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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7777/2022

ACPR/428/2023 du 06.06.2023 sur OMP/3983/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);BIEN CULTUREL
Normes : CPP.263; LTBC.20; LTBC.24

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7777/2022 ACPR/428/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 6 juin 2023

 

Entre

 

A______, comparant par Me Marc-André RENOLD et Me Mathieu GISIN, avocats, Etude ENOLD GABUS-THORENS & ASSOCIÉ(E)S, boulevard des Philosophes 15, 1205 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 1er mars 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 13 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 1er mars 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a mis sous séquestre un rhinocéros en bronze, un miroir en bronze argenté et un miroir en bronze, objets visés par la dénonciation de l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (ci-après, OFDF) du 5 avril 2022, en mains de ce dernier.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, à la levée du séquestre et à la restitution des biens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 5 avril 2022, l'OFDF a dénoncé au Ministère public une fausse déclaration au sens de l'art. 24 LTBC.

Le 13 septembre 2021, B______, employé de C______ SA, a déclaré sept objets à l'importation, en Suisse, par D______ depuis les Emirats Arabes Unis, laquelle avait listé les biens, dans une "Transfer note" du 3 septembre précédent. Ces biens n'étaient pas déclarés comme biens culturels.

L'OFDF, ayant des doutes sur l'exactitude de la déclaration en douane, a soumis le cas à l'Office fédéral de la culture (ci-après, OFC). Cet Office, s'appuyant sur une expertise, a retenu que trois objets – un rhinocéros en bronze, un miroir en bronze argenté et un miroir en bronze – étaient des biens culturels (pour le patrimoine culturel chinois) au sens de l'art. 2 al. 1 LTBC. Ces objets auraient dû être déclarés comme tels au moment de leur entreposage et les dispositions inhérentes à ce type d'envoi auraient dû être respectées, de sorte qu'il y avait un soupçon fondé d'une infraction selon l'art. 24 al. 1 let. c bis LTBC (déclaration incorrecte).

En outre, une infraction à d'autres dispositions pénales, comme celle de l'art. 24 al. 1 let. a LTBC, qui sanctionnent le transfert (vente, achat, importation, recel, etc.) de "biens culturels volés ou dont le propriétaire s'est trouvé dessaisi sans sa volonté", ne pouvait en principe pas être exclue. Cette disposition s'appliquait également aux objets provenant de fouilles illicites, pour autant que l'État d'origine les considère comme sa propriété, étant précisé que les biens archéologiques provenant de telles fouilles illicites ne figuraient la plupart du temps pas dans les bases de données de biens culturels volés dans la mesure où ils avaient été extraits à l'insu des États concernés et par conséquent n'avaient pas pu être répertoriés.

A______ a demandé la restitution des biens et produits diverses attestations à teneur desquelles il avait hérité de ces biens en 2017 de sa mère, laquelle les tenait de ses parents, et qu'il les avait ensuite transportés de E______/Allemagne à F______/France.

b. Par courrier du 21 novembre 2022, A______ a expliqué avoir souhaité présenter ces biens à G______, aux Ports-Francs de Genève. Arrivant de I______/Turquie, C______ SA lui avait proposé d'enregistrer les objets au nom de D______, dont il est l'unique propriétaire et directeur; les biens n'avaient pas été importés depuis les Emirats Arabe Unis.

Précédemment, il avait produit un courrier listant vingt-deux objets prêtés par son grand-père au Musée J______ de K______/Kazakhstan, en 1954, pour une exposition "______"; ladite liste mentionne sept objets de la même manière que ceux importés en Suisse.

c. Le 1er mars 2023, le Ministère public a ouvert une instruction pour infraction à l'art. 24 LTBC et chargé la police d'un mandat d'acte d'enquête.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public estime qu'il existe à ce stade initial de l'instruction des soupçons suffisants de provenance illicite desdits biens (art. 24 LTBC) retenant que les objets visés avaient été déclarés comme importés par D______ depuis les Emirats Arabes Unis alors qu'en réalité lesdits objets avaient été importés par A______ et n'avaient pas transité par les Emirats Arabes Unis.

D. a. À l'appui de son recours, A______ considère que les conditions de l'art. 263 al. 1 let a, c et d CPP pour prononcer un séquestre n'étaient pas réunies. Les biens visés n'étaient pas utiles pour prouver leur caractère de biens culturels, ayant déjà été examinés par l'OFC et soumis à expertise; il était, en outre, peu vraisemblable que lui-même en conteste la qualité de biens culturels. Aucune restitution au lésé au sens de l'art. 115 al. 1 CPP n'était envisageable; personne n'était touché dans ses droits par une fausse déclaration en douane. Les biens séquestrés ne pourraient faire l'objet d'une confiscation au sens des art. 69 al. 1 et 70 al. 1 CP; il ne s'agissait pas d'objets dangereux ou compromettant la morale ou l'ordre public; ils n'étaient ni le produit ni le résultat de l'infraction. Enfin, les biens visés lui appartenaient et aucune infraction ne lui était reprochée.

L'ordonnance querellée ne permettait pas de comprendre l'existence des soupçons. Celle-ci se contentait de se référer à la déclaration en douane, à la dénonciation, à la prise de position de l'OFC et à ses explications, ce qui ne permettait pas de saisir ce sur quoi le Ministère public prétendait fonder ses soupçons de provenance illicite.

La prise de position de l'OFC ne permettait pas non plus de soupçonner une provenance illicite des biens.

