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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22314/2020

ACPR/558/2022 du 16.08.2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(LP);PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.263; CPP.266.al6

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22314/2020 ACPR/558/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 août 2022

 

Entre

A______ SA, ayant son siège ______ [VD],

B______ SÀRL (Luxembourg), ayant son siège ______, Luxembourg,

comparant toutes deux par Me Ludovic TIRELLI, avocat, rue de Lausanne 1,
case postale 1140, 1800 Vevey,

recourantes,

contre la décision de refus de lever le séquestre rendue 16 mai 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par actes séparés expédiés le 25 mai 2022, A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg) recourent contre la décision du 16 mai 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de lever les séquestres ordonnés sur leurs comptes bancaires respectifs.

b. A______ SA conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de ladite ordonnance, au "maintien" du séquestre portant sur les valeurs patrimoniales déposées sur les comptes bancaires 1______ et 3______ ouverts auprès de la banque J______ et/ou K______, au "transfert" desdites valeurs patrimoniales auprès des caisses de l'État de Genève ou d'un compte bancaire ouvert au nom du Ministère public, et à la levée du séquestre sur les comptes bancaires précités.

B______ SÀRL (Luxembourg) conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de la décision précitée, au "maintien" du séquestre portant sur les valeurs patrimoniales déposées sur ses comptes bancaires détenus auprès de la banque C______, notamment sur la relation n° 4______, au "transfert" desdites valeurs patrimoniales auprès des caisses de l'État de Genève ou d'un compte bancaire ouvert au nom du Ministère public, et à la levée du séquestre sur les comptes bancaires précités.

Subsidiairement, les recourantes concluent au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.D______ SA, devenue A______ SA le ______ 2021, est une société anonyme active dans le domaine de l'industrie pharmaceutique, et, plus précisément, dans les matières végétales et synthétiques, notamment de cannabinoïdes.

b.        E______ SA est une société anonyme dont le but est la culture, la production, la recherche, le développement, l'achat, l'importation, l'exportation, la distribution, la commercialisation, la promotion et la vente de plantes et produits agricoles ou naturels de toutes sortes, ainsi que de tous produits et accessoires liés ou dérivés, notamment de produits textiles à base de chanvre.

c.         F______ SA est une société anonyme active dans l'acquisition, la vente et l'administration de participations à toutes entreprises commerciales, financières, immobilières et industrielles.

d.        G______ est l'administrateur des trois sociétés précitées, dont les sièges se situent à H______ (VD).

e.         En mai 2021, le Ministère public a ouvert une instruction à l'encontre de G______ pour infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (art. 19 al. 1 let. a, b, c, et d et al 2 let. c LStup; RS 812.121).

Il lui est notamment reproché d'avoir, à Genève et dans la région lémanique, à tout le moins depuis juin 2020, utilisé ses sociétés "E______/F______" pour produire, confectionner, transporter et vendre de la résine de cannabis cannabidiol (ci-après: CBD), soit une substance interdite en Suisse quelle que soit sa teneur en tétrahydrocannabinol (ci-après: THC) selon l'art. 2 al. 1 de l'ordonnance du Département fédéral de l'Intérieur sur les tableaux des stupéfiants (OTStup-DFI; RS 812.121.11).

f.         Dans ce contexte, plusieurs tonnes de résine de chanvre à faible teneur en THC ont été saisies, la première fois de manière fortuite, puis lors de perquisitions ordonnées par le Ministère public, notamment les 18 mai et 11 juin 2021 dans les locaux de E______ SA.

Les diverses perquisitions effectuées ont également permis de réunir de la documentation bancaire, comptable et douanière. Un document intitulé "Classeur 5" a notamment été découvert dans le "cloud" de la société, permettant, à première vue, de déduire qu'entre 2020 et 2021, celle-ci avait produit 29'405 kilos de résine de chanvre à faible teneur en THC (cf. rapport d'arrestation du 18 mai 2021).

g.        Auditionné par la police le 18 mai 2021, G______ a expliqué que F______ SA comprenait une dizaine de sociétés en Suisse et à l'étranger, notamment au Luxembourg, toutes actives dans le domaine du CBD.

