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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/23/2023

ACPR/265/2023 du 12.04.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/23/2023 ACPR/265/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 avril 2023

 

Entre

A______, comparant par Me Marc OEDERLIN, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

requérant,

 

et

B______, Procureur, Ministère public, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. Par courrier déposé au Ministère public le 13 février 2023, A______ requiert la récusation de B______, dans la procédure P/1______/2022.

Le Procureur a transmis cette requête à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par acte du 24 août 2022, le ______ [statut] en charge du département de F______ (ci-après, Département ou F______) a dénoncé au Ministère public le comportement de A______, ______, ______ [fonction] de la prison de C______, lui reprochant d'avoir transmis par email, le 8 juillet 2022, à D______, ancien ______ [fonction] ad interim de la prison de C______ jusqu'au 3 janvier 2022, deux documents couverts par le secret de fonction, soit une note décisionnelle et une note informative relatives à l'organisation de la prison de C______, soulignant lors du transfert du second document : "ATTENTION ce message a été envoyé uniquement aux membres du cdir Notamment la note de la DG".

En annexe à la dénonciation figurait notamment un rapport d'enquête de l'Office cantonal des systèmes d'information et du numérique (ci-après, OCSIN) du 4 août 2022 portant sur la boîte de messagerie professionnelle de D______, auquel étaient jointes les impressions de courriers électroniques, dont les deux courriels par lesquels A______ lui avait transmis les documents précités le 8 juillet 2022 à 20h11 et 20h49.

b. Par ordonnance du 30 septembre 2022, B______, constatant la présence parmi les pièces produites d'un courriel adressé par D______ à Me E______, l'a écarté et a caviardé le passage de la dénonciation qui en faisait mention, par application analogique de l'art. 264 al. 1 let. d CPP.

c. Le même jour, B______ a transmis la procédure à l'inspection générale des services de la police (ci-après, IGS) pour complément d'enquête (art. 309 CPP).

d. Le 18 novembre 2022, l'IGS a entendu A______ en qualité de prévenu.

Le procès-verbal d'audition mentionne, dans la rubrique "Défense" : "À la lecture de mes droits, je demande la présence d'un avocat de choix pour m'assister. Il m'a été précisé lors de ma convocation que je ne pouvais être assisté de Me E______. Je souhaite dès que Me Marc OEDERLIN m'assiste durant l'audition en qualité d'avocat de choix".

Informé du contenu de la dénonciation et du détail des faits qui lui étaient reprochés, A______ a fait valoir son droit de refuser de déposer, indiquant qu'il souhaitait mieux comprendre la dénonciation avant de s'exprimer. En fin d'audition, il a ajouté : "Je trouve insolite de ne pas avoir pu faire appel à Me E______, qui est mon conseil habituel et connu du Département, du moment que cette procédure n'est dirigée manifestement que contre moi et pas contre M. D______".

e. Le 27 janvier 2023, l'IGS a entendu D______ en tant que personne appelée à donner des renseignements.

À cette occasion, D______ a été informé du contenu de la dénonciation du F______, après quoi il a sollicité l'apposition de scellés sur toutes les pièces de la procédure, y compris la dénonciation, compte tenu de la violation du secret de la correspondance, du secret professionnel à l'égard de son avocat et probablement du secret de fonction de l'autorité dénonciatrice, et leur exclusion de la procédure, s'agissant de preuves illégales au sens de l'article 141 CP.

f. Par ordonnance du 9 février 2023, B______ a refusé la mise sous scellés et ainsi que le retrait de pièces requis par D______.

Cette ordonnance a été notifiée par erreur à Me Marc OEDERLIN, avocat de A______.

g. Par ordonnance du 10 février 2023, B______ a séquestré le contenu de la boîte de messagerie professionnelle de A______, laquelle a été notifiée à son avocat.

