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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2921/2021

ACPR/82/2023 du 02.02.2023 sur OCL/1304/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.03.2023, 6B_327/2023
Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;FAUX MATÉRIEL DANS LES TITRES;ESCROQUERIE;GESTION DÉLOYALE;BLANCHIMENT D'ARGENT
Normes : CPP.319; CPP.251; CPP.146; CP.158; CP.305bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2921/2021 ACPR/82/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 2 février 2023

 

Entre

A______ A.S., dont le siège est sis ______, Turquie, comparant par
Me Philippe NEYROUD, avocat, AUBERT NEYROUD, STÜCKELBERG & FRATINI, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement et de refus de réquisitions de preuves rendue le 12 octobre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 24 octobre 2022, A______ AS recourt contre l'ordonnance du 12 octobre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de la procédure et rejeté ses réquisitions de preuves.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, à ce que le Ministère public soit invité à poursuivre l'instruction, en particulier avec "la mise en prévention" de B______ des chefs d'escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale (art. 158 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP), et avec la saisie de la documentation complète du compte n° 1______ de C______ SA en les livres de la banque D______ depuis son ouverture en 2008.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 3'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

I. Contexte et protagonistes

a.a. A______ AS est une société turque, active dans le génie-civil et la construction de réseaux routiers.

E______, son fondateur et ancien actionnaire majoritaire, beau-père de B______, est décédé le ______ 2015.

a.b. Après ce décès et jusqu'au 19 janvier 2017, B______ a occupé le rôle d'administrateur de A______ AS, avec signature collective à deux. Il a ensuite disposé d'une signature individuelle jusqu'au 8 mars 2019, date où il a été démis de sa fonction avec effet immédiat lors d'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires.

Un nouveau conseil d'administration a été nommé le 13 mai 2019, dans lequel le fils de E______, F______, disposait, seul, du pouvoir de représenter la société par signature individuelle.

b. C______ SA est une société panaméenne, constituée le 2 janvier 2008.

B______ et son épouse en sont les ayant-droits économiques en mains communes; G______, avocat inscrit au Barreau de Genève, intervient comme administrateur.

En avril 2008, la société a ouvert un compte n° 1______ en les livres de [la banque] D______, sur lequel G______ disposait seul d'un droit de signature.

c.a. En 2006, A______ AS est intervenue au Qatar en qualité de sous-traitant principal du consortium JV H______ (ci-après: le Consortium), contre qui elle a intenté, le 11 juillet 2008, une procédure d'arbitrage pour défaut de paiements, par-devant la Chambre de commerce internationale.

Dans une sentence du 15 septembre 2011 du Tribunal arbitral, amendée le 14 novembre suivant, le Consortium a été condamné à versé à A______ AS un montant global d'environ USD 65 millions.

c.b. La société a alors mandaté, le 18 septembre 2014, I______ SA pour l'assister dans le recouvrement de cette créance.

d. Sur la base d'un accord transactionnel du 16 octobre 2015 intitulé "Settlement and Release Agreement", conclu avec le Consortium en lien avec la sentence arbitrale, A______ AS a, dans un premier temps, obtenu le paiement de USD 50 millions au total, en plusieurs tranches. Les montants ainsi versés ont été directement encaissés par la société.

e. Le 1er mars 2017, A______ AS, représentée par B______, et le Consortium, ont signé un amendement au "Settlement And Release Agreement".

La dernière tranche de USD 15 millions ne devait plus être payée à A______ AS directement mais versée "sur le compte clients de son avocat néerlandais" ("on the client trust account of A______'s Dutch Lawyer"), à savoir la fondation néerlandaise J______ (ci-après: la Fondation).

f. Le 6 octobre 2017, A______ AS, par la signature de B______, et le Consortium ont signé un second amendement, remplaçant partiellement le premier.

Moyennant le versement, avant le 15 suivant, de USD 14'350'000.- sur le compte de la Fondation, la créance découlant de la sentence arbitrale était considérée comme intégralement acquittée.

Ladite somme a été créditée sur le compte désigné le 11 octobre 2017.

g. Sur ce montant, USD 9.75 millions ont été transférés par la Fondation sur le compte clients de G______, ouvert en les livres de la banque K______, avec la mention: "FUNDING OF ICC CASE NUMBER 2______/JE".

