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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14628/2021

ACPR/105/2023 du 08.02.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14628/2021 ACPR/105/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 février 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine rendue le 28 novembre 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 8 décembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 novembre 2022, communiquée par voie électronique le jour-même, par laquelle le Ministère public a rejeté sa requête demandant l'exécution anticipée de sa peine.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à ce que l'exécution anticipée de sa peine soit ordonnée.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             A______, ressortissant français né en 1973 et domicilié en France, est prévenu de rixe, de tentative de meurtre, d'omission de porter secours, de diffamation, voire de calomnie et d'injure, et d'entrave à l'action pénale.

Il est notamment soupçonné d'avoir, à Genève:

-     le 24 juillet 2021, peu après minuit, participant à la fête foraine au bord du lac, de concert avec sa compagne, D______, et de deux de leurs enfants majeurs, E______ et F______, pris activement part à une rixe à l'occasion de laquelle trois jeunes hommes ont été blessés à l'arme blanche par son fils au moyen d'un petit katana;

-     dans les circonstances précitées, de concert avec son fils, tenté de tuer un quatrième jeune, en lui assénant plusieurs violents coups de pied à la tête, prenant notamment de l'élan, en s'acharnant ainsi sur la victime alors que cette dernière se trouvait à terre, qu'elle était sonnée, qu'elle n'avait pas vu arriver les coups et que, simultanément, E______, au moyen du manche de son katana, lui assénait plusieurs coups sur la tête;

-     le soir de l'altercation susvisée, s'être coordonné avec sa compagne et leur fille sur la version des faits à livrer à la police (modifiée par la suite) et avoir pris des mesures destinées à permettre à E______ de prendre la fuite en direction de la France et ainsi de se soustraire à des poursuites pénales à Genève;

-     traité les parties plaignantes, lors de conversations téléphoniques enregistrées avec D______, depuis son lieu de détention, d'"hypocrites", de "menteurs" et de "bâtards".

Les soupçons reposent sur des photographies, des images vidéo (avec le son), des images de vidéosurveillance, ainsi que sur des déclarations.

b.             Le Ministère public a entendu à plusieurs reprises A______, D______ et F______, ainsi que les plaignants. Il a également entendu des témoins et des experts.

Quasiment à chaque audience, le Procureur a noté au procès-verbal l'emportement de A______, voire l'a remis à l'ordre en lui demandant de se calmer.

c.              Depuis le 26 juillet 2021, A______ est en détention provisoire.

Celle-ci a depuis lors été régulièrement prolongée par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après: TMC), en dernier lieu le 23 novembre 2022 pour une détention provisoire ordonnée jusqu'au 24 février 2023. Le risque de collusion perdurait, nonobstant les confrontations d'ores et déjà menées, sous la forme de pressions, voire de représailles. Le TMC a retenu, à cet égard, le contexte de l'interpellation de A______ et de sa compagne; l'animosité sans détour affichée par ce dernier, en audience, mais aussi lors de conservations téléphoniques avec sa compagne; le dénigrement des plaignants par le prévenu, y compris ceux blessés par E______; la peur ressentie par les victimes en raison de cette animosité; et l'existence d'un risque de collusion avec son fils, sachant que ce dernier semblait pouvoir discuter librement avec sa mère depuis son lieu de détention.

d.             E______ a été arrêté et incarcéré en France. Les investigations dirigées contre lui ont fait l'objet d'une délégation de la poursuite dans ce pays. Début mars 2022, il y a été mis en examen pour triple tentative de meurtre pour les faits commis à Genève le 24 juillet 2021.

e.              D______ a déclaré, lors de son audition du 6 septembre 2021, s'être entretenue par téléphone à deux reprises avec son fils. F______ a également déclaré, le 22 novembre 2021, avoir eu un contact téléphonique avec son frère.

f.              Le Ministère public a envoyé plusieurs commissions rogatoires aux autorités françaises compétentes. Le 7 septembre 2021, il a demandé à celles-ci de lui transmettre les enregistrements de toutes les conversations téléphoniques avec l'extérieur dont E______ avait pu bénéficier durant son incarcération, ainsi que la liste des personnes qu'il avait pu rencontrer au parloir de la prison, et d'évaluer la possibilité, au vu du risque de collusion, d'ordonner une censure préalable des divers contacts qu'il pouvait avoir avec l'extérieur. Il a reçu des pièces en retour; il les a transmises le 28 novembre 2022 aux enquêteurs de la Brigade criminelle, afin de permettre l'établissement d'un rapport de synthèse.

Le 14 janvier 2022, le Ministère public a sollicité l'audition de E______ par le Parquet de G______ [France]. Le 20 novembre 2022, ce dernier a informé le Ministère public de la prochaine audition de E______, sans en préciser la date.

g.             Le 23 novembre 2022, A______ a demandé l'exécution anticipée de sa peine, au motif que les conditions de détention plus souples offertes par ce régime lui permettraient de travailler davantage et de se rapprocher de sa famille, notamment de son deuxième fils, mineur, après 18 mois de détention provisoire et une lourde instruction.

h.             Le Ministère public a fixé une audience finale le 8 décembre 2022 et annoncé qu'il rendrait un avis de prochaine clôture au terme de celle-ci.

