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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/26/2023

ACPR/242/2023 du 04.04.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;CUMUL(QUANTITÉ)
Normes : CPP.59; CPP.58; CPP.101.al1

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/26/2023 ACPR/242/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 avril 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me Yaël HAYAT, avocate, Hayat & Meier, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3504, 1211 Genève 3,

requérant,

et

C______, Procureure, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565,
1211 Genève 3,

citée.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 21 février 2022 au Ministère public, qui l'a transmis à la Chambre de céans, A______ sollicite la récusation de la Procureure C______, en charge de l'instruction de la procédure P/1______/2022.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est prévenu, dans la procédure susvisée, de tentative de meurtre (art. 111 CP cum 22 CP), mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP) et pour infraction à l'art. 33 al. 1 let. a LArm, pour avoir, à Genève, le 22 mai 2022, aux environs de 00h20, dans l'Établissement "D______", sis rue 2______ no. ______, à l'occasion d'une altercation survenue entre deux bandes de motards, soit la bande "E______", d'une part, dont il est membre, et la bande "F______", d'autre part, tenté de tuer un ou plusieurs individus membres de la bande des "F______", en tirant un ou plusieurs coups de feu dans sa/leur direction. Ce faisant, il aurait également, sans scrupule, mis en danger de mort imminent les personnes qui se trouvaient alors dans l'établissement, étant à cet égard précisé que la ou les balles tirées auraient pu atteindre d'autres personnes que celles initialement visées, notamment en raison d'une balle perdue ou du risque de rebondissement des balles. Il aurait en outre porté et utilisé ce soir-là un pistolet G______/3______ [marque, modèle], qu'il détenait sans droit depuis son acquisition à une date indéterminée, en 2014 ou 2015.

b.i. L'intéressé a été interpellé le 30 mai 2022 et sa mise en détention provisoire, ordonnée par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) le 2 juin 2022, régulièrement prolongée depuis lors.

ii. Le 24 novembre 2022, la Procureure a sollicité la prolongation de la détention provisoire de A______ pour une durée de trois mois. Le TMC y a fait droit par ordonnance du 28 suivant.

iii. Le 25 novembre 2022, A______ a demandé sa mise en liberté, laquelle a été refusée par la Procureure le 28 novembre 2022. Par ordonnance du 1er décembre 2022, le TMC a refusé la demande de mise en liberté.

iv. Par arrêt du 4 janvier 2023, la Chambre de céans a rejeté le recours du prévenu contre ladite ordonnance (ACPR/6/2023). Le recours interjeté par l'intéressé contre cet arrêt a été rejeté par le Tribunal fédéral le 16 février 2023 (1B_55/2023).

c. Il ressort notamment des images de vidéosurveillance ainsi que des déclarations des employés et des clients de "D______" que l'altercation – qui a duré 22 secondes selon le rapport de police du 27 mai 2022 – aurait concerné à tout le moins, du côté des "F______" H______ (B2), I______ (B1) et un troisième individu non identifié (B3), respectivement s'agissant des "E______" J______ (H1), A______ (H2) et deux autres individus non identifiés (H3 et H4). Quatre coups de feu auraient été tirés, deux par I______ – dont le premier – et deux par A______. Préalablement aux tirs, H______ aurait fait usage d'un spray au poivre, notamment à l'encontre de J______, lequel aurait alors "fondu" sur les "F______" et lancé une chaise en direction de H______ et de I______. J______ a été blessé.

d. Lors de son audition par la police le 30 mai 2022, puis par le Ministère public, A______ a admis s'être rendu dans l'établissement "D______" le 22 mai 2022, ayant l'intention de parler aux "F______" afin qu'ils ne portent pas leurs couleurs. En raison de menaces de mort reçues antérieurement mais sans lien avec cette affaire, il portait son arme, ne comptant pas en faire usage. Son "frère" et lui avaient été touchés par un spray utilisé par un "F______". Il avait ensuite entendu une déflagration et s'était écarté de la ligne de tir vu qu'un autre "F______" avait pointé son arme sur lui. Il avait entendu une seconde déflagration, précisant qu'il était visé et avait alors sorti son arme, puis tiré deux coups de feu pour effrayer le tireur (B1). Celui-ci se trouvait à couvert et il avait tiré contre la paroi derrière laquelle il s'abritait. Il avait ensuite quitté immédiatement l'établissement. Il a expliqué avoir fait l'acquisition de l'arme alors utilisée sept à huit ans plus tôt, sans avoir sollicité d'autorisation. 

