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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17608/2019

ACPR/121/2023 du 14.02.2023 sur OCL/1381/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 20.03.2023, 6B_400/2023
Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;TRAITE D'ÊTRES HUMAINS;ESCROQUERIE;ASSISTANCE JUDICIAIRE
Normes : LAVS.87; LEI.116; LEI.117; CP.182; CP.146; CPP.319; CPP.115; CPP.382; CPP.136

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17608/2019 ACPR/121/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 14 février 2023

 

Entre

A______, comparant par Me K______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 26 octobre 2022 par le Ministère public,

 

et

B______, comparant par Me Stéphane REY, avocat, rue Michel-Chauvet 3, case postale 477, 1211 Genève 12,

C______, comparant par Me Pierre SIEGRIST, avocat, Grand-rue 17, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
case postale 3565, 1211 Genève 3

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 7 novembre 2022, A______ recourt contre l’ordonnance rendue le 26 octobre précédent, notifiée le 28 du même mois, aux termes de laquelle le Ministère public, après avoir rejeté ses réquisitions de preuve, a classé ses plaintes pénales déposées en août et septembre 2019 contre B______ et C______ des chefs d’escroquerie (art. 146 CP), injures (art. 177 CP), utilisation abusive d’un moyen de télécommunication (art. 179septies CP), menaces (art. 180 CP), traite d’êtres humains (art. 182 CP), "modification [à son insu] de ses données personnelles" ainsi qu'infractions à diverses lois fédérales (art. 116 et 117 LEI; art. 87 LAVS; art. 12 de la Loi sur les travailleurs détachés [LDét; RS 823.20]).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de cette décision, le Procureur devant être invité à poursuivre l’instruction, puis à renvoyer les prévenus en jugement.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. En été 2018, B______, résidente suisse, a séjourné au Brésil, son pays d’origine, avec sa fille D______, née le ______ 2017 de son union libre avec C______, citoyen helvétique.

Sur place, elle a confié la garde de la mineure, à raison d’un ou deux jours par semaine, à A______, ressortissante brésilienne.

Aux dires des intéressées, leurs relations professionnelles et personnelles se sont très bien déroulées.

a.b. Le 2 octobre 2018, A______ est arrivée à Genève, en avion.

Elle disposait d’un document intitulé "garantie de prise en charge", rédigé par C______ le 29 septembre 2018, dans lequel ce dernier affirmait qu’il assumerait ses dépenses sur place, ajoutant qu’elle venait en Suisse pour fêter l’anniversaire de sa fille, qui aurait lieu le ______, et repartirait le 1er novembre "2019".

a.c. A______ a vécu au domicile de C______ et B______ jusqu’en avril 2019. Elle a ensuite résidé chez des tiers.

b.a. En août et septembre 2019, A______ a déposé plainte pénale contre C______ et B______.

En substance, elle y exposait avoir convenu avec les prénommés, en été 2018, qu'elle viendrait en Suisse pour garder leur fille, du lundi au vendredi, de 8h00 à 18h00; en contrepartie, elle serait nourrie et logée dans leur ménage et recevrait un salaire mensuel net de CHF 800.-; l’engagement devait durer un an. À cette suite, ses employeurs lui avaient envoyé des billets d'avion.

Sur place, elle s'était occupée de l'entretien de l'appartement et du repassage, avait gardé D______ et, parfois, surveillé deux autres enfants confiés par leurs parents à B______. Elle avait travaillé nonante heures par semaine, sans congé ("sept jours sur sept"), pour la "misérable" rémunération précitée. Elle avait été logée chez les mis en cause, mais avait dû payer ses frais de bouche (art. 182 CP).

Ses employeurs avaient retenu CHF 200.- par mois sur ses gains, au titre de remboursement des billets d’avion qu'ils lui avaient achetés. Ils avaient faussement prétendu les avoir payés CHF 800.-, alors que leur coût ascendait, en réalité, à CHF 590.-, ce qu'elle avait découvert par la suite (art. 146 CP).

Ils avaient celé aux autorités compétentes son arrivée et son emploi en Suisse (art. 116 et 117 LEI), respectivement avaient éludé leurs obligations de payer ses cotisations sociales (art. 87 LAVS).