Le reste a été réparti entre A______, qui a perçu USD 669'763.60, et plusieurs intervenants, dont I______ SA, qui a reçu USD 3'773'510.-.

II. La procédure

a. Par courrier du 8 décembre 2020, A______ AS, représentée par F______, a déposé plainte contre G______ et B______, pour blanchiment d'argent (art. 305bis CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et abus de pouvoir de représentation (art. 158 al. 2 CP) en ce qui concerne le premier; gestion déloyale (art. 158 ch. 1 CP), complicité de blanchiment d'argent (art. 305bis cum art. 25 CP) et complicité de faux dans les titres (art. 251 cum art. 25 CP) en ce qui concerne le second.

Selon cette plainte, G______ et B______ avaient constitué et usé de faux documents, soit une facture datée du 20 octobre 2017 et un "Funding Arrangement", pour se faire remettre indûment, respectivement, pour détourner, les USD 9.75 millions en provenance de la Fondation, dans le but de s'enrichir au détriment de la société, dont le premier se prétendait à tort être le représentant.

La facture incriminée était jointe à la plainte. Elle porte l'en-tête de l'étude L______ Avocats, où G______ a occupé le rôle d'associé jusqu'en 2018. Elle mentionne la Fondation comme destinataire et la référence "Funding of ICC case n° 3______/JEM/GZ". Par un courrier adressé à la Fondation et daté du 20 octobre 2017 également, B______ a donné à celle-ci l'ordre irrévocable d'exécuter le paiement de USD 9.75 millions.

Le "Funding Arrangement" n'était pas joint à la plainte mais mentionné dans une autre pièce, intitulée "Escrow Agreement" du 10 avril 2017, conclu entre A______ AS (soit pour elle, B______) et I______ SA, contresigné par la Fondation, prévoyant – en substance – l'encaissement et la répartition du paiement final de USD 15 millions dû par le Consortium à l'aune du premier amendement au "Settlement And Release Agreement".

Cet "Escrow Agreement" comportait notamment les passages suivants:

- A______ secured funding up to USD 2.5 million for the ICC arbitration via Me. G______ of L______ Avocats (the "Funding Arrangement")." ("A______ AS a obtenu un financement à hauteur de USD 2.5 millions pour l'arbitrage ICC par G______, de L______ Avocats (la "Convention de financement").");

- "Pursuant to the Funding Arrangement, A______ owes at least USD 2.5 million of disbursement actually spent on the ICC arbitration, plus a success fee to Me. G______ [ ]". ("À teneur de la Convention de financement, A______ AS doit au moins USD 2.5 millions à titre de frais dépensés pour l'arbitrage ICC, en sus d'une commission en cas de succès à G______.").

b. Le 24 mars 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre G______ et B______, et ordonné la perquisition des locaux professionnels du premier nommé, donnant lieu à la saisie de plusieurs classeurs portés à l'inventaire.

b.a. Parmi les documents ainsi saisis figurait une lettre du 11 septembre 2020 de G______ au Bâtonnier. Il y exposait "les éléments factuels nécessaires à la compréhension de l'arrière-plan économique de la transaction ayant mené à la réception, par [s]es soins, du montant de USD 9'750'000.-".

B______ et son épouse lui avaient demandé, en 2007, de procéder à la constitution d'une société de droit panaméen, à des fins de planification patrimoniale et successorale. C'était à cette fin que C______ SA avait été créée, dont le compte, ouvert chez D______ et sur lequel il disposait d'un droit de signature individuelle, était alimenté par des avoirs personnels des époux B______/O______.

Le litige qui avait opposé le Consortium à A______ AS avait poussé cette dernière dans une situation financière difficile, avec un endettement bancaire de l'ordre de USD 13 millions et la résiliation de ses lignes de crédit, sans possibilité d'en obtenir de nouvelles. Face à l'échec des discussions amiables, la voie de l'arbitrage s'était avérée la seule ouverte à A______ AS pour faire valoir ses droits mais cette option se révélait coûteuse. Les époux B______/O______, avec l'accord de E______, avaient alors décidé de participer au financement de la procédure arbitrale, moyennant certaines conditions de remboursement en cas de succès. Il avait ainsi été convenu un engagement maximal de USD 2.5 millions, par l'intermédiaire de C______ SA, ainsi que de "success fees" correspondant, au maximum, à deux fois et demi les sommes déboursées par cette dernière dans le cadre de l'arbitrage ou 15% des montants effectivement recouvrés. Par souci de confidentialité, les époux B______/O______ l'avaient sollicité pour exécuter les demandes de règlements liés à la procédure arbitrale.

