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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4040/2016

ACPR/422/2022 du 14.06.2022 sur DTCR/3/2022 ( TCR ) , REJETE

Descripteurs : CONDAMNATION;RISQUE DE FUITE;SÛRETÉS;DEVOIR DE COLLABORER
Normes : CPP.221; CPP.231; CPP.238

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4040/2016 ACPR/422/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 14 juin 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par
Me F______, avocat, ______, Genève,

recourant

contre la décision rendue le 13 mai 2022 par le Tribunal criminel

et

LE TRIBUNAL CRIMINEL, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 mai 2022, A______ recourt contre la décision du 13 précédent, notifiée sur-le-champ, par laquelle le Tribunal criminel a ordonné son placement en détention à des fins de sûreté pour une durée de trois mois.

Il conclut principalement à l'annulation de cette décision et à sa mise en liberté immédiate, sous mesures de substitution (dépôt de ses documents d’identité ; interdiction de quitter la Suisse ; obligation de déférer à toute convocation ; interdiction de réaliser son patrimoine immobilier ; maintien des sûretés en vigueur jusqu’alors, augmentées de CHF 1,75 million à fournir par ses proches, voire complétées par lui selon ce que justice dira).

Préalablement, il invite l’autorité de recours à déterminer le montant des sûretés auxquelles il devrait être astreint.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Le 13 mai 2022, le Tribunal criminel a déclaré A______, né en 1950, coupable du meurtre (art. 111 CP) de celle qui était sa femme, le ______ 2016 au petit matin, au C______ [GE] (ainsi que d’un excès de vitesse, commis ultérieurement), et l’a condamné à treize ans de peine privative de liberté. A______ a toujours contesté l’homicide. Il a interjeté appel.

b.             Placé en détention provisoire le 11 octobre 2016, puis libéré sous mesures de substitution le 2 décembre 2016 (interdiction de quitter le territoire suisse et d’aliéner tout bien immobilier ; dépôt de toute pièce d'identité ; sûretés de CHF 4'000'000.-, ramenées à CHF 3'900'000.- en octobre 2018 et à CHF 3'600'000.- en décembre 2020/janvier 2021), A______ a comparu libre à son procès.

c.              Des autorisations ponctuelles de voyager à l'étranger ont été consenties à A______ par le Ministère public, notamment à destination de D______ [Italie], à quatre reprises, pour des séances ou manifestations liées à la Fondation pour la rénovation de la caserne de la garde suisse pontificale (dont il n’est toutefois plus membre depuis février 2022, cf. jugement du Tribunal criminel p. 15).

d.             Les débats ont duré du 9 au 13 mai 2022. Outre sur ses faits et gestes, A______ s’est exprimé sur sa santé, le déroulement de sa détention provisoire, sa situation patrimoniale (notamment la vente, autorisée par le Ministère public, d’un immeuble à E______ [LU], en octobre 2021) et celle, qu’il a qualifiée d’aisée, de la femme, née en 1968, qui partage sa vie depuis le milieu de l’année 2017. Les médecins légistes, confrontés aux expertises privées produites par A______, ont maintenu leurs conclusions sur les causes de la mort de la victime, soit par une asphyxie oro-nasale, d’origine hétéro-agressive, compatible avec l’apposition sur le visage d’un objet souple, comme un coussin ou un oreiller.

e.              Le jugement motivé a depuis lors été communiqué par écrit aux parties. Toutes les prétentions en indemnisation de A______, selon requête écrite et pièces du 9 mai 2022 (honoraires de défense, d’experts privés, de communicants et de soutiens psychologiques), ont été rejetées.

