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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19898/2022

ACPR/905/2022 du 23.12.2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE OBLIGATOIRE;POLICE;OUVERTURE DE LA PROCÉDURE;DOSSIER;PROCÈS-VERBAL
Normes : CPP.130; CPP.131.al3; CPP.309

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19898/2022 ACPR/905/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 décembre 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

contre la décision rendue le 21 octobre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 novembre 2022, A______ recourt contre la décision du 21 octobre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de répéter les auditions effectuées par la police avant la nomination de son défenseur et de retrancher ces preuves du dossier pénal.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision, au constat de l'inexploitabilité des auditions qui se sont déroulées hors la présence de son défenseur et à ce que les procès-verbaux y relatifs soient retirés de la procédure. Subsidiairement, il conclut à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de répéter ces auditions.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon le rapport de renseignements du 14 septembre 2022, la police a été informée, le 6 septembre 2022 vers 16h00, par D______ que son appartement, sis rue 1______ no. ______ à Genève, avait été cambriolé et qu'un individu se trouvait dans le logement. Toutefois ce dernier, qui s'était enfui avant l'arrivée de la police, n'avait pas été retrouvé. Sur place, un porte-monnaie contenant notamment une carte d'identité et un permis de conduire au nom de A______, né le ______ 2001, Kosovo – sans domicile connu en Suisse –, avait été retrouvé, ainsi qu'une ordonnance au même nom.

D______ et E______, qui l'accompagnait, ont reconnu, sur une planche photographique, A______ comme étant l'individu qu'ils avaient aperçu dans l'appartement le jour des faits.

Un communiqué de recherche et un ordre d'arrestation provisoire (art. 139, 144, 186 CP et 115 LEI) ont été émis à son sujet par la police.

Au dos du rapport figure la mention suivante: "Reçu au greffe du Ministère public le 20 septembre 2022".

b. Selon le rapport d'arrestation du 20 septembre 2022, la police a été informée, le 19 septembre 2022 à 23h50, que deux individus étaient en fuite, après avoir tenté de forcer, à l'aide d'un pied de biche, la porte de l'établissement F______ sis route 2______ no. ______ au G______ [GE].

La police a interpellé H______ à 23h58 puis, à 00h27, A______, lequel avait pris la fuite malgré les injonctions des agents. Les prénommés ont été identifiés par les personnes ayant requis l'intervention de la police.

Les deux hommes étaient démunis de documents d'identité.

Il ressort également dudit rapport que le commerce I______ sis avenue 3______ no. ______, avait fait l'objet d'un cambriolage le même soir. A______ apparaissait sur les images de la vidéosurveillance en train de fouiller l'établissement.

L'ordre d'arrestation provisoire précédemment émis contre le prénommé a été révoqué. Une copie du rapport de renseignements du 14 septembre 2022 a été joint au rapport.

c. Il ressort de l'"Avis d'arrestation/de libération au ministère public (art. 219 al. 1 CPP)" que le Ministère public a été informé à 3h10 de l'arrestation de A______. Sous la rubrique "Indications générales de l'arrestation" figurait le motif suivant: "[e]n flagrant délit (art. 217 al. 1 let. a CPP) de tentative de cambriolage, infractions à la LEI et faire l'objet d'un OAP".

d. À 3h16, H______ a été interrogé en qualité de prévenu, après s'être déclaré d'accord de s'exprimer hors la présence d'un avocat.

e. À 4h25, A______ a également été interrogé en qualité de prévenu, après s'être déclaré d'accord de s'exprimer hors la présence d'un avocat.

Un résumé des déclarations de A______ figure dans le rapport d'arrestation du 20 septembre 2022 (cf. B.b). Dans les champs usuels dudit rapport ayant traits à la défense du "prévenu", il était indiqué pour le type d’infraction : "Cas hors liste art. 307 al. 1 CPP".

f. Le 20 septembre 2022 à 9h05, A______ a été mis à la disposition du Ministère public, lequel a ouvert une instruction à l'encontre de ce dernier, nommé d'office Me C______ sur la base des art. 132 al. 1 let. a ch. 1 CPP, et entendu le concerné.

g. Par pli du 23 septembre 2022, le défenseur d'office de A______ a informé le Ministre public que les auditions de son client effectuées le 20 septembre 2022, sans sa présence, avaient été faites en violation de l'art. 130 CP, si bien qu'il en sollicitait la répétition (art. 131 al. 3 CPP). À défaut, le Ministère public ne devait tenir aucunement compte des preuves administrées avant sa nomination d'office, intervenue le 20 septembre 2022 à 16h45.

h. Par lettre du 19 octobre 2022, le conseil précité a réitéré sa demande.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public relève que les auditions de A______ et de son comparse, par la police, s'étaient tenues avant l'ouverture de l'instruction de sorte que l'art. 130 CPP ne trouvait pas application. À ces occasions, les précités avaient d'ailleurs renoncé à la présence d'un avocat. En outre, le rapport sollicitant la mise en place d'un avis de recherche et d'arrestation concernant A______ avait été reçu par le Ministère public après la tenue des auditions litigieuses. Le Ministère public n'entendait donc pas procéder à la répétition des auditions effectuées le 20 septembre 2022 hors la présence du défenseur, ni retirer du dossier les procès-verbaux correspondants.

