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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17801/2022

ACPR/266/2023 du 12.04.2023 sur OMP/2715/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SCELLÉS
Normes : CPP.261; CPP.393

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17801/2022 ACPR/266/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 avril 2023

 

Entre

A______, comparant par Me Marc OEDERLIN, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

requérant,

 

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 10 février 2023 par le Ministère public

 

et

MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 février 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 février 2023, notifiée le 13 suivant par laquelle le Ministère public a séquestré le contenu de sa boite de messagerie professionnelle, tel que déposé en ses mains par l'Office cantonal des systèmes d'information et du numérique (ci-après, OCSIN).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et de l'ordre de dépôt du 20 octobre 2022 et à ce que toutes les données collectées depuis le début de la procédure soient détruites, la procédure devant être transmise, vu les circonstances, à un procureur extraordinaire. Dans le corps de son recours, il demande la production du dossier afin de pouvoir compléter ses écritures.

Par ordonnance du 27 février 2023 (OCPR/10/2023), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande d'effet suspensif qui assortissait le recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 24 août 2022, le ______ [statut] en charge du département de F______ (ci-après, Département ou F______) a dénoncé au Ministère public le comportement de A______, ______, ______ [fonction] de la prison de B______, lui reprochant d'avoir transmis par email, le 8 juillet 2022, à C______, ancien ______ [fonction] ad interim de la prison de B______ jusqu'au 3 janvier 2022, deux documents couverts par le secret de fonction, soit une note décisionnelle et une note informative relatives à l'organisation de la prison de B______, soulignant lors du transfert du second document : "ATTENTION ce message a été envoyé uniquement aux membres du cdir Notamment la note de la DG".

En annexe à la dénonciation figurait notamment un rapport d'enquête de l'Office cantonal des systèmes d'information et du numérique (ci-après, OCSIN) du 4 août 2022 portant sur la boîte de messagerie professionnelle de C______, auquel étaient jointes les impressions de courriers électroniques, dont les deux courriels par lesquels A______ a transmis à C______ les deux documents précités le 8 juillet 2022 à 20h11 et 20h49.

b. Constatant la présence parmi les pièces produites d'un courriel adressé par C______ à son avocat, Me G______, D______ l'a écarté par ordonnance du 30 septembre 2022, faisant une application analogique de l'art. 264 al. 1 let. d CPP, et a caviardé le passage de la dénonciation qui en faisait mention, afin de préserver le secret professionnel de l'avocat.

c. Le même jour, D______ a transmis la procédure à l'inspection générale des services de la police (ci-après, IGS) pour complément d'enquête (art. 309 CPP).

d. Le 20 octobre 2022, D______ a ordonné à l'OCSIN le dépôt (art. 265 CPP) en mains de l'IGS d'une copie de la boîte de messagerie électronique professionnelle de A______. L'office s'est exécuté.

e. Le 18 novembre 2022, l'IGS a entendu A______ en qualité de prévenu.

Informé du contenu de la dénonciation et du détail des faits qui lui étaient reprochés, A______ a fait valoir son droit de refuser de déposer, indiquant qu'il souhaitait mieux comprendre la dénonciation avant de s'exprimer.

f. Le 27 janvier 2023, l'IGS a entendu C______ en tant que personne appelée à donner des renseignements (art. 178 let. d CPP).

À cette occasion, C______ a été informé du contenu de la dénonciation du F______, après quoi il a sollicité l'apposition de scellés sur toutes les pièces de la procédure, y compris la dénonciation, compte tenu de la violation du secret de la correspondance, du secret professionnel à l'égard de son avocat et probablement du secret de fonction de l'autorité dénonciatrice, et leur exclusion de la procédure s'agissant de preuves illégales au sens de l'article 141 CP.

g. Par ordonnance du 9 février 2023, D______ a refusé la mise sous scellés ainsi que le retrait de pièces requis par C______.

Cette ordonnance a été notifiée – par erreur – à A______ chez son avocat, Me Marc OEDERLIN.

Le 14 février 2023, D______ a notifié cette décision à son juste destinataire, C______, chez son avocat, Me G______.

h. Le 10 février 2023, le Ministère public a rendu l'ordonnance dont est recours.

i. Le 13 février 2023, A______ a demandé simultanément la récusation de D______ ainsi que la mise sous scellés de sa boîte de messagerie professionnelle et de la dénonciation et de ses annexes.