Début avril 2019, elle avait été licenciée avec effet immédiat et avait dû quitter leur domicile. Depuis lors, elle "survi[vait] grâce à la générosité de tiers".

Entre le 3 de ce même mois et fin mai 2019, C______ l’avait régulièrement importunée par téléphone (art. 179septies CP), injuriée (art. 177 CP) et menacée d'une dénonciation aux autorités compétentes pour séjour illégal (art. 180 CP).

Elle suspectait B______ d’avoir créé, en mai 2019, un faux profil sur les réseaux sociaux pour lui nuire, respectivement C______ d’avoir, en sa qualité d’employé administratif des E______, modifié des données personnelles la concernant dans le système informatique de cet établissement; en effet, les E______ lui avaient envoyé, en août 2019, une lettre contenant des informations médicales à une adresse ("Mme A______, no. ______ route 1______, c/o F______, CH-[code postal] H______ [GE]") autre que celle qu'elle leur avait fournie (i.e. celle des mis en cause), "rend[ant] [ainsi] accessible[s]" ces informations à un tiers non autorisé. Elle joignait une copie de ladite lettre à sa plainte.

b.b. Entendue par la police et le Ministère public, A______ – qui bénéficie de l’assistance juridique depuis l’automne 2020 – a déclaré avoir disposé d’une chambre individuelle et confortable dans le logement des mis en cause. Elle devait constamment être disponible, y compris en plein milieu de la nuit, pour s’occuper de "la petite", alors âgée d’un an. Elle se rendait souvent au parc pour la promener. B______ cuisinait et faisait les "grandes courses"; elle-même pouvait manger ce qu’elle voulait, sur place. Après avoir payé ses propres dépenses, elle disposait d’une somme de l’ordre de CHF 500.- par mois, qu’elle envoyait à sa propre fille, au Brésil. B______ et C______ lui avaient offert un smartphone pour son anniversaire; après son départ, ils lui avaient demandé de leur rendre cet appareil, ce à quoi elle leur avait répondu qu’elle ne le ferait qu’en présence de la police. "[I]l n’y avait pas de règles imposées [lors de la] cohabitation". Entre octobre et décembre 2018, elle était sortie à deux reprises avec une amie, ce dont elle avait informé B______ et C______, qui souhaitaient être avertis, s’estimant "responsables d’elle". À compter de janvier 2019, elle était sortie tous les quinze jours; elle avait rencontré deux hommes à ces occasions. Entre le 23 décembre 2018 et le 5 ou 6 janvier 2019, elle avait logé chez une amie. Elle avait conservé son passeport durant tout son séjour chez les prénommés.

Le 2 avril 2019, B______ l’avait insultée et sommée de partir "sur- le-champ". Depuis lors, elle-même "travaill[ait] à droite [et] à gauche, chez des amis qui [l’]aid[ai]ent". Elle ne bénéficiait pas de l’aide sociale et n’avait pas d’autre charge que celle liée à un traitement médical. Elle ne disposait pas de moyens suffisants pour rentrer au Brésil.

F______ était "le petit-ami (sic) d'une amie"; cette dernière lui avait "prêté [l’]adresse [située au no. ______ de la route 1______]" pour qu’elle puisse correspondre avec le syndicat G______, qu'elle avait approché peu après son licenciement. Elle n’avait jamais communiqué cette adresse aux E______.

c. Entendus par la police, puis par le Ministère public, en qualité de prévenus, B______ et C______ ont nié toute infraction. A______ était venue en Suisse pour participer à l’organisation et à la fête du premier anniversaire de leur fille. Il était prévu qu’elle y reste un mois, du 2 octobre au 1er novembre 2018, la mention de l’année 2019 sur la "garantie de prise en charge" procédant d’une erreur. Il n’avait jamais été question qu’elle travaille pour eux et elle ne l’avait pas fait. Ils n’en auraient, du reste, pas eu besoin, B______ n’exerçant aucune activité lucrative. Ils avaient nourri et logé A______. Il était arrivé à cette dernière de garder leur fille en de rares occasions. La plaignante se rendait parfois chez une amie qui vivait à I______ [VD] et toutes deux sortaient. Elle avait souhaité prolonger son séjour en Suisse. Ils avaient accepté qu’elle reste chez eux jusqu’à fin 2018, le temps qu’elle trouve un logement. À cette dernière époque, elle avait emménagé dans l’appartement de l’amie sus-évoquée; en raison de différends elle avait toutefois rapidement réintégré leur domicile. Elle avait fait des rencontres amoureuses et travaillé pour différents employeurs (notamment "un monsieur qui s’appelait J______" et un autre d’origine érythréenne). Leur relation avec A______, excellente à l’origine, s’était progressivement dégradée. En avril 2019, une dispute avait éclaté et ils lui avaient demandé de partir, ce qu’elle avait fait.

