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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23848/2021

ACPR/284/2023 du 21.04.2023 sur OCL/1489/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;LÉSION CORPORELLE;IN DUBIO PRO DURIORE
Normes : CPP.319; CP.123; CP.126; CP.144; CP.177; CP.180; CP.17

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23848/2021 ACPR/284/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 21 avril 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me B______, avocate,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 15 novembre 2022 par le Ministère public,

et

C______, domicilié ______, comparant par Me Andrea VON FLÜE, avocat,
Könemann & von Flüe, Rue de la Terrassière 9, 1207 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 22 décembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 novembre 2022, notifiée le 13 décembre suivant, par laquelle le Ministère public a rejeté ses réquisitions de preuves (ch. 1 du dispositif), classé la procédure ouverte contre C______ (ch. 2), laissé les frais se rapportant à ce volet du dossier à la charge de l'État (ch. 3), alloué au prénommé une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (ch. 4) et débouté celui-ci de ses conclusions en indemnisation (ch. 5).

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision. Elle sollicite l'octroi de l'assistance juridique pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À teneur du rapport de renseignements du 11 novembre 2021, l'intervention de la police avait été demandée le 21 octobre 2021 à la rue 1______ no. ______, à Genève, pour des "cris et des coups échangés dans un appartement".

Sur place, la police avait entendu des hurlements entre deux personnes – identifiées plus tard comme étant A______ et C______ –, lesquels s'accusaient mutuellement d'avoir caché les clés de l'appartement, ce qui les empêchaient d'ouvrir la porte d'entrée. C______ expliquait être en conflit avec sa copine prénommée, locataire de l'appartement, qui l'avait agressé avec un couteau. A______, après avoir demandé aux policiers de casser la porte, n'avait plus eu de contact avec eux. C______ les avait informés des agissements de la prénommée, à savoir notamment qu'elle s'était tailladée la jambe avec un couteau avant de s'enfermer dans la chambre, sans pouvoir dire si elle avait toujours cet objet avec elle. Durant l'intervention, les policiers avaient eu de la peine à comprendre les explications de C______ puisque les protagonistes ne cessaient de crier. Ils avaient tenté d'ouvrir la porte à coups de pieds, en vain. Au même moment, C______ avait tapé sur ladite porte à l'aide d'un marteau, hurlant avoir peur pour sa vie. La porte du logement avait finalement été ouverte à l'aide d'un pied de biche.

À l'intérieur, les policiers ont constaté que C______ présentait une blessure au niveau de la cuisse, "similaire à un coup de couteau". A______ était "barricadée" dans sa chambre. Elle était "hystérique", hurlait sans cesse, sentait fortement l'alcool et avait du mal à s'exprimer. Sa lèvre supérieure était "légèrement boursouflée" et elle présentait des blessures au niveau de la jambe droite.

Les clés de l'appartement de A______ avaient été retrouvées dans un tiroir de la commode du salon. Celles de C______ étaient demeurées introuvables, tout comme le couteau.

Des photographies de l'appartement et de C______ ont été jointes au rapport.

b. Le 30 octobre 2021, C______ a déposé plainte contre A______.

Lors de son audition par la police, il a expliqué être en couple avec la prénommée depuis juillet 2021. Le 20 octobre 2021, vers 9 heures, il lui avait écrit un SMS pour qu'ils ne se voient dorénavant que le week-end. Elle lui avait répondu ne pas être d'accord car elle n'était pas une "pute". Vers 17 heures, il l'avait rencontrée près de son domicile, où ils s'étaient ensuite rendus. Il avait alors tenté de lui expliquer son point de vue. Elle avait "explosé" et lui avait mordu la main. Elle avait aussi saisi un bâton et jeté un verre au sol. Il avait pris son téléphone pour appeler la police mais avait raccroché avant de dire à A______ que c'était terminé et qu'il partait. Il avait récupéré quelques affaires dans la chambre et, quand il en était revenu, les clés de l'appartement ainsi que ses propres clés avaient disparu. Il avait donc demandé à A______, qui se trouvait dans la cuisine, de le laisser partir. Elle s'était jetée sur lui et avait déchiré sa chemise, avant de s'emparer d'un petit couteau de cuisine et de le "plant[er]" à la cuisse droite. Il avait tenté de la calmer en la repoussant. Elle avait jeté un pot de fleurs sur lui. Puis, la police était arrivée. Dans la cuisine, A______ s'était lacéré la jambe avec un couteau, avant de partir dans la chambre. De peur qu'elle se suicide, il avait demandé à la police d'entrer dans l'appartement. Il avait pris un marteau pour aider la police à casser la porte, ce qui avait occasionné des dégâts sur la porte et le mur. Il avait "vraiment eu peur pour [s]a vie". Un mois auparavant, A______ avait menacé de lui couper le sexe s'il la trompait.