E______ SA, B______ SÀRL (Luxembourg) et A______ SA faisaient partie des sociétés du groupe.

La substance saisie appartenait à E______ SA. Celle-ci ne produisait pas de résine de chanvre, mais de l'"extrait de chanvre", une substance légale en Suisse en dessous de 1% de THC.

Il a précisé : "En termes de ventes et de facturation, nous facturons tous nos produits comme du "chanvre", sans distinction. [ ] La fleur c'est comme du chanvre pour moi. C'était mentionné comme chanvre ou fleur de chanvre".

h.        Dans son rapport du 21 juin 2021, la police a conclu, après une première analyse de la documentation saisie, que la société avait vendu, depuis le 1er mai 2020, environ 23'000 kilos de résine de chanvre CBD contre une somme totale minimale de CHF 4'600'000.-, mais plus vraisemblablement de CHF 16'100'000.-.

En outre, l'examen des factures établies par E______ SA entre septembre 2018 et mai 2021 avait révélé que la résine de chanvre pouvait être vendue sous diverses appellations aux clients (notamment : extrait de chanvre ou fleurs de chanvre). Il n'était dès lors pas possible de savoir si les libellés des factures concernaient du haschich illégal ou des fleurs de chanvre CBD légales.

La société luxembourgeoise B______ SÀRL (Luxembourg) avait vraisemblablement été utilisée pour vendre du haschisch CBD en Europe, probablement au moyen de l'utilisation d'autres appellations que celles qui figuraient dans les factures analysées.

i.          Par une première ordonnance du 14 juillet 2021 adressée à la banque C______, le Ministère public a ordonné le séquestre de toutes les relations bancaires liées notamment à G______, F______ SA, E______ SA et D______ SA.

Par une seconde ordonnance du 16 août 2021 adressée à la banque J______ et/ou K______, le Ministère public a ordonné le séquestre de deux comptes bancaires appartenant à A______ SA (1______ et 3______).

Ces deux décisions étaient justifiées par l'existence de soupçons d'infraction grave à la LStup commises par G______, à qui il était reproché d'avoir utilisé ses sociétés pour s'adonner à un trafic de résine de cannabis CBD. L'enquête avait révélé que des fonds – issus du produit de l'activité illégale – pouvaient avoir transité et/ou avoir été crédités sur les comptes bancaires des différentes sociétés du groupe.

j.          Dans son rapport de renseignements du 17 août 2021, la police a communiqué au Ministère public les résultats de ses analyses de la documentation bancaire recueillie.

Avant janvier 2020, les entrées de fonds sur le compte n° 4______ de B______ SÀRL (Luxembourg) provenaient de tiers divers et variés, tout en ne dépassant jamais la vingtaine de milliers d'euros. Dès janvier 2020, le compte avait enregistré essentiellement des virements avoisinant les EUR 50'000.- provenant d'un autre compte appartenant à la société luxembourgeoise. À partir de janvier 2021, les mêmes entrées d'argent avaient fréquemment augmenté pour atteindre les EUR 100'000.-. La période concernée par ces modifications coïncidait avec celle durant laquelle il était reproché à G______ de s'être adonné à un trafic de résine de chanvre.

De plus, il ressortait d'un courriel du 24 janvier 2020 à 15h15 interne à C______ que les entrées d'argent sur le compte n° 4______ provenaient des activités commerciales de B______ SÀRL (Luxembourg). Cet e-mail laissait entendre que la société détenait un ou des autres comptes sur le(s)quel(s) arrivai(en)t les paiements des clients, avant d'être transférés, au moins en partie, sur le compte n° 4______. Dès lors, il était possible de déduire que lesdits paiements correspondaient à des contreparties pour des ventes de résine de chanvre produite en Suisse.

En outre, s'agissant du transit de cet argent, le rapport d'enquête détaille les transactions suivantes :

-          Le 10 décembre 2020, la somme de CHF 850'000.- a été transférée depuis le compte n° 4______ titularité de B______ SÀRL (Luxembourg) vers un compte détenu auprès de C______ par E______ SA.

-          Le même jour, la somme a été transférée sur le compte J______ de F______ SA.

-          En parallèle, le 16 décembre 2020, un montant de CHF 500'000.- a été transféré depuis un compte I______ ouvert au nom de E______ SA sur le compte J______ de F______ SA.

