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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9134/2020

ACPR/536/2022 du 09.08.2022 sur OTDP/6/2022 ( TDP ) , ADMIS

Descripteurs : NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE
Normes : CPP.356; CPP.87

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9134/2020 ACPR/536/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 9 août 2022

 

Entre

A______, domicilié c/o Foyer B______, ______, comparant par Me H______, avocate, ______ Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 4 janvier 2022 par le Tribunal de police,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 17 janvier 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal de police a constaté la validité de la notification de l'ordonnance pénale du 17 mars 2021, l'irrecevabilité de son opposition pour cause de tardiveté et dit que ladite ordonnance pénale était assimilée à un jugement entré en force.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au constat de la violation de l'art. 6 CEDH et de l'irrégularité de la notification de l'ordonnance pénale du 17 mars 2021 et à l'admission de l'opposition du 22 septembre 2021. Il conclut à une indemnité de CHF 2'462.50 à titre de dépenses occasionnées par la procédure de première instance et à CHF 1'400.- pour celles pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a. Le 8 mai 2020, A______, qui a déclaré être né le ______ 2003, a été entendu par la police, comme mineur non accompagné, pour infraction à l'art. 115 LEI. Il a déclaré résider à la C______ [organisation caritative] et avoir fait une demande au SPMi pour être suivi. À la question de l'adresse de notification des actes de procédure, il a répondu "vous pouvez les envoyer au SPMi".

Le rapport a été adressé au Tribunal des mineurs.

b. Le 25 août 2020, à nouveau entendu par la police pour infraction à l'art. 115 LEI, ainsi que pour consommation de cannabis, l'intéressé a déclaré loger au Foyer D______. À la même question relative à la notification des actes de procédure, il a répondu "vous pouvez écrire à D______".

Il a été remis en liberté par le Juge des mineurs, sans audience, le même jour.

c. Par courriel du 18 septembre 2020 d'un inspecteur de la Cellule des requérants d'asile, le Juge de mineurs a été informé que l'intéressé était connu des autorités espagnoles sous l'alias A______, né le ______ 2001.

d. Le 5 octobre 2020, A______ a été entendu par la police pour le vol d'une trottinette et infraction à la LEI. Il a à nouveau déclaré loger au Foyer D______ et, à la même question de l'adresse de notification, il a répondu "Vous pouvez adresser mon courrier à la maison D______. J'ignore l'adresse du foyer". Concernant un ordinateur de bord pour vélo électrique retrouvé dans sa chambre au foyer B______, il a déclaré l'avoir trouvé et gardé.

e. Le lendemain, le Juge des mineurs l'a mis en prévention pour le vol de la trottinette et infractions à la LEI. S'agissant de son parcours, il a déclaré vivre au Foyer B______ depuis une semaine, étant auparavant [au Foyer] D______. Le Juge a ordonné sa mise en liberté immédiate après lui avoir fait part de sa conviction qu'il était majeur; il l'a averti qu'il ordonnerait une expertise d'âge si l'intéressé commettait des infractions d'une certaine gravité.

f. Le 12 mars 2021, le Juge des mineurs s'est dessaisi de la procédure en faveur du Ministère public; l'ordonnance a été notifiée à A______, soit pour lui son curateur. Le juge a considéré n'avoir aucun doute sur la majorité de l'intéressé, lequel était par ailleurs connu des services de police espagnols sous la même identité mais né le ______ 2001, et non le 25 mars 2003 comme il le prétendait.

g. Par ordonnance pénale du 17 mars 2021, le Ministère public a condamné A______ pour appropriation illégitime, vol, infraction à l'art. 115 LEI et pour infraction à l'art. 19a LStup.

h. L'ordonnance pénale a été envoyée au prévenu, par pli recommandé du 29 mars 2021, au foyer B______, no. ______, route 1______, [code postal] E______ [GE]; un avis de retrait a été déposé le 30 mars 2021. Le pli a été renvoyé à son expéditeur le 7 avril 2021.

i. Par courrier du 22 septembre 2021, A______, par son conseil, a informé le Procureur avoir reçu "la semaine dernière" d'une éducatrice du Foyer F______, qu'il avait quitté en mars 2021, un "bordereau après jugement, procédure interface PJ - MP P/9134/2020" daté du 3 septembre 2021 du Service des contraventions. Cette éducatrice lui avait précisé qu'à sa connaissance, le foyer n'avait jamais reçu d'autre correspondance à son nom. Ainsi, aucune ordonnance pénale ne lui ayant été notifiée, il convenait de la lui notifier pour qu'il puisse y faire opposition. Subsidiairement, il formait opposition et sollicitait la restitution du délai.

j. Par ordonnance sur opposition tardive du 19 octobre 2021, le Ministère public a transmis la procédure au Tribunal de police.