Il a remis à la police un constat médical établi le 21 octobre 2021 par les HUG accompagné de photographies (cuisse et main), lequel mettait en évidence une "plaie linéaire d'environ 0.5 cm de longueur, avec exposition du tissu sous-cutané plaie versus dermabrasion au niveau de l'extrémité distale du métacarpe de D1 à droite, non suturable pas de signes d'impact au niveau de la tête".

c. Entendue par la police en qualité de prévenue, A______ a déclaré avoir refusé de voir C______ le 20 octobre 2021 dans la mesure où, la veille, elle avait mis un terme à leur relation. Vers 17h30, elle l'avait aperçu à proximité de son domicile à elle. Elle lui avait demandé de partir à plusieurs reprises. Elle était ensuite restée au parc à chiens avec une connaissance alors que C______ était parti faire des courses. Puis, ce dernier, qui l'attendait, lui avait dit vouloir récupérer des affaires chez elle. Une fois dans l'appartement, C______ lui avait promis plusieurs fois de partir, sans s'exécuter. Il avait consommé de l'alcool et lui avait fait des reproches. Vers 22h00, le ton était monté après que le prénommé eut écouté la conversation téléphonique qu'elle avait eue avec un ami. C______ l'avait notamment traité de "pute" et de "salope", à plusieurs reprises. Il avait continué à boire et lui avait proposé de faire de même. Elle n'avait pas appelé la police puisqu'il lui promettait de partir et que son sac était prêt depuis 20h00. Il lui disait qu'elle allait se faire jeter hors de son appartement par la police ou encore violer puis tuer, comme la femme d'un de ses amis. Elle s'était mise à pleurer et lui avait demandé de partir. Il lui avait répondu qu'il allait le faire, tout en l'insultant à nouveau. Elle s'était rendue à la cuisine et avait appelé un de ses voisins par la fenêtre pour lui demander de l'aide. C______ l'avait alors attrapée par les cheveux et projetée au sol, avant de lui asséner un coup de poing au niveau de la bouche, qui avait gonflé. Elle n'avait pas fait constater ses blessures. Elle avait cherché son téléphone portable pour appeler la police, en vain. Par peur, elle s'était réfugiée dans la chambre. Elle avait mis une chaise derrière la porte, qu'il était parvenu à enlever.

C______ avait donné des coups dans la porte d'entrée avec un marteau pris dans la cuisine avant l'arrivée de la police. Il avait dit à la police de casser la porte en prétendant qu'elle avait un couteau et voulait le tuer. Les policiers l'avaient retrouvée dans la chambre, où elle s'était réfugiée.

Elle contestait avoir agressé C______ avec un couteau, avoir menacé de lui couper le sexe et eu l'intention de le séquestrer. Avant les faits, C______ lui avait dit: "je t'aime tellement qu'un jour je vais finir par te tuer".

