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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8919/2021

ACPR/136/2023 du 23.02.2023 sur OCL/1675/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 30.03.2023, rendu le 06.02.2024, REJETE, 6B_431/2023, 7B_80/2023
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;GESTION DÉLOYALE;EXTENSION DE LA PROCÉDURE;FOR DE LA POURSUITE
Normes : CP.3.al1; CPP.311.al2; CPP.310.al1.letb; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8919/2021 ACPR/136/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 23 février 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me J. Potter Van LOON, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 19 décembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 30 décembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 décembre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte du 26 avril 2021 contre B______ et refusé l'extension de la procédure pénale au mari de celle-ci, C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance entreprise, à l'ouverture d'une instruction pénale contre C______ et à ce que le Ministère public procède aux réquisitions de preuve sollicitées.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 26 avril 2021, A______ a déposé plainte contre sa sœur B______ pour gestion déloyale (art. 158 CP).

En substance, sa sœur avait procédé à des retraits importants sur des comptes bancaires appartenant à leur mère, D______, quelques mois avant le décès de cette dernière, survenu le ______ 2020 à E______ (GE). Leur défunte mère avait également cédé une villa, située à F______ (Italie), à B______ et à son mari, C______. Or, sa mère était aveugle et illettrée et le couple B______/C______ refusait de montrer l'acte de donation. Enfin, sa sœur avait résilié le contrat de bail de sa mère pour fin avril 2020, alors que celle-ci avait été placée en EMS depuis le 6 février 2020. Elle soupçonnait sa sœur, qui avait répudié la succession, d'avoir utilisé ce laps de temps pour s'approprier des biens appartenant à sa mère, la valeur d'assurance des objets dans l'appartement étant de CHF 70'000.-.

b. Le 28 avril 2021, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière sur les faits précités, qu'il a retirée après que A______ a formé le 10 mai 2021 un recours contre ladite ordonnance devant la Chambre de céans.

Dans son recours, l'intéressée alléguait avoir pris connaissance de l'acte notarié de cession, par sa défunte mère, de la maison à F______ en date du 23 avril 2021.

c.B______ est décédée le ______ 2022.

d. Par avis de prochaine clôture du 20 mai 2022, le Ministère public a informé la plaignante qu'une ordonnance de classement serait prochainement rendue et lui a fixé un délai au 30 mai 2022 pour faire valoir leurs éventuelles réquisitions de preuve.

e. Par courrier du 1er juin 2022, adressé le 3 suivant par son conseil, A______ a sollicité l'extension de l'instruction pénale à C______, domicilié dans le canton de Genève.

L'intéressé était également partie à l'acte notarié de cession du bien immobilier (intitulé "cession avec devoir d'assistance"), daté du 31 juillet 2018, par lequel D______ avait cédé sa maison à F______ en contrepartie d'une assistance morale et matérielle, évaluée à EUR 60'000.-, des cessionnaires à la cédante jusqu'à la fin de sa vie. Il était ainsi devenu propriétaire commun, avec B______, de la villa, pour un prix largement inférieur à la valeur du marché ; le couple avait, par la suite, revendu la maison au prix de EUR 160'000.-. Au surplus, contrairement à leur engagement, B______ et C______ n'avaient pas pris en charge de frais pour D______, qui avait payé elle-même les coûts de l'EMS et des traitements médicaux.

À l'appui de sa requête, elle a notamment produit l'acte de cession et l'acte de vente, par les précités, de ladite villa le 15 octobre 2021, qui sont deux actes notariés instrumentés par des notaires italiens.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'il existe un empêchement de procéder à l'encontre de B______, en raison de son décès, et un empêchement de procéder à l'encontre de C______, dès lors que les faits qui pouvaient éventuellement lui être reprochés, relatifs à la cession du bien immobilier à F______, s'étaient produits en Italie, les autorités suisses n'étant pas compétentes.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que le mis en cause a retiré un profit de la vente de la maison à F______, mais également, en tant que conjoint et héritier, des autres actes reprochés à B______, tels les prélèvements sur les comptes de D______ et l'appropriation alléguée de biens appartenant à cette dernière situés dans son appartement genevois. Or, le mis en cause était domicilié en Suisse. Au surplus, il n'avait pas respecté son obligation d'entretien à l'égard de D______, malgré sa qualité de donataire de l'immeuble en F______. Par conséquent, il était "inexact" de considérer que les autorités suisses n'étaient pas compétentes.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1, 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 121 al. 1 et 382 al. 1 CPP; ATF 146 IV 76 consid. 2.2.2).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante se plaint d'une violation de l'art. 319 CPP.

