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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13190/2015

ACPR/299/2023 du 28.04.2023 sur OPMP/10363/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 31.05.2023, 6B_748/2023
Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;ESCROQUERIE;CONDUITE DU PROCÈS;DÉCISION;GESTION FAUTIVE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;ORDONNANCE DE CLASSEMENT;DÉCISION NON FORMELLE;MOTIVATION
Normes : CPP.319; CP.146; CP.165

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13190/2015 ACPR/299/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 28 avril 2023

 

Entre

A______ (BVI) INC, dont le siège est à ______, îles Vierges britanniques, comparant par Me Vincent SOLARI, avocat, PONCET TURRETTINI, rue de Hesse 8, case postale,
1211 Genève 4,

recourante,

contre "le classement implicite" découlant de l'ordonnance pénale rendue le 4 novembre 2022 par le Ministère public,

et

B______, domicilié ______ [VD], comparant par Me Marc HASSBERGER, avocat, CHABRIER AVOCATS SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 18 novembre 2022, A______ (BVI) INC (ci-après: A______ INC) recourt contre "le classement implicite" résultant de l'ordonnance pénale du 4 novembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a déclaré B______ coupable de violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation du "classement implicite" et à ce que le Ministère public soit enjoint de renvoyer en jugement B______ pour gestion fautive (art. 165 CP), escroquerie (art. 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP); subsidiairement à la poursuite de l'instruction pour ces chefs d'accusation et à ce qu'il soit ordonné un "complément d'expertise confié à un autre expert que celui ayant établi le rapport d'expertise du 15 avril 2020".

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ (SUISSE) SA (ci-après : C______ SA) est une société anonyme de droit suisse, constituée à Genève le ______ 2002, dont la faillite a été prononcée le 9 juillet 2015 par le Tribunal de première instance de Genève. Son but était les services, ______ et ______ dans le domaine financier. Ses actionnaires étaient D______ et E______, à hauteur de 50% chacun.

B______ a été administrateur avec signature individuelle du 9 janvier 2003 au 9 juillet 2015, date de la faillite. Ont également été administrateurs: F______ du 9 janvier 2003 au 2 septembre 2014, G______ du 7 janvier 2005 au 17 juin 2015 et D______ du 17 juin 2015 au jour de la faillite.

b.a. Le 7 juillet 2015, A______ INC, société active dans le domaine financier, a déposé une plainte pénale en expliquant avoir signé trois contrats de dépôt avec C______ SA, les 18 octobre 2010, 16 mars 2011 et 28 novembre 2011, visant au transfert à cette dernière de respectivement USD 5'000'000.-, USD 3'000'000.- et USD 2'000'000.-, sommes devant être remboursées, à l'échéance d'une année, avec intérêts annuels de 7,5% (pour les deux premiers versements) et de 6% (pour le dernier).

b.b. H______ LLP, également active dans le domaine financier, a, à son tour, déposé une plainte pénale le 18 décembre 2015, en expliquant avoir signé le 23 octobre 2014 un contrat de dépôt avec C______ SA visant au transfert à cette dernière de USD 2'000'000.-, somme devant être remboursée, à l'échéance d'une année, avec intérêts annuels de 5%.

b.c. Selon les plaignantes, l'argent déposé avait été utilisé pour des placements et des prêts non sécurisés en Russie. Ne disposant ainsi d'aucune couverture, C______ SA n'avait pas été en mesure de rembourser ses clients, ni de leur payer les intérêts.

c. Pour les faits dénoncés, B______ a été prévenu, le 14 décembre 2015, d'abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP) et gestion déloyale (art. 158 CP).

Le précité a expliqué qu'il assumait le rôle de responsable LBA au sein de C______ SA. Il était notamment chargé de vérifier que la société réponde aux normes en matière d'organisme d'autorégulation et aux règles fixées par la FINMA, sa deuxième fonction consistant à vérifier les comptes qui lui étaient soumis par le réviseur.