Entre 2009 et 2015, il avait ainsi procédé à trente-quatre virements bancaires, à titre de frais d'arbitrage, pour les montants globaux de EUR 824'968.26, USD 640'200.-, GBP 20'000.- et CHF 55'566.-. Ces versements avaient tous transité, du compte de C______ SA vers son compte clients ouvert auprès de [la banque] K______, puis vers les divers prestataires impliqués.

Au printemps 2017, vu la perspective, pour A______ AS, de percevoir la dernière tranche de paiement de USD 15 millions, B______ avait décidé de formaliser l'accord de financement intervenu oralement en 2008. Un contrat de prêt avait été établi et signé le 7 avril 2017 par ce dernier, au nom de A______ AS, et par M______ et N______, respectivement trésorier et secrétaire de C______ SA. Comme les versements précités avaient été exécutés depuis son compte clients, le remboursement devait intervenir sur celui-ci, raison pour laquelle il avait établi une facture à l'attention de la Fondation, avec référence expresse au financement de la procédure arbitrale. Le 23 octobre 2017, son compte clients avait été crédité des USD 9.75 millions pour le compte de C______ SA, étant précisé que ledit compte ne s'était jamais confondu avec celui destiné à percevoir ses honoraires.

b.b. À l'appui de cette lettre était notamment joint un "Loan Agreement" conclut le 7 avril 2017 entre A______ AS, sous la signature de B______, et C______ SA, sous les signatures de M______ et de N______. Le contrait stipulait que la seconde société avait octroyé à la première, depuis janvier 2009, une ligne de crédit pour le financement des frais liés à la procédure arbitrale. Le remboursement se chiffrait à 15% des frais recouvrés, soit USD 9.75 millions.

c. Le 16 avril 2021, le Ministère public a procédé à l'audition de G______.

Il a confirmé avoir reçu USD 9'750'000.- dans le cadre du recouvrement de la créance arbitrale de A______ AS. Les fonds avaient été déposés sur un compte sans être touchés depuis. Il n'avait aucune prétention dessus et ses clients étaient "les ayant-droits qui avaient financé la procédure arbitrale". Un conflit opposait les héritiers de E______ et les pouvoirs de F______ pour représenter A______ AS étaient contestés.

d. Par courrier du même jour, G______ s'était engagé à ne pas se dessaisir des fonds litigieux, sous réserve d'un accord entre les parties ou d'une décision judiciaire en force.

e. Le 20 mai 2021, A______ AS a complété sa plainte, se fondant sur les nouveaux éléments versés au dossier.

À teneur du Registre des sociétés du Panama, M______ et N______ ne pouvaient valablement pas représenter C______ SA dans le cadre de la signature du "Loan Agreement", ce pouvoir appartenant à G______ uniquement. En outre, plusieurs éléments permettaient d'établir que ce contrat était un faux matériel. Il était vraisemblablement antidaté puisque l'"Escrow Agreement" du 10 avril 2017, se référant à la mise à disposition de A______ AS d'une ligne de crédit de USD 2.5 millions, ne mentionnait ni le "Loan Agreement", ni le prêteur C______ SA, ni les montants effectivement payés par cette dernière. Malgré ce que le contrat stipulait, M______ et N______ n'avaient pas pu le signer à Genève, ne s'y trouvant pas en date du 7 avril 2017. Les pages comportaient le paraphe de B______ mais non ceux de M______ et de N______, tandis que la police d'écriture utilisée pour le document n'était pas la même que celle identifiant les signatures des précités, lesquelles se trouvaient au bas d'une page sinon blanche, se distinguant ainsi du reste.

