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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6630/2021

ACPR/427/2023 du 06.06.2023 sur OCL/465/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : FRAIS JUDICIAIRES;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
Normes : CPP.426.al2; CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6630/2021 ACPR/427/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 6 juin 2023

 

Entre

 

A______, domicilié ______, comparant par Me E______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 30 mars 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 11 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 mars 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a notamment classé la procédure à son égard (chiffre 1 du dispositif), l'a condamné, conjointement et solidairement, avec B______, aux frais de la procédure (chiffre 3) et refusé de l'indemniser (chiffre 4).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation des chiffres 3 et 4 du dispositif, à ce qu'il soit dit que les frais de procédure par-devant l'instance précédente soient laissés à la charge de l'État, et au versement d'une indemnité de CHF 17'000.- à titre de dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 4 mars 2021, A______, directeur de l'association C______ et B______ ont porté plainte l'un contre l'autre, en lien avec un incident survenu le jour-même, lors d'un entretien durant lequel le premier a licencié le second.

En substance, B______ a reproché à A______ de l'avoir griffé aux mains et au cou en cherchant à lui prendre un trousseau de clés, ce que ce dernier a contesté, affirmant avoir récupéré ledit trousseau sur le bureau de B______, lequel lui avait donné des claques à plusieurs reprises.

Ils ont chacun produit un certificat médical. Celui de B______ faisait état d'ecchymoses superficielles au niveau des mains, du poignet gauche et du cou à gauche, d'une raideur cervicale et d'un état anxieux; pour A______, il était question de douleur à la palpation des muscles de l'avant-bras gauche et d'une plaie de 3mm au niveau de la face palmaire de la main gauche.

b. Entendue par la police, D______, présente lors de cet entretien, a déclaré n'avoir pas vu d'échange de coups, les deux impliqués s'étant seulement bousculés mutuellement.

c. Le 20 avril 2021, la Cour des comptes a transmis au Ministère public un courrier reçu de B______, dans lequel celui-ci accusait A______ d'avoir, dans le cadre d'un appel d'offres de C______, favorisé une candidature, en contrepartie d'avantages indus.

La procédure ouverte par suite de cette dénonciation (P/21022/2022) a été jointe à la présente.

d. A______ a déposé deux autres plaintes, en son nom, contre B______, la dernière pour écoute et enregistrement de conversations entre d'autres personnes (art. 179bis CP), et deux autres encore, pour le compte de C______.

Leur instruction a également été jointe à la présente procédure.

e. Le 13 octobre 2022, B______ a retiré sa plainte du 4 mars 2021.

f. Le 18 octobre 2022, le Ministère public a informé A______ qu'il avait reçu, tant de la part de B______ que de C______, une déclaration de retrait de leurs plaintes respectives, dans la mesure où un "accord" avait été conclu entre eux. A______ était invité à faire savoir s'il souhaitait également retirer sa plainte.

g. Par réponse du 24 suivant, A______ a précisé que ledit accord, conclu par C______ et B______ par-devant le Tribunal des prud'hommes, ne le concernait pas, n'y ayant souscrit aucun engagement personnel.

h. Le 12 décembre 2022, le Ministère public a avisé les parties qu'au vu "des retraits de plaintes", les faits reprochés à A______ allaient être classés, de même que ceux reprochés à B______, à l'exception des faits de transmission à des tiers de conversations téléphoniques enregistrées à l'insu des personnes écoutées, qui feraient l'objet d'une ordonnance pénale.

i. En réponse à cet avis de prochaine clôture, A______ a, le 22 décembre 2022, sollicité une indemnité de CHF 17'000.- à titre de dépenses occasionnées par la procédure (art. 429 al.1 let. a CPP).

j. Le 14 février 2023, A______ a informé le Ministère public que, "de guerre lasse et par gain de paix", il renonçait à maintenir ses plaintes, même s'il les considérait fondées.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que B______ formulait des reproches, dans sa plainte du 4 mars 2021, qui pourraient tomber sous le coup des art. 123 et/ou 126 CP. Ces infractions n'étant pas poursuivies d'office et B______ ayant retiré sa plainte, ces faits devaient être classés. Il en allait de même pour le reste de la procédure à l'égard de A______, aucun reproche ne pouvant être formulé à son encontre en lien avec l'appel d'offres. Toutefois, l'instruction avait initialement été ouverte à la suite de l'altercation survenue le 4 mars 2021 entre B______ et A______, avant de suivre son cours en raison, notamment, des manquements dénoncés par le premier à la Cour des comptes et se terminer grâce à la conclusion d'une transaction judiciaire. Au vu de ces éléments, les deux intéressés devaient être condamnés conjointement et solidairement aux frais de la procédure et l'indemnisation requise par A______ devait être refusée.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir insuffisamment motivé l'ordonnance querellée et d'avoir incorrectement appliqué les art. 426 et 430 CPP, en le condamnant à la moitié des frais de la procédure et en refusant de lui allouer une indemnité pour ses dépens. L'autorité précédente avait reconnu qu'aucun reproche ne pouvait être formulé à son encontre mais l'estimait, malgré tout, responsable de "l'empoignade" survenue le 4 mars 2021. Cela était contraire à la présomption d'innocence. Dès lors qu'il ne devait pas être condamné aux frais, le Ministère public ne pouvait pas non plus renoncer à l'indemniser pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève que les faits allégués par B______ concernant les événements du 4 mars 2021 étaient corroborés par certificat médical et par les déclarations de D______. A______ n'avait ainsi pas respecté son obligation de protéger la personnalité de son employé, au sens des art. 328 CO et 27 CC. Par la suite, le précité, en son nom et en sa qualité de directeur de la C______, avait déposé "six plaintes" contre B______, rendant plus difficile l'instruction de la procédure.