k. Le 10 novembre 2021, sur interpellation du Tribunal de police qui lui a transmis, par courrier du 28 octobre 2021, l'ordonnance pénale, A______, par son conseil, a fait valoir qu'il ne devait et ne pouvait pas s'attendre à la notification d'un prononcé pénal, de sorte que la fiction de notification créée par l'échéance du délai de garde n'était pas valable; subsidiairement, la notification de l'ordonnance pénale était intervenue de manière irrégulière dans la mesure où il avait fait élection de domicile à la Maison D______ et non à son lieu de résidence, au foyer B______; plus subsidiairement encore, l'ordonnance avait été envoyée à l'adresse de ce foyer au "no. ______, route 1______", alors que cette institution avait cessé d'occuper les locaux depuis le 1er février 2021, sans redirection de la correspondance; il a joint une attestation du 9 novembre 2021 du Directeur de foyers éducatifs auprès de la Fondation officielle de la jeunesse confirmant cette information.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal de police retient que l'ordonnance pénale avait été valablement notifiée le 6 avril 2021, le délai pour former opposition à l'ordonnance arrivant à échéance le 16 avril 2021; expédiée le 22 septembre 2021, l'opposition avait été effectuée après l'expiration du délai de 10 jours.

A______ devait s'attendre à la remise d'un prononcé pénal, puisqu'il n'ignorait pas, au vu de ses multiples auditions tenues entre les 8 mai et 6 octobre 2020, en qualité de prévenu, devant la police et le Juge des mineurs, qu'il était soupçonné d'un certain nombre d'infractions pénales et que rien ne laissait penser que la procédure allait aboutir à un classement.

Par ailleurs, les doutes émis par le Juge des mineurs au terme de l'audience du 6 octobre 2020, quant à la soi-disant minorité du prévenu, étaient de nature à laisser supposer l'obtention d'informations supplémentaires à ce sujet, ce qui avait en définitive été le cas, à lire l'ordonnance de dessaisissement du 12 mars 2021. Il n'était ainsi pas question de passivité de l'autorité concernée.

Après avoir considéré l'adresse de notification au foyer D______, fournie à la police par le prévenu les 25 août et 5 octobre 2020, le Tribunal a retenu qu'en évoquant sa nouvelle résidence au Foyer B______, devant le Juge des mineurs le 6 octobre 2020, et en ne réitérant pas sa volonté de se voir adresser une éventuelle correspondance au Foyer D______, le prévenu avait clairement signifié que son lieu d'habitation actuel devait être pris en considération, de sorte qu'il ne pouvait être reproché au Ministère public d'avoir expédié l'ordonnance pénale du 17 mars 2021 à l'adresse "c/o foyer B______, route 1______ no. ______, [code postal] E______". Il a encore estimé que le déménagement confirmé dudit foyer des locaux sis no. ______, route 1______, à compter du 1 er février 2021 n'était pas pertinent, dans la mesure où il n'était pas établi que ledit courrier n'aurait pas donné lieu à une réexpédition.

D. a. Dans son recours, A______ allègue la constatation erronée et arbitraire des faits. Contrairement à ce qu'avait retenu le Tribunal de police, soit qu'"il n 'est pas établi que le courrier envoyé à la précédente adresse n'aurait pas donné lieu à une réexpédition", la Poste avait confirmé par email du 5 janvier 2022, que le courrier n'avait pas été réexpédié. L'ordonnance pénale n'avait ainsi pas été valablement notifiée, envoyée à une adresse où personne ne réceptionnait le courrier, ce qui ne lui était pas imputable. Il appartenait à l'autorité de vérifier l'adresse de l'institution où elle adressait ce pli recommandé; elle semblait d'ailleurs être informée de ce changement d'adresse, puisque le bordereau après jugement avait été envoyé au chemin 2______ no. ______, au G______ [GE], nouvelle adresse de correspondance du Foyer B______.

Il conteste le raisonnement tenu par le Tribunal s'agissant de la prise en considération de l'adresse de sa résidence au foyer B______ pour valider l'envoi de l'ordonnance pénale.

Il allègue également, la violation de l'art. 87 CPP. Il avait précisé, le 25 août 2020, que son courrier pouvait être adressé au Foyer D______, où il résidait alors, et l'avait confirmé le 5 octobre 2020, alors même qu'il résidait déjà au Foyer B______; il avait ainsi explicitement fait élection de domicile auprès de la Maison D______ et non auprès de son lieu de résidence. Ses déclarations auprès du Juge des mineurs sur son parcours n'avaient jamais valu révocation – qui plus est implicite – de l'élection de domicile et ce Juge ne lui avait pas demandé s'il souhaitait modifier son élection de domicile ou de manière générale quelle était son adresse de notification. Il était resté en contact avec les éducateurs du Foyer D______ et du foyer B______ pour s'assurer qu'il ne recevait pas de courrier.