Le "Loan Agreement" et l'"Escrow Agreement" étaient en outre des faux intellectuels, se contredisant l'un l'autre, notamment en lien avec l'identité du prêteur et les sommes prêtées. B______ et G______ avaient fabriqué ces documents pour lui soustraire la somme de USD 9.75 millions. Dans un affidavit du 4 novembre 2020, le chef comptable de la société affirmait n'avoir jamais eu connaissance d'un "Funding Arrangement".

f. Le 1er décembre 2021, le Ministère public a entendu derechef G______, qui a refusé de répondre aux questions de A______ SA au motif qu'une procédure judiciaire pendante en Turquie pouvait aboutir à l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 8 mars 2019 et qu'il était établi que l'argent qu'il était accusé d'avoir détourné se trouvait sur son compte client, dans l'attente d'un jugement définitif.

g. Avisée de l'intention du Ministère public de rendre une ordonnance de classement, A______ AS s'y est opposée le 6 mai 2022, au motif que l'instruction avait démontré la réalisation de l'infraction d'abus de confiance commise par B______. Elle n'avait jamais été informée que le réel bénéficiaire des USD 9.75 millions était son ancien administrateur, celui-ci s'étant dissimulé derrière de fausses indications et une société panaméenne, montage auquel l'intéressé n'aurait pas eu besoin si le paiement litigieux avait eu une cause économique justifiée. Par ailleurs, même s'il apparaissait que des factures dues en lien avec la procédure arbitrale avaient été payées, par G______, via des fonds provenant de C______ SA, pour un total approximatif de USD 1.8 million, il était "totalement invraisemblable que B______ ait pu payer lui-même avec des fonds personnels – à supposer qu'il ait pu disposer de ces montants – et ce en l'absence de toute convention écrite [ ]. La seule explication possible [était] que dans le contexte de la relation de confiance qui existait à l'époque avec B______, la société ait alors fourni au compte bancaire fonctionnant au nom de C______ SA les fonds nécessaires à ces paiements". La saisie de la documentation bancaire relative au compte n° 1______ de C______ SA était sollicitée, de même que l'audition de B______, résidant à l'étranger.

C. Par l'ordonnance querellée, le Ministère public souligne, d'abord, le litige d'envergure opposant les héritiers de E______ dans lequel s'inscrit la présente procédure, pour imposer une certaine retenue dans l'appréciation des allégations des parties. S'agissant des faits reprochés à G______, les explications de ce dernier, étayées par pièces, relatives à l'existence d'un accord conclu oralement en 2008, formalisé en 2017, pour le financement, par les versements intervenus entre 2009 et 2015, de la procédure arbitrale, par l'intermédiaire de C______ SA, et des conditions de remboursement, avec paiement de "success fees", apparaissaient plausibles et aucun élément ne permettait de remettre sérieusement en doute leur crédibilité. A______ AS admettait même, dans ses déterminations du 6 mai 2022, que G______ s'était acquitté de multiples factures dont la société était débitrice, via des fonds appartenant à C______ SA, pour un montant total d'environ USD 1.8 million. À défaut de force probante accrue et/ou d'être destinés à la comptabilité, la facture du 20 octobre 2017, le "Loan Agreement" et l'"Escrow Agreement" ne constituaient pas des titres au sens de l'art. 251 CP. Au surplus, G______ s'était engagé à ce que les fonds litigieux demeurassent sur son compte clients. Enfin, rien dans la procédure ne permettait de retenir qu'il ait représenté A______ AS d'une quelconque manière que ce soit.