e. Selon le rapport de police du 21 juin 2022, A______ était arrivé à K______ vers 23h56 dans une voiture conduite par L______ et trois motards des "E______" leur ouvraient le chemin. J______ serait arrivé dans un autre véhicule avec trois autres membres. L'analyse des téléphones portables de A______ et de J______ permettrait d'éclairer le nombre des "E______" présents, leurs rôles respectifs et la façon dont ils avaient quitté les lieux de la fusillade.

f. A______ a été confronté à I______, H______ et J______ les 29 juin, 27 juillet, 28 juillet, 23 août et 24 août 2022.

g. Les 21 septembre et 5 octobre 2022, le Ministère public a procédé à l'audition des trois employés de "D______" présents le soir des faits.

h. Convoqué le 6 octobre 2022, L______ a été entendu par le Ministère public le 26 octobre 2022.

i. Le 16 décembre 2022 ont été entendus par le Ministère public deux membres des "F______", M______ et N______.

j. À l'audience du 16 février 2023, la Procureure a confronté les prévenus au contenu des rapports de police suivants qu'elle a, à l'issue de l'audience, versés à la procédure (PP C-11'079) :

- un rapport de renseignements de la police du 12 octobre 2022 (reçu le 18 octobre 2022), relevant que l'arme utilisée par A______ le 22 mai 2022 n'était très probablement pas le pistolet G______/3______ [marque, modèle] saisi par la police à son domicile;

- un rapport de renseignements de la police du 2 novembre 2022 (reçu le 8 novembre 2022), indiquant que le Ministère public renonçait à faire procéder à une deuxième perquisition du domicile de I______;

- un rapport de renseignements de la police du 24 novembre 2022 (reçu le 2 décembre 2022) en lien avec la reconstitution en 3D du bar et des trajectoires de tir;

- un second rapport de renseignements de la police du 24 novembre 2022 (reçu le 5 décembre 2022) contenant les résultats des examens menés par la BPTS.

Elle a spécifiquement informé les parties :

- avoir reçu le 18 octobre 2022 le rapport de renseignements de la police du 12 octobre 2022. Elle ne l'avait pas versé à la procédure auparavant, souhaitant attendre le résultat des analyses des téléphones des prévenus dans l'espoir d'obtenir des renseignements permettant à la police de retrouver l'arme utilisée par A______ le 22 mai 2022;

- que le rapport du 24 novembre 2022 était versé à la procédure;

- avoir reçu le rapport de police lié à la reconstitution en 3D de la scène et le verser à la procédure.

Elle a également fait remarquer à I______ qu'à teneur du rapport de police du 24 novembre 2022, il avait, lors de son premier tir, visé A______ et que l'une des munitions tirée avait vraisemblablement traversé le gilet porté par celui-ci. Il avait en outre, lors de son second tir, visé J______, atteint et blessé ce dernier. I______ n'a pas souhaité se déterminer.

 

Elle a ensuite fait remarquer à A______ qu'à teneur du rapport lié à la reconstitution en 3D de la scène, lors de ses deux tirs, il ne visait pas une poutre en bois mais bien, entre deux poutres, la tête de I______. A______ a maintenu qu'il avait tiré sur la poutre.

 

Selon une note au dossier figurant au procès-verbal, l'avocate de A______ s'est offusquée que ces rapports – qui attestaient que son client avait été visé par I______ et "touché dans la zone de l'aine par le premier tir" – soient depuis trois ou quatre mois en mains du Ministère public, lequel n'avait pas utilisé ces informations dans le cadre de la procédure de demande de mise en liberté.

Sur ce, la Procureure a confirmé que ces rapports n'avaient pas été versés au dossier et que ni la Chambre pénale de recours ni le Tribunal fédéral n'en avaient eu connaissance.

k. À l'audience du 20 février 2023, A______ a, par la voix de son conseil, indiqué d'emblée qu'il déposerait une demande de récusation le lendemain, dans le prolongement de sa demande de mise en liberté déposée le 17 février 2023.