B______ a ajouté que A______ n’avait jamais eu à rembourser les billets d’avion achetés par C______; elle-même l’avait avertie, avant le 1er novembre 2018, que le vol de retour, inclus dans lesdits billets, n’était pas échangeable; la prénommée en avait pris note et lui avait affirmé qu’elle rentrerait au Brésil par ses propres moyens. Il était arrivé que la plaignante surveille des enfants confiés à ses propres soins, le temps qu’elle-même aille faire des courses. A______ avait suivi des cours de français en 2019, à raison de quatre heures par semaine, ce qu'attestait le certificat de l'école correspondante, qu'elle-même versait au dossier. Personnellement, elle n’avait jamais créé de faux profil sur les réseaux sociaux.

C______ a précisé que, durant la cohabitation, A______ avait participé aux tâches ménagères. Elle avait très vite "fait des connaissances dans la diaspora brésilienne". Début 2019, elle avait eu un ami intime avec lequel elle passait beaucoup de temps. Il ne l’avait jamais injuriée, menacée ou importunée par téléphone. Il travaillait depuis vingt-cinq ans aux E______ en qualité de chargé d’accueil, activité qui impliquait, entre autres, qu’il contrôle les adresses des patients. Il ne pouvait, sans violer son secret de fonction, dont il n’était pas délié, répondre à la question de savoir s’il avait volontairement modifié les coordonnées de A______, cette dernière étant une patiente. Cela étant, il effectuait un travail de qualité et sa conscience était "100% tranquille".

d. Informée par le Ministère public de son intention de classer la procédure, A______ s’y est opposée. Plusieurs personnes devaient être entendues – entre autres, celles qui l’auraient employée aux dires des prévenus, respectivement celles ayant confié la garde de leurs enfants à B______, dont elle-même avait assuré la surveillance – et les E______, invités à désigner l’employé qui avait modifié ses coordonnées dans leur système informatique.

C. Dans la partie en fait de sa décision querellée, le Ministère public s’est référé à un jugement rendu le 9 juin 2021 par le Tribunal des prud’hommes, qui déboute A______ de ses conclusions en paiement formulées contre B______ et C______, au motif qu’aucun contrat de travail n’avait lié les intéressés.

Sur le fond, les accusations d’infractions aux art. 146 et 182 CP ainsi que 117 LEI ne reposaient sur aucun élément concret. À la suite du Tribunal des prud’hommes, et pour les raisons retenues par cette juridiction, il convenait de nier l’existence de rapports de travail entre les parties. Les conditions d’application de l’art. 116 LEI n’étaient pas réalisées. Quant aux faits violant prétendument les art. 177, 179septies et 180 CP, la plainte y relative avait été déposée tardivement. Enfin, rien n’attestait que C______ aurait changé l'adresse de la plaignante dans les registres des E______.

D. a. À l’appui de son recours, A______ renvoie, pour l’énoncé des faits de la cause, à l’ordonnance querellée.

Sur le fond, cette décision contrevenait au principe in dubio pro duriore (art. 319 CPP). En effet, les déclarations des parties étaient contradictoires et rien ne permettait de privilégier celles des prévenus. Le Procureur aurait donc dû continuer à instruire (art. 6 CPP) les infractions aux art. 146 et 182 CP ainsi qu'aux art. 116 et 117 LEI, respectivement celle ayant consisté à changer indûment son adresse dans le système informatique des E______, puis renvoyer les intimés en jugement pour ces chefs de prévention. En s’en dispensant, il l’avait privée de ses droits d’accès à un juge (art. 13 CEDH) ainsi qu’à un procès équitable (art. 6 CEDH).

b. Interpellé par la Chambre de céans sur le fait que le jugement du Tribunal des prud’hommes susmentionné ne figurait pas au dossier, le Ministère public a expliqué y avoir eu accès en consultant le site Intranet du Pouvoir judiciaire. Il n’avait pas interpellé les parties, ni la juridiction concernée, à son sujet. Il en versait un tirage au dossier le 19 janvier 2023.