C______ SA n'avait jamais eu de collaborateurs à Genève, mais employait E______, G______ et D______ à I______, en Lettonie, où l'activité de la société était gérée. Il n'avait jamais été impliqué dans l'octroi des prêts et n'avait jamais eu de contact avant avril 2015 avec les déposants et les emprunteurs. Il recevait des informations sur les dépôts et les prêts par le biais des rapports de révision annuels, sous forme de montants globaux. Ce n'était qu'en avril 2015 qu'il avait reçu les contrats liant C______ SA à ses clients dépositaires, par le biais du réviseur. La comptabilité de C______ SA était tenue à I______ par D______ notamment.

Il se souvenait de problèmes liés aux débiteurs de C______ SA en 2012. Au bilan de fin 2012, les dirigeants de la société lui avaient dit que les débiteurs en difficulté avaient payé ou allaient payer des montants importants et que le reste serait couvert par des garanties à fournir. Des montants étaient effectivement rentrés, soit plusieurs millions de USD. En novembre 2014, le sujet avait une nouvelle fois été abordé et les dirigeants de C______ SA lui avaient dit qu'ils allaient trouver des solutions. Il était question de restructurer les prêts. L'exercice comptable 2013 de C______ SA s'était terminé normalement. Il avait constaté que deux prêts posaient problème en 2014 et avait, en novembre de cette même année, informé le conseil d'administration, avant le bouclement de l'exercice annuel, qu'une annonce de surendettement devrait intervenir si la situation persistait. G______, D______ et E______ lui avaient expliqué que cela allait s'arranger. Il n'avait pas contrôlé personnellement l'identification des bénéficiaires économiques pour les débiteurs ou les créanciers de C______ SA car il ne lisait pas le russe. Il avait demandé que le réviseur local en Lettonie s'en occupe, soit la fiduciaire J______ à I______.

En février 2015, pendant que le réviseur examinait les comptes de C______ SA, il avait à nouveau attiré l'attention du conseil d'administration sur les risques d'un surendettement. Lors d'une réunion du conseil en avril 2015, il avait dit qu'il fallait annoncer un surendettement, ce à quoi les autres administrateurs avaient donné leur accord. Le rapport de révision pour l'année 2014 avait en particulier conduit à la constitution d'une provision d'environ USD 15 millions sur des prêts perdus, raison pour laquelle le juge avait été avisé.

d. Entendu le 22 février 2017 à I______ par voie de commission rogatoire, G______, domicilié en Lettonie, a déclaré avoir été actif au sein de C______ SA, en qualité d'administrateur. B______ ne participait pas au processus de choix des emprunteurs; il avait été nommé administrateur car, selon la législation suisse, une entreprise devait avoir un administrateur de nationalité suisse. Au sein de C______ SA, il préparait les contrats et en signait certains, préparait les données pour l'organisme d'autorégulation (OAR) et les envoyait à B______ ou au réviseur. D______ s'occupait de la comptabilité, vérifiait les versements et s'occupait de la plupart des activités liées aux comptes bancaires.

e. Il ressort les éléments suivants de la documentation versée à la procédure:

- les rapports de révision pour les exercices 2012 et 2013 faisaient état de prêts aux débiteurs de plus de USD 14 millions, intérêts compris et nets de toutes provisions, qui n'avaient pas été remboursés;

- le réviseur relevait que le conseil d'administration de C______ SA était confiant quant au fait que d'autres provisions n'étaient pas nécessaires et que les valeurs comptables pouvaient être récupérées, tout en précisant – dans les rapports de révision – qu'il existait un risque significatif de pertes, car les prêts échus n'étaient pas garantis;

- pour l'exercice 2014, les comptes révisés faisaient état de prêts aux débiteurs totalisant CHF 22'947'555.-, dont CHF 11'073'289 échus au 31 décembre 2014. Le réviseur n'avait pas été en mesure d'obtenir de confirmation de la part des débiteurs concernés et ne pouvait ainsi pas vérifier la valeur au bilan des postes respectifs.

f. Par ordonnance du 6 février 2018 (OCL/97/2018), le Ministère public ordonné le classement de la procédure.