D. a. Dans son recours, se basant sur le rapport d'arrestation du 20 septembre 2022 et l'avis d'arrestation/de libération au Ministère public (art. 219 al. 1 CPP), A______ soutient que le Ministère public, dûment informé à 3h10 par la police de son arrestation ainsi que des faits qui lui étaient reprochés, aurait dû ouvrir une instruction conformément aux art. 309 al. 1 let. c cum 307 al. 1 CPP, respectivement l'art. 309 al. 1 let. a CPP, les faits du 5 septembre 2022 ayant aussi "très probablement également été évoqués par la police à ce moment-là". En n'ouvrant pas d'instruction alors qu'il avait l'obligation de le faire, le Ministère public l'avait privé de son droit à la défense obligatoire, violant ainsi les art. 309 et 130 let. b CPP; ce d'autant que le cas d'expulsion prévu par cette dernière disposition était manifestement déjà réalisé au moment de son audition par la police. Le fait que le Ministère public, le lendemain, ne lui pose aucune question sur les faits discutés lors de ladite audition confirmait que l'intégralité de l'enquête avait été menée par la police et que l'ouverture de l'instruction avait été "artificiellement" retardée par le Ministère public pour le priver de ses droits.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure, a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP), ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant se plaint d'une violation des art. 309 al. 1, 130 let. b et 131 al. 3 CPP.

3.1.       Selon l'art. 130 CPP, le prévenu doit avoir un défenseur notamment lorsqu'il encourt une peine privative de liberté de plus d'un an, une mesure entraînant une privation de liberté ou une expulsion (let. b). Cet examen doit se faire sur la base des éléments objectifs au dossier, et non en fonction d'un acte purement formel (comp. avec l'acquisition de la qualité de prévenu : Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 11a ad art. 111 ; S. GRODECKI, La "mise en prévention" : un abus de langage, forumpoenale 2/2019 159 ss ; cf. aussi ATF 144 IV 97 consid. 2.1.2).

Conformément à l'art. 131 CPP, en cas de défense obligatoire, la direction de la procédure pourvoit à ce que le prévenu soit assisté aussitôt d'un défenseur (al. 1). Si les conditions requises pour la défense obligatoire sont remplies lors de l'ouverture de la procédure préliminaire, la défense doit être mise en œuvre après la première audition par le ministère public et, en tout état de cause, avant l'ouverture de l'instruction (al. 2).

3.2. À teneur de l'art. 309 al. 1 CPP, le ministère public ouvre une instruction lorsqu'il est en présence de soupçons suffisants laissant présumer qu'une infraction a été commise (let. a) ou qu'il est informé par la police d'une infraction grave ou de tout autre événement sérieux (let. c en lien avec l'art. 307 al. 1 CPP).

Les indices réels d'un acte punissable nécessaires à l'ouverture d'une enquête pénale doivent être importants et de nature concrète. De simples rumeurs ou suppositions ne suffisent pas. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, de laquelle découle la possibilité concrète de commettre une infraction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_178/2017 c. 2.2.2. du 25 octobre 2017 et les références citées).

Quand bien même l'art. 309 al. 3 CPP prévoit que le ministère public ouvre l’instruction par une ordonnance dans laquelle il désigne le prévenu et l’infraction qui lui est imputée, celle-ci n'a qu'une portée déclaratoire et l'ouverture de l'instruction au sens de l'art. 131 al. 2 CPP s'entend au sens matériel, soit dès que les conditions de l'art. 309 al. 1 CPP sont réalisées (ATF 141 IV 20 consid. 1.1.4 p. 24 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_178/2017 du 25 octobre 2017 consid. 2.5).

En revanche, même si la question est controversée en doctrine, le Tribunal fédéral a confirmé, à plusieurs reprises, que le Code de procédure pénale ne prévoyait pas de droit à une "défense obligatoire de la première heure" lors du premier interrogatoire dans le cadre de l'investigation policière (c'est-à-dire avant l'ouverture de l'instruction pénale); la défense obligatoire ne commence qu'après l'enquête préliminaire de la police (art. 131 al. 2 CPP), même si celle-ci vise une infraction pour laquelle un défenseur obligatoire doit être en principe désigné (arrêts du Tribunal fédéral 1B_464/2022 du 10 novembre 2022, 1B 159/2022 du 13 avril 2022 consid. 4.5.3, 6B_322/2021 du 2 mars 2022 consid. 1.3 et les références citées).