EN DROIT :

1. 1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 396 al. 1, 390 al. 1 et 385 al. 1 CPP) contre une ordonnance de classement (art. 319 CPP), décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP) le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé – que cette protection intervienne en première ligne, à titre secondaire ou accessoire – par la disposition pénale qui a été enfreinte. En revanche, celui dont les intérêts sont atteints indirectement par une infraction qui ne lèse que des intérêts publics ne revêt pas le statut de lésé (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 3).

Celui qui prétend disposer de la qualité de partie plaignante doit rendre vraisemblable le préjudice qu'il subit (ATF 141 IV 1 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1).

1.2.2. Les art. 146, 177, 179septies, 180 et 182 CP protègent, respectivement, le patrimoine, l’honneur, le domaine secret/privé et la liberté.

L’art. 87 LAVS n’a pas pour finalité de préserver les intérêts économiques de l'assuré. En effet, le travailleur ne subit aucune réduction de prestations en cas de faute commise par son employeur (ACPR/402/2022 du 8 juin 2022, consid. 1.2.1; Message concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire [Infractions contre le patrimoine et faux dans les titres] du 24 avril 1991, FF II 1023; M. NIGGLI/ H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 111-392 StGB, 3ème éd., Bâle 2019, n. 19 ad art. 159).

La LEI règle le statut des étrangers en Suisse et tend à promouvoir leur intégration (Message concernant la loi sur les étrangers [ci-après : Message], FF 2002 3531 ad art. 1). L’art. 116 de cette loi – qui réprime l’incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux –, vise à combattre la criminalité opérée par les passeurs (Message, FF 2002 3587 ad art. 111) et l’art. 117 – qui sanctionne l’emploi d’étrangers sans autorisation – à lutter contre le travail au noir (Message, FF 2002 3519 ad 1.3.11 et 3587 et s. ad art. 112).

1.3. En l’espèce, la recourante est habilitée à quereller le classement des cinq premières infractions citées au considérant précédent, qui protègent ses biens juridiques individuels.

En revanche, elle ne subit aucun dommage direct du chef de la violation alléguée de l’art. 87 LAVS, respectivement de celle des art. 116 et 117 LEI, puisque ces deux dernières normes protègent l’intérêt collectif. Son acte est donc irrecevable sur ces points.

La recourante n’allègue pas, ni a fortiori ne rend vraisemblable, avoir subi un préjudice effectif du chef de la modification alléguée de ses données personnelles – à supposer qu’il s’agisse d’une infraction –. Si les E______ lui ont envoyé, en août 2019, un courrier à l’adresse de F______, rien n’indique toutefois que ce dernier – qui semble avoir déjà reçu, par le passé (soit peu après le licenciement de la recourante), des missives d'un syndicat pour le compte de cette dernière – en aurait effectivement pris connaissance, au mépris de la mention, sur l'enveloppe, du nom de l'intéressée. De plus, la recourante a pu obtenir les informations contenues dans cette missive, qui lui a été transmise (raison pour laquelle elle a été en mesure de la produire). Au reste, si ce même courrier avait été expédié, comme le souhaitait l'intéressée, à sa précédente adresse, c’est-à-dire au domicile des intimés – lieu où elle ne résidait plus –, ses données médicales auraient aussi été "rend[ues] accessible[s]" à des tiers. La qualité pour agir doit donc lui être déniée sur cet aspect.

2. 2.1. La Chambre de céans revoit librement les points de la décision attaqués devant elle (art. 385 al. 1 let. a CPP), les autres aspects, non remis en cause, demeurant tels que fixés par le premier juge (ACPR/319/2022 du 5 mai 2022, consid. 2.2.1; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 385).

2.2. In casu, la recourante ne revient pas, dans son acte, sur l’infraction à l’art. 12 LDét, respectivement sur la prétendue création, par B______, d’un faux profil sur les réseaux sociaux pour lui nuire. Elle ne critique pas non plus le raisonnement du Ministère public afférent aux art. 177, 179septies et 180 CP.

