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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12451/2022

ACPR/820/2022 du 22.11.2022 sur ONMMP/2820/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;SPHÈRE PRIVÉE
Normes : CP.179quater; CP.52

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12451/2022 ACPR/820/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 22 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Thomas BARTH, avocat,
BARTH & PATEK, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12,

recourant,

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 août 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé au greffe universel le 29 août 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 août 2022, communiquée par pli simple, et reçue selon lui le 18 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale du 7 juin 2022.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que le Ministère public soit invité à continuer la poursuite pénale à l'encontre de B______, respectivement de C______.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ est l'épouse de A______.

De l'union du couple sont issus deux enfants : D______ et E______.

b. En 2018, les époux A______/B______ ont engagé C______ en qualité de nounou. C______ s'est installée à leur domicile.

c. Les époux se sont séparés en mai 2019. A______ a quitté le domicile conjugal.

d. Après la séparation des époux, C______ a poursuivi son activité de nounou au domicile de B______.

e. Au cours de l'été 2020, A______ a fait appel aux services de C______ pour s'occuper temporairement des enfants dans son nouveau domicile. Dans un document écrit daté du 13 juillet 2020 signé par les précités, figurait notamment l'interdiction pour C______ de prendre des photographies des lieux, ainsi que des deux enfants, excepté dans la chambre de ceux-ci, sous peine d'une retenue de salaire.

f. En juin 2021, A______ a déposé une demande de divorce, laquelle est actuellement pendante devant le Tribunal civil. De nombreux points seraient litigieux.

g. Le 14 avril 2022, B______ a déposé un chargé de pièces dans le cadre de la procédure de divorce. A______ a été surpris d'y découvrir des photographies de l'intérieur de son nouveau domicile. Il soutient n'y avoir jamais invité B______, ni aucune connaissance commune qui aurait pu faire ces photographies et les lui transmettre. Selon lui, c'est C______ qui a pris ces photographies au cours de l'été 2020 et les a ensuite transmises à B______. Ces images montrent le salon de son nouveau domicile sous différents angles, ainsi que divers placards de sa cuisine et leur contenu.

h. Le 7 juin 2022, A______ a déposé une plainte pénale contre B______ et C______ pour infraction à l'art. 179quater CP.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a constaté que les éléments constitutifs de l'infraction dénoncée semblaient réalisés. Les faits s'inscrivaient toutefois dans le cadre d'une séparation conflictuelle entre époux dans laquelle C______ était impliquée malgré elle. Compte tenu des circonstances, tant la culpabilité de B______ et C______ que le résultat de l'infraction devaient être considérés comme de peu d'importance. Dès lors, il était renoncé à entamer des poursuites pénales (art. 52 CP).

D. a. Dans son recours, A______ soutient que les éléments constitutifs de l’infraction à l'art. 179quater CP sont remplis, tandis que ceux de l'art. 52 CP non. B______ et C______ avaient agi pour des motifs purement "égoïstes" et "avec un cynisme particulier" démontrant une culpabilité qui n'est pas peu importante. Les conséquences de leur comportement n'étaient pas "anodines". Le Ministère public échouait à démontrer le contraire. Il ne disait par ailleurs mot de l'implication de B______, qui avait communiqué les photographies aux instances civiles en violation de l'art. 179quater CP.

b. Dans ses observations du 19 septembre 2022, le Ministère public s’en tient à son ordonnance et conclut au rejet du recours comme étant mal fondé. Il relève que les photographies visent des pièces principales du logement et des placards contenant de la vaisselle, de sorte qu'il ne voyait pas à quels faits privés ou secrets de A______ les mises en cause avaient porté atteinte, hormis ceux du recourant dans le cadre de la procédure de divorce en cours. À cela s'ajoutait qu'il serait difficile et disproportionné, plus de deux ans après la prise des photographies, d'établir les circonstances dans lesquelles elles avaient été prises et les intentions des personnes mises en cause.

c. Dans sa réplique, le recourant persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) - les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées -, concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte pénale pour violation de l'art. 179quater CP.

2.1. Une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le Ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le Ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

Une non-entrée en matière doit également être prononcée lorsqu'il peut être renoncé à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (art. 310 al. 1 let. c cum art. 8 al. 1 CPP). Tel est notamment le cas si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP).

2.2. Selon l’art. 179quater CP se rend coupable de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues, celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, aura observé avec un appareil de prise de vues ou fixé sur un porteur d’images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci (al. 1); et celui qui aura tiré profit ou donné connaissance à un tiers d'un fait qu'il savait ou devait présumer être parvenu à sa propre connaissance au moyen d'une infraction visée à l'al. 1 (al. 2); et celui qui aura conservé une prise de vues ou l’aura rendue accessible à un tiers, alors qu’il savait ou devait présumer qu’elle avait été obtenue au moyen d’une infraction visée à l’al. 1 (al. 3).