Selon une note de la Procureure figurant au procès-verbal à la fin de l'audience, le conseil du précité lui a demandé quand le rapport en lien avec les données téléphoniques serait versé à la procédure. Elle a répondu ne pas se prononcer en l'état au vu de la demande de récusation annoncée.

l. La Procureure, dans sa prise de position du 20 février 2023 à l'attention du TMC, a refusé la mise en liberté du prévenu et sollicité la prolongation de sa détention provisoire.

Par ordonnance du 23 février 2023, le TMC a refusé la mise en liberté et prolongé la détention provisoire de A______ jusqu'au 28 mai 2023.

m. Le 24 février 2023, la Procureure a versé à la procédure les rapports de renseignements complémentaires de la police du 18 janvier 2023, qu'elle avait reçus le 19 janvier 2023, concernant la synthèse des analyses effectuées sur les raccordements téléphoniques de A______ et J______ notamment.

C. a. À l'appui de sa demande, A______ considère déloyal et partial, de la part de la Procureure, d'avoir retenu pendant deux ou trois mois, les quatre rapports de police judiciaire des 12 octobre, 2 novembre et 24 novembre 2022 – notamment à décharge – avant de les verser à la procédure (le 16 février 2023). Ce nonobstant, la précitée avait motivé ses demandes de prolongation de la détention provisoire, respectivement ses prises de position sur les demandes de mise en liberté qu'il avait formulées, par la nécessité d'obtenir au préalable le résultat de ces rapports. La Procureure avait également annoncé "à l'audience du 16 février 2023" avoir reçu le rapport de police portant sur le résultat des analyses des téléphones des prévenus et de leurs données rétroactives mais refusé d'entendre les prévenus sur celui-ci au motif qu'elle convoquerait ultérieurement une audience sur cet objet. Alors qu'il avait réitéré, à l'audience du 20 février 2023, sa demande visant à ce que ce rapport soit versé à la procédure, la Procureure avait refusé de se prononcer compte tenu de la récusation annoncée.

Il reproche ensuite à la Procureure d'avoir ignoré : ses envois des 26 septembre 2022, 17 novembre 2022, 10 et 20 janvier 2023 sollicitant la restitution du téléphone portable appartenant à sa compagne; ses courriers des 2, 12, 19 septembre 2022, 4 et 21 octobre 2022, 23 décembre 2022 et 20 janvier 2023 sollicitant l'audition sans retard des autres membres des "E______" présents le soir des faits; ses courriers des 2, 12, 19 septembre et 4 octobre 2022 sollicitant l'audition sans retard de L______, jusqu'à la convocation de ce dernier, le 6 octobre 2022, à l'audience du 26 octobre 2022. Cette répétition de manquements trahissait un manque d'intérêt de la magistrate à dissiper les risques qu'elle lui opposait ainsi qu'à donner suite à ses demandes "les plus primaires" et ce, alors qu'il était en détention provisoire depuis neuf mois.

Il lui reproche enfin de se désintéresser de la détention dont il fait l'objet en ne cherchant pas à diluer le risque de collusion qu'elle lui opposait avec d'autres membres des "E______". Le fait qu'il ne souhaitait pas la renseigner sur l'identité de ses "frères" était son droit et ne devait l'encourager à demeurer passive. Il requérait inlassablement depuis le 2 juin 2022 qu'elle procède sans retard à tous les actes d'instruction essentiels. Or, elle n'avait entrepris aucune démarche en ce sens. Cette inertie commandait sa récusation. L'intégralité des actes entrepris par la Procureure depuis la réception du rapport de renseignements de la BPTS du 12 octobre 2022 devait en outre être annulée et répétée par un magistrat impartial nouvellement désigné.

b. Dans ses observations du 27 février 2023, la Procureure conteste toute partialité ou déloyauté. Elle instruisait la cause à charge et à décharge avec célérité, en tenant compte de la détention initiale du prévenu et de ses co-prévenus.

Que A______ ait vraisemblablement été touché par l'un des tirs de I______ figurait au dossier depuis le 27 mai 2022 et avait été pris en compte par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 16 février 2023, au consid. 2.2: "En l'espèce, l'essentiel de l'argumentation du recourant tend à démontrer que ses coups de feu auraient été tirés uniquement en réaction aux agissements des "F______" et au tir effectué par I______ (B1), lequel l'aurait notamment touché (cf. le rapport de police du 27 mai 2022 ad 00h19:03 [le recourant "est clairement la cible de (B1) "; le recourant "n'était pas dans l'axe de la porte et la vitrine du bar ne présentant aucun impact, nous en concluons que le tir fait mouche"])".