Il ne sera donc pas revenu sur ces points.

3. 3.1. Le ministère public classe la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (art. 319 al. 1 let. b CPP).

3.1.1. Cette décision doit être prise en application du principe in dubio pro duriore, selon lequel un classement ne peut être ordonné que s'il apparaît clairement que les faits dénoncés ne sont pas punissables (ATF 146 IV 68 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_516/2021 du 20 décembre 2022 consid. 2.4.1).

Pour statuer, le procureur, et après lui l'autorité de recours, se fondent sur les éléments versés au dossier (art. 100 al. 1 CPP), si toutefois ils sont exploitables (art. 141 al. 5 CPP).

Le ministère public a l'obligation de requérir des autorités administratives/judiciaires les dossiers d'autres procédures s’ils sont nécessaires pour établir les faits (art. 194 al. 1 et 2 CPP).

Une preuve peut être, selon le type de règle qui a été violé pour la recueillir, absolument ou relativement (in)exploitable (art. 141 al. 1 à 3 CPP).

3.1.2. L’art. 182 al. 1 CP réprime, notamment, celui qui recrute une personne à des fins d'exploitation de son travail.

Cette infraction protège l'autodétermination des êtres humains. Elle est réalisée lorsqu'un individu dispose de tiers comme s'il s'agissait d'objets, que ce soit sur un "marché" international ou intérieur. L’on se trouve dans un cas de traite quand la victime – considérée comme une marchandise vivante – est contrainte par la force, la menace ou toute autre forme de pression. Si une personne sans autorisation de séjour et/ou de travail n'est pas dénuée de toute pression, en particulier quant à ses choix en matière d'activité lucrative, son recrutement et son engagement – même à des conditions défavorables ou en violation manifeste de la législation sur le travail et/ou les assurances sociales – ne violent pas, en eux-mêmes, l'art. 182 CP; cela vaut en particulier si cette personne continue à disposer de la capacité de refuser l'emploi proposé ou de le quitter (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 4.3.1 et 4.3.3).

Il y a exploitation du travail, au sens de la norme précitée, en cas d’activité forcée, d'esclavage ou de prestations accomplies dans des conditions analogues à l'esclavage. Il en va de même quand une personne est continuellement empêchée d'exercer ses droits fondamentaux, en violation de la réglementation du travail ou des dispositions relatives à la rémunération, la santé et la sécurité; concrètement, il peut s'agir notamment de privation de nourriture, de maltraitance psychique, de chantage, d'isolement, de lésions corporelles, de violences sexuelles ou de menaces de mort (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 précité, consid. 4.3.1).

3.2.1. La cause doit également être classée lorsqu'il est établi que certaines conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont pas réunies ou que des empêchements de procéder sont apparus (art. 319 al. 1 let. d CPP).

Ainsi en va-t-il quand une plainte pénale requise par le droit matériel n'a pas été (valablement) déposée (ATF 136 III 502 consid. 6.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_139/2021 du 9 juin 2021 consid. 2), respectivement quand l’action pénale est prescrite (ATF 146 IV 68 consid. 2.1).

3.2.2. Lorsqu'une infraction commise contre la patrimoine – telle que l’escroquerie (art. 146 CP) – cause un dommage inférieur ou équivalent à CHF 300.- (ATF 142 IV 129 consid. 3.1), elle se poursuit sur plainte (art. 172ter al. 1 CP). Il s'agit alors d'une contravention (art. 103 cum 172ter al. 1 CP), qui se prescrit par trois ans (art. 109 CP).

3.3.1. À la lumière de ces principes, le Ministère public ne pouvait fonder sa décision de classement sur le jugement du Tribunal des prud’hommes, qui n'était (alors) pas versé au dossier.

Il n'était pas davantage habilité à en verser, par la suite, un tirage, à défaut, pour la jurisprudence rendue par ce tribunal, d'être accessible au public, soit par exemple sur Internet.

Cela étant, la question de l’(in)exploitabilité de cette pièce souffre de demeurer indécise, celle-ci n’étant pas utile au sort de la cause et le recourant ne tirant aucun grief de la référence qui y est faite, citations à l'appui, dans la décision attaquée. Au surplus, les parties à la procédure prud'homale sont les mêmes que celles à la présente cause et en ont donc nécessairement connaissance.

