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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13217/2022

ACPR/561/2022 du 16.08.2022 sur ONMMP/2056/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉNONCIATION CALOMNIEUSE;EMPÊCHEMENT(EN GÉNÉRAL);COMPÉTENCE RATIONE LOCI
Normes : CPP.310; CP.303; CP.8; CP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13217/2022 ACPR/561/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 août 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Mathieu JACQUERIOZ, avocat, Jacquerioz Avocat, rue des Eaux-Vives 49, case postale 6213, 1211 Genève 6,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 17 juin 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 28 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 juin 2022, notifiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 15 précédent.

La recourante conclut à l'annulation de la décision querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction, sous suite de frais et dépens.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 15 juin 2022, A______, de nationalité suisse, a déposé plainte contre B______, ressortissant grec domicilié à C______, en Grèce, pour dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et toute autre disposition pénale applicable.

En substance, elle y exposait avoir, le 20 décembre 2012, été auditionnée en qualité de prévenue par la Brigade financière de la police à Genève, à la suite d'une plainte pénale déposée par le prénommé notamment contre elle le 2 novembre 2009 en Grèce. Dans sa plainte, B______ l'accusait de s'être rendue coupable, de concert avec cinq autres individus, de "faux dans les certificats dans le but de se faire procurer un avantage patrimonial excédant EUR 73'000.-, d'escroquerie et de faux dans les titres".

Bien qu'elle eût nié toute implication dans les faits dénoncés et rompu tout contact avec les personnes concernées par ceux-ci, elle avait, par ordonnance n°1996/2018 du Tribunal correctionnel de D______ du 3 mai 2018, été renvoyée en jugement par-devant la Cour d'appel de D______ et citée à comparaître à une audience devant celle-ci le 30 mai 2022. Sur conseil de son avocat, elle avait refusé de s'y présenter et avait demandé à être auditionnée par vidéoconférence, requête qui était toutefois demeurée sans suite.

b. À l'appui de sa plainte, A______ a notamment produit une copie du procès-verbal de son audition à la police à Genève le 20 décembre 2012; la traduction officielle, en français, de la plainte déposée le 2 novembre 2009 en Grèce par B______ contre elle-même et cinq autres personnes, domiciliées à l'étranger ou dont les adresses étaient inconnues; une convocation du Ministère public de Genève du 14 juin 2021 pour retirer un acte judiciaire ainsi qu'une traduction certifiée conforme en français de l'ordonnance n°1996/2018 précitée, la renvoyant en jugement devant la Cour d'appel de D______ pour escroquerie, faux et usage de faux; ainsi que ses lettres à cette dernière juridiction des 5 mai 2017, 12 avril, 6, 16 et 27 mai 2022, aux termes desquelles elle avait indiqué ne pas avoir l'intention de se déplacer en Grèce, souhaitant être auditionnée par les autorités grecques par vidéoconférence.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que, les "faits" s'étant déroulés en Grèce, il n'était pas compétent ratione loci pour statuer sur l'infraction de dénonciation calomnieuse (art. 303 CP). Partant, il existait un empêchement de procéder, justifiant une non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation des art. 3 et 8 CP, de l'art. 310 CPP et du principe "in dubio pro duriore".

"De nombreux" éléments au dossier plaidaient en faveur d'un rattachement territorial avec la Suisse. En effet, elle était de nationalité suisse et était domiciliée à Genève. De plus, la majeure partie des faits qui lui étaient reprochés par le mis en cause s'était déroulée en Suisse.

En outre, les accusations formulées contre elle avaient provoqué une atteinte à son honneur et, "dans une moindre mesure", à son intégrité psychique, dès lors qu'elle avait été auditionnée par la police à Genève, à la suite de la demande d'entraide pénale émanant des autorités grecques. La plainte déposée contre elle en Grèce avait dès lors eu des conséquences et un résultat "direct" en Suisse.

Enfin, le jugement que les autorités grecques seraient amenées à rendre pourrait être exécuté en Suisse.

Dans la mesure où la cause présentait un lien étroit avec ce dernier État, la compétence des autorités helvétiques devait être admise. En tout état, en cas de doute, il convenait de suspendre l'instruction jusqu'à droit connu dans la procédure pénale grecque.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_243/2015 du 12 juin 2015 consid. 2.2, rappelant que l'art. 303 CP tend notamment à protéger la personne qui se prétend accusée faussement).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte, faute de compétence des autorités helvétiques.