3.1.       Conformément à l'art. 311 al. 2 CPP, le ministère public peut étendre l'instruction à d'autres prévenus et à d'autres infractions, l'art. 309 al. 3 CPP étant alors applicable. La partie plaignante est fondée à formuler une requête tendant à une telle extension de l'instruction (cf. art. 109 al. 1 CPP). Si cette requête peut être assimilée à une plainte (art. 303 CPP et 304 CPP), il appartient alors au ministère public de rendre une décision formelle en procédant, mutatis mutandis, conformément aux art. 309 CPP et 310 CPP (GRODECKI/CORNU, in JEANNERET/KUHN/PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2e éd. 2019, n° 17 ad art. 311 CPP; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale, 2e éd. 2019, n° 15 ad art. 311 CPP). S'il refuse la requête d'extension, sa décision s'apparente à une non-entrée en matière au sens de l'art. 310 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1276/2019 du 27 février 2020 consid. 3.1 et références citées).

3.2.       Si l'une des conditions d'exercice de l'action publique fait défaut – ce qui doit être examiné d'office et à tous les stades de la procédure –, la poursuite pénale ne peut être engagée, ou, si elle a été déclenchée, elle doit s'arrêter. L'autorité doit clore le procès par une décision procédurale, notamment une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement (art. 310 al. 1 let. b et 319 al. 1 let. d CPP; G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e éd., 2011, p. 537, n. 1553 et 1555).

L'absence de for en Suisse est un empêchement de procéder (arrêt du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 consid. 2). Le dépôt valable d'une plainte, s'agissant d'une infraction poursuivie uniquement sur plainte, constitue une condition à l'ouverture de l'action pénale, de sorte que son défaut doit conduire au prononcé d'un classement ou d'une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. a CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.532/2001 du 15 novembre 2001 consid. 2b ; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 1a ad art. 310).

3.3.1. Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. Cette disposition reprend le principe de base applicable en droit pénal international qui est celui de la territorialité, en vertu duquel les auteurs d'infractions sont soumis à la juridiction du pays où elles ont été commises (ATF 121 IV 145 consid. 2b/bb p. 148 et l'arrêt cité; arrêt du Tribunal fédéral 6B_21/2009 du 19 mai 2009 consid. 1.1.).

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

Le lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir est le lieu où il a réalisé l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Il suffit qu'il réalise une partie – voire un seul – des actes constitutifs sur le territoire suisse ; le lieu où il décide de commettre l'infraction ou le lieu où il réalise les actes préparatoires (non punissables) ne sont toutefois pas pertinents (ATF 144 IV 265 consid 2.7.2 p. 275).

La notion de résultat a évolué au fil de la jurisprudence. À l'origine, le Tribunal fédéral a défini le résultat comme "le dommage à cause duquel le législateur a rendu un acte punissable" (ATF 97 IV 205 consid. 2 p. 209). Il a ensuite admis que seul le résultat au sens technique, qui caractérise les délits matériels (Erfolgsdelikte), était propre à déterminer le lieu de commission d'une infraction (ATF 105 IV 326 consid. 3c à g p. 327 ss).