3.3.2. La recourante fait grief aux intimés de l'avoir employée à raison de nonante heures par semaine, sans congé, en contrepartie d’un salaire mensuel net de
CHF 800.-, ce que ces derniers contestent.

Ses allégations, à supposer qu'elles soient vraies, ne permettraient pas de fonder une infraction à l'art. 182 CP.

En effet, la condition de la traite fait défaut, rien ne laissant penser que la recourante aurait été entravée dans son droit à l’autodétermination. Elle ne prétend d'ailleurs pas avoir souhaité quitter son (prétendu) travail, ni en avoir été empêchée.

Ainsi, elle pouvait rentrer au Brésil, bénéficiant aussi bien d'un passeport que de ressources pour acheter un billet d'avion, si besoin après avoir économisé quelques temps (son disponible mensuel ascendant, selon elle, à CHF 500.-). Bien que dépourvue d'autorisation de séjour et de travail, elle n’était nullement isolée. Au contraire, elle s'est rapidement fait des amis, qui plus est enclins à l’héberger et à l’entretenir (comme cela est le cas depuis son [prétendu] licenciement).

La condition de l'exploitation n’est pas non plus réalisée, aucun élément permettant de retenir que la recourante aurait été assujettie à des conditions assimilables à de l'esclavage, ni traitée comme une marchandise. Elle ne le prétend du reste pas.

En particulier, elle disposait de sa propre chambre chez les intimés, mangeait ce qu’elle voulait et était libre de ses mouvements (pouvant se rendre au parc avec l’enfant, sortir avec des amis et, semble-t-il, fréquenter une école pour y apprendre le français). Elle n’a, de surcroît, pas été malmenée durant la cohabitation (les rapports entre les parties s’étant envenimés à compter d'avril 2019).

À cette aune, le classement de l’infraction à l’art. 182 CP est exempt de critique dans son résultat.

Les actes d'instruction sollicités par la recourante sont impropres à modifier cette conclusion, fondée sur ses propres déclarations.

3.3.3. La recourante reproche aux intimés de l’avoir trompée sur le prix des billets d’avion qu'ils lui ont achetés afin de prélever sur son salaire, au titre de remboursement, un montant plus élevé (CHF 800.-) que celui réellement acquitté (CHF 590.-).

En admettant qu'ils soient vrais, ces faits, qui se sont déroulés entre octobre 2018 et avril 2019, auraient occasionné un dommage de CHF 210.-. Le délai pour porter plainte – indispensable selon l'art. 172ter CP – à leur sujet arrivait donc à échéance en juillet 2019 (art. 31 CP). L'intéressée les ayant dénoncés au mois d'août suivant seulement, sa démarche est tardive.

À cela s'ajoute que l'action pénale est prescrite depuis l'été 2022.

Il s'ensuit que le classement de l’infraction à l’art. 146 CP doit être confirmé, par substitution de motifs.

3.4. Les griefs tirés d'une violation des art. 6 et 319 CPP ainsi que 6 et 13 CEDH sont, partant, privés de fondement.

4. En conclusion, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, ce que la Chambre de céans pouvait constater sans requérir de déterminations des intimés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5. La recourante succombe (art. 428, 1ère et 2ème phrases, CPP), mais, dans la mesure où l'assistance judiciaire lui a été accordée, sera exonérée des frais de la cause (art. 136 al. 2 let. b CPP).

6. La procédure étant terminée, il convient de rétribuer le conseil juridique gratuit pour son activité en deuxième instance, quand bien même il ne l'a pas sollicité.

6.1. Les art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP prévoient que le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c).

Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. Dans le présent cas, le recours comporte huit pages de développements (pages d'en-tête et de conclusions non incluses). Six d'entre elles concernent les art. 182 et 146 CP, les deux autres traitant d'infractions que la recourante n'était pas recevable à quereller.

Le temps raisonnablement nécessaire à l'établissement de ces six pages peut être évalué à deux heures. L'indemnité allouée au conseil juridique gratuit sera, dès lors, arrêtée à CHF 430.80 (2 x CHF 200.- + la TVA au taux de 7.7%).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me K______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 430.80 (TVA de 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, B______ et C______, soit pour eux à leurs conseils respectifs, ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de droit :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).