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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9053/2022

ACPR/466/2022 du 05.07.2022 sur SEQMP/1074/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE)
Normes : CPP.263; LStup.19

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9053/2022 ACPR/466/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 juillet 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[BE], comparant par Me B______, avocat, ______ [GE],

recourant,

contre l'ordonnance de perquisition et de séquestre rendue le 26 avril 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 30 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 26 avril 2022, notifiée le 18 mai 2022, par laquelle le Ministère public a ordonné le séquestre de tous objets, appareils électroniques, données, documents ou valeurs pouvant être utilisés comme moyens de preuve.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de contacter son employeur, puis principalement, à l'annulation de la décision querellée et à la levée immédiate du séquestre prononcé sur les sommes d'argent retrouvées sur lui et dans son appartement. Il conclut ensuite, subsidiairement, à l'annulation partielle de l'ordonnance de séquestre en tant qu'elle concerne les sommes de CHF 40.- et CHF 73.- et à la levée immédiate du séquestre portant sur ces sommes, puis plus subsidiairement, à l'annulation partielle de l'ordonnance de séquestre en tant qu'elle concerne la somme de CHF 3'900.- et à la levée immédiate du séquestre portant sur ce montant.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 24 avril 2022, A______ a été arrêté par la police, soupçonné d'avoir participé à un trafic de stupéfiants. Il était en possession, sur lui, notamment de CHF 2'040.- (2 x CHF 1'000.- et 2 x CHF 20.-) et de deux téléphones portables, tous portés à l'inventaire des pièces du 24 avril 2022, établi à 12h54.

b. La perquisition de son appartement sis à C______ [BE] a permis la saisie de 1'824 grammes brut de cocaïne. Des sommes de USD 225.- (2 x USD 100.-, 2 x USD 10.- et 1 x USD 5) et EUR 15.- (1 x EUR 10.- et 1 x EUR 5.-), trouvées dans le salon sur le meuble de télévision, ainsi que de CHF 3'900.- (6 x CHF 200.- et 27 x CHF 100.-) et EUR 300.- (2 x EUR 100.- et 2 x EUR 50.-), découvertes dans une valise, dans la chambre, ont également été saisies et portées à l'inventaire de la procédure, établi le 24 avril 2022 à 13h36.

c.a. Entendu par la police, A______ a déclaré que la drogue retrouvée dans son appartement ne lui appartenait pas mais était à un dénommé D______ qu'il hébergeait pour quelques jours. Il avait toutefois vu D______ déposer de la drogue sur la table du salon. Il lui avait alors demandé de l'enlever, précisant qu'il l'avait aidé à la mettre dans un sac et l'avait donc touchée. Le jour de son interpellation, D______ lui avait laissé CHF 2'000.- qu'il devait remettre à un certain E______. Ce dernier l'avait appelé peu après pour lui dire qu'il arrivait près de chez lui. Il était alors sorti pour lui remettre l'argent. En ouvrant la porte d'entrée, il était tombé sur un "Africain", identifié comme étant F______, qui attendait devant chez lui et qu'il ne connaissait pas. Il ne s'agissait pas du dénommé E______. La drogue transportée par F______ ne lui était pas destinée. Les CHF 40.- trouvés sur lui provenaient de ses économies. Les CHF 3'900.-, EUR 300.-, USD 225.- et EUR 15.- provenaient de "la recette" mensuelle du salon de coiffure "Salon G______" au sein duquel il exerçait comme coiffeur à C______. Il les avait à son domicile car sa tâche consistait à récupérer les billets et à laisser la monnaie au salon. Il devait ensuite les remettre à son patron, dénommé "H______". Il touchait un salaire mensuel net de CHF 2'754.- pour son activité de coiffeur. Finalement, il ne s'était pas laissé faire, lors de son interpellation, car il n'avait tout d'abord pas compris qu'il s'agissait de la police et avait eu peur d'être agressé.