En substance, B______ n'était pas un administrateur délégué et n'avait pas participé à la gestion effective de C______ SA, laquelle était exercée depuis I______ par les deux autres administrateurs, G______ et D______, ainsi que par les actionnaires. L'enquête n'avait pas permis d'établir que B______ était au courant de leurs agissements, qu'il y avait participé ou qu'il les avait tolérés. Il n'était pas davantage établi qu'il avait délibérément omis, dans un dessein d'enrichissement, de vérifier et contrôler leur gestion de la société.

g. Par arrêt du 30 novembre 2018 (ACPR/710/2018), la Chambre de céans a confirmé l'ordonnance précitée en ce qu'elle concernait les soupçons d'escroquerie, de gestion déloyale et d'abus de confiance.

La cause était néanmoins renvoyée au Ministère public pour la poursuite de l'instruction concernant les soupçons de gestion fautive (art. 165 CP), point non examiné dans l'ordonnance de classement du 6 février 2018 malgré la demande d'extension de la procédure à cette qualification juridique par A______ INC.

Le surendettement de C______ SA, mis en évidence dans ses comptes révisés pour 2014, avait été causé par la constitution d'une provision pour pertes sur débiteurs de plus de USD 14 millions en 2015, relative à des prêts octroyés à deux sociétés. Il apparaissait toutefois que les difficultés avec celles-ci remontaient à 2012 déjà. Dans ces circonstances, il ne pouvait être exclu que des provisions supplémentaires, destinées à couvrir le risque de pertes sur ces prêts échus dès août 2013, s'imposaient avant celles constituées lors de l'exercice 2014. Ces prêts pouvaient également constituer des "raisons sérieuses", au sens de l'art. 725 al. 2 CO, pour que le conseil d'administration de C______ SA eût dû admettre un surendettement et dresser un bilan intermédiaire, sans attendre l'établissement des comptes annuels pour 2014. Le Ministère public devait ainsi "poursuivre son instruction sur ces questions et examiner si, sous l'angle du principe in dubio pro duriore, une faute de gestion [pouvait] être reprochée à B______, administrateur de C______ (cf. art. 29 let. a CP), lequel aurait tardé à aviser le juge civil du surendettement de la société, aggravant par là-même sa situation obérée".

h. Dans son arrêt du 25 mars 2019 (6B_88/2019), le Tribunal a déclaré irrecevable le recours interjeté par A______ INC contre la décision précitée, faute de préjudice irréparable.

Il a ajouté que dans la mesure où le Ministère public devait poursuivre son instruction sur l'infraction de gestion fautive, il ne pouvait "être exclu qu'au cours de cette enquête, il découvre des éléments susceptibles de justifier la réouverture de la procédure pour les autres infractions, en particulier l'escroquerie, l'abus de confiance ou la gestion déloyale (cf. art. 323 CPP)".

i. Le 11 avril 2019, le Ministère public a ordonné une expertise financière, visant notamment à déterminer la date précise du surendettement de C______ SA et si la solvabilité des débiteurs de la société, soit les bénéficiaires des prêts, était suffisamment documentée.

Selon les conclusions dudit rapport, rendu le 15 avril 2020, le "surendettement était incontesté et manifeste au 31.12.2014, il ne l'était pas auparavant".

Pour le deuxième point, l'expert a relevé à plusieurs reprises le caractère lacunaire de la documentation à sa disposition, s'agissant de la comptabilité et des dossiers de crédits, lesquels étaient tenus à I______. Il avait été contraint de limiter son analyse aux seuls débiteurs figurant à l'inventaire de C______ SA pour une dette d'un montant supérieur à CHF 1'000'000.- au moment de la faillite. Avec l'examen des éléments à disposition, au 31 décembre 2013, la société avait un besoin de provisions supplémentaires dans une fourchette entre CHF 1.6 million et CHF 12.1 millions.

j. Le 2 juillet 2020, l'expert a confirmé par-devant le Ministère public les termes de celle-ci et expliqué, au surplus, que les remarques du réviseur dans les rapports de révision pour les exercices 2012 et 2013 en lien avec le danger significatif de pertes sur les prêts qualifiés de risqués relevaient d'une information complémentaire et non "d'une réserve", auquel cas l'organe de révision devait avertir le juge. Une telle information était typique dans le cadre d'un contrôle restreint pour signaler un élément. Il déduisait de l'absence de réserve dans les rapports susmentionnés que l'organe de révision n'avait pas estimé que la situation le nécessitait. Concernant les provisions qui auraient dû être comptabilisées, le minimum de CHF 1.6 million correspondait à "ce qui aurait dû être fait", en application des principes de comptabilité. Un montant plus élevé aurait été recommandé mais le minimum était "suffisant".

k. Une demande d'entraide judiciaire internationale a été adressée le 1er septembre 2020 à la Lettonie, dans le but d'obtenir les documents relatifs à la comptabilité et aux dossiers de crédits de C______ SA.