Compte tenu de la prochaine audition de E______ et de l'analyse en cours des pièces communiquées par les autorités françaises, cette audience a été reportée au 17 février 2023.

C.           Dans son ordonnance querellée, le Ministère public justifie son refus en retenant notamment que, même si A______ avait admis son implication dans les faits reprochés, il existait un risque de collusion concret avec E______ et un risque de pressions sur les parties plaignantes.

D.           a. Dans son recours, A______ rappelle qu'il avait reconnu les principaux faits qui lui étaient reprochés, sous réserve de leur qualification juridique. Ses déclarations concordaient avec les images vidéo versées à la procédure. Les parties s'étaient en outre déjà exprimées à plusieurs reprises. Enfin, "les arguments du Ministère public selon lesquels il existerait un risque de collusion relatif au fils de A______ [n'étaient] pas pertinents à ce stade de l'instruction puisque A______ avait déjà été auditionné à réitérées reprises ( )". Ainsi, au vu du stade avancé de la procédure et de l'audience finale qui avait été initialement fixée au 8 décembre 2022, aucun risque de collusion n'était avéré.

Il reprend au surplus les motifs de sa demande du 23 novembre 2022.

b. Dans ses observations, le Ministère public maintient les termes de son ordonnance.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé sa demande d'exécution anticipée de sa peine en retenant l'existence d'un risque concret de collusion.

2.1.       Selon l'art. 236 al. 1 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet. L'exécution anticipée des peines et des mesures est, de par sa nature, une mesure de contrainte qui se classe à la limite entre la poursuite pénale et l'exécution de la peine. Elle doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 143 IV 160 consid. 2.1; 133 I 270 consid. 3.2.1). En vertu de l'art. 236 al. 4 CPP, le prévenu est soumis au régime de l'exécution de la peine dès son entrée dans l'établissement, sauf si le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté s'y oppose (arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).

Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres, propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuves susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2;
132 I 21 consid. 3.2 et les références citées). Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2;
132 I 21 consid. 3.2.2).

2.2.       En l'espèce, l'instruction de la présente cause n'est pas terminée. La Brigade criminelle doit rendre prochainement son rapport synthétisant les documents reçus de France en novembre 2022. Le Ministère public attend par ailleurs le retour de la commission rogatoire la plus importante, à savoir l'audition de E______, qui devrait être très prochainement fixée. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le recourant, les principales accusations à son encontre ne reposent pas sur les seules vidéos versées au dossier, celles-ci n'établissant pas l'intégralité spatio-temporelle de l'altercation. Ainsi, une partie des faits – notamment ceux qui ont trait au commencement du différend – restent incertains et reposent uniquement sur les déclarations recueillies, de sorte que le risque de collusion reste concret envers les différents participants à la procédure.

Il existe tout d'abord un risque de pressions sur les parties plaignantes, lequel ne repose pas sur de simples suppositions, les précitées ayant exprimé leur peur en raison de l'animosité que leur témoigne le recourant en audience. Par ailleurs, celui-ci a dénigré à plusieurs reprises les plaignants, que cela soit en audience ou lors de conversations téléphoniques avec sa compagne. Enfin, le Procureur a, presque systématiquement, lors des différentes audiences, noté au procès-verbal l'emportement du recourant contre ses contradicteurs, voire l'a remis à l'ordre en lui demandant de se calmer.

Il existe ensuite un risque de collusion particulier avec E______. À cet égard, le recourant ne peut être suivi lorsqu'il reproche au Ministère public d'alléguer uniquement de potentiels contacts entre D______ et E______, depuis son lieu de détention en France. En effet, de tels contacts ressortent des déclarations de D______ et F______ devant le Ministère public. À cela s'ajoute que le recourant et sa compagne sont prévenus d'entrave à l'action pénale, pour s'être notamment coordonnés sur la version des faits à livrer à la police le soir de la rixe et avoir permis la fuite de leur fils en France, contre lequel pèsent de graves accusations. Enfin, le Ministère public a demandé par commission rogatoire aux autorités françaises de le renseigner sur la mise en place d'une censure préalable des contacts du fils avec l'extérieur, mais n'a, à ce jour et sous réserve des pièces reçues en novembre 2022 qui feront prochainement l'objet du rapport de renseignements de la Brigade criminelle, pas reçu de réponse, de sorte que l'on ignore si des mesures de contrôle ont été mises en place à ce jour en France. Dans ces circonstances et étant encore rappelé que le recourant se montre très protecteur envers les membres de sa famille et qu'il justifie en grande partie ses agissements le soir de la rixe par le fait qu'il défendait celle-ci, il existe un risque important qu'il s'accorde avec son fils, avant que ce dernier ne soit entendu, par exemple sur une version commune dans le but qu'il assume à la place de son fils la plus grande part de responsabilité dans les événements.

Enfin, le but du régime d'exécution est notamment d'assurer au détenu de meilleures chances de resocialisation. Or, force est de constater que le recourant ne répond pas à cette condition préalable, faute d'avoir un domicile en Suisse et de pouvoir espérer séjourner dans ce pays par la suite.

Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que le Ministère public a refusé la demande d'exécution de peine.

L'ordonnance querellée doit, partant, être confirmée.

3.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

4.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant soit, pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Daniela CHIABUDINI et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le Président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/14628/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

 

-

CHF

 

 

Total

CHF

900.00