c.b. F______ a également été interpellé par la police le 24 avril 2022.

c.c. Le précité a, pour sa part, expliqué aux policiers que la drogue qu'il transportait, soit 1'247 grammes de cocaïne brute, était destinée à A______. Ce dernier l'avait du reste envoyé la chercher à I______ [ESP].

d. La police a observé F______ entrer en Suisse et se rendre à C______, route 1______, lieu où A______ lui avait ouvert la porte de l'allée de son immeuble.

e. Le 26 avril 2022, le Ministère public a prévenu A______ d'infraction grave à la loi sur les stupéfiants et d'empêchement d'accomplir un acte officiel, pour avoir:

- à une date indéterminée, commandé une quantité de 1'247 grammes bruts de cocaïne destinée à la vente à F______ qui la lui a livrée le 24 avril 2022 à son domicile sis route 1______ à C______ et d'avoir possédé, le 24 avril 2022, à son domicile, une quantité de 1'824 grammes de cocaïne brute, cocaïne destinée à la vente ;

- et pour s'être le 24 avril 2022, vers 12h45, au moment de son interpellation, à la route 1______, à C______, débattu, malgré les nombreuses injonctions d'usage, refusant de se laisser menotter et tentant de prendre la fuite, obligeant les policiers à faire usage de la force pour l'empêcher de fuir et le menotter et entravant de la sorte ces derniers dans l'accomplissement d'un acte entrant dans leurs fonctions.

Le prévenu a contesté les faits reprochés et a, en substance, confirmé ses précédentes déclarations.

f. Le 26 avril 2022, le Tribunal des mesures de contrainte a ordonné la mise en détention provisoire de A______ jusqu'au 25 juillet 2022.

g. Une audience de confrontation s'est tenue le 18 mai 2022 devant le Ministère public.

g.a. F______ a confirmé ses précédentes déclarations. A______ lui avait proposé EUR 1'500.- pour effectuer un transport de drogue. Celui-ci devait encore lui donner de l'argent après la livraison pour payer son retour. Il reconnaissait formellement la personne présente à côté de lui en audience – A______ – comme étant la personne qu'il devait rencontrer à C______.

g.b. A______ a, quant à lui, maintenu sa version des faits. S'agissant des CHF 2'000.- trouvés sur lui, cette somme lui avait été donnée par D______ afin qu'il la remette à E______ qui viendrait la chercher. Concernant l'argent découvert dans son appartement, il a, dans un premier temps, expliqué qu'il appartenait à D______ avant d'indiquer, dans un second temps, à la suite d'une remarque du Ministère public en ce sens, que c'était l'argent de son patron "H______", précisant n'avoir pas bien compris la question. Son patron lui avait immédiatement fait confiance; c'est pourquoi, il lui avait demandé de prendre la caisse du jour chez lui. Ils faisaient les comptes à la fin du mois et il lui remettait l'argent à ce moment-là.

g.c. Au terme de l'audience, l'ordonnance en cause a été notifiée, en mains propres, au conseil de A______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a justifié le séquestre des valeurs litigieuses, dès lors qu'elles pourraient être utilisées comme moyens de preuve.

D. a. À l'appui de son recours, A______ allègue que l'ordonnance entreprise violerait les art. 197 et 263 CPP. Il n'existerait aucun lien de causalité entre les sommes trouvées tant sur lui-même qu'à son domicile et le trafic de stupéfiants reproché. Les sommes litigieuses proviendraient de ses économies, fruit des pourboires perçus de ses clients au salon de coiffure et des instructions de son employeur s'agissant des CHF 3'900.-. Il était donc indispensable que le Ministère public contacte son employeur. Le montant de CHF 2'000.- ne lui appartenait pas. Dans ce contexte, rien ne permettait de douter de la provenance de l'argent saisi, lequel n'était pas issu du trafic de stupéfiants. De plus, le séquestre des sommes en cause portait manifestement atteinte – en violation du droit fédéral – à son minimum vital, lequel pourvoit à l'entretien de sa fille mineure. Par conséquent, le séquestre prononcé était disproportionné et donc injustifié.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

 

 

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance de séquestre sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

Il émane du prévenu qui, participant à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée ayant subi le séquestre, à tout le moins pour les montants dont il s'estime propriétaire (art. 382 al. 1 CPP) (cf. infra 3.5.).