-          Le même jour, CHF 1'000'000.- ont été transférés depuis le compte J______ de F______ SA vers le compte J______ n° 5______ de D______ SA.

-          Enfin, le 10 mars 2021, cette dernière somme a été transférée sur le compte J______ séquestré n° 6______ de A______ SA.

Au 6 août 2021, ce dernier compte faisait état d'un solde positif de CHF 1'021'541.-, étant précisé qu'il avait été alimenté à hauteur de CHF 100'000.- le 7 septembre 2020 depuis un compte indéterminé.

k.        Par pli du 1er octobre 2021, A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg) ont, sous la plume de leur conseil commun, pris contact avec le Ministère public au sujet des mesures en cours.

A______ SA a requis la levée du séquestre sur son compte n° 6______ détenu auprès de J______. Elle était entravée dans l'exercice de ses activités commerciales, alors même qu'elle n'avait aucun lien avec les activités sous enquête de E______ SA.

B______ SÀRL (Luxembourg) a quant à elle demandé la confirmation qu'elle pouvait disposer des fonds placés sur son compte bancaire ouvert auprès de C______. Il semblait y avoir une confusion au sein de ladite banque en raison du séquestre prononcé sur les relations bancaires des autres sociétés du groupe. En tout état, elle était empêchée d'effectuer des transactions sur son compte, alors même qu'elle n'avait aucun lien avec les investigations en cours.

l. Le 23 novembre 2021, le Ministère public a refusé de lever les séquestres.

Ces mesures étaient justifiées vu les soupçons suffisants laissant penser que les comptes séquestrés étaient alimentés par des fonds correspondant aux contreparties des ventes de résine de chanvre produite en Suisse.

m. Par arrêt du 10 mars 2022 (ACPR/176/2022), la Chambre de céans a rejeté les recours déposés par A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg) contre la décision précitée.

Les séquestres des comptes des sociétés demeuraient justifiés dès lors qu'il existait une possibilité de confiscation. Les éléments de l'enquête (en particulier les déclarations du prévenu, les quantités importantes de résine de chanvre retrouvées dans les locaux de E______ SA et les dernières analyses policières effectuées sur la documentation) corroboraient la thèse de l'existence d'un vaste trafic portant sur plusieurs tonnes de substance fabriquées entre 2020 et 2021, de nature à engendrer des revenus substantiels pour ses participants. En outre, il apparaissait vraisemblable, vu les conclusions du rapport de police du 21 juin 2021, que B______ SÀRL (Luxembourg) ait acquis auprès de la société suisse de la résine de chanvre destinée à sa clientèle européenne et, par voie de conséquence, que le produit des ventes européennes ait ensuite été crédité sur le compte suisse de la société luxembourgeoise.

L'analyse policière de la documentation saisie avait en outre révélé qu'un montant de CHF 850'000.- avait été débité du compte suisse de la société luxembourgeoise, qu'il avait transité sur les différents comptes bancaires des entités du groupe et que la somme de CHF 1'000'000.- avait finalement été virée depuis celui de la holding suisse en faveur de A______ SA. La provenance des fonds était douteuse, même si la société pharmaceutique alléguait les avoirs reçus à titre d'augmentation de capital, puisqu'ils venaient initialement du compte séquestré de B______ SÀRL (Luxembourg).

Même si la licéité des ventes de la société luxembourgeoise venait à être établie, la connexité entre les entités dont le prévenu était administrateur et les différents versements intervenus entre elles laissaient subsister une possibilité de créance compensatrice; ce d'autant qu'il était impossible d'exclure que les sociétés n'aient pas bénéficié de ce trafic, vu leur proximité avec les sociétés basées en Suisse.

Enfin, la mesure demeurait proportionnée dans le temps et ne concernait que les comptes bancaires sur lesquels les fonds litigieux pouvaient avoir transité.

n. Par courrier du 28 avril 2022, A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg), sous la plume de leur conseil, ont sollicité la levée des séquestres moyennant le virement de la totalité des fonds saisis sur des comptes bloqués au nom de l'État de Genève.