c. A______ réplique.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste la mise à sa charge de la moitié des frais de la procédure liée au classement de la procédure pénale, et, partant, le refus d'indemnisation.

2.1. En vertu de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 205; 119 Ia 332 consid. 1b p. 334; 116 Ia 162 consid. 2c p. 168).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 168; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1; cf. art. 426 al. 3 let. a CPP). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 205 et les références citées).

2.2. Aux termes de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a notamment droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a).

La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

2.3. En l'espèce, le Ministère public reproche au recourant d'avoir porté atteinte à la personnalité de son employé au sens des art. 328 CO et 27 CC, comportement qui serait à l'origine de l'ouverture de la procédure. À le suivre, cette atteinte résulterait de la prétendue attitude agressive adoptée par l'intéressé lors de l'entretien du 4 mars 2021. Or, le recourant conteste avoir griffé son ancien employé à cette occasion et les éléments au dossier – y compris les certificats médicaux – sont insuffisants pour le contredire. Selon les déclarations du témoin présent le jour en question, les deux protagonistes n'auraient même pas échangé de coups.

Dès lors, le raisonnement du Ministère public revient à considérer le recourant coupable des faits dénoncés contre lui sans que ceux-ci ne soient établis. Cela va à l'encontre de la présomption d'innocence.

Par ailleurs, les plaintes du recourant ne constituent pas un motif pour retenir une complication de la conduite de la procédure au sens de l'art. 426 al. 2 CPP.

D'abord, le Ministère public en retient six alors que le recourant n'en a déposé que trois en son nom propre – dont une qui va faire l'objet d'une ordonnance pénale pour violation de l'art. 179bis CP –, les deux autres ayant été déposées pour le compte de l'association. De surcroît, le Ministère public n'allègue pas que lesdites plaintes seraient abusives. Au contraire, à le suivre, le classement de la procédure à l'égard de B______ succéderait aux retraits desdites plaintes.

Au vu de ce qui précède, point n'est besoin d'examiner le grief de la violation du droit d'être entendu.

3.             Fondé, le recours doit être admis.

Il en résulte que le chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée sera annulé et que les frais de première instance seront laissés à la charge de l'État (art. 423 CPP) concernant le recourant. Par contre, le respect du double degré de juridiction doit conduire à annuler le chiffre 4 du dispositif de la décision querellée et à renvoyer la cause à l'autorité précédente pour qu'elle se détermine en premier ressort sur l'indemnité requise (art. 429 CPP).

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant, prévenu, obtient gain de cause et a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

5.1. L'autorité pénale amenée à fixer une indemnité sur le fondement de l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'a pas à avaliser purement et simplement les notes d'honoraires d'avocats qui lui sont soumises: elle doit, au contraire, examiner, tout d'abord, si l'assistance d'un conseil était nécessaire, puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire, et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conformes au tarif pratiqué à Genève, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/232/2023 du 29 mars 2023 consid. 7.1).

5.2. En l'espèce, le recourant chiffre à CHF 1'350.- ses dépens, correspondant à trois heures d'activité par un avocat chef d'étude, au tarif horaire de CHF 450.-.

Cette durée apparaît excessive, au regard du recours de douze pages, dont seulement cinq sont consacrées aux développements juridiques. À cela s'ajoutent deux pages et demi d'observations.

L'indemnité sera ainsi ramenée à CHF 1'211.63, correspondant à 2h30 d'activité pour l'ensemble des écritures, au tarif horaire de CHF 450.-, TVA à 7.7% incluse.

Cette indemnité sera laissée à la charge de l'État.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule les chiffres 3 et 4 du dispositif de l'ordonnance de classement du 30 mars 2023.

Dit que les frais de la procédure de première instance, s'agissant de A______, sont laissés à la charge de l'État.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur la demande d'indemnité, selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, en faveur de A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'211.63 (TVA à 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).