189 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) cum art. 333 al. 6 let. a CP. En droit cantonal, l'art. 81 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17), applicable par renvoi de l'art. 27A LISP, instaurait également un délai de prescription de 15 ans pour la poursuite des délits fiscaux. De plus, les sociétés C______ SA et B______ SA disposaient de liquidités suffisantes en 2013 pour s'acquitter de l'impôt à la source.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les conditions à l'ouverture d'une action pénale n'étaient pas remplies (art. 319 al. 1 let. d CPP), l'infraction dont se serait rendue coupable A______ étant prescrite. Le dies a quo de la prescription devait être fixé, au plus tard, au 1er janvier 2014, conformément aux obligations imposées au débiteur de la prestation imposable selon l'art. 18 al. 1 LISP. Or, en application de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP cum art. 97 al. 1 let. c aCP dans sa teneur au 1er janvier 2012), l'action pénale se prescrivait par 7 ans dès lors que l'infraction était passible d'une autre peine qu'une peine privative de liberté de plus de 3 ans.

D. a. Dans son recours, l'AFC expose que le point de départ de la prescription pénale devait être fixé au 31 janvier 2013 pour l'impôt à la source prélevé en 2012 et au 31 janvier 2014 pour l'impôt à la source prélevé en 2013. L'ordonnance querellée omettait de mentionner l'art. 187 LIFD, qui punissait d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire le fait de détourner l'impôt à la source. Or, pour les délits commis du 1er octobre 2002 au 1er janvier 2017, le délai de prescription pour fraude fiscale était de 15 ans (art. 333 al. 1 let. a CP et 189 al. 1 aLIFD), ce que l'art. 189 LIFD dans sa teneur actuelle prévoyait également, enlevant toute pertinence à une éventuelle application de la lex mitior. En droit cantonal, l'art. 81 LPFisc était le pendant de cette dernière disposition et instaurait également un délai de prescription de 15 ans pour la poursuite des délits fiscaux.

Elle produit un bordereau du 6 juin 2013 concernant l'impôt à la source pour l'année 2012, faisant état d'un montant dû par B______ SA de CHF 51'437.98, un bordereau du 25 février 2014 concernant l'impôt à la source dû par la société précitée pour l'année 2014, faisant état d'un montant à payer de CHF 34'519.15, ainsi qu'une sommation du 23 novembre 2015 portant sur des soldes de CHF 38'835.45 et de CHF 27'192.30 dus par B______ SA pour les années 2012 et 2013. Elle produit également un bordereau du 25 février 2014 relatif à un montant de CHF 34'982.80 dû par C______ SA à titre d'impôt à la source pour l'année 2013, puis des sommations des 29 avril et 10 juin 2014 concernant un montant de CHF 29'378.65, arrêté à CHF 29'498.55 à la seconde date, dû au même titre.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère aux motifs de son ordonnance querellée. Il ajoute que dans une affaire similaire (OTDP/210/2020 du 6 février 2020), le Tribunal de police avait retenu que le délai de prescription était de 7 ans et produit une copie de ladite ordonnance.

c. A______ conclut au rejet du recours, précisant appuyer le raisonnement du Ministère public relatif à la prescription de l'infraction dénoncée.

d. L'AFC réplique, soutenant que l'ordonnance du Tribunal de police citée par le Ministère public ne fait aucune mention du droit pénal accessoire. Or, ce dernier constituait une lex specialis par rapport à la partie générale du Code pénal.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Le ministère public classe la cause lorsque des empêchements de procéder sont apparus (art. 319 al. 1 let. d CPP), tels que la prescription de l’action pénale (ATF 146 IV 68 consid. 2.1).

2.2.1. Selon l'art. 187 aLIFD (dans sa version antérieure au 1er janvier 2017), celui qui, tenu de percevoir l’impôt à la source [IFD], détourne les montants perçus à son profit ou à celui d’un tiers est puni de l’emprisonnement ou de l’amende jusqu’à CHF 30'000.-.

En droit cantonal, l'art. 27 aLISP (dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2021), celui qui, tenu de percevoir l’impôt à la source [ICC], détourne à son profit ou à celui d’un tiers les montants perçus sera puni d'une peine privative de liberté de 3 ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

2.2.2. À teneur de l'art. 333 CP, les dispositions générales du code pénal sont applicables aux infractions prévues par d’autres lois fédérales, à moins que celles-ci ne contiennent des dispositions sur la matière (al. 1).

Pour la poursuite des délits fiscaux, l'art. 189 LIFD prévoyait un délai de prescription de dix ans à compter du jour où le délinquant avait exercé son activité coupable. Toutefois, l'art. 333 al. 6 let. a CP (qui correspond à l'ancien art. 333 al. 5 let. a CP, entré en vigueur le 1er octobre 2002) dispose que jusqu'à l'adaptation des autres lois fédérales, les délais de prescription de l’action pénale sont augmentés de la moitié de la durée ordinaire pour les crimes et les délits et du double de la durée ordinaire pour les contraventions(al. 6 let. a). Depuis le 1er janvier 2017, le délai de prescription pour la poursuite des délits fiscaux ressortant de l'art. 189 LIFD est de 15 ans. La même durée ressort de l'art. 60 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14).

En droit cantonal, l'art. 81 LPFisc prévoit un délai de prescription de 15 ans pour la poursuite pénale des délits fiscaux, à compter du jour où le délinquant a exercé sa dernière activité coupable.

2.2.3. Dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2021, l'art. 7 du règlement d'application de la loi sur l'imposition à la source des personnes physiques et morales (aRISP) prévoyait que l'impôt était échu au moment du paiement, du virement, de l'inscription au crédit ou de l'imputation de la prestation imposable. Il devait être versé au département des finances, mensuellement, dans les 10 jours qui suivaient l'échéance de la prestation imposable, avec un décompte de paiement.

2.3. En l'espèce, le Ministère public a, dans l'ordonnance querellée, limité son examen à la question de la prescription s'agissant de l'infraction éventuelle à l'art. 27 LISP.

Le délai de prescription ressortant de la LIFD constitue une lex specialis par rapport aux normes ordinaires de l'art. 97 CP, qui prime ces dernières (art. 333 al. 1 CP). Or, tant au niveau fédéral que dans le canton de Genève, la poursuite pénale du délit de détournement de l’impôt à la source se prescrit par 15 ans à compter du jour où le délinquant a exercé sa dernière activité coupable. Cela vaut autant à l'heure actuelle, sur la base des art. 189 LIFD et 81 LPFisc, qu'à l'époque des faits reprochés, sur la base des art. 187 aLIFD cum 333 al. 6 let. a CP, ainsi que de l'art. 81 LPFisc, dont la teneur est restée inchangée depuis la commission des actes reprochés.

Dès lors que les faits reprochés au mis en cause concernent l'omission de verser l'impôt à la source pour les années 2012 et 2013, la prescription de la poursuite pénale de 15 ans n'est pas atteinte à ce jour. Il s'ensuit que c'est à tort que le Ministère public a retenu que l'infraction reprochée était prescrite.

3. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée, le Ministère public étant invité à poursuivre l'instruction sur les faits susceptibles de constituer l'infraction à l'art. 27 LISP.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours de l'Administration fiscale cantonale.

Annule en conséquence l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 7 février 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour poursuite de l'instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à l'Administration fiscale cantonale, à A______, soit pour lui son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).