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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22795/2021

ACPR/184/2023 du 14.03.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ;REFUS DE STATUER
Normes : CPP.5; Cst.29.al1

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22795/2021 ACPR/184/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 14 mars 2023

 

Entre

 

A______, sans domicile connu, comparant par Me Roxane SHEYBANI, avocate, OratioFortis Avocates, rue Etienne-Dumont 22, 1204 Genève,

recourant,

 

en déni de justice et retard injustifié,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 30 novembre 2022, A______ recourt pour déni de justice, qu'il reproche au Ministère public.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à la constatation d'un déni de justice et à l'injonction au Ministère public d'instruire et statuer sur sa plainte. Il conclut aussi à ce qu'il soit "ordonné" au Ministère public de lui accorder l'assistance juridique dans le cadre de la présente procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par pli du 23 novembre 2021, A______ a déposé plainte contre les policiers ayant procédé à son interpellation le 27 août précédent, des chefs de lésions corporelles graves (art. 122 CP), abus d'autorité (art. 312 CP) et omission de prêter secours (art. 128 CP).

En substance, il exposait avoir reçu, à cette occasion, "au moins" quatorze coups de pied au visage et au thorax, alors que les policiers le maintenaient au sol, ce qui avait entraîné plusieurs pertes de connaissance. Puis, il avait été "traîné", inconscient, jusqu'à leur véhicule. Une fois au poste de police de B______, il avait été examiné par un médecin à 7h15, lequel avait considéré qu'une radiographie thoracique et du crâne était nécessaire, afin de déterminer l'existence d'une éventuelle fracture, laquelle pourrait être associée à un saignement. Or, il n'avait été acheminé aux urgences que dix heures plus tard. Puis, alors qu'il s'y trouvait encore, la police avait procédé à son audition. Cependant, les séquelles laissées par les violences subies l'avaient empêché de répondre aux questions. Le lendemain, sa vision était encore floue et il ressentait toujours des douleurs, en particulier à la tête.

Il souffrait toujours d'une diminution de la vue de l'œil droit de 20%, de douleurs intercostales, ainsi que d'importantes pertes de mémoire et demeurait choqué par les violences subies. Il sollicitait l'établissement d'une expertise médicale afin de déterminer les séquelles physiques et psychologiques consécutives à l'interpellation et "que soit confirmée l'association possible entre une fracture crânienne et un saignement crânien, ainsi que la gravité des conséquences d'un saignement crânien".

Il demandait enfin l'octroi de l'assistance juridique.

b. À l'appui, il a produit les rapports d'interpellation et d'arrestation du 27 août 2021, le procès-verbal de son audition par la police le 27 août 2021 et par le Ministère public le 28 suivant, ainsi que les documents médicaux et les photographies prises dans le cadre des examens effectués.

L'examen médical établi le 27 août 2021 par les HUG avait mis en évidence un œdème du visage au niveau zygomatique avec dermabrasion à l'arcade sourcilière, au front et au nez, une tuméfaction des lèvres supérieure et inférieure, une dermabrasion au dos des mains ainsi qu'une douleur à la palpation du plancher orbital, du nez et de la cervicale C3. Un CT scan (cérébral, massif facial et cervical) avait toutefois permis d'exclure tout saignement intracrânien. Il ne présentait pas de fracture des os du crâne et aucune lésion traumatique à l'étage cervical n'avait été mise en évidence, mais une infiltration hématique des tissus mous de la joue gauche avec hyperdensités ponctiformes sous cutané.

c. Le 6 décembre 2021, le Ministère public a transmis la plainte à l'Inspection générale des services (ci-après: IGS) pour complément d'enquête (art. 309 al. 2 CPP).

d. Le 20 janvier 2022, l'IGS a entendu A______.

e. Par pli du 3 mars 2022 adressé au Ministère public, A______ a sollicité l'audition de C______.

Cette requête a été transmise le lendemain par le Ministère public à l'IGS.

f. Par pli du 20 mai 2022, A______ a sollicité du Ministère public d'être informé de l'avancement de la procédure.

g. Par lettres des 10 et 23 août ainsi que 7 octobre 2022, A______ a relancé le Ministère public.

h. Dans sa réponse du 15 novembre 2022, le Ministère public a informé A______ que le dossier était entre les mains de l'IGS pour complément d'enquête (art. 309 al. 2 CPP) et qu'il statuerait sur la suite de la procédure une fois qu'il disposerait à nouveau du dossier.

i. Par pli du 28 novembre 2022 adressé à A______, le Ministère public a exposé que la procédure était toujours en cours d'enquête à l'IGS et qu'il ne manquerait pas de l'informer de la suite qu'il entendait donner à la procédure aussitôt que le dossier lui aura été retourné.

C. a. Dans son recours, A______ relève que, depuis le dépôt de sa plainte, hormis son audition par l'IGS, il n'avait pas eu connaissance d'acte d'instruction effectués.