1.2. La motivation écrite de l'ordonnance querellée n'a été connue du recourant qu'à l'issue de l'audience de confrontation du 18 mai 2022, au terme de laquelle la décision citée lui a été remise en mains propres.

Partant, le recours contre cette mesure a été formé dans le délai légal (art. 396 al. 1 CPP).

Le recours est dès lors recevable.

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir séquestré l'argent saisi lors de son arrestation.

3.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

3.2. Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b) devront être restitués au lésé (let. c), devront être confisqués (let. d) ou pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées). Comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 et les références citées).

3.3. À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit.

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 4). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle. Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2009 du 17 février 2010 consid. 3 in fine et 1S.8/2006 du 12 décembre 2006 consid. 6.1). Les probabilités d'une confiscation, respectivement du prononcé d'une créance compensatrice, doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4). Un séquestre peut en effet apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6).

3.4. En l'occurrence, les constatations policières et les quantités importantes de cocaïne brute trouvées au domicile du prévenu et sur F______ – qui met formellement en cause le recourant comme étant la personne à qui était destinée la drogue qu'il transportait – paraissent corroborer l'existence d'un vaste trafic portant sur plusieurs kilos de cocaïne, de nature à engendrer des revenus substantiels pour ses participants.

Dans ce contexte, il semble vraisemblable, à ce stade de la procédure, que les sommes saisies puissent provenir d'une activité criminelle et, de ce fait, fassent l'objet d'une confiscation ultérieure, ce d'autant que les allégations du recourant quant à la provenance des fonds sont contradictoires et ne reposent sur aucun élément tangible. En effet, il soutient dans son recours que les sommes de CHF 40.-, CHF 73.- (montant non mentionné aux inventaires et ne ressortant pas du dossier), USD 225.-, EUR 15.- et EUR 300.- proviendraient de ses économies liées aux pourboires perçus de ses clients au salon de coiffure alors même qu'il avait déclaré, tant à la police que devant le Ministère public, que ces montants, à l'exception des CHF 40.-, provenaient de la caisse dudit salon et ne lui appartenaient pas. Il n'a, de plus, apporté aucun début de preuve de son activité de coiffeur ni de ces pourboires, tels que, par exemple, un contrat de travail, une facture ou une quittance.

Enfin, seul le séquestre en couverture des frais (art. 263 al. 1 let. b et 268 CPP) nécessite de tenir compte de son minimum vital et de celui de sa famille. Dès lors que la saisie des valeurs ordonnée est fondée sur l'art. 263 al. 1 let. a CPP, il n'y a pas lieu d'examiner cette question.

Il s'ensuit qu'étant au début de l'enquête, la prévention pénale est suffisante à justifier le séquestre sur l'intégralité des sommes saisies, une possibilité de confiscation demeurant à ce stade, étant relevé que l'audition requise ne serait pas susceptible de modifier ce constat, le recourant ne semblant pas lui-même savoir quels montants lui appartiendraient.

En conséquence, c'est à bon droit que le Ministère public a ordonné le séquestre des valeurs patrimoniales figurant aux inventaires de la procédure.

3.5. En tant que le recourant sollicite la restitution des sommes de CHF 2'000.- et de CHF 3'900.-, dont il admet lui-même de façon constante qu'elles ne lui appartiendraient pas, il n'a manifestement pas la qualité pour agir, n'en étant pas propriétaire.

4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9053/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

-

CHF

Total

CHF

800.00