À l'issue de son audition, A______ a déposé plainte contre C______ pour les faits précités ainsi que pour dénonciation calomnieuse.

d. Réentendu par la police, C______ a confirmé avoir endommagé la porte et le mur avec un marteau après l'arrivée de la police et contesté les faits reprochés pour le surplus. Il estimait avoir agi par "état de nécessité" car il avait eu peur pour sa vie.

e. Par ordonnance du 18 janvier 2022, Me B______ a été nommée en qualité de défenseur d'office de A______ (art. 132 al. 1 let. b, al. 2 et al. 3 CPP).

f. Le 17 février 2022, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ des chefs de voies de fait, contrainte, dommage à la propriété d'importance mineure et lésions corporelles simples.

Une instruction a également été ouverte contre C______ pour injures, menaces, voies de fait, dommage à la propriété, contrainte et dénonciation calomnieuse.

g. Le même jour, le Ministère public a procédé à une audience de confrontation des parties, qui ont confirmé leurs plaintes respectives.

g.a. A______ a ajouté que les griffures qu'elle avait sur ses jambes avaient été faites par C______ lorsqu'il l'avait prise par les pieds après lui avoir asséné le coup de poing. Elle a reconnu avoir déchiré la chemise de ce dernier en essayant de se rattraper après avoir reçu ledit coup de poing. C______ lui avait aussi dit que, s'ils étaient à D______ [République Démocratique du Congo], il l'aurait tuée. Elle a contesté les faits reprochés pour le surplus.

g.b. C______ a contesté les faits reprochés, en particulier avoir asséné un coup de poing à A______, qu'il avait uniquement repoussée avec sa main pour ne pas recevoir un deuxième coup de couteau. Il était toutefois possible que cela soit au niveau des lèvres.

g.c. Lors de ladite audience, A______ n'a pas retrouvé les messages de menaces de C______ ainsi que des vidéos sur lesquels "on le vo[yai]t [l]'agresser" et qu'elle entendait montrer au Ministère public. Elle s'est engagée à les produire avant le 28 février 2022, ce qu'elle n'a pas fait.

C______ a contesté avoir envoyé de tels messages à la prénommée mais maintenu lui avoir écrit, par SMS, vouloir "prendre de la distance" le matin des faits. Il avait toutefois effacé les messages de A______.

h. Par pli du 17 mars 2022, A______ a sollicité l'audition de E______, auquel elle avait parlé le soir des faits, ainsi que de F______, qui avait déposé plainte contre C______ pour des faits de violence.

Elle a aussi produit une attestation établie par sa psychologue le 14 précédent.

i. Par avis de prochaine clôture du 23 juin 2022, le Ministère public a annoncé aux parties son intention de rendre une ordonnance de classement en faveur de C______. Il entendait rendre une ordonnance pénale contre A______ des chefs de lésions corporelles simples, contrainte et dommage à la propriété d'importance mineure et classer les menaces qui lui étaient reprochées.

Un délai était imparti aux parties pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuves et solliciter une indemnisation.

j. Par pli du 27 juin 2022, C______ a sollicité l'indemnisation de ses frais de défense ainsi que de son tort moral.

k. A______ s'est opposée au classement en faveur de C______.

Elle a produit le témoignage écrit de sa voisine, G______, du 13 avril 2022, laquelle disait avoir remarqué, le lendemain des faits, la blessure que A______ avait au visage (lèvres enflées), ce que la police avait également constaté.

Elle réitérait la demande d'audition de E______ et sollicitait celle de sa psychologue, à qui elle s'était confiée sur sa relation avec C______, ainsi que de H______, qui se trouvait avec elle au parc à chiens le jour des faits. Elle souhaitait aussi l'apport de l'appel à la CECAL, dès lors qu'il ressortait de l'ordonnance de perquisition et de séquestre du 21 octobre 2021 que l'appel provenait des voisins et non de C______.

Enfin, une nouvelle audience de confrontation entre les parties était nécessaire dans la mesure où elle n'avait pas eu accès au dossier avant l'audience du 17 février 2022 de sorte que C______ n'avait pas pu être mis face à ses contradictions.