S'agissant de B______, la question de savoir si les autorités suisses étaient compétentes, compte tenu du fait que la plupart des faits reprochés se seraient déroulés en Turquie, ou du moins hors du territoire suisse, était laissée ouverte. Il n'existait pas de soupçon suffisant permettant de retenir la réalisation des infractions d'escroquerie, de faux dans les titres et de blanchiment d'argent, pour les mêmes motifs que ceux développés pour G______. La gestion déloyale n'était pas non plus réalisée, rien ne permettant de retenir que B______ avait violé, en lien avec le montant de USD 9.75 millions, ses devoirs à l'égard de A______ AS et ainsi porté atteinte aux intérêts de cette dernière, dans la mesure où ce montant était dû à C______ SA conformément à l'accord oral de 2008. A______ AS ne soutenait plus, par ailleurs, la réalisation de cette infraction dans ses déterminations du 6 mai 2022, invoquant uniquement un abus de confiance. Or, le patrimoine d'une personne morale n'étant pas confiée à ses organes, seule une gestion déloyale serait envisageable pour réprimer le comportement dénoncé de B______. Quant à la prétendue dissimulation de ce dernier sur le fait qu'il était, in fine, le réel bénéficiaire du montant litigieux en sa qualité d'ayant droit économique de C______ SA, même si elle était avérée, elle ne démontrerait pas encore que le paiement de USD 9.75 millions était illégitime. Enfin, les allégations de A______ AS selon lesquelles B______ n'aurait pu fournir, lui-même, les fonds pour payer les frais de la procédure arbitrale et que par conséquent, les montants avancés à ce titre devaient provenir de la société elle-même, s'avéraient sans fondement mais également peu crédibles vu l'absence d'intérêt d'une telle opération.

La saisie sollicitée par A______ AS s'apparentait à une "fishing expedition", la mesure visant à étayer une hypothèse sans fondement au regard de l'instruction. L'audition de B______, quant à elle, ne s'avérait pas nécessaire, les faits étant suffisamment établis.

D. a. Dans son recours, A______ AS conteste l'incompétence des autorités suisses pour poursuivre B______, puis souligne plusieurs "faits essentiels". Selon le "Settlement and Release Agreement", les USD 65 millions lui étaient dus. Entre 2015 et 2016, alors que B______ ne disposait que d'une signature collective à deux, tous les paiements du Consortium avaient été crédités sur le compte de la société en Turquie. À partir du moment où le précité avait bénéficié d'une signature individuelle, il avait usé de ce pouvoir pour signer des documents, au nom de la société, pour alléguer l'existence, pour la première fois depuis huit ans, de dettes envers G______ et C______ SA. Tel était le cas du premier amendement au "Settlement and Release Agreement", du "Loan Agreement" et de l'"Escrow Agreement". Le Ministère public se fourvoyait ainsi en accordant une force probante à ces documents alors qu'il suffisait à B______ "de faire preuve d'imagination et de parapher / signer seul 13 feuillets de papier blanc, sous le titre "Loan Agreement", pour qu'un prétendu accord oral dont aucune trace n'existait depuis 8 ans, qui n'était mentionné dans aucune pièce justificative, et dont même le propre fils de feu M. E______ ignorait l'existence, dev[înt] un fait établi, non susceptible d'éveiller le moindre soupçon [ ]". Les seules signatures de M______ et de N______, en l'absence de paraphes sur les autres pages du "Loan Agreement", interrogeait, tout comme leur prétendue présence à Genève, malgré leur résidence au Panama et alors que la signature de G______ suffisait pour engager C______ SA. De plus, il était douteux que B______ eût passé sous silence l'existence de l'accord oral pour faire valoir ses prétentions. Le montage ainsi mis en place s'inscrivait dans l'exemple du contrat conclu avec soi-même, prohibé par la jurisprudence. Le "Loan Agreement" constituait "une fraude" et le contrat était, de toute manière, contraire "aux principes comptables de non-rétroactivité et l'intangibilité des comptes et bilans". La comptabilité commerciale et ses éléments étaient des titres au sens des art. 110 et 251 CP. Par conséquent, la "prétendue convention simulée" par B______ ne pouvait "en aucun cas faire valablement naître, rétroactivement, une dette imaginaire" de USD 9.75 millions, mentionnée dans aucune pièce justificative et qui aurait dû être enregistrée, si elle avait existé, dans les bilans.

La saisie sollicitée des pièces bancaires était pertinente puisqu'elle permettait de vérifier si C______ SA avait effectivement perçu des montants de la société.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante conteste le classement de la procédure.

Cela étant, dans la continuité de ses déterminations du 6 mai 2022, elle ne semble plus mettre en cause G______. Ses conclusions visent ainsi exclusivement la "mise en prévention" de B______ et les développements de son mémoire ne traitent que de ce dernier.

Partant, il doit être retenu que la recourante ne s'oppose pas au classement de la procédure à l'égard de G______, lequel est par conséquent confirmé.