Elle ne s'était aucunement prévalu auprès du TMC, de la Chambre de céans et du Tribunal fédéral, à l'appui de ses demandes de prolongation de détention, respectivement dans ses prises de position aux demandes de mises en liberté, qu'à teneur du rapport de police du 12 octobre 2022 l'arme utilisée par le prévenu lors des faits du 22 mai 2022 n'était vraisemblablement pas celle retrouvée à son domicile et ce, quand bien même elle avait ledit rapport en sa possession.

Elle admettait n'avoir pas immédiatement versé ce rapport à la procédure afin de permettre à la police de poursuivre ses investigations dans le but de localiser l'arme utilisée par le prévenu le soir des faits, étant précisé que le 18 octobre 2022, l'analyse des téléphones des prévenus ainsi que celle de leurs données rétroactives était en cours, respectivement portait sur les raccordements d'autres membres des deux bandes.

Le rapport du 2 novembre 2022 avait été placé par erreur avec le rapport du 12 octobre 2022, étant précisé que le 8 novembre 2022, la police poursuivait toujours ses investigations dans le but de localiser l'arme utilisée par le prévenu. Or, le rapport du 2 novembre 2022 n'avait pas d'incidence sur la détention du prévenu et aucune référence n'y avait été faite par elle.

Le rapport en lien avec les examens de la BPTS et celui sur la reconstitution en 3D avaient été versés à la procédure après que les prévenus eussent été confrontés à leur contenu.

Son agenda ne lui avait pas permis de convoquer une audience entre le 2, respectivement le 5 décembre (dates de réception du rapport sur la reconstitution en 3D et de celui en lien avec les examens de la BPTS) et le 23 décembre 2022, étant précisé que le 16 décembre 2022, elle avait entendu deux membres des "F______". Elle avait décidé d'attendre la réception des rapports du 18 janvier 2023 avant de convoquer une audience portant sur le rapport du 12 octobre 2022 et ceux sur la reconstitution en 3D et les examens de la BPTS.

À réception desdits rapports, le 19 janvier 2023, elle avait convoqué les audiences des 16 et 20 février 2023. Le 16 février 2023, elle avait confronté les prévenus aux rapports du 12 octobre 2022 ainsi qu'aux rapports portant sur la reconstitution en 3D et sur les examens de la BPTS. L'audience du 20 février 2023 avait été dédiée aux questions des conseils des prévenus après prise de connaissance du rapport du 12 octobre 2022, du rapport en lien avec les examens de la BPTS et du rapport sur la reconstitution en 3D. Il n'était pas prévu d'entendre les prévenus sur les rapports du 18 janvier 2023 lors de ces deux audiences. Ceux-ci ayant toutefois été transmis par erreur au TMC avec sa prise de position sur la demande de mise en liberté formée le 17 février 2023, ce dont elle s'était rendu compte le 24 février 2023, elle les avait transmis aux conseils des parties le jour en question.

Elle conteste ensuite avoir invoqué les rapports de police susmentionnés à l'appui de ses demandes de prolongation de détention, respectivement de ses prises de position suite aux demandes de mise en liberté du prévenu, tandis que ceux-ci n'avaient pas été versés au dossier. Elle en voulait pour preuve le texte même de ses demandes de prolongation et prises de position. Ainsi, notamment, dans sa demande de prolongation de la détention du 24 novembre 2022, elle n'indiquait aucunement qu'elle était dans l'attente des rapports des 12 octobre et 2 novembre 2022, puisqu'elle les avait reçus; elle n'avait en revanche, à ce moment-là, pas reçu le rapport en lien avec les examens de la BPTS ni celui sur la reconstitution en 3D. À la date de ses observations du 16 décembre 2022 à la Chambre pénale de recours, elle avait reçu ces deux derniers rapports et pas encore ceux sur l'analyse de la téléphonie (soit les rapports du 18 janvier 2023). Ses observations au Tribunal fédéral ne prétendaient pas le contraire. Quant à sa prise de position du 20 février 2023 et sa demande de prolongation de la détention, elle y mentionnait uniquement qu'elle avait reçu les différents rapports attendus de la police et qu'il serait procédé à de nouvelles audiences prochainement.