3.1.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. b CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort, notamment, de la dénonciation qu'il existe des empêchements de procéder. La mise en mouvement de l'action publique peut en effet se heurter à des obstacles permanents ou définitifs, qui entraînent une fin de non-recevoir (JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 11 ad art. 310). L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder selon l'art. 310 al. 1 let. b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1355/2018 du 29 février 2019 consid. 4.5.1; 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1).

3.1.2. Si l'une des conditions d'exercice de l'action publique fait défaut – ce qui doit être examiné d'office et à tous les stades de la procédure –, la poursuite pénale ne peut être engagée, ou bien, si elle a été déclenchée, elle doit s'arrêter. L'autorité doit clore le procès par une décision procédurale, notamment une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. b CPP; ACPR/54/2013 du 7 février 2013; G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3ème édition, Genève 2011, p. 537 n. 1553 et 1555). Le ministère public rend donc une ordonnance de non-entrée en matière en cas d'empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP). Tel sera le cas, notamment, de l'incompétence en raison du lieu ou de la matière (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale, Petit commentaire, 2ème éd. 2016, n. 13 ad art. 310).

3.1.3. L'art. 303 al. 1 CP réprime notamment du chef de dénonciation calomnieuse celui qui aura dénoncé à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'elle savait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale.

3.1.4. À teneur de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse.

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

3.1.5. La notion de résultat a évolué au fil de la jurisprudence. À l'origine, le Tribunal fédéral a défini le résultat comme "le dommage à cause duquel le législateur a rendu un acte punissable" (ATF 97 IV 205 consid. 2 p. 209). Il a ensuite admis que seul le résultat au sens technique, qui caractérise les délits matériels (Erfolgsdelikte), était propre à déterminer le lieu de commission d'une infraction (ATF 105 IV 326 consid. 3c à g p. 327 ss). Cette définition stricte a toutefois été tempérée dans différents arrêts subséquents (cf. ATF 128 IV 145 consid. 2e p. 153 s.).

3.2.  En l'espèce, à l'aune de ces principes, la décision du Ministère public ne prête pas le flanc à la critique.

En effet, le mis en cause est domicilié en Grèce et y a déposé plainte contre la recourante, de sorte que les prétendues fausses déclarations ont été faites devant les autorités judiciaires grecques. Il est dès lors constant que le lieu de commission des faits dénoncés se situe à l'étranger. La recourante ne le conteste du reste pas.

Elle considère, en revanche, que la cause présente un lien suffisant avec la Suisse. En particulier, elle soutient que la commission rogatoire subséquente à l'ouverture de la procédure pénale en Grèce serait le résultat en Suisse de l'infraction dénoncée. Or, on voit mal comment une atteinte à l'honneur et/ou à l'intégrité psychique de la recourante en Suisse pourrait être réalisée par une mesure d'instruction exécutée par les autorités helvétiques sur requête des autorités grecques. En effet, son audition par la police genevoise avait pour but d'établir les faits pour le compte d'une juridiction étrangère et non de lui causer un préjudice. De plus, son audition n'est pas le fait du mis en cause mais d'une autorité judiciaire, laquelle ne saurait participer au résultat d'une infraction. Ainsi, la commission rogatoire ne peut être considérée comme le résultat en Suisse d’une infraction prétendument commise en Grèce, puisqu’elle intervient dans le cadre légal de l’entraide en matière pénale et ne porte pas atteinte à la recourante.

Enfin, le fait que le jugement grec soit susceptible d'être exécuté en Suisse ou encore que la recourante y soit domiciliée n'est pas suffisant pour y créer un for.

Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il n'existe pas de lien de rattachement avec la Suisse, fondé tant sur le lieu de l'acte prétendument illicite que sur celui de la survenance du résultat allégué, au sens des art. 3 et 8 CP.

Les autorités judiciaires pénales suisses ne sont donc manifestement pas compétentes pour poursuivre l'infraction dénoncée par la recourante, de sorte que le Ministère public était fondé à retenir un empêchement de procéder conformément à l'art. 310 al. 1 let. b CPP.

4.             Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13217/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00