S'agissant des mises sous scellés, il a soutenu que les deux messages litigieux avaient été envoyés depuis son adresse privée auprès du fournisseur @E______.fr, et sa messagerie électronique [professionnelle] contenait de nombreux échanges avec la Commission de contrôle de gestion, des échanges à propos de procédures judiciaires en cours et des correspondances d'avocat, lesquels soulevaient des questions de confidentialité.

j. Par ordonnance du 17 février 2023, le Ministère public a refusé de mettre sous scellés la dénonciation et de ses annexes.

k. Le 3 mars 2023, le Ministère public, qui avait, à réception du courrier de Me Marc OEDERLIN du 13 février 2023, maintenu les scellés sur la boîte de messagerie professionnelle de A______, en a sollicité la levée auprès du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC).

l. Par arrêt du 12 avril 2023 (ACPR/265/2023), la Chambre de céans a rejeté la requête de récusation formulée le 13 février 2023.

C. Dans son recours, A______ estime que, si l'ordre de dépôt n'est en principe pas sujet à recours, le Ministère public avait commis à une fraude à la loi en faisant de son acte de dépôt un ordre de séquestre, puisque le contenu de la boite de messagerie avait été exploité sans qu'il ne puisse effectivement demander l'apposition de scellés.

Il demande la production complète du dossier, de façon à ce qu'il puisse utilement compléter ses écritures.

Même si le Procureur avait limité les conséquences de cette collecte en caviardant un document, celle-ci était inexploitable, car ordonnée sans base légale et ayant déjà porté atteinte à la confidentialité absolue des échanges avec un avocat. Cela valait sans même aborder la question de l'abus d'autorité découlant de la mise en place de cette mesure de surveillance.

Le séquestre du contenu de la boîte de messagerie s'apparentait à des recherches exploratrices, interdites en procédure pénale, et outrepassant largement le principe de proportionnalité que doivent respecter les autorités pénales.

La dénonciation du Département étant contaminée par les violations susmentionnées, l'ensemble de cette collecte devait être considérée comme inexploitable en application de l'art. 141 CPP, le séquestre devant suivre le même sort.

D. a. Dans ses observations, le Ministère public rappelle que l'ordre de dépôt n'est pas sujet à recours. Le recours, en tant qu'il vise l'ordre de dépôt du 20 octobre 2022, était irrecevable.

S'agissant du rapport entre la mise sous scellés et le recours, la jurisprudence a tranché en donnant la priorité à la première au détriment du second. Dès lors que la jurisprudence interprète de manière très large le champ d'application de la procédure de mise sous scellés, l'importance du recours s'en trouve notablement réduite. Le recours n'entre en ligne de compte que si les griefs soulevés ne concernent aucun intérêt juridiquement protégé au maintien du secret protégé par les scellés. En d'autres termes, il n'est ouvert que pour des objections qui n'ont aucun rapport avec des motifs liés à la protection du secret. Dans le cadre de la procédure de levée des scellés, l'opposant peut soulever des arguments en lien avec le motif allégué pour l'apposition des scellés, mais il peut également invoquer des objections accessoires, telles notamment l'insuffisance des soupçons laissant présumer une infraction, l'absence de pertinence des objets ou documents séquestrés pour la procédure pénale, la violation du principe de la proportionnalité de la mesure, ainsi que l'illicéité de l'ordre de perquisition.

En l'espèce, les scellés ayant été apposés sur la clé contenant la messagerie professionnelle de A______ et une procédure de levée de scellés étant en cours au TMC, le recours était irrecevable; le recourant ne soulevait aucun grief contre l'ordonnance de séquestre et ne développait aucune argumentation qui justifierait que l'on s'écarte de la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Il relève que le recourant ne pouvait tirer aucun argument du fait que l'IGS avait extrait de la messagerie les deux messages incriminants, puisque ceux-ci avaient été préalablement transmis intégralement, annexes comprises, au Ministère public avec la dénonciation; tant le Ministère public que l'IGS avaient donc pu en prendre connaissance avant le séquestre de la boîte de messagerie.

À titre subsidiaire, les droits de A______ n'avaient pas été lésés, puisque l'IGS n'avait pas exploité sa messagerie. Compte tenu des indices dont il disposait, le Ministère public était fondé, comme il le fait pour n'importe quelle procédure en matière de violation du secret de fonction, à ordonner le séquestre du contenu d'une boîte de messagerie dont il était présumé, sur le fondement d'indices sérieux, qu'elle avait au moins à deux reprises servi à faire sortir de la sphère de l'État des documents couverts par le secret de fonction : il ne s'agit dès lors aucunement d'une "expédition de pêche", mais d'un séquestre ciblé.

b. Dans sa réplique, A______ considère que les conditions du séquestre faisaient défaut. Il conteste l'existence de soupçons suffisants laissant présumer qu'il aurait commis une infraction; C______, qui avait été déplacé temporairement, était demeuré ______ [fonction] de la prison de B______ jusqu'à la fin du mois de juillet 2022 au moins; aucune interdiction de communiquer avec ce dernier n'avait été adressée aux membres du personnel de la prison. En sa qualité de ______ [fonction], il était resté tenu au secret de fonction.