Ainsi, à teneur du dossier il n'était donc pas possible de privilégier une version plutôt qu'une autre et de ne condamner qu'une des deux parties.

l. Par ordonnance pénale et ordonnance de classement partiel du 29 novembre 2022, A______ a été reconnue coupable de lésions corporelles simples, contrainte et dommages à la propriété d'importance mineure. Elle a été condamnée à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 30.- avec sursis ainsi qu'à une amende de CHF 200.-. La procédure a été classée en sa faveur pour le surplus.

En substance, le Ministère public a retenu qu'il était établi que A______ était l'auteure des blessures constatées médicalement et par la police sur C______. Sous l'effet de la colère et par esprit de vengeance, elle avait aussi volontairement empêché le prénommé, dont elle n'avait pas accepté la volonté de modifier leur relation de couple, de quitter son appartement, en cachant les clés de la porte d'entrée et son jeu de clé à lui. Enfin, elle avait reconnu avoir déchiré sa chemise. En revanche, au vu des déclarations contradictoires des parties et en l'absence d'élément de preuve objectif, il ne pouvait être retenu qu'elle avait menacé C______.

A______ y a formé opposition.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a classé la procédure en faveur de C______, retenant qu'au vu des versions contradictoires des parties et en l'absence de tout autre élément permettant de corroborer l'une d'entre elles, il n'était pas établi que le prénommé ait proféré des insultes et des menaces contre A______ ni qu'il ait brisé le pot de fleurs.

C______, qui était l'auteur d'une partie des dégâts occasionnés à la porte et au mur, avait agi en état de nécessité dans la mesure où il avait été enfermé dans l'appartement par A______ et qu'il avait cherché à en sortir après avoir reçu un coup de couteau, alors que la police ne parvenait pas à ouvrir la porte.

A______ présentait, à l'arrivée de la police, une "légère boursouflure" au niveau de la lèvre supérieure, qu'elle attribuait à un coup de poing de C______, ce que ce dernier contestait. Il expliquait aussi qu'après avoir reçu un coup de couteau, il avait repoussé la plaignante au niveau de la tête. Il ne pouvait toutefois être retenu que C______ avait donné un coup de poing à A______ ou que c'était en la repoussant qu'il lui avait occasionné ladite boursouflure. Aucun élément n'était à même de corroborer la version des faits de cette dernière, étant rappelé que la police l'avait trouvée "hystérique et alcoolisée".

Enfin, il n'était pas établi que C______ ait dénoncé A______ alors qu'il la savait innocente.

Le Ministère public a rejeté les réquisitions de preuve présentées par A______ au motif que les parties, assistées de leurs conseils, avaient déjà été confrontées, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de les réentendre. Les auditions de témoins sollicitées n'étaient pas propres à étayer davantage les faits instruits et il n'y avait pas non plus lieu de verser au dossier les enregistrements à la CECAL.

D. a. Dans son recours, A______ expose tout d'abord que les faits mentionnés dans l'ordonnance de classement étaient "extrêmement lacunaires", ce qui la contraignait à établir son propre état de fait.

Au fond, alors qu'il avait considéré que les versions des parties étaient contradictoires et qu'il n'existait aucun élément permettant de corroborer l'une ou l'autre version, le Ministère public ne pouvait, sans tomber dans l'arbitraire, rendre, d'une part, une ordonnance pénale et une ordonnance de classement partiel en sa faveur et, d'autre part, une ordonnance de classement en faveur de C______. Ainsi, les infractions d'injures et de menaces ne pouvaient être écartées, ce d'autant qu'elle avait été constante dans ses déclarations et qu'il était plausible que les faits dénoncés aient eu lieu dans le cadre de leur altercation.

S'agissant des dégâts occasionnés à la porte d'entrée et à la face intérieure du mur, seule une autorité de jugement pouvait statuer sur l'état de nécessité, ce d'autant qu'il n'était pas prouvé qu'elle ait elle-même enlevé les clés de la serrure et qu'elle lui ait donné un coup de couteau à C______. Sur ce point, le couteau n'avait pas été retrouvé par la police et il ne ressortait pas du certificat médical produit par C______ que sa blessure était compatible avec un tel coup.