3.1.       Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), respectivement quand les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis (let. b). Cette disposition s’applique conformément au principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que si la situation factuelle et juridique est claire. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; arrêt du Tribunal fédéral 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2).

3.2.       Commet un faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP – infraction qui constitue un crime – celui qui, dans le dessein, soit de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, soit de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique.

3.2.1. Cette disposition vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l'auteur réel du document ne correspond pas à l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67).

3.2.2. Un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel. La confiance que l'on peut avoir à ne pas être trompé sur la personne de l'auteur est plus grande que celle que l'on peut avoir à ce que l'auteur ne mente pas par écrit; pour cette raison, la jurisprudence exige, dans le cas du faux intellectuel, que le document ait une crédibilité accrue et que son destinataire puisse s'y fier raisonnablement (ATF 138 IV 130 consid. 2.1 p. 134; 132 IV 12 consid. 8.1 p. 14 s.; 129 IV 130 consid. 2.1 p. 133 s.; 126 IV 65 consid. 2a p. 67 s.).

3.2.3. La comptabilité commerciale et ses éléments (pièces justificatives, livres, extraits de compte, bilans ou comptes de résultat) sont, en vertu de la loi, propres et destinés à prouver des faits ayant une portée juridique. Ils ont une valeur probante accrue ou, autrement dit, offrent une garantie spéciale de véracité (ATF 132 IV 12 consid. 8.1 p. 15; 129 IV 130 consid. 2.2 et 2.3 p. 134 ss).

En revanche, d'autres documents (par exemple des factures, des contrats, des quittances) n'ont pas de valeur probante accrue en eux-mêmes, mais l'acquièrent lorsqu'ils sont destinés à servir de pièce comptable (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, Commentaire romand : Code pénal II (art. 111 – 392 CP), Bâle 2017, n. 90 ad art. 251). Ainsi, ont été jugés ne pas constituer un titre à valeur probante accrue des contrats simulés utilisé par une partie pour justifier des transferts vis-à-vis du fisc (arrêt du Tribunal fédéral 6B_184/2013 du 1er octobre 2013 consid. 6.6; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, op cit., n. 102 ad art. 251 et les autres exemples cites).

3.2.4. Pour le faux matériel, il n'y a pas création d'un titre faux par le fait de signer au nom d'un tiers avec le consentement de cette personne (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3ème éd., Berne 2010, n. 62 ad art. 251).

3.3.       L'art. 146 CP sanctionne celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et l’aura de la sorte déterminée à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers (ch. 1). Si l’auteur fait métier de l’escroquerie, il sera puni plus sévèrement (ch. 2).

La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2 p. 209).

3.4.       Se rend coupable de gestion déloyale celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (art. 158 CP). Cette infraction suppose quatre conditions: il faut que l'auteur ait eu une position de gérant, qu'il ait violé une obligation lui incombant en cette qualité, qu'il en soit résulté un préjudice et qu'il ait agi intentionnellement (ATF 120 IV 190 consid. 2b p. 192).

3.5.       Se rend coupable de blanchiment d’argent (art. 305bis CP) quiconque aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime (ch. 1). Dans les cas graves, l’auteur est puni plus sévèrement (ch. 2).

3.6.       En l'espèce, à l'instar du Ministère public, la question de la compétence des autorités suisses, compte tenu du siège, respectivement du domicile de la recourante et du prévenu à l'étranger, sera laissée ouverte, eu égard à ce qui suit.

Plusieurs des infractions dénoncées peuvent être exclues d'emblée, leurs conditions de réalisation n'étant manifestement pas réunies.

La somme de USD 9.75 millions a été versée, documentation bancaire à l'appui, sur le compte clients ouvert en les livres d'une banque suisse, appartenant à un avocat inscrit au Barreau de Genève, à savoir G______. Ce dernier a affirmé, sans se dédire depuis, qu'il ne toucherait pas au montant litigieux avant l'obtention d'une décision judiciaire.

Dans ce contexte, indépendamment des autres éléments constitutifs, il ne peut être considéré que l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de ces valeurs patrimoniales auraient été entravées par les agissements dénoncés et le blanchiment d'argent peut être écarté.