3.3. Les preuves administrées avant qu'un défenseur ait été désigné, alors même que la nécessité d'une défense aurait dû être reconnue, ne sont exploitables qu'à condition que le prévenu renonce à en répéter l'administration (art. 131 al. 3 CPP).

3.4. En l'espèce, il n'y a pas lieu de s'écarter de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral, reprise par la Chambre de céans (ACPR/710/2022 du 13 octobre 2022, ACPR/539/2022 du 9 août 2022, ACPR/472/2014 du 23 octobre 2014), selon laquelle une défense obligatoire n'a pas à être mise en œuvre au stade du premier interrogatoire à la police dans une situation telle que la présente.

Au demeurant, le recourant, dûment informé de ses droits lors de son audition par la police, a renoncé à la présence d'un avocat, étant précisé que rien au dossier ne permet de retenir – et le recourant ne le soutient pas – qu'il n'aurait pas été en mesure de comprendre tant l'énoncé de ses droits que la portée du renoncement à la présence d'un conseil.

À ce stade, on ne saurait donc d'emblée retenir que le procès-verbal litigieux serait manifestement inexploitable.

3.5. Le recourant prétend toutefois que le Ministère public aurait dû ouvrir une instruction (art. 309 CPP) avant que la police procède à son audition, ce qui lui aurait permis d'être assisté d'un défenseur (art. 130 let. b CPP) dès ce stade de la procédure.

Tout d'abord, il ressort du dossier que la police, avant l'audition du recourant le 20 septembre 2022 à 4h15, a transmis, à 3h10, au Ministère public, le document intitulé "Avis d'arrestation/de libération au Ministère public (art. 219 al. 1 CPP)", lequel expose brièvement les motifs ayant mené à l'arrestation du prévenu. Rien à la procédure ne permet toutefois de retenir, comme le soutient le recourant, que le Ministère public aurait obtenu, par d'autres biais, à ce moment précis, d'autres informations, en particulier des détails sur les faits qui lui étaient reprochés, transmis notamment sur la base de l'art. 307 al. 1 CPP, ce que confirme la mention figurant sur le rapport d'arrestation ("Cas hors liste 307 CPP"). L'on ne saurait dès lors considérer que l'avis précité, faisant état du motif d'arrestation "[e]n flagrant délit (art. 217 al. 1 let. a CPP) de tentative de cambriolage, infractions à la LEI et faire l'objet d'un OAP", permettait à l'autorité de fonder des "soupçons suffisants" au sens de l'art. 309 CPP, lesdites informations n'établissant pas l'existence d'indices concrets de la commission d'une infraction par le recourant, au sens de la jurisprudence précitée.

Ce n'est que lorsque le recourant a été mis à sa disposition que le Ministère public a pris connaissance du rapport d'arrestation du 20 septembre 2022 – comprenant un résumé de l'audition police du recourant –, auquel était joint une copie du rapport de renseignements du 14 septembre 2022 – ce que confirme le timbre apposé au verso dudit rapport –, soit de l'intégralité des faits. Sur la base de ces éléments concrets, le Ministère public a alors, à juste titre, ouvert une instruction.

Sur cette même base, le Ministère public a considéré, vu le degré de gravité des infractions reprochées, qu'une peine privative de liberté d'un an était concrètement envisagée, respectivement qu'il envisageait de demander au tribunal de prononcer une expulsion, ce qui fondait un cas de défense obligatoire au sens de l'art. 130 let. b CPP.

Au vu de ce qui précède, l'examen rétrospectif des diverses étapes de la procédure ne permet pas d'affirmer que le Ministère public aurait dû reconnaître plus tôt l'existence d'un cas de défense obligatoire fondé sur l'art. 130 let. b CPP ou aurait sciemment retardé l'ouverture d'une instruction pour le priver desdits droits.

Pour le surplus, la mise en œuvre de la défense obligatoire du recourant a été effective avant même sa première audition par le Ministère public, puisqu'il était déjà assisté par son défenseur d'office au moment de se voir notifier formellement les charges retenues à son encontre.

Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

4.             Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), étant précisé que, même lorsqu'il bénéficie de l'assistance judiciaire, le recourant débouté peut être condamné à prendre à sa charge les frais de la procédure, dans la mesure de ses moyens (arrêt du Tribunal fédéral 6B_380/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5).

6.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP), la procédure n'étant pas terminée.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son défenseur, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19898/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

-

CHF

Total

CHF

600.00