À teneur de l'art. 266 CPP, il appartenait à l'État de veiller à la gestion des avoirs séquestrés et ce, dès le prononcé de la mesure. Afin de respecter le principe de proportionnalité, les sociétés "propos[ai]ent de virer, sur des comptes bloqués de l'État de Genève, les exacts mêmes montants que [le Ministère public avait] séquestrés sur leurs comptes, ensuite de quoi lesdits séquestres portant sur les relations bancaires pourraient être levés". Ainsi, l'État ne perdrait pas "un centime" et les montants séquestrés resteraient bloqués "jusqu'à ce qu'un jugement au fond [soit] rendu". Cette solution permettrait également aux sociétés, "dont il avait été prouvé qu'elles déployaient des activités parfaitement licites", de pouvoir continuer à travailler, les séquestres prononcés les empêchant d'ouvrir de nouveaux comptes bancaires. En l'occurrence, le maintien desdits séquestres risquait d'engager la responsabilité de l'État dès lors que d'autres mesures permettant de garantir les droits de la Direction de la procédure et de l'État pouvaient être mises en œuvre.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a refusé de lever le séquestre portant sur les comptes bancaires appartenant à A______ SA et à B______ SÀRL (Luxembourg), les motifs retenus par la Chambre de céans dans son arrêt du 10 mars 2022 – qui n'avait pas fait l'objet d'un recours –, restant pertinents. Les "modalités" proposées ne permettaient pas de modifier sa décision.

En outre, il existait une possibilité de créance compensatrice en raison de la connexité entre les sociétés et le prévenu, administrateur de celles-ci. Enfin, la mesure demeurait proportionnée, vu le montant estimé du produit illicite généré par le trafic reproché à G______.

D. a. Dans leurs recours, à la motivation identique, A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg) invoquent, tout d'abord une violation de leur droit d'être entendues, le Ministère public s'étant contenté d'affirmer que les conditions du séquestre étaient toujours remplies, sans "répondre" à leur "requête" du 28 avril 2022.

Elles se plaignent ensuite d'une violation des art. 197 al. 1 let. c, 263, 266 CPP et des art. 1 et 2 de l'ordonnance fédérale sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrées du 3 décembre 2010 (RS 312.057; ci-après: O-PI).

Les mesures portaient atteinte à leurs intérêts privés. Les séquestres les empêchaient d'ouvrir de nouveaux comptes bancaires et leur activité commerciale se trouvait désormais au point mort. Le respect du principe de la proportionnalité imposait le prononcé d'une mesure moins incisive. Il convenait donc de maintenir le séquestre uniquement sur les valeurs patrimoniales déjà saisies, de transférer celles-ci auprès des caisses de l'État ou sur un autre compte au nom de l'autorité pénale et de lever la mesure sur leurs comptes bancaires.

Cette solution devait leur permettre de poursuivre leur activité commerciale sans altérer la substance des valeurs patrimoniales séquestrées. La nécessité d'obtenir l'autorisation du Ministère public pour toutes les opérations effectuées sur lesdits comptes les entravait dans l'exercice de leurs activités. En outre, l'ouverture de nouvelles relations bancaires engendrerait des difficultés importantes dès lors qu'elles se verraient contraintes d'informer tous leurs cocontractants et leurs prestataires desdits changements, ce qui éroderait leur confiance en elles sur le plan commercial.

Cette proposition respectait les conditions prévues par l'O-PI, dès lors que les valeurs patrimoniales déposées jusqu'alors auprès de J______, respectivement de C______, seraient placées de manière "encore plus sécurisées" auprès des caisses de l'État ou d'un compte ouvert au nom de l'autorité pénale auprès de la Banque L______. Le virement sollicité n'engendrerait aucune difficulté, la plupart des avoirs étant libellés en francs suisse. Bien qu'à rigueur de texte, l'art 2 O-PI semblait concerner seulement les "espèces", cette disposition devait être appliquée par analogie aux valeurs patrimoniales séquestrées sur un compte bancaire et imposait le transfert demandé.

b. Le Ministère public, dans ses observations à la motivation identique sur les deux recours, conclut à leurs rejets, sous suite de frais.