Le Ministère public, qui n'était pas habilité à qualifier sa blessure de "légère boursouflure", ne pouvait pas non plus retenir qu'aucun élément au dossier ne permettait de corroborer sa version, l'origine de ladite blessure n'étant pas moins établie que celle de C______.

Enfin, l'infraction de dénonciation calomnieuse ne pouvait être écartée avant que le Tribunal pénal statue sur son opposition.

Elle réitérait sa demande de réquisitions de preuves, à l'exception de l'audition de H______.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Reprenant, en substance, l'argumentation contenue dans son ordonnance, il ajoute que l'apport de l'enregistrement de l'appel passé à la CECAL par le voisinage n'apporterait pas de nouveaux éléments utiles à la manifestation de la vérité. Pour le surplus, le fait que la recourante tienne sa version pour "bien plus crédible" ne modifiait en rien son raisonnement.

c. C______ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens, considérant que la recourante ne faisait que substituer sa version à l'appréciation du Ministère public. Sa version à lui était "nettement plus crédible" et conforme aux éléments figurant au dossier.

d. A______ réplique.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante semble tout d'abord reprocher au Ministère public une constatation incomplète des faits, sans toutefois formuler de grief formel sur ce point.

Quoiqu'il en soit, dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 198; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

3.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir classé sa plainte, et ce, sans avoir procédé aux actes d'enquête sollicités par ses soins.

3.1.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Il classe aussi la procédure lorsque des faits justificatifs – tels que ceux ancrés aux art. 14 et ss CP (L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, 2ème éd., Bâle 2016, n. 15 ad art. 319) – empêchent de retenir une infraction contre le prévenu (art. 319 al. 1 let. c CPP).

3.1.2. Au stade du classement, le procureur peut établir les faits, pour autant qu’ils soient clairs et indubitables (principe in dubio pro duriore). À défaut, il appartient au juge du fond d’apprécier les preuves. Tel est en principe le cas quand il n'est pas possible de tenir les dépositions d’une partie pour plus crédibles que celles d’une autre (ATF 143 IV 241 précité, consid. 2.2.2 et 2.3.2 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_137/2021 précité, consid. 3 et 3.4).

3.2.1. Aux termes de l'art. 123 al. 1 CP est punissable celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.

3.2.2. Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé.

3.3. Selon l'art. 144 al. 1 CP, se rend coupable de dommage à la propriété celui qui aura endommagé, détruit ou mis hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui et sera puni sur plainte.

3.4. Se rend coupable d'injure, au sens de l'art. 177 al. 1 CP, celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur.

3.5. L'art. 180 CP réprime celui qui, par une menace grave, alarme ou effraie une personne.

3.6. En l'espèce, si les parties s'accordent sur le fait qu'une dispute est survenue le soir des faits, elles divergent sur le déroulement de celle-ci.

D'après la recourante, le prévenu lui aurait asséné un coup de poing, l'aurait insultée, menacée, et aurait brisé un pot de fleurs.

Pour sa part, l'intimé reconnait uniquement avoir repoussé la recourante au niveau de la bouche après que cette dernière lui eut donné un coup de couteau.

Enfin, les parties s'accusent mutuellement d'avoir enlevé les clés de la serrure, empêchant ainsi l'autre de pouvoir sortir de l'appartement.

Aucune de ces thèses ne peut cependant être privilégiée à ce stade; ce d'autant que la version de l’intimé est contredite par deux éléments issus de l’enquête. En effet, il est constant que, à l'arrivée des policiers, la recourante présentait une blessure au niveau du visage, de sorte que les conditions de l'art. 126 CP, voire de l'art. 123 CP pourraient être réalisées. À cette occasion, la précitée se trouvait dans sa chambre, de sorte que l'on ne saisit que difficilement les raisons pour lesquelles l'intimé aurait eu peur pour sa vie.

En conséquence, le rôle joué par l’intimé dans l’altercation litigieuse n’est – à ce stade de la procédure, régi par la maxime in dubio pro duriore – pas (suffisamment) établi. Le mettre au bénéfice d'un classement reviendrait donc à préjuger la décision à rendre par le(s) juge(s) du fond sur la version de la recourante, ce qui ne se peut.