Elle conteste une conduite ineffective de la procédure. Tant la Chambre pénale de recours que le Tribunal fédéral avaient relevé que l'instruction avait jusqu'ici été conduite sans désemparer, et elle se poursuivrait avec la tenue de deux audiences les 8 et 10 mars 2023. Elle rappelait que les prévenus ayant fait le choix de garder le silence, des mesures concrètes avaient dû être engagées pour identifier les personnes avec lesquelles ils se trouvaient les 21 et 22 mai 2022, raison pour laquelle leurs téléphones portables avaient été analysés ainsi que leurs données rétroactives. Cette démarche avait pris du temps en raison de l'importance des données à traiter. Elle réfutait avoir été inactive, rappelant que si le prévenu estimait que la procédure souffrait de temps morts, il devait agir pour violation du principe de célérité et non par la voie de la récusation.

S'agissant des silences reprochés, elle rappelait que le prévenu savait que des mesures étaient en cours pour identifier les personnes présentes le 22 mai 2022 et en particulier les individus désignés par la police comme étant H3, H4 et B3. L'audition de L______ avait été convoquée le 6 novembre (recte : octobre) 2022 et répondait utilement aux courriers du prévenu des 2, 12, 19 septembre et 4 octobre 2022. Elle admettait enfin n'avoir pas répondu au courrier du prévenu sollicitant la restitution du téléphone portable de sa compagne, tout en relevant qu'il lui appartenait d'agir par la voie du recours s'il entendait s'en plaindre.

Partant, elle s'opposait à la demande de récusation.

c. A______ réplique et persiste dans sa demande. Le rapport du 24 novembre 2022 confirmait qu'il avait été touché par un tir de I______. Il était décisif pour l'appréciation de la proportionnalité de la détention par le TMC, la Chambre pénale de recours et le Tribunal fédéral.

Nonobstant les autres explications de la Procureure, celle-ci se devait de verser sans retard les rapports de police au dossier.

Sa détention provisoire devait par ailleurs primer sur le conflit d'agenda de la magistrate.

Il prenait note du versement fortuit des rapports du 18 janvier 2023 devant le TMC. Cette démarche était propre à renforcer l'apparence de partialité de la Procureure.

Il voyait dans l'attitude de la Procureure, consistant à se prévaloir durant des mois de rapports en attente devant le TMC pour finalement, à réception, les occulter, une marque de prévention à son égard.

C'était bien l'inertie de la magistrate face à sa détention provisoire et ses silences obstinés qui attestaient de sa partialité dans le traitement de sa cause.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure P/1______/2022, en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF
140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275 et les arrêts cités). En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation. En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités).

2.2. En l'espèce, la requête, annoncée à l'audience du 20 février 2023, a été formée le 21 février 2023, soit dans les quelques jours ayant suivi l'audience du 16 février 2023, lors de laquelle le prévenu a été informé par la Procureure qu'elle versait désormais à la procédure des rapports de police qui étaient en sa possession depuis plusieurs mois. Partant, elle n'est pas tardive.

En tant que le requérant se plaint également de l'absence de réponse de la citée à plusieurs courriers à elle adressés entre le 2 septembre 2022 et le 20 janvier 2023, il semble forclos, sauf à considérer que ces silences reprochés doivent s'apprécier globalement avec les autres motifs de récusation soulevés (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2). Dits griefs étant toutefois antérieurs aux évènements du 16 février 2023, on peut en douter. Quoiqu'il en soit, leur recevabilité peut rester ouverte vu ce qui suit.

3. 3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles de l'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, § 76). Il y a prévention lorsque le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.4). Un seul comportement litigieux peut suffire à démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (cf. l'arrêt 1C_425/2017 précité, consid. 3.3).

L'inimitié au sens de l'art. 56 let. f CPP exige un rapport négatif prononcé à l'égard d'une partie, qui s'écarte des comportements sociaux habituels ("sozial Üblichen") et, d'un point de vue objectif, est de nature à influencer le magistrat à l'égard d'une partie et de la procédure. L'inimitié sous-entend des tensions personnelles considérables, des désaccords graves, voire une aversion prononcée de la part du magistrat. Il importe de déterminer si le bon déroulement de la procédure est compromis et si le magistrat est encore capable de conduire la procédure de manière impartiale (ATF 133 I 1 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_214/2016 du 28 juillet 2016 consid. 3.3 et les références citées ; 1B_189/2013 du 18 juin 2013 consid. 2.2/3.1).