La Chambre de céans avait confirmé les ordonnances de séquestre des 14 juillet et 16 août 2021 et jugé, le 10 mars 2022, que c'était à bon droit que le Ministère public avait refusé de lever les séquestres en question.

S'agissant de la "proposition" des recourantes de verser les valeurs saisies sur un compte étatique, il s'en rapportait à sa décision, relevant que le principe de proportionnalité était respecté, en particulier compte tenu des faits reprochés et dès lors qu'il n'était pas exclu qu'une créance compensatrice soit prononcée, et ce sur des montants supérieurs aux avoirs saisis.

Les recourantes n'avaient pas démontré leur impossibilité d'ouvrir de nouveaux comptes bancaires, étant précisé qu'aucune interdiction ne leur avait été faite dans ce sens. En outre, les séquestres ne les empêchaient pas de continuer une activité licite, les banques continuant à recevoir des fonds malgré les mesures ordonnées et des autorisations du Ministère public pouvant être demandées pour certaines opérations.

c. Par plis séparés, A______ SA et à B______ SÀRL (Luxembourg) ont exposé ne pas avoir d'observations complémentaires à formuler.

EN DROIT :

1.             Les recours sont recevables, pour avoir été déposés selon la forme et – faute de respect des réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP– dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des tiers saisis qui, parties à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La connexité des recours, qui reposent sur des faits et moyens similaires, commande leur jonction. Il sera statué par un seul arrêt.

3.             Les recourantes se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendues.

3.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., implique notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; ATF I 232 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_146/2016 du 22 août 2016 consid. 1.1 et 1B_62/2014 du 4 avril 2014 consid. 2.2).

3.2. En l'espèce, la motivation de la décision querellée – certes succincte – permet de comprendre que le Ministère public a considéré que le maintien des séquestres était justifié et que tant la solution proposée que les arguments soulevés par les recourantes ne permettaient pas de remettre en cause sa décision. Les recourantes ont d'ailleurs bien compris cette motivation, ayant été capables de la discuter longuement dans leurs écritures de recours.

Le cas échéant, dite motivation a été réparée dans le cadre du recours.

Partant, le grief est infondé.

4.             Les recourantes considèrent que les séquestres ordonnés par le Ministère public, dont le fondement n'est pas contesté, violent le principe de la proportionnalité.

4.1. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets peuvent être mis sous séquestre lorsqu'il est probable qu'ils devront être confisqués (let. d). L'art. 71 al. 3 CP permet par ailleurs à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des éléments du patrimoine de la personne concernée.

En raison de l'atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes concernées, le séquestre suppose le respect des conditions générales fixées à l'art. 197 CPP, à savoir qu'il doit être prévu par la loi (al. 1 let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (al. 1 let. b), respecter le principe de la proportionnalité (al. 1 let. c) et apparaître justifié au regard de la gravité de l'infraction (al. 1 let. d). Lorsque la mesure porte atteinte aux droits fondamentaux de personnes qui n'ont pas le statut de prévenu, une retenue particulière doit être observée (art. 197 al. 2 CPP).

4.2. Pour que le séquestre soit conforme au principe de proportionnalité, il doit être apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), ces derniers ne pouvant pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). Il faut en outre que la mesure n'emporte pas de limitation allant au-delà du but visé, et qu'il existe un rapport raisonnable entre le séquestre et les intérêts privés compromis, eu égard à la gravité de l'infraction et des charges qui pèsent sur le prévenu (principe de la proportionnalité au sens étroit) (A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C.  PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 23-23a ad art. 263 et les références citées).

Une mesure de séquestre est en principe proportionnée du simple fait qu'elle porte sur des valeurs dont on peut vraisemblablement admettre qu'elles pourront être confisquées en application du droit pénal (ATF 116 Ib 96 consid. 3a).

4.3. L'art. 266 al. 2 CPP impose à l'autorité pénale de conserver les objets et valeurs séquestrés de manière appropriée. Le Conseil fédéral règle le placement des valeurs patrimoniales séquestrées (art. 266 al. 6 CPP).