Les documents obtenus, reçus le 20 novembre suivant, figuraient déjà à la procédure et seuls les contrats d'emprunts/dépôts ont été transmis.

l. Lors de l'audience du 12 juillet 2022, le Ministère public a informé B______ qu'il était dorénavant soupçonné:

- d'avoir, en sa qualité d'administrateur de C______ SA, avec signature individuelle, tardé à aviser le juge civil du surendettement de la société;

- subsidiairement, d'avoir omis de tenir une comptabilité de C______ SA conforme aux prescriptions du CO, à tout le moins pour les exercices comptables de 2012 à 2015, de sorte qu'il était impossible d'établir la réelle situation financière de la société, en particulier de déterminer à quelle date exactement celle-ci s'était trouvée en situation de surendettement au sens de l'art. 725 al. 2 CO.

Au terme de cette audience, le Ministère public a avisé les parties qu'une ordonnance pénale pour violation de tenir une comptabilité (art. 166 CPP) serait rendue.

m. Une ordonnance de disjonction de la procédure concernant D______, E______ et G______ a été rendue le même jour, annonçant qu'ils étaient prévenus de violation de tenir une comptabilité (art. 166 CP) et leur audition sur ces faits par voie de commission rogatoire dans la procédure P/1______/2022. Aucune partie n'a recouru contre cette disjonction.

n. Dans ses déterminations du 5 septembre 2022 à la suite de l'avis de prochaine clôture, A______ INC a sollicité du Ministère public un complément d'expertise, compte tenu du caractère lacunaire de celle du 15 avril 2020, et soutenu, au surplus, que l'infraction de gestion fautive – tout comme celles d'escroquerie et de faux dans les titres – était réalisée. En effet, à teneur du rapport du 15 avril 2020, des prêts, représentant une contrevaleur de près de CHF 35 millions, avaient été consentis par C______ SA sans garantie. Indépendamment du surendettement, l'octroi de tels prêts constituait une grave faute de gestion. En outre, en l'absence de document en lien avec la solvabilité des emprunteurs, il était "manifeste" que les bilans de C______ SA n'étaient pas fiables, car ils ne prenaient pas en compte les provisions effectives qui auraient dû être constituées pour refléter les risques inhérents à ses débiteurs. Dans ces conditions, des "indices convergents" permettaient de constater que lesdits bilans étaient faux. Par extension, comme les investisseurs avaient été amenés à confier leurs avoirs à la société sur la base d'une situation financière trompeuse, les conditions de l'escroquerie étaient réalisées.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que "l'instruction n'a[vait] pas permis d'infirmer ou d'affirmer la réalisation des éléments constitutifs de l'art. 165 CP s'agissant de la tardiveté de l'annonce au juge du surendettement de la société". B______, en sa qualité d'administrateur avec signature individuelle, avait néanmoins failli à son devoir de s'assurer de la bonne tenue de la comptabilité de C______ SA, se rendant ainsi coupable de l'infraction visée à l'art. 166 CP.

D. a. Dans son recours, A______ INC soutient que l'ordonnance querellée consacrerait un classement implicite des infractions de gestion fautive et d'escroquerie, ne mentionnant pas les éléments constitutifs de celles-ci. Concernant la première de ces infractions, le Ministère public ne l'avait examinée que sous l'angle de la tardiveté de l'annonce au juge du surendettement, alors que selon le Tribunal fédéral, la procédure devait être étendue à tout autre élément découvert dans le cadre de l'instruction. À cet égard, le rapport d'expertise du 15 avril 2020 précisait que le surendettement de C______ SA avait été causé par le non-remboursement d'une partie des prêts octroyés par cette société, dans des conditions opaques. En accordant ces prêts, d'une valeur de près de CHF 35 millions, sans garantie, B______ s'était rendu coupable de gestion fautive, occultée par le Ministère public. C______ SA n'avait en outre procédé à aucune vérification préalable de la solvabilité des emprunteurs, octroyant des prêts "à la légère", ce que B______ ne pouvait ignorer compte tenu de sa position d'administrateur de la société, avec signature individuelle. En approuvant les comptes alors qu'il savait que des provisions devaient être inscrites au passif du bilan, B______ avait créé des faux dans les titres ayant permis une escroquerie, infraction non examinée par l'ordonnance querellée, ce qui violait son droit d'être entendu.