Les contrats et la facture mis en cause par la recourante n'ont jamais eu pour vocation de servir de pièces comptables et n'ont jamais été utilisées à cette fin, les développements du recours à cet égard étant purement hypothétiques. Ces documents ont servi à justifier le transfert litigieux des USD 9.75 millions, ce qui ne suffit pas à leur octroyer une force probante accrue. Ils ne sauraient donc être considérés comme des faux intellectuels.

Toutes les remarques de la recourante, de nature formelle, à propos du "Loan Agreement", comme la capacité de M______ et de N______ d'engager C______ SA, l'absence de leurs paraphes sur les pages du document ou encore leur présence improbable à Genève, ne suffisent pas à établir qu'il s'agirait d'un faux matériel. En effet, dès lors que G______, administrateur de cette société avec signature individuelle, s'est prévalu de ce contrat dans ses explications au Bâtonnier, il peut être considéré qu'il en a confirmé la teneur et, par-là même, ratifié son contenu.

3.7. Reste à examiner les infractions de gestion déloyale et d'escroquerie.

À titre liminaire, dans son mémoire, la recourante ne développe aucun argument visant à démontrer la réalisation de ces infractions. Elle se limite à alléguer des "faits essentiels", dont la plupart ne sont pas de nature à prouver l'existence d'une prévention pénale, ou à invoquer des principes généraux de comptabilité, dont l'examen est non-pertinent pour la cause et, de toute manière, n'appartient pas aux autorités pénales.

À cela s'ajoute que la recourante admet que G______ – qu'elle ne met plus en cause – s'est acquitté, entre 2009 et 2015, de plusieurs factures en lien avec la procédure arbitrale, depuis le compte de C______ SA, pour un total approximatif de USD 1.8 million. Les allégations de la recourante selon lesquelles les fonds ainsi versés proviendraient de ses propres comptes peuvent être écartées, à défaut de trouver une quelconque assise au dossier.

Ainsi, en partant de ces paiements, force est de constater que les documents versés à la procédure – dont il n'y a pas lieu de douter de l'authenticité, ni de la véracité – renforcent la thèse que les USD 9.75 millions devaient effectivement servir à rembourser C______ SA, conformément aux conditions énoncées dans le "Loan Agreement". Le montant litigieux correspond d'ailleurs aux modalités de remboursement prévues par ce contrat de prêt, soit 15% du montant recouvré (USD 65 millions x 15% = USD 9.75 millions). En sus, l'"Escrow Agreement" mentionne le principe d'un prêt en faveur de la recourante pour financer la procédure arbitrale – d'un montant de USD 2.5 millions, concordant à la limite fixée dans l'accord oral –, de même que le paiement de "success fees". Certes, G______ y est désigné comme le prêteur, respectivement le bénéficiaire, et le contrat ne mentionne pas le "Loan Agreement" même s'il lui succède chronologiquement. Cela peut toutefois s'expliquer par le souhait de confidentialité du prévenu quant à l'origine des fonds avancés. Enfin, la facture émise par G______ fait expressément référence à la procédure arbitrale et le montant ainsi crédité sur son compte clients correspond au remboursement du prêt, prime de succès incluse. Plus globalement, il apparaît que la dernière tranche payée sur la base de la sentence arbitrale était destinée à rembourser les intervenants à la procédure, I______ SA en ayant perçu une part conséquente.

L'arrière-plan économique de toute cette transaction apparaît ainsi documenté et légitime, malgré les dénégations de la recourante, dont la portée – notamment en lien avec les coïncidences temporelles entre l'établissement et la signature des documents utiles par le prévenu et son obtention d'une signature individuelle pour représenter la société – doit être mise en perspective avec le litige d'envergure qui oppose les héritiers de E______.

Compte tenu de ce qui précède, il n'existe pas de prévention pénale suffisante pour les infractions examinées et le classement de la procédure à l'égard de B______ s'avère justifié.

4.             La saisie de la documentation bancaire de C______ SA sollicitée par le recourante ne repose sur aucun élément concret tendant à démontrer l'intérêt de la mesure, de sorte qu'elle s'apparente bien à une "fishing expedition" prohibée.

Il n'y a donc pas lieu d'y donner suite.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera ainsi confirmée.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 3'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ A.S. aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2921/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'915.00

-

CHF

Total

CHF

3'000.00