Il considère que l'IGS et/ou le Ministère public avaient d'ores et déjà exploité l'ensemble de sa boîte de messagerie, sans droit.

Il se dit convaincu que les « indices » dont disposait le Ministère public ne s'étaient, de toute évidence, pas limités à la dénonciation litigieuse et à ses annexes. Les manières de procéder du précité sortaient largement du cadre fixé par la loi, de sorte qu'un recours contre de telles décisions était recevable, sans préjudice du fait que la dénonciation reposait sur une collecte illégale d'e-mails ordonnée illégalement par le Département.

c. Le Ministère public n'a pas dupliqué.

 

EN DROIT :

1.             1.1. En l'espèce, se pose, avant même l'examen des conditions de recevabilité du recours au sens strict (art. 393 ss CPP), la question de l'existence d'une voie de recours au sens large contre les actes querellés par le recourant.

Le recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP est en principe irrecevable dans le cas où des mesures de contrainte débouchent sur une procédure d'apposition et de levée des scellés (cf. art. 248 CPP), celle-ci permettant à l'ayant droit de faire valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner et/ou d'autres raisons, ainsi que d'invoquer les objections accessoires, telles notamment l'insuffisance des soupçons laissant présumer une infraction, l'absence de pertinence du moyen de preuve pour la procédure pénale ainsi que la violation du principe de proportionnalité de la mesure (ATF 143 IV 270 consid. 6-7 s.; 141 IV 77 consid. 4.3; 138 IV 225 consid. 7; arrêts du Tribunal fédéral 1B_134/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1;1B_360/2013 du 24 mars 2014 consid. 2.2 et les références citées). La voie du recours de l'art. 393 CPP n'entre dès lors en ligne de compte que si les griefs soulevés ne concernent aucun intérêt juridiquement protégé au maintien du secret protégé par les scellés. Ce moyen de droit doit ainsi notamment être ouvert lorsque la perquisition n'a abouti à aucune saisie, puisqu'alors l'intéressé ne peut défendre ses droits au cours d'une procédure de levée de scellés (arrêts du Tribunal fédéral 1B_275/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.1.2; 1B_360/2013 du 24 mars 2014 consid. 2.2).

Ainsi, pour des raisons d'économie de procédure et pour éviter des doublons et des problèmes de délimitations, le champ d'application de la procédure de levée des scellés doit être appréhendé de manière large (ATF 140 IV 28 consid. 4.3.6; arrêt du Tribunal fédéral 1B_117/2012 du 26 mars 2012 consid. 3.3). En définitive, tous les moyens juridiques, quelle qu'en soit la nature, dont l'ayant droit se prévaut pour s'opposer à la mesure sous-jacente, doivent être examinés par le tribunal compétent dans le cadre de ladite procédure (A. V. JULEN BERTHOD / G. MÉGEVAND, La procédure de mise sous scellés – Un garde-fou discret contre les indiscrétions, RPS 134/2016 218 ss, 225 ; cf. également ATF 143 IV 270 consid. 6.1 et 7).

1.2. Dans des décisions récentes rendues en matière de droit pénal administratif, le Tribunal pénal fédéral – s'appuyant sur ces principes – a considéré que d'éventuels griefs relatifs à l'établissement d'une copie forensique de supports informatiques pouvaient être soulevés dans le cadre de la procédure de levée des scellés (décisions BE.2017.19 du 13 mars 2018 consid. 2.2; BE.2017.9 du 25 octobre 2017 consid. 2.2; BE.2017.6 du 25 octobre 2017 consid. 2.2; BE 2017.4 du 19 octobre 2017 consid. 2.2 et les références citées).

1.3. En l'occurrence, le recourant a sollicité la mise sous scellés de sa messagerie professionnelle, faisant valoir la protection de son domaine secret, soit notamment le secret lié à ses activités, le secret professionnel de l'avocat et la protection de la sphère privée.

Le Ministère public a donné suite à cette demande en plaçant la clé USB contenant cette messagerie sous scellés, puis a adressé une demande de levée des scellés au TMC. Le recourant dispose ainsi de la protection juridique offerte par la procédure de levée des scellés pour faire valoir ses griefs.

La compétence de la Chambre de céans doit dès lors s'effacer au profit de celle du TMC, à qui il appartiendra, dans le cadre du large pouvoir d'examen qui est le sien en matière de scellés, d'examiner une éventuelle violation de l'art. 261 CPP si elle est invoquée devant lui.

2.             Il résulte de ce qui précède que la voie du recours à la Chambre de céans n'est pas ouverte et que le recours doit par conséquent être déclaré irrecevable.

3.             Le présent arrêt rend sans objet les conclusions préalables du recours.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; RSG E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :



Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique pour info au TMC.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente ; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/17801/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00