3.2. Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuve et peut prendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 179; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145).

En tant que direction de la procédure (art. 61 CPP), l'attitude et/ou les déclarations du procureur ne doivent pas laisser à penser que son appréciation quant à la culpabilité du prévenu serait définitivement arrêtée (art. 6 et 10 CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2015 du 5 janvier 2016 consid. 3.2 = SJ 2017 I 50 ; 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.3).

3.3. Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. En effet, la fonction judiciaire oblige à se déterminer rapidement sur des éléments souvent contestés et délicats. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_305/2019 et 1B_330/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.4.1). Autre est la question lorsque de telles erreurs dénotent un manquement grave aux devoirs de la charge, un préjugé au détriment d'une des parties à la procédure ou un manque de distance et de neutralité (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2014. n. 59 ad art. 56 CPP).

3.4. En l'espèce, le requérant reproche tout d'abord à la citée d'avoir tardé à verser à la procédure des rapports de police, notamment à décharge, et ce, alors qu'il était en détention provisoire, soustrayant ainsi selon lui des éléments décisifs à l'appréciation de la proportionnalité par le TMC, la Chambre de céans et le Tribunal fédéral.

Il ressort du dossier que la citée a versé à la procédure les rapports de police des 12 octobre 2022 (reçu le 18 octobre 2022), 2 novembre 2022 (reçu le 8 novembre 2022), 24 novembre 2022 en lien avec la reconstitution en 3D de la scène (reçu le 2 décembre 2022) et 24 novembre 2022 contenant les résultats des examens menés par la BPTS (reçu le 5 décembre 2022), à l'issue de l'audience du 16 février 2023, après avoir confronté les prévenus à ceux-ci.

La jurisprudence relative à l'art. 101 al. 1 CPP admet que le Ministère public puisse opposer aux prévenus, pour la première fois, lors de leur audition, des éléments de preuve du dossier (arrêt du Tribunal fédéral 1B_597/2011 du 7 février 2012).

Cette autorité assume la conduite de la procédure préliminaire (art. 16 al. 2 CPP) et dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation.

Partant, le requérant ne saurait voir dans le fait pour la citée de n'avoir pas immédiatement versé au dossier lesdits rapports à réception, mais attendu de confronter les prévenus à ceux-ci, un quelconque indice de prévention.

La citée explique avoir attendu de recevoir les rapports de police du 18 janvier 2023 portant sur la téléphonie des prévenus avant de convoquer ces derniers pour les confronter aux divers rapports d'octobre et novembre 2022, étant précisé que les audiences des 16 et 20 février 2023 devaient uniquement porter sur ceux-ci. À cet égard, on relèvera que contrairement aux affirmations du requérant, il ne ressort aucunement du procès-verbal d'audience du 16 février 2023 que la Procureure aurait dit aux prévenus avoir reçu les rapports du 18 janvier 2023 et refusé de les entendre sur ceux-ci, étant précisé que ce prétendu refus aurait pu et dû, le cas échéant, être contesté par la voie du recours. Le Ministère public étant maître du déroulement de son instruction, cette manière de faire n'induit aucune prévention.

À suivre le requérant, la Procureure n'a pas fait preuve de célérité dans la conduite de son instruction, alors qu'il était en détention provisoire. Tel grief pouvait être porté par devant la Chambre de céans par la voie du recours, la procédure de récusation n'ayant pas pour but de remettre en cause la manière dont est menée l'instruction, dont il a déjà été statué qu'elle était conduite sans désemparer (cf. ACPR/6/2022 du 4 janvier 2023 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_55/2023 du 16 février 2023), ce que la chronologie des faits rappelés plus haut ne dément pas.

Dans un second grief, le requérant reproche à tort à la citée d'avoir agi de manière déloyale en n'invoquant pas les éléments à décharge contenus dans lesdits rapports de police devant le TMC, respectivement la Chambre de céans et le Tribunal fédéral.

