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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21653/2015

ACPR/241/2023 du 04.04.2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : TÉMOIN;DROIT DE GARDER LE SILENCE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR
Normes : CPP.393.al1.leta; CPP.174; CPP.180; CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21653/2015 ACPR/241/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 avril 2023

 

Entre

La Masse en faillite de A______ SA et B______, comparant par Me Pierre BYDZOVSKY, avocat, Charles Russell Speechlys SA, rue de la Confédération 3-5, 1204 Genève,

recourantes,

 

contre les décisions rendues le 17 novembre 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte unique, expédié le 25 novembre 2022, la Masse en faillite de A______ SA et B______, parties plaignantes, recourent contre les décisions rendues par le Ministère public le 17 précédent, notifiées lors de l’audience tenue ce jour-là, à teneur desquelles le Procureur a jugé admissible le droit de refuser de "témoigner" invoqué par Me C______ – entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements – en lien avec chacune des questions posées par leurs soins.

Elles concluent à l'annulation de ces décisions, l'avocat précité devant être tenu de répondre à leurs interrogations, non couvertes par le secret professionnel.

b. Les recourantes ont versé les sûretés en CHF 1'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le Ministère public dirige une instruction pénale contre D______ des chefs d'escroquerie (art. 146 CP), banqueroute frauduleuse et fraude dans la saisie (art. 163 CP), diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP), gestion fautive (art. 165 CP) ainsi que violation des obligations de : tenir une comptabilité (art. 166 CP), payer l'impôt à la source (art. 27 LISP) et verser aux caisses idoines les cotisations sociales retenues sur le salaire d'employés (art. 87 et 88 LAVS).

Ces comportements s'inscrivent dans le cadre de la faillite de diverses sociétés dont le prévenu était administrateur, parmi lesquelles E______ SA, aujourd'hui radiée, et A______ SA, en liquidation.

b.a. C______ est avocat. Il a conseillé, ès qualité, plusieurs desdites sociétés avant qu'elles ne soient déclarées en faillite, entre autres E______ SA.

b.b. Il a, en sus, assuré la défense des intérêts de D______ dans la présente cause, entre mai 2016 et mars 2017.

c. Durant l'enquête, A______ SA et B______ ont requis du Procureur qu'il auditionne cet avocat au sujet : (1) d'opérations bancaires intervenues sur une relation dont il était personnellement titulaire, compte qui avait notamment pour ayant droit économique D______; (2) de prélèvements effectués, après le prononcé de la faillite de E______ SA, sur une relation de cette société – dissimulée à l'Office des faillites –, dont certains étaient destinés, in fine, à C______, au titre de règlement de ses honoraires. Elles ont ajouté, concernant ce second point, que les transferts concernés pourraient être constitutifs d'escroquerie, de banqueroute frauduleuse ou encore de recel (art. 160 CP).

d.a. En septembre 2022, C______ a été convoqué pour être entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

d.b. Par courrier du 12 octobre suivant, cet avocat expliquait au Procureur que son audition lui paraissait, sur le principe, être "difficil[e]", étant soumis au secret professionnel, dont il n'avait pas été relevé.

d.c. Ce magistrat lui a répondu qu'il pourrait, lors de l'audience, invoquer son droit de refuser de "témoigner", refus sur l'admissibilité duquel il serait statué sur le siège.

e. Le 17 novembre 2022, jour de ladite audience :

·         C______ a été informé qu'il était entendu comme personne appelée à donner des renseignements, "au sens de l'art. 178 let. d CPP", et qu'il était, en cette qualité, en droit de refuser de déposer;

·         il a également été rendu attentif à son droit de "refuser de témoigner au sens des art. 168 à 173 CPP";

·         D______ a refusé de délier le prénommé de son secret professionnel;

·         l'avocat n'a pas souhaité répondre aux diverses questions qui lui ont été posées, couvertes, selon lui, par ledit secret;

·         le Ministère public a fait inscrire au procès-verbal, sous forme de notes, ses décisions sur l'(in)admissibilité du refus de "témoigner" en lien avec chacune de ces questions.

C. À teneur de ces décisions, fondées sur l’art. 174 al. 1 CPP, l'avocat était légitimé à se prévaloir de son secret professionnel et, de ce fait, à refuser de répondre aux interrogations des parties plaignantes.

D. a. Dans leur recours, A______ SA et B______ soutiennent que leurs questions sont exorbitantes à l'activité typique d'avocat de C______. Aussi ce dernier ne pouvait-il se soustraire à son obligation de déposer.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut, principalement, à l'irrecevabilité du recours – faute d’intérêt juridiquement protégé à l’annulation de ses décisions, l’avocat prénommé étant légitimé à se taire, en sa qualité de personne entendue aux fins de renseignements – et, subsidiairement, à son rejet.

c. Les recourantes n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1. 1.1. L'acte a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), par les plaignantes, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Il convient de déterminer s'il porte sur des décisions sujettes à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et, dans l'affirmative, si les recourantes disposent de la qualité pour les quereller (art. 382 CPP).

1.2.1. La personne entendue à titre de renseignements – statut dont bénéficie celui qui, notamment, sans être lui-même prévenu, pourrait s'avérer être, soit l'auteur des faits à élucider ou d'une infraction connexe, soit un participant à ces actes (art. 178 let. d CPP) – jouit d'un droit général de refuser de déposer, ancré à l'art. 180 al. 1 CPP.