L'auteur qui communique des faits privés ou secrets à des tiers, visé par les al. 2 et 3 de la disposition, n'est pas obligatoirement celui qui a pris les photographies, comportement réprimé à l'al. 1. Ainsi, les mêmes images peuvent être l'objet de plusieurs infractions commises par différents auteurs, par exemple, le premier les captant à l'aide d'un appareil de prise de vues, et le second les transmettant à des tiers alors qu'il en connait leur origine illicite (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale, Bâle 2017, n. 22 ad art. 179bis et n. 18 ad art. 179quater).

Cette disposition vise à sauvegarder l'honneur et l'intimité de la personne (ATF
118 IV 41 consid. 3 et suivants p. 44 et suivantes, JdT 1994 IV 79). Elle a pour but de permettre à tout un chacun de s'épanouir librement, en sécurité et sans être observé, non seulement dans sa sphère secrète mais également, plus généralement, dans sa vie privée (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 111-392 StGB, 4e éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 179quater). Le domaine privé, qui est une notion plus large que le domaine secret, rassemble les évènements que chacun veut partager avec un nombre restreint de personnes auxquelles il est attaché par des liens relativement étroits, comme ses proches, ses amis ou ses connaissances (ATF 118 IV 41 consid. 4 et suivants, p. 45 et suivantes, JdT 1994 IV 79; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 5 ad art. 179quater).

Il n'est pas nécessaire que les faits relevant du domaine privé concernent le domaine du secret ou qu'ils soient contraires à la bienséance ou aux usages, ni même qu'ils exposent la victime à un dommage ou à un tort moral (ATF 118 IV 41 consid. 4f p. 50 et suivantes, JdT 1994 IV 79; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 6 ad art. 179quater). La loi veut avant tout protéger les lieux de vie privée dont les différentes pièces d'un domicile font partie (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S.  BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 6 ad art. 179quater).

2.3. En l'espèce, force est de constater que l'intérieur du domicile privé n'est pas accessible à n'importe quel tiers. Il relève par conséquent bien de la sphère privée du recourant. Les photographies du salon et des placards de cuisine prises sans son consentement et leur production devant le Tribunal civil tombent ainsi sous le coup de l'art. 179quater CP.

2.4. Reste à savoir si la culpabilité des mises en cause, auteures présumées de l'infraction, et la conséquence de leurs actes peuvent être qualifiées de peu d'importance au sens de l'art. 52 CP.

2.4.1. La renonciation à la poursuite suppose que l'infraction soit de peu d'importance, tant au regard de la culpabilité de l'auteur que du résultat de l'acte (art. 52 CP). L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans le cas particulier doivent être évaluées par comparaison avec celle de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification ; il ne s'agit pas d'annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi (Message concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871). Pour apprécier la culpabilité, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents pour la fixation de la peine, notamment des circonstances personnelles de l'auteur, tels que les antécédents, la situation personnelle ou le comportement de l'auteur après l'infraction. Une violation du principe de célérité ou un long écoulement de temps depuis les faits peuvent également être pris en considération (ATF 135 IV 130 consid. 5.4 p. 137 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_839/2015 du 26 août 2016 consid. 6.1).

Lorsque les conditions visées à l'art. 52 CP sont remplies, la renonciation à la poursuite est obligatoire et doit être prononcée d'office (Message concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871).

2.4.2. En l'espèce, la sphère privée du recourant, certes atteinte par la captation des images de son intérieur, respectivement leur communication à des tiers, n'a pas été durement touchée, au vu du contenu desdites images. Il n'y a donc pas à proprement parler de lésion entraînant un dommage quelconque pour le recourant. Quand bien même le but et les motivations des mises en cause présumées demeurent inconnus - celles-ci n'ayant pas été entendues - on peine à voir quels avantages elles envisageaient de retirer de ces prises de vues. Le recourant lui-même ne l'explique pas. La culpabilité des mises en cause présumées apparait ainsi de peu d'importance. Quant au résultat de l'infraction soupçonnée, on peut également le qualifier de peu d'importance. D'une part, le recourant manque de démontrer quel préjudice il aurait subi, tel qu'une détresse psychologique ou un désavantage dans la procédure matrimoniale. D'autre part, le recourant a vraisemblablement lui-même considéré les faits comme de peu d'importance, puisqu'il ne démontre pas avoir actionné la clause contractuelle pourtant claire, contre son ex-employée, renonçant ainsi volontairement à la retenue de salaire. Dès lors, c'est à bon droit que le Ministère public a fait application de l'art. 52 CP, et donc renoncé à entrer en matière sur la plainte pénale du 7 juin 2022 (art. 52 CP et 310 al. 1 let. c cum art. 8 CPP).

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03) émolument de décision inclus.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui seront arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12451/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

 

Total

CHF

900.00