C. Dans sa requête en récusation, A______ sollicite la récusation de B______ aux motifs que ce dernier avait pris connaissance d'un échange entre D______ et son avocat, dont le contenu était manifestement couvert par le secret professionnel, et avait ouvert une procédure et l'instruisait. Ce seul fait devait conduire B______ à se déporter (art. 56 let. f et 60 CPP); le fait que la pièce ait été écartée n'y changeait rien. À cela s'ajoutait que l'avocat de D______ était aussi le sien dans diverses autres procédures. Le seul fait que l'inspecteur ait indiqué à A______ qu'il ne pouvait pas se présenter accompagné par son avocat habituel donnait "un curieux sentiment sur le respect de ce secret".

D. a. Dans sa détermination, B______ conclut à l'irrecevabilité de la requête. Si A______ faisait partie du cercle des personnes susceptibles de requérir sa récusation, le prévenu se prévalait d'un acte qui ne le concernait pas – la prise de connaissance, pour l'écarter, d'un courrier électronique envoyé par un tiers, revêtant dans la procédure le statut de personne appelée à donner des renseignements (art. 178 let. d CPP), à son avocat –.

La requête de récusation devrait, subsidiairement, être rejetée. A______ se bornait à affirmer, sans guère de justification, que la simple prise de connaissance dudit courriel exigeait qu'il se récusât. Le requérant ne remettait pas en cause sa décision du 30 septembre 2022 d'écarter de la procédure le courriel précité ni de caviarder le passage de la dénonciation qui en faisait mention. Il n'affirmait ainsi pas que le soussigné aurait commis une erreur de procédure, et a fortiori pas une erreur qui atteindrait une gravité telle qu'elle justifierait sa récusation.

B______ développe les raisons pour lesquelles il avait fait une application analogique de l'art. 264 al. 1 let. d CPP – qui interdit, dans le cadre d'une procédure de séquestre, la mise sous séquestre de documents couverts par le secret professionnel de l'avocat – au cas d'espèce – une dénonciation accompagnée d'un document soumis au secret professionnel de l'avocat et mentionnant ce document –.

A______ s'étonne, sans sembler en faire un motif de récusation, que le policier qui a procédé à son audition lui ait indiqué au cours de l'audition qu'il ne pouvait pas se présenter accompagné par son avocat habituel. Tout en expliquant que le même avocat ne puisse pas représenter l'auteur présumé d'une violation du secret de fonction et son destinataire présumé, B______ relève que cela concernait l'activité de la police et non la sienne.

b. Dans sa réplique du 13 mars 2023, A______ conclut à un accès complet au dossier de la procédure. Il conteste les griefs qui lui sont reprochés par le Département.

Il soutient que, contrairement à ce qu'indique B______ – pour lequel seul le grief d'avoir pris connaissance d'échanges couverts par le secret se pose –, il lui est reproché d'avoir cumulativement :

-          fait [une application analogique de l'art. 264 al. 1 let d CPP] en écartant du dossier des échanges couverts par le secret de l'avocat ; et caviardé la dénonciation, sans que les intéressés n'en soient à ce jour informés formellement.

-          délibérément ignoré que l'avocat en question agissait tant pour A______ que pour D______ dans les divers dossiers les opposant au Département ;

-          exploité la découverte « fortuite » des deux e-mails en ouvrant une instruction alors qu'il était aisé de mesurer l'illégalité de la mesure de surveillance ordonnée sans contrôle et sans base légale ;

-          complètement écarté l'application de l'art. 141 CPP et les conséquences attachées à cette disposition ;

-          ne pas avoir retenu que l'envoi de la dénonciation pénale constituait vraisemblablement une infraction à l'art. 320 CP (étant précisé qu'aucune procédure n'a toutefois été ouverte), délit poursuivi d'office ;

-          le tout sans prendre en considération les grade et fonction de D______ en juillet 2022 (cf. supra en préambule).

Or, le cité – pour avoir pris connaissance du contenu illégal d'une dénonciation et cherché ensuite à en gommer le contenu problématique (sans en informer quiconque, comportement qui pourrait également saisir une typicité) – ne pouvait décemment prétendre instruire la procédure pénale.