Enfin, le Ministère public ne prétendait pas qu'il existerait des soupçons suffisants pour le mettre en prévention.

b. Le Ministère public estime que le document intitulé "Transfer note" avait manifestement été établi dans le seul but de justifier la déclaration d'importation des objets faussement déclarés comme importés par D______ depuis les Emirats Arabes Unis. Si le recourant avait indiqué que les objets importés appartenaient à sa famille depuis des décennies et chez sa mère depuis 1967 avant qu'il en hérite en 2019, le rapport d'expertise précisait que l'un des biens comportait une décoration apposée postérieurement à 1971.

c. Le recourant réplique que les biens se trouvaient dans la famille depuis plusieurs décennies et qu'il ne disposait bien évidemment plus des factures d'achats, raison pour laquelle il avait établi la "Transfer Note". Il conteste qu'une modification apportée sur un objet fonderait un quelconque soupçon.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de séquestre, décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du tiers qui allègue en être le propriétaire, partie à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP) et a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu, afférent à une motivation lacunaire de l'ordonnance querellée.

2.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 p. 222 s.; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299).

2.2. Pour être licite, le séquestre doit respecter certaines règles de forme prescrites à l'art. 263 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, notamment, le prononcé du séquestre doit être ordonné par écrit et sommairement motivé. La motivation doit être suffisante pour respecter le droit d'être entendu des personnes touchées par la mesure, leur permettre de comprendre le lien entre les faits reprochés et les objets saisis et permettre à l'autorité de recours d'exercer son contrôle (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 34 ad art. 263).

2.3.  En l'espèce, le Ministère public a précisé l'existence de soupçons suffisants de provenance illicite desdits biens (art. 24 LTBC) retenant que les objets visés ont été déclarés comme importés par D______ depuis les Emirats Arabes Unis alors qu'en réalité ils avaient été importés par A______ et n'ont pas transité par les Emirats Arabes Unis.

Cette motivation est largement suffisante et le recourant en a saisi les enjeux.

Partant, le grief doit être rejeté.

3. Le recourant conteste le séquestre.

3.1. Conformément à l'art. 197 al. 1 let. a CPP, les mesures de contrainte – au nombre desquelles figure le séquestre – doivent être prévues par la loi.

En vertu de l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, notamment lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyen de preuve (let. a), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d) au sens des art. 69 et ss CP.

Aux termes de l'art. 20 al. 1 LTBC, s'il y a lieu de soupçonner qu'un bien culturel a été volé, enlevé à son propriétaire sans sa volonté ou importé illicitement en Suisse, les autorités de poursuite pénale compétentes ordonnent son séquestre.

Les biens culturels et les valeurs confisqués en vertu des art. 69 et 70 CP sont dévolus à la Confédération (art. 28 LTBC); si le propriétaire est un État, lesdits biens lui sont remis (art. 27 al. 1 OTBC).

3.2. Le séquestre doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP).

L'art. 24 al. 1 LTBC punit celui qui importe, vend, distribue, procure, acquiert ou exporte des biens culturels volés ou dont le propriétaire s’est trouvé dessaisi sans sa volonté (let. a); importe, fait transiter ou exporte illicitement des biens culturels (let. c); lors de l’importation, du transit ou de l’exportation de biens culturels, omet de fournir des informations ou fournit de fausses informations au moment de la déclaration en douane (let. cbis) Si l'auteur agit par négligence, la peine est réduite (art. 24 al. 2 LTBC).

En matière de séquestre pénal, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Il s'agit, en effet, d'une mesure provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs dans les buts énoncés à l'art. 263 al. 1 CPP. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 1B_92/2018 du 5 juillet 2018 consid. 2.2 et 1B_208/2013 du 20 août 2013 consid. 3.1).

Au début de l'enquête, un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence de l'infraction reprochée suffit à ordonner le séquestre, ce qui laisse une grande place à l'appréciation du juge. On exige toutefois que ce soupçon se renforce au cours de l'instruction pour justifier le maintien de la mesure (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du CPP, Bâle 2019, n. 22 et 25 ad art. 263).

3.3. Un séquestre est proportionné (art. 197 al. 1 let. d CPP) lorsqu'il porte sur des avoirs – respectivement des biens – dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_92/2018 précités). L'intégralité des fonds – respectivement des biens – doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle (arrêt du Tribunal fédéral 1B_92/2018 précité) et un séquestre ne peut donc être levé que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées et ne pourront l'être (ATF 140 IV 133 consid. 4.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 1B_92/2018 et 1B_208/2013 précités).

3.4. En l'espèce, le recourant ne conteste pas le caractère de bien culturel des biens visés et admet les avoir transportés lui-même en Suisse (art. 24 let. c LTBC), outre les fausses indications de provenance et l'absence de la mention de bien culturels au sens de l'art. 24 let. cbis LTBC, lesquelles sont reprochées à l'employé de C______.

Comme l'a précisé l'OFC, ce type d'objet est explicitement qualifié, dans l'Accord bilatéral entre la Suisse et la Chine (Accord bilatéral RS 0.444.124.91) de bien culturel d'importance significative pour le patrimoine culturel de la Chine (cf. art. 7 al. 2 LTBC cum Annexe de l'Accord bilatéral).

On ne peut à ce stade en exclure l'origine illicite, l'instruction venant de débuter et les premiers actes d'enquête étant en cours. Dès lors, à ce stade de la procédure, il suffit, pour que le Ministère public puisse ordonner un séquestre, qu'il dispose d’un soupçon suffisant d'une infraction à l'art. 24 LTBC, ce qui est le cas ici, eu égard à la nature des biens.

La confiscation et la dévolution à la Confédération, voire à l'État concerné, est à ce stade envisageable au sens de l'art. 28 LTBC.

4. Justifiée en l'état, la décision querellée sera donc confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7777/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

-

CHF

Total

CHF

985.00