En déclarant son opposition irrecevable, parce que tardive en raison de défaillances des autorités pénales, il avait été privé et contraint de renoncer aux garanties prévues par l'art 6 CEDH, alors même qu'il n'avait pas connaissance de l'ordonnance pénale et ne pouvait dès lors pas renoncer consciemment aux garanties.

b. Il a ensuite précisé que la demande de réacheminement au foyer F______ des courriers adressés au foyer B______ avait été faite. Cependant, le suivi des envois de la poste ne faisait pas état d'un tel réacheminement s'agissant de l'ordonnance pénale querellée.

c. Le Tribunal de police se réfère à son ordonnance sans autres observations.

d. Le Ministère public conclut au rejet du recours.

e. Le recourant renonce à répliquer.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Il n'y a pas place pour des conclusions constatatoires là où, comme en l'espèce, des conclusions formatrices sont possibles (ACPR/94/2022 du 10 février 2022 consid. 3 et les références). Il n’y a donc pas à "constater" une violation de l'art. 6 CEDH et de l'irrégularité de la notification de l'ordonnance pénale du 17 mars 2021.

3.             Le recourant allègue n'avoir pas reçu l'ordonnance pénale.

3.1. Selon l'art. 356 al. 2 CPP, le tribunal de première instance statue sur la validité de l'opposition formée à une ordonnance pénale. L'examen de la validité de l'opposition a lieu d'office (arrêts du Tribunal fédéral 6B_910/2017 du 29 décembre 2017 consid. 2.4; 6B_848/2013 du 3 avril 2014 consid. 1.3.2). Lorsque l'opposition n'est pas valable, notamment parce qu'elle est tardive (cf. ATF 142 IV 201 consid. 2.2), le tribunal de première instance n'entre pas en matière (cf. Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification de la procédure pénale, FF 2006 1275 ad art. 360). En d'autres termes, le bien-fondé de la contestation n'est pas examiné.

3.2. Les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l'entremise de la police (art. 85 al. 2 CPP).

3.3. L'art. 87 CPP précise que toute communication doit être notifiée au domicile, au lieu de résidence habituelle ou au siège du destinataire (al. 1).

L'art. 87 al. 1 CPP n'interdit pas à une partie d'indiquer aux autorités judiciaires une autre adresse que celles mentionnées dans cette disposition et, dès lors que le destinataire a le droit d'indiquer une autre adresse de notification que son domicile ou sa résidence habituelle, il a le droit que les notifications se fassent à l'adresse ainsi communiquée; la notification à l'adresse personnelle de l'intéressé est par conséquent irrégulière (ATF 139 IV 228 consid. 1.1. et 1.3 s. p. 231 s.).

3.4. Le délai d'opposition pour attaquer une ordonnance notifiée irrégulièrement court par conséquent dès le jour où son destinataire a pu en prendre connaissance, dans son dispositif et ses motifs (ATF 139 IV 228 consid. 1.3; 102 Ib 91 consid. 3).

En vertu du principe de la bonne foi, l'intéressé est toutefois tenu de se renseigner sur l'existence et le contenu de la décision dès qu'il peut en soupçonner l'existence, sous peine de se voir opposer l'irrecevabilité d'un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228 consid. 1.3; 134 V 306 consid. 4.2; 107 Ia 72 consid. 4a; 102 Ib 91 consid. 3).

3.5. En l'espèce, par deux fois le recourant a donné pour adresse de notification des actes de procédures l'adresse du foyer D______. Lors de l'évocation devant le Juge des mineurs de sa résidence au foyer B______, il n'a pas été question d'adresse de notification ni, a fortiori, de révocation de son précédent choix.

Ainsi, la notification de l'ordonnance pénale par le Ministère public à, de surcroit l'ancienne, adresse du foyer B______ a été faite à de manière irrégulière.

Le recourant a sollicité le Ministère public de lui transmettre l'ordonnance pénale, ce qui n'a pas été fait; le Tribunal de police la lui a envoyée par courrier daté du 28 octobre 2021. L'opposition, formée préalablement à sa prise de connaissance du dispositif, n'est pas tardive.

4.             Le recours sera admis, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée à cette autorité pour qu'elle traite l'opposition.

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

6.             Le recourant, auquel l'assistance judiciaire a été refusée, conclut à des dépens pour l'activité déployée par son conseil pour la procédure préliminaire.

Il n'appartient pas à la Chambre de céans de statuer sur cette question, la procédure n'étant pas terminée, le recourant n'étant à ce stade ni acquitté ni au bénéfice d'un classement (art. 429 al. 1 CPP).

7.             Il a par contre droit à une indemnité pour l'activité de son conseil dans le cadre du présent recours (art. 436 al. 2 CPP). Le temps annoncé de 7h pour la rédaction du recours paraît excessif; un montant de CHF 1'200.-, plus TVA à 7.7%, qui paraît raisonnable, sera alloué.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours et annule l'ordonnance rendue le 4 janvier 2022 par le Tribunal de police.

Renvoie la cause au Tribunal de police pour qu'il traite l'opposition.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'292.40 TTC pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, au Tribunal de police et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

 

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

 

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).