C. Dans la décision querellée, le Tribunal criminel retient un risque concret de fuite. Le verdict avait radicalement changé la situation de A______ sous cet angle, quand bien même ce dernier avait respecté les mesures de substitution en vigueur jusque-là. Âgé de 71 ans, sans charges de famille ni attaches professionnelles, A______, maintenant exposé au risque de devoir purger une lourde peine privative de liberté, pourrait choisir de passer en liberté les dernières années de sa vie. Aucune mesure de substitution, pas même une caution d’importance, ni ses attaches familiales et sentimentales, ne l’en dissuaderaient.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir sa proximité avec ses trois enfants et avec ceux qu’a eus la défunte ; ses mandats d’administrateur d’une société (d’opérations immobilières) et de membre d’une fondation (de bienfaisance), toutes deux en Suisse ; et son engagement dans la mise en valeur d’une exploitation agricole [à son précédent lieu de domicile, cf. jugement du 13 mai 2022 p. 3]. Détenteur d’une carte d’identité restituée par le Ministère public à la fin 2021, il n’en avait jamais fait usage depuis lors. Il détenait quelque CHF 1'720'000.- en liquide sur des comptes bancaires, ainsi que des actions estimées à CHF 167'400.- en tout ; il s’était donc « manifestement trompé » en déclarant aux juges du Tribunal criminel que sa fortune mobilière se montait à CHF 15 millions. La vente de l’immeuble en octobre 2021 [pour CHF 36,5 millions, cf. jugement du Tribunal criminel, p. 3] lui avait rapporté, nets, CHF 4'720'500.-, dont il avait fait profiter sa compagne (CHF 200'000.-) et ses trois enfants (CHF 500'000.- chacun). Sa compagne, ses fils, ses frère et sœur et une amie étaient prêts à augmenter de CHF 1'750'000.- au total leur participation aux sûretés déjà en main de la justice. Il revenait à l’autorité de recours de fixer le montant à prélever sur sa fortune, en prenant en considération ses frais de défense et d’expertises privées.

Sa situation après le verdict du Tribunal criminel ne correspondait en rien à celle d’affaires de meurtre ou assassinat commis par un homme âgé, telles qu’on les trouvait en jurisprudence. Fuir, dans son cas, serait un aveu et lui ferait perdre le soutien et l’appui de son cercle familial et amical, dont la plupart avait assisté au procès et possédait dès lors une vision complète de la procédure. Depuis le début de l’affaire, il n’ignorait pas être exposé à la peine menace d’un meurtre. Or, il s’était présenté à son jugement.

Il qualifie sa santé de délicate, pour avoir été soigné de deux cancers et avoir fait un infarctus en août 2020. Il prenait des comprimés de cardio-aspirine et de rosuvastatine.

b. Le Tribunal criminel déclare se référer à sa décision.

c. Le Ministère public propose le rejet du recours. Il met en évidence l’influence du verdict rendu sur la tentation de fuir. En persistant à se déclarer innocent et à contester les conclusions de la médecine légale, A______ montrait qu’il n’acceptait pas sa condamnation ni la perspective d’une incarcération. Sa fortune, importante, lui permettrait d’organiser confortablement sa vie à l’étranger pour le restant de ses jours. Au vu du flou qu’il entretenait sur sa situation patrimoniale réelle, on ne voyait pas comment l’autorité de recours pourrait fixer elle-même la caution adéquate. Un homme rompu aux affaires comme lui ne se trompait pas de CHF 10 millions dans l’estimation de sa fortune mobilière.

d. Le recourant persiste dans les termes et moyens de son recours, précisant que, en raison d’un stress aigu à l’audience, il avait donné pour valeur de sa fortune mobilière ce qui était en réalité le résultat d’une addition de celle-ci à sa fortune immobilière, alors qu’elle n’avait jamais approché les CHF 15 millions qu’il avait articulés.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme prescrite (art. 384 al. 1, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision du Tribunal criminel ordonnant l'arrestation du prévenu à l'issue de l'audience et comme telle sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222, 231 et 393 al. 1 let. b CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_178/2017 du 24 mai 2017 consid. 2.1. et 1B_250/2014 du 4 août 2014 consid. 2.2. in fine ; ACPR/903/2021 du 20 décembre 2021 consid. 1 ; ACPR