b. Par ses observations, B______ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

En substance, A______ INC alléguait des faits qui ne ressortaient pas de la procédure pour ensuite invoquer leur classement "implicite". L'infraction d'escroquerie avait par ailleurs déjà fait l'objet d'un classement et aucun élément probant ne fondait des soupçons d'une gestion fautive en lien avec les prêts dénoncés.

c. Dans ses observations, le Ministère public rappelle, s'agissant de l'escroquerie, que le classement de cette infraction faisait l'objet d'une décision entrée en force, sans qu'un nouvel élément ne soit venu, depuis lors, établir des soupçons contre B______. Le raisonnement de A______ INC visant à requalifier les faits retenus dans l'ordonnance pénale du 4 novembre 2022 en lien avec l'art. 166 CP, comme constitutifs de faux dans les titre n'était pas convaincant. Enfin, pour la "gestion déloyale" [recte: gestion fautive], il avait pour consigne, à la suite de l'arrêt de la Chambre de céans (ACPR/710/2018), de poursuivre l'instruction concernant la question de savoir si "une faute de gestion [pouvait] être reprochée à B______", en sa qualité d'administrateur de C______ SA. Ce faisant, il était arrivé à la conclusion que la faute reprochée à l'intéressé était pénalement répréhensible au sens de l'art. 166 CP et non au sens de l'art. 165 CP. A______ INC pouvait ainsi saisir la portée de l'ordonnance querellée et l'attaquer; pour ce même motif, la Chambre de céans pouvait statuer "au fond" sur le motif du classement, sans qu'il ne soit nécessaire de lui renvoyer la cause pour décision formelle de classement.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), porter sur un classement implicite contenu dans une ordonnance pénale, soit une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ATF 138 IV 241 consid. 2.5 et 2.6 p. 245 s.) et émaner de la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) dispose d'un intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP) à l'annulation ou la modification de la décision.

2.             À titre liminaire, la forme et le principe du classement implicite de l'infraction de gestion fautive ayant trait au surendettement de la société ne sont pas contestés par la recourante. Point n'est donc besoin d'y revenir.

En revanche, la recourante reproche au Ministère public de n'avoir pas traité – dans le cadre de ce classement implicite – l'infraction de gestion fautive sous deux aspects: les prétendus prêts risqués octroyés par le prévenu et l'absence de vérification de la solvabilité des emprunteurs. En parallèle, elle invoque une violation de son droit d'être entendue en lien avec l'infraction d'escroquerie, également omise dans l'ordonnance querellée.

Il est vrai que, dans ses déterminations du 5 septembre 2022, la recourante a allégué la réalisation d'une gestion fautive, par des prêts octroyés sans garantie, et d'une escroquerie avec usage de faux. Pour autant, le Ministère public n'a pas mentionné ces éléments dans l'ordonnance querellée, limitant son examen à l'art. 165 CP, sous l'angle de "la tardiveté de l'annonce au juge du surendettement de la société".

Il y a donc lieu d'examiner si l'ordonnance querellée consacre une violation de son droit d'être entendue sur ces infractions, même si la recourante restreint ce grief à celle d'escroquerie.

Cet examen ne doit toutefois pas porter sur la gestion fautive sous l'angle du défaut de vérifications de la solvabilité des emprunteurs, allégué pour la première fois par la recourante au stade du recours et qui ne ressort nulle part de la phase d'instruction. Dans ces circonstances, le Ministère public n'avait aucune raison de traiter ces faits.

3.             La recourante allègue une violation de son droit d'être entendue.

3.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; 135 I 265 consid. 4.3 p. 276). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102).