3.3.2. Se rend coupable de gestion déloyale celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (art. 158 CP). Cette infraction suppose quatre conditions: il faut que l'auteur ait eu une position de gérant, qu'il ait violé une obligation lui incombant en cette qualité, qu'il en soit résulté un préjudice et qu'il ait agi intentionnellement (ATF 120 IV 190 consid. 2b p. 192). La gestion déloyale est une infraction de résultat, celui-ci se concrétisant par la survenance du dommage. Dans sa forme qualifiée, la gestion déloyale implique que l'auteur a agi dans un dessein d'enrichissement illégitime. La notion de résultat ne se limite pas à la notion technique (propre aux délits matériels) et il n'est pas exigé qu'il réalise un élément constitutif de l'infraction. Comme pour les autres infractions prévoyant un dessein d'enrichissement illégitime, il convient de considérer, pour la gestion déloyale qualifiée, que le lieu où devait se produire le résultat recherché par l'auteur, soit l'enrichissement (et où il s'est peut-être, suivant le cas, produit) est un lieu du résultat au sens de l'art. 8 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2014 du 22 décembre 2017 consid. 6.4.1; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], Commentaire romand, Code pénal II : Art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 128-131 ad art. 158 CP).

3.4. En l'espèce, dans sa demande d'extension de la procédure, la recourante se limite à reprocher au mis en cause d'avoir bénéficié de la cession, par sa belle-mère, d'un bien immobilier à F______ [Italie] et d'avoir touché un profit de la vente subséquente dudit bien à des tiers.

Or, l'acte de cession du bien immobilier à F______ a été instrumenté en Italie par un notaire de ce pays, de sorte que tant l'acte reproché que son résultat, à savoir la diminution alléguée du patrimoine de l'éventuelle lésée, se sont produits en Italie. Il en va de même de l'acte de vente du bien le 15 octobre 2021. Il n'existe ainsi pas de rattachement suffisant avec la Suisse pour fonder la compétence des autorités genevoises.

Par ailleurs, même à supposer un rattachement de la cause avec la Suisse en raison d'un hypothétique enrichissement du mis en cause lié à l'absence de prise en charge des frais d'EMS et d'hôpitaux de la mère de la recourante, force est de constater qu'il s'agirait d'un litige de nature purement civile, qui a trait à l'interprétation de clauses contractuelles, en l'occurrence de l'acte de cession du 31 juillet 2018. Par ailleurs, à teneur du dossier, on ne voit pas à quel titre le mis en cause revêtirait la qualité de gérant au sens de l'art. 158 CP, soit l'infraction faisant l'objet de la plainte initiale du 26 avril 2021.

Partant, le raisonnement du Ministère public est fondé.

Par conséquent, il existe un empêchement de procéder relatif aux faits entourant l'acte de cession du 31 juillet 2018 litigieux puis l'acte de vente du 15 octobre 2021.

4.             En ce qui concerne le grief lié au produit des éventuelles infractions commises par sa défunte épouse, dont le mis en cause aurait bénéficié en sa qualité d'héritier de la première, la recourante l'invoque pour la première fois au stade du recours. Partant, cette éventuelle infraction – par hypothèse le recel – n'étant mentionnée ni dans la demande d'extension de la procédure du 1er juin 2022, ni dans l'ordonnance litigieuse, il n'appartient pas à la Chambre de céans d'examiner le bien-fondé de l'extension sollicitée.

Par surabondance de motifs, force est de constater que la demande d'extension de la procédure pénale, adressée le 3 juin 2022, est postérieure de plus de trois mois à la prise de connaissance par la recourante, le 23 avril 2021, de l'acte de cession de la maison à F______ au mis en cause et à son épouse. Elle est également postérieure de plus de trois mois à sa prise de connaissance des autres actes qu'elle reproche à sa sœur. Compte tenu de ce que les éventuelles infractions préalables, soit celles reprochées à l'épouse du mis en cause, ne sont poursuivies que sur plainte car commises au préjudice d'une proche (cf. art. 138 ch. 1 in fine CP; art. 139 ch. 4 CP; art. 146 ch. 3 CP; art. 158 ch. 3 CP), la demande d'extension de la procédure, qui s'assimile à une plainte pénale contre le mis en cause, est tardive car postérieure au délai de trois mois prévu à l'art. 31 CP, l'infraction de recel étant, dans ce cas, poursuivie uniquement sur plainte (cf. A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], op. cit., n. 86 ad art. 160 CP). Partant, il existerait de toute façon, pour ces faits – dénoncés au stade du recours – un empêchement de procéder au sens de l'art. 319 al. 1 let. d CPP.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Au vu de cette issue, les conclusions prises par la recourante liées à l'instruction de la cause sont sans objet.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8919/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00