Fondamentalement, les parties à une procédure pénale ne peuvent détenir des procédures au contenu différent. Le comportement consistant à ordonner le dépôt de sa boîte e-mail complète, tout en invitant l'IGS à en examiner le contenu (et l'exploiter) sans en ordonner le séquestre constituait une manœuvre ayant permis à l'IGS d'examiner le contenu de ladite boite en le privant du droit de demander l'apposition de scellés. Le cité ne l'avait fait que plusieurs mois plus tard étant précisé que cet aspect fait l'objet d'un recours parallèle pendant devant la Chambre de céans.

Le cité avait parallèlement refusé à la défense d'apposer les scellés sur la dénonciation et ses annexes en affirmant que cette disposition ne trouvait pas à s'appliquer.

c. Le Ministère public n'a pas dupliqué.

 

EN DROIT :

1.             1.1. La récusation des magistrats et fonctionnaires judiciaires au sein d'une autorité pénale est régie expressément par le CPP (art. 56 et ss. CPP).

À Genève, lorsque, comme en l'espèce, le Ministère public est concerné, l'autorité compétente pour statuer sur la requête est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ).

1.2. Le requérant, partie prévenue dans la P/1______/2022, dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).

2.             2.1. À teneur de l'art. 58 al. 1 CPP, lorsqu’une partie entend demander la récusation d’une personne qui exerce une fonction au sein d’une autorité pénale, elle doit présenter sans délai à la direction de la procédure une demande en ce sens, dès qu’elle a connaissance du motif de récusation ; les faits sur lesquels elle fonde sa demande doivent être rendus plausibles.

La demande de récusation doit ainsi être présentée dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1), sous peine de déchéance (ATF 138 I 1 consid. 2.2).

2.2. En l'espèce, la requête reçue le 13 février 2023 par le cité est recevable s'agissant des griefs motivés par la prise de "connaissance d'un échange entre D______ et son conseil alors que son contenu est manifestement couvert par le secret professionnel; or vous avez ouvert une procédure et l'instruisez".

Par contre, les griefs "cumulatifs" exposés dans la réplique du 13 mars 2023 sont largement tardifs. En effet, la Chambre de céans considère que ces griefs ne sont pas compris dans la motivation du 13 février 2023 mais sont nouveaux.

Il appartiendra au requérant de solliciter l'accès à la procédure auprès du Ministère public lequel devra apprécier l'état de celle-ci au regard de l'art. 101 al. 1 CPP.

3.             3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).

Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. Il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises, car la procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

3.2. En l'espèce, le requérant voit une apparence de prévention de B______ à son égard dans le fait d'avoir pris connaissance du courriel de D______ à Me E______.

S'il est indéniable que le cité a constaté l'existence de ce courriel pour décider de l'écarter, il n'est pas établi qu'il ait pris connaissance de son contenu, lequel est ignoré de la Chambre de céans. En outre, et le requérant ne le soutient pas, rien ne permet de penser que le cité utiliserait la connaissance qu'il aurait pu avoir dans la procédure, qui plus est à l'encontre de A______. En l'occurrence, faute d'explications, on ne perçoit pas la partialité que le requérant reproche au cité. Le requérant ne soutient pas que le Procureur aurait commis une erreur grave ni que la prise de connaissance reprochée l'ait été à son encontre. Il n'explique pas non plus en quoi il serait concerné par un courrier adressé par un tiers à l'avocat de celui-ci.

Enfin, les griefs liés à son audition devant la police ne sont pas le fait du cité et le requérant n'expose pas ce qui pourrait être reproché au cité, sous l'angle de la partialité, à ce sujet.

4.             Partant, la requête est infondée.

5.             En tant qu'il succombe, le requérant supportera les frais de la procédure
(art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.-, y compris un émolument de décision.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :



Rejette la requête.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente ; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/23/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur demande de récusation (let. b)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00