3.2. Le CPP subordonne l'abandon de la poursuite pénale au prononcé d'une ordonnance formelle de classement mentionnant expressément les faits que le ministère public renonce à poursuivre, de manière à en définir clairement et formellement les limites. Dès lors que le classement doit faire l'objet d'un prononcé séparé, écrit et motivé, il ne saurait être glissé et mélangé au contenu d'une ordonnance pénale. Si le ministère public n'entend réprimer qu'une partie des faits dans le contexte d'une ordonnance pénale, il doit statuer conformément aux formes prévues par le CPP, c'est-à-dire prononcer simultanément une ordonnance pénale d'une part et une ordonnance de classement d'autre part. À défaut, cette ordonnance pénale contient un classement implicite (ATF 138 IV 241 consid. 2.5 et 2.6).

Pour qu'une partie puisse recourir efficacement contre un classement implicite, elle doit connaître les faits classés et les motifs ayant guidé l'autorité. L'absence de décision formelle de classement viole ainsi le droit d'être entendu des parties, de sorte qu'il incombe à l'autorité de recours de renvoyer la cause au Ministère public pour qu'il rende une décision formelle. Une éventuelle réparation du droit d'être entendu devant elle doit rester l'exception (arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8). Une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF
142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226 et les références citées).

3.3. En l'espèce, à la suite des arrêts de la Chambre de céans et du Tribunal fédéral, le Ministère public a ordonné une expertise financière, aux fins de déterminer si "une faute de gestion [pouvait] être reprochée" au prévenu, "lequel aurait tardé à aviser le juge civil du surendettement de la société, aggravant par là-même sa situation obérée". Sur la base du rapport rendu, l'autorité intimée a retenu, comme seuls chefs de prévention, une gestion fautive, en lien avec la tardiveté de l'annonce du surendettement de la société, et une violation de l'obligation de tenir une comptabilité.

Partant, au moment d'évoquer, dans ses déterminations sur l'avis de prochaine clôture, la gestion fautive et l'escroquerie, la recourante savait que ces faits –dénoncés pour la première fois – n'entraient pas dans les charges considérées par le Ministère public. Dès lors, elle pouvait comprendre que ce dernier, à défaut d'avoir été convaincu par ses déterminations, était resté sur la double prévention retenue pour finalement condamner le prévenu du chef de l'une et le libérer de l'autre.

Quoiqu'il en soit, le Ministère public a confirmé, dans ses observations, que l'instruction sur la gestion fautive l'avait conduit à la conclusion que les faits reprochés devaient être requalifiés en violation de l'obligation de tenir une comptabilité, excluant de la sorte tout autre comportement susceptible de tomber sous le coup de l'art. 165 CP. S'agissant de l'escroquerie, l'infraction restait classée, en l'absence d'éléments nouveaux.

L'atteinte aux droits procéduraux du recourant s'avère en outre minime, dès lors que ses développements autour des prétendues infractions d'escroquerie et de faux dans les titres ont été soulevés pour la première fois après l'avis de prochaine clôture et qu'ils doivent, de toute manière, être rejetés pour les motifs exposés plus bas.

Enfin, le renvoi de la cause au Ministère public serait une vaine formalité puisque celui-ci a d'ores et déjà annoncé qu'il rendrait – in fine – une ordonnance de classement si la cause devait lui être retournée.

En définitive, à supposer que le classement implicite dénoncé par la recourante consacrait une violation de son droit d'être entendue, ce vice aurait été réparé par-devant la Chambre de céans.

4.             Reste à examiner si ce classement implicite était fondé.

4.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF
138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation.

4.2.1. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

4.2.2. Commet un faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP – infraction qui constitue un crime – celui qui, dans le dessein, soit de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, soit de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique.