Cette prérogative, invocable en tout temps et sans autre motivation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_531/2018 du 13 mars 2019 consid. 2.1), va au-delà du droit de refuser de témoigner du témoin, de sorte qu'elle ne peut lui être assimilée (ATF 144 IV 28 consid. 1.3.1 arrêt du Tribunal fédéral 6B_269/2018 du 24 octobre 2018 consid. 1.3).

1.2.2. Le témoin a l'obligation de déposer (art. 163 al. 2 CPP), à moins que la loi ne l'en dispense (art. 168 et ss CPP), hypothèse réalisée, en particulier, quand un avocat est interrogé sur les secrets à lui confiés dans l'exercice de sa profession (art. 171 al. 1 CPP).

Selon l'art. 174 CPP, lorsqu'un témoin invoque une telle dispense, l'autorité chargée de l’auditionner est tenue de statuer sur son admissibilité (al. 1). Dit témoin peut demander à l'autorité de recours de se prononcer immédiatement après la notification de cette décision (al. 2).

D’après le message du Conseil fédéral relatif à l’élaboration de cette norme, seul le témoin a la possibilité de demander le réexamen prévu à l’alinéa 2; le ministère public et les autres parties n’y sont pas habilitées. Sont uniquement attaquables les décisions qui dénient le droit de refuser de déposer, puisqu'en cas d'admission d’un tel droit par l’autorité, le témoin n'est pas lésé. Bien que ce réexamen ne constitue "pas un véritable recours", les [art. 393 et ss CPP] s’appliquent par analogie (Message du 21 décembre 2005 afférent à l'unification de du droit de la procédure pénale in FF 2006 p. 1186).

En application de ces principes, la juridiction supérieure du canton de Bâle-Ville a, le 17 juin 2014, déclaré irrecevable un "recours" interjeté par un prévenu contre la décision du Ministère public refusant de dispenser un témoin (susceptible de l'incriminer) de déposer, ajoutant qu’un prévenu ne saurait, par le biais de l'art. 174 al. 2 CPP, empêcher quiconque de témoigner contre lui (BES.2014.26 consid. 1).

Plusieurs auteurs s'interrogent sur le bien-fondé de la limitation de l'accès audit réexamen au seul témoin. Si d'aucuns estiment qu’une telle limitation ne causerait pas de préjudice irréparable aux parties à la procédure – celles-ci pouvant réitérer la demande d’entendre la personne concernée devant l'instance de jugement (art. 331 al. 2 et 3 CPP), laquelle se saisira à nouveau de la problématique du droit de refuser de témoigner (N. SCHMID/ D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3ème éd. Zurich 2018, p. 373 note n. 298; M. NIGGLI/ M. HEER/ H.  WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung/ Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 8 ad art. 174) – d'autres soutiennent, en revanche, qu'il conviendrait – singulièrement lorsqu'il est question de la protection d'un secret qui n'affecte pas uniquement les droits du témoin mais aussi de certaines parties ayant un intérêt audit secret – de s'écarter de la lettre de l'art. 174 al. 2 CPP et d'admettre la qualité pour recourir de celles-ci (Y. JEANNERET/ A. KUHN, Précis de procédure pénale, 2ème éd., Berne 2018, p. 308).

1.3. En l’espèce, le Procureur a convoqué et entendu C______ comme personne appelée à donner des renseignements, tout en traitant le refus de déposer invoqué par ce dernier à l’aune des dispositions applicables aux témoins.

Le point de savoir selon lequel de ces statuts l’avocat précité a été/devait être auditionné souffre de demeurer indécis. En effet, quelle que soit l’alternative retenue, les recourantes ne sont pas habilitées à contester (immédiatement) le caractère (in)fondé de la dispense de déposer attaquée.

1.3.1. Ainsi, à supposer que C______ ait revêtu la qualité de personne auditionnée à titre de renseignements, son refus de déposer se fonderait alors sur la loi (art. 180 al. 1 CPP).

Comme le droit de se taire ancré à la norme précitée est inconditionnel, un tel refus ne peut jamais faire l’objet d’une décision d’(in)admissibilité du Ministère public, ni, a fortiori, être contesté devant la Chambre de céans.

1.3.2. Dans l’hypothèse où le prénommé aurait disposé du statut de témoin, les ordonnances litigieuses ne seraient pas davantage sujettes à "recours", à défaut, pour celles-ci, de nier le droit du refus de témoigner, seul prononcé attaquable au sens de l’art. 174 al. 2 CPP.

De plus, rien ne justifierait – à tout le moins in casu – de s’écarter de la lettre de la loi – qui limite au seul témoin la qualité pour recourir –, ni de la volonté clairement exprimée par le législateur à ce sujet. En effet, les recourantes, parties plaignantes, n’ont aucun lien avec le secret litigieux (n’en étant pas les maîtres), de sorte qu’elles ne sauraient être directement touchées (art. 382 CPP) par une décision se rapportant à sa divulgation/son maintien.

Une contestation (immédiate) desdites ordonnances serait donc inenvisageable.

1.4. Il s’ensuit que le recours est irrecevable.

2. Les recourantes succombent (art. 428 al. 1, 2ème phrase, CPP).

Elles supporteront, en conséquence, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1’000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), montant qui sera prélevé sur les sûretés versées.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare le recours irrecevable.

Condamne solidairement la Masse en faillite de A______ SA et B______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourantes, soit pour elles à leur conseil, ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de droit :

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21653/2015

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00