La conservation des actifs séquestrés est régie par l'O-PI. Dans toute la mesure du possible, les valeurs patrimoniales séquestrées sont placées de manière que le placement soit sûr, qu’elles ne se déprécient pas et qu’elles produisent un rendement (art. 1) et, si le montant des espèces séquestrées excède CHF 5'000.- ou que le séquestre dure plus de trois mois, la direction de la procédure dépose la somme auprès de la caisse d’État ou elle la place au nom de l’autorité pénale sur un compte d’épargne ou un compte courant auprès d’une banque soumise à la loi du 8 novembre 1934 sur les banques (art. 2).

Le pouvoir de contrôle qu'exerce l'État sur les actifs séquestrés a pour corollaire une certaine responsabilité quant au maintien de la substance économique des valeurs saisies; comme le titulaire des actifs – qui sont désormais sous contrôle étatique – ne peut plus en disposer librement, il reviendra respectivement au ministère public ou au tribunal du fond de procéder, de façon directe ou indirecte, à la gestion des actifs. Il s'agira de limiter autant que faire se peut le dommage causé par la mesure de contrainte. En principe, les espèces détenues sur le compte d'un établissement bancaire présentant des garanties de sécurité suffisantes constitueront un investissement sûr, sous réserve d'un placement dans une monnaie exotique et de l'insolvabilité de l'institut financier auprès duquel les avoirs sont placés (C. REMUND / D. WYSS, La gestion d'actifs bancaires séquestrés dans la procédure pénale, RPS 133/2015 1 ss, p. 9 et 12, et les références citées).

4.4. En l'espèce, les recourantes soutiennent que le but visé par le séquestre pourrait être atteint au moyen d'une mesure moins incisive, à savoir le transfert des avoirs saisis sur un compte de l'État ou un compte ouvert au nom de ce dernier auprès de la Banque L______. Ainsi, elles pourraient recouvrer la titularité de leurs relations bancaires et poursuivre leurs activités commerciales respectives. Enfin, ledit transfert serait conforme aux exigences prévues par l'O-PI.

Tout d'abord, il est constant que le séquestre des valeurs patrimoniales litigieuses est apte à atteindre le but visé, à savoir la confiscation, respectivement l'exécution de la créance compensatrice, qui pourraient être ordonnées. À cela s'ajoute que la Chambre de céans avait retenu, sans être contredite, que le séquestre portait sur les comptes bancaires sur lesquels les fonds litigieux pouvaient avoir transité (ACPR/176/2022 consid. 4.5.).

Les recourantes exposent être entravées dans leurs activités commerciales respectives en raison des mesures ordonnées. Or, elles ne démontrent aucunement leurs affirmations. Au contraire, il ressort de leurs écritures que leurs activités seraient au "point mort". L'on ne saurait dès lors retenir que la baisse d'activité alléguée serait due auxdites mesures, ce d'autant que les recourantes demeurent libres d'ouvrir de nouveaux comptes bancaires leur permettant de poursuivre une activité licite, ou encore de solliciter des autorisations ponctuelles du Ministère public pour effectuer certaines transactions depuis les comptes séquestrés, si celles-ci s'avéraient nécessaires à leur activité. En outre, l'on ne distingue pas en quoi le fait de transmettre de nouvelles références bancaires à des tiers cocontractants et/ou prestataires pourraient entacher leurs relations commerciales. Les désagréments soulevés par les recourantes semblent ainsi plus relever de la pure convenance que de la violation du principe de la proportionnalité au sens étroit.

Enfin, les avoirs saisis, libellés pour la plupart en francs suisse et détenus sur des comptes auprès de banques suisses, présentent des garanties de sécurité suffisantes, de sorte que le maintien de la substance économiques des valeurs saisies parait assuré, conformément au but et aux conditions posées par l'O-PI ainsi que des principes tirés de la jurisprudence. Les circonstances, en l'espèce, ne justifient donc pas le transfert desdites valeurs sur un compte de l'État ou un compte ouvert à son nom auprès d'une banque cantonale.

Au vu de ce qui précède, le principe de la proportionnalité demeure respecté.

5.             Justifiée, la décision querellée sera confirmée et les recours seront rejetés.

6.             Les recourantes qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement (art. 418 al. 2 CPP) les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les rejette.

Condamne A______ SA et B______ SÀRL (Luxembourg), conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourantes, soit pour elle leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22314/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

-

CHF

Total

CHF

1'500.00