Que le requérant ait riposté à un tir de I______ – qui l'aurait ciblé et notamment touché – figure au dossier de la procédure depuis le rapport de police du 27 mai 2022 et le Tribunal fédéral en a tenu compte dans son arrêt du 16 février 2023. Les rapports de police du 24 novembre 2022 n'apparaissent ainsi pas aussi décisifs que le prévenu voudrait le faire accroire pour l'appréciation de la proportionnalité de sa détention provisoire, ce d'autant qu'à teneur de ceux-ci, il n'aurait lui-même pas visé une poutre mais, entre deux poutres, la tête de I______. Nanti desdits rapports et de celui du 12 octobre 2022, le TMC a du reste, dans son ordonnance du 23 février 2023, refusé la demande de mise en liberté du prévenu et prolongé sa détention provisoire jusqu'au 23 mai 2023.

Quoiqu'il en soit, la citée a reçu les rapports du 24 novembre 2022 le 2, respectivement le 5 décembre suivant. Elle ne pouvait donc les évoquer dans sa demande de prolongation de la détention provisoire du 24 novembre 2022 ni dans sa prise de position du 28 novembre 2022 (refus de la demande de mise en liberté formée par le requérant le 25 novembre 2022) – celles-ci mentionnant seulement qu'elle était dans l'attente du rapport de police lié à la reconstitution en 3D de la scène, ce qui est exact. Elle ne les a pas non plus mentionnés – à charge ou à décharge – dans ses observations du 16 décembre 2022 à la Chambre de céans par suite du recours interjeté par le requérant contre l'ordonnance du TMC du 1er décembre 2022 refusant sa mise en liberté. Dans sa prise de position du 20 février 2023 refusant la demande de mise en liberté de l'intéressé (formée le 17 février 2023) et sa demande de prolongation de la détention provisoire du même jour, la citée s'est référée à l'audience du 16 février 2023, et plus particulièrement au rapport de police du 24 novembre 2022 relatif à la reconstitution en 3D, et a indiqué avoir désormais reçu les rapports de police attendus et qu'elle convoquerait prochainement de nouvelles audiences. On ne voit ainsi pas quel élément supposé à décharge aurait été occulté par la Procureure. Partant, aucune prévention ne résulte de ce qui précède.

Que le rapport de police du 2 novembre 2022 ait été placé "par erreur" avec le rapport du 12 octobre 2022 ne revêt manifestement aucune incidence pour le requérant, en tant que ce premier rapport concerne un autre prévenu. Cette inadvertance, sans incidence pour l'intéressé, ne saurait fonder aucune prévention de la magistrate à son égard.

Que les rapports du 18 janvier 2023 aient été transmis "par erreur" au TMC avec la prise de position de la citée et sa demande de prolongation de la détention provisoire du 20 février 2023 n'a porté aucun préjudice au requérant puisque la citée, une fois cette erreur détectée, les a immédiatement transmis aux conseils des prévenus, le 24 février 2023, soit avant même que ceux-ci y soient confrontés en audience. Là encore, telle inadvertance ne saurait faire naître un quelconque soupçon de prévention.

Ne pas avoir répondu à certains courriers du requérant, dont l'un sollicitant la restitution d'un téléphone appartenant à un tiers – lequel devrait a priori s'en plaindre lui-même – ne constitue pas non plus un motif de récusation, l'intéressé devant agir par la voie du recours pour faire constater un éventuel déni de justice. Quant à l'audition de L______, sollicitée à plusieurs reprises par le requérant, la citée y a donné suite, de sorte qu'il n'existe pas d'indice de prévention de sa part ici non plus. Que la citée ne satisfasse pas immédiatement les demandes d'actes d'instruction du requérant ne saurait au demeurant constituer un motif de récusation, le Ministère public étant, comme on l'a vu, maître du déroulement de son instruction.

Enfin, le requérant ne saurait reprocher à la citée de n'avoir pas cherché à auditionner immédiatement les autres membres des "E______" aux fins de dissiper le plus rapidement possible le risque de collusion invoqué devant le juge de la détention, étant rappelé que des investigations policières sous forme d'analyse de la téléphonie ont dû être mises en œuvre pour les identifier, faute pour le requérant – même si c'est son droit le plus strict – d'avoir fourni leurs noms.

4. L'ensemble des griefs formulés ne révélant, même pris cumulativement, aucun indice de prévention à l'endroit de la citée, la requête sera rejetée.

5. Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de récusation.

Condamne A______ aux frais de la procédure de récusation, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et à C______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/26/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'085.00