En outre, le Ministère public n'avait jamais répondu à la réquisition de preuve tendant à l'établissement d'une expertise médicale. Ce silence lui portait irrémédiablement préjudice dès lors qu'il entrainait la disposition de son moyen de preuve principal, les séquelles étant susceptibles de ne plus pouvoir être constatées en raison de l'écoulement du temps. Ainsi, la durée de plus d'une année depuis la réquisition de cette preuve devait être tenue pour déraisonnable, ce d'autant que sa plainte portait sur des faits objectivement graves et qu'il avait tenté d'obtenir l'instruction de sa plainte.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

À réception de la plainte, la présente procédure avait été ouverte et le dossier transmis à l'IGS. Alors qu'il savait le dossier en mains dudit service pour y avoir été entendu, A______ n'avait cessé d'interpeller le Ministère public, qui lui avait finalement répondu qu'il serait statué sur l'intégralité de ses requêtes une fois que le dossier lui serait revenu. Le 2 décembre 2022, l'IGS lui avait retourné le dossier, lequel avait aussitôt été transmis à la Chambre de céans compte tenu du dépôt du recours. Le Ministère public n'avait donc pas eu le temps de prendre connaissance du rapport de police.

Ainsi, bien qu'il regrettât que l'effectif de l'IGS ne fût pas plus important, l'année écoulée ne suffisait pas pour se plaindre d'un déni de justice. En outre, il ne pouvait pas statuer sur la nécessité de l'expertise médicale ou l'octroi de l'assistance juridique avant de disposer du dossier en retour de complément d'enquête, ce d'autant que la plainte visait des policiers, de sorte que ledit octroi, fondé sur l'art. 29 Cst, supposait l'examen des chances de succès, ce qui ne pouvait se faire sur la seule base de la plainte.

c. A______ réplique. L'effectif de l'IGS ne permettait pas de justifier la lenteur excessive de la procédure et rien n'expliquait que le Ministère public eût été empêché de statuer sur sa réquisition de preuve, ce d'autant que l'exécution de cette mesure d'instruction était urgente.

EN DROIT :

1.             Le recours pour déni de justice ou retard injustifié n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). Par ailleurs, le présent recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane du plaignant, qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 104 al.1 let. b et 382 CPP).

Partant, il est recevable.

2.             2.1. À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Cette disposition concrétise le principe de célérité, et prohibe le retard injustifié à statuer, posé par l'art. 29 al. 1 Cst., qui garantit notamment à toute personne, dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Un déni de justice ou un retard injustifié est établi lorsqu'une autorité s'abstient tacitement ou refuse expressément de rendre une décision dans un délai convenable (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4132). Une autorité commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. lorsqu'elle n'entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délais prescrits, alors qu'elle devrait s'en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157; 135 I 6 consid. 2.1 p. 9; 134 I 229 consid. 2.3 p. 232).

Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le caractère raisonnable du délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes (ATF 144 II 486 consid. 3.2 p. 489).

Dans l'appréciation du caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée, il faut tenir compte, entre autres éléments, du comportement du justiciable; il incombe à celui-ci d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, que ce soit en l'invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié (ATF 130 I 312 consid. 5.2; arrêts du Tribunal fédéral 2C_341/2020 du 19 janvier 2021 consid. 5.2; 2C_227/2020 du 21 août 2020 consid. 9.2 in Pra 2021 n° 2; 1B_122/2020 du 20 mars 2020 consid. 3.1; 5D_205/2018 du 24 avril 2019 consid. 4.3.1). Il s'agit de conditions alternatives; autrement dit, le justiciable n'est pas tenu de s'adresser d'abord au juge qui diffère indument sa décision, le recours pour déni de justice étant précisément l'un des moyens d'accélérer la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_917/2020 du 12 février 2021 consid. 2.2.2.). Un retard ou un refus inexprimé de statuer ne saurait être légitime sous le prétexte que la voie du recours ne serait pas ouverte en cas de refus formel des actes demandés par le justiciable. C'est bien le silence prolongé et injustifié qui est prohibé. Du reste, la simple courtoisie, déjà, voudrait qu'une réponse fût apportée, épargnant ainsi d'inutiles relances (ACPR/476/2013 du 17 octobre 2013 consid. 4.3.2.), voire le dépôt d'un recours pour déni de justice.

2.2. Selon la jurisprudence, apparaissent comme des carences choquantes une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction, un délai de quatre ans pour qu'il soit statué sur un recours contre l'acte d'accusation ou encore un délai de dix ou onze mois pour que le dossier soit transmis à l'autorité de recours (ATF 124 I 139 consid. 2c; 119 IV 107 consid. 1c).

2.3. En l'espèce, à réception de la plainte du 23 novembre 2021, le Ministère public a ouvert une instruction pénale et, le 6 décembre suivant, transmis le dossier à l'IGS pour complément d'enquête (art. 309 al. 2 CPP). Le pli du 3 mars 2022 a également été transmis par le Ministère public audit service dès sa réception. Le Ministère public a reçu le rapport de l'IGS le 2 décembre 2022.

Ce qui précède démontre que le Ministère public n'est pas resté inactif dans la conduite de l'instruction, les actes d'enquête destinés à établir les faits pertinents constituant aussi une activité de l'autorité pénale qui doit être prise en compte. En tout état, le temps pris par l'IGS pour procéder aux investigations nécessaires, soit près de douze mois, est encore admissible au sens de la jurisprudence précitée.

Par ailleurs, le Procureur général a précisé qu'il statuerait sur la suite de la procédure une fois en possession du dossier, lequel lui a été retourné le 2 décembre 2022 et est, depuis lors, en mains de la Chambre de céans. Cela vaut pour les demandes d'expertise et d'octroi d'assistance juridique. En l'état, rien ne laisse donc supposer que la procédure préliminaire ne sera pas menée à terme dans un délai raisonnable.

3.             Infondé, le recours est rejeté.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

 

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22795/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

600.00