4.2.3. Aux termes de l'art. 165 CP, le débiteur qui, de manières autres que celles visées à l'art. 164 CP, par des fautes de gestion, notamment par une dotation insuffisante en capital, par des dépenses exagérées, par des spéculations hasardeuses, par l'octroi ou l'utilisation à la légère de crédits, par le bradage de valeurs patrimoniales ou par une négligence coupable dans l'exercice de sa profession ou dans l'administration de ses biens, aura causé ou aggravé son surendettement, aura causé sa propre insolvabilité ou aggravé sa situation alors qu'il se savait insolvable, sera, s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui, puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

4.3. En l'espèce, la recourante reproche au prévenu d'avoir octroyé des prêts, sans garantie, dont le non-remboursement par les emprunteurs aurait mené à l'insolvabilité de la société dont il était administrateur. En outre, le précité aurait créé une fausse comptabilité en validant les comptes, tout en sachant que des réserves d'un montant supérieure devaient être inscrites aux bilans, donnant ainsi une image trompeuse de la situation financière de la société et permettant ainsi une escroquerie en lien avec les fonds qu'elle lui avait confiés.

Ces accusations, soulevées pour la première fois à la suite de l'avis de prochaine clôture et qui n'avaient, auparavant, jamais fondé une prévention, ne trouvent aucune assise dans le dossier.

La procédure a permis de déterminer que le rôle du prévenu au sein de la société était secondaire, le pouvoir décisionnel s'étant exercé depuis I______, en Lituanie, en main des autres administrateurs et actionnaires. Ce motif a d'ailleurs conduit les autorités pénales à proposer un classement en faveur de l'intéressé des chefs d'abus de confiance, d'escroquerie et de gestion déloyale.

Plus particulièrement, les auditions n'ont pas permis d'établir une implication du prévenu dans les prêts "à risques". Selon les déclarations de l'intéressé, son rôle était limité au contrôle de la conformité aux exigences LBA, sans intervenir dans le contrôle des débiteurs ou des créanciers de la société, du fait qu'il ne lisait pas le russe. G______ a confirmé que le prévenu n'était pas impliqué dans le choix des emprunteurs.

Dans ces circonstances, le comportement dénoncé par la recourante comme étant constitutif d'une gestion fautive ne saurait être imputé personnellement au recourant, nonobstant son rôle d'administrateur.

Des pièces comptables et de l'expertise financière, il n'apparait pas que les bilans approuvés par le recourant étaient constitutifs de faux. Les rapports de révision mentionnaient les crédits octroyés, soulignant les risques significatifs de perte, sans que les réviseurs ne formulent pour autant de réserve à leur sujet. En outre, là où la recourante allègue que les bilans de la société auraient dû tenir compte des prêts litigieux dépassant CHF 35 millions, l'expert mandaté a expliqué que des provisions supplémentaires de CHF 1.6 millions, compte tenu de la situation, auraient été suffisantes pour respecter les principes de comptabilité.

Certes, l'expert a précisé que la documentation incomplète à sa disposition ne lui avait pas permis d'examiner plus en détails la question des prêts. S'il peut donc être reproché au prévenu d'avoir failli à son devoir de tenir une comptabilité régulière – motif de sa condamnation à l'art. 166 CP –, cela ne suffit pas à fonder une culpabilité en lien le contenu des pièces comptables établies, surtout qu'il semble n'avoir quasiment joué aucun rôle dans cette tâche, qui était vraisemblablement effectuée depuis I______.

Là encore, les accusations de la recourante s'avèrent infondées, étant même précisé que c'est sous l'impulsion du recourant que le conseil d'administration a finalement avisé le juge du surendettement de la société.

À titre superfétatoire, une nouvelle expertise apparaît d'emblée vaine, dès lors que les démarches visant à obtenir une image complète de la comptabilité se sont révélées infructueuses. Il n'y a donc pas de raisons de croire que les conclusions d'un nouvel expert différeraient substantiellement de celles au dossier.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7.             L'intimé, prévenu, obtient gain de cause, de sorte qu'il a droit à une juste indemnité pour ses dépens selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, applicable en instance de recours par renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP.

L'indemnité allouée sera arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 1'696.28.-, correspondant à trois heures et demi d'activité au tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, TVA à 7.7% en sus, montant qui paraît adéquat vu l'ampleur de ses observations (quinze pages, page de garde et conclusions incluses). Cette indemnité sera mise à la charge de l'État (ATF 147 IV 47, consid. 4.2.5).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ (BVI) INC aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'696.28, (TVA 7.7% incluse) pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ (BVI) INC et à B______, soit pour eux leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13190/2015

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

-

CHF

Total

CHF

2'000.00