En outre, dans la mesure où la recourante a formé opposition à l'ordonnance pénale du 29 novembre 2022 la reconnaissant notamment coupable de contrainte et de lésions corporelles simples, le Ministère public ne pouvait retenir que le prévenu, qui admet avoir occasionné des dégâts au mur et sur la porte d'entrée, avait agi en état de nécessité (art. 17 CP) après avoir reçu un coup de couteau et été volontairement enfermé par la recourante dans l'appartement.

En effet, le procureur qui classe la procédure dirigée contre un individu en raison d'un fait justificatif, alors que la culpabilité du second protagoniste impliqué dans l'altercation n'a pas encore été légalement constatée, viole la présomption d'innocence de ce dernier, garantie par les art. 10 al. 1 CPP et 6 § 2 CEDH. Dans pareille configuration, impliquant des intervenants dont les comportements sont intimement liés, il incombe au ministère public de renvoyer tous les intéressés en jugement afin que le magistrat du fond se prononce sur les conditions de réalisation des infractions et, le cas échéant, sur le motif justificatif allégué (ATF 147 I 386 consid. 1.2. et 1.5, rendu dans un cas de légitime défense).

Aussi, la cause doit être retournée au Ministère public pour qu'il renvoie le prévenu en jugement. Il incombera au juge du fond d'établir que l'intimé se trouvait dans une situation de danger et, le cas échéant, examiner s'il a agi dans un état de nécessité. L'on ne peut donc déterminer, à ce stade, si le dommage à la propriété litigieux était ou non autorisé par la loi.

Pour le surplus, s'agissant de l'infraction de dénonciation calomnieuse (art. 303 CP), dans la mesure où la fausseté de l'accusation doit en principe être établie par une décision qui la constate, qu'il s'agisse d'un acquittement, d'un non-lieu ou d'un classement (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 p. 176), le classement apparait également prématuré sur ce point.

4.             Fondé, le recours doit être admis et l’ordonnance déférée annulée. La cause sera retournée au Procureur afin qu’il renvoie l'ensemble des parties en jugement.

La recourante pourra requérir, devant le tribunal, l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

5.             Les frais de la procédure de recours seront intégralement laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

6.             La recourante sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

6.1. À teneur de l'art. 136 CPP, la direction de la procédure accorde une telle assistance à la partie plaignante lorsqu'elle est indigente (al. 1 let. a) et que son action civile ne paraît pas vouée à l'échec (al. 1 let. b). Dite assistance comprend, notamment, la désignation d'un conseil juridique gratuit (art. 136 al. 2 let. c CPP).

Les chances de succès ne doivent pas être déniées quand les démarches à entreprendre portent sur des questions complexes et que leur issue apparaît incertaine (ATF 124 I 304 consid. 4b).

6.2. En l’occurrence, la recourante a été mise au bénéfice d'une défense d'office dans le cadre de la présente procédure dès lors qu'elle ne dispose notamment pas des moyens nécessaires.

Compte tenu de l’admission du recours, il sera fait droit à la demande de la plaignante et Me B______ sera désignée en qualité de conseil juridique gratuit pour la procédure de recours.

6.3. Les art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP prévoient que le conseil juridique gratuit est rétribué conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c). Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.4. Compte tenu de ses écritures, soit un mémoire de recours de dix-sept pages et une réplique de deux pages, une indemnité globale arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 861.60.-, TVA (7.7%) incluse, lui sera allouée, montant jugé suffisant pour l'activité déployée.

7. Au vu de l'issue du litige, aucune indemnisation ne sera accordée au prévenu (art. 429 CPP, a contrario, cum art. 436 CPP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l’ordonnance entreprise et renvoie la cause au Ministère public pour qu’il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l’État.

Met A______ au bénéfice de l'assistance juridique pour la procédure de recours et désigne Me B______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 861.60 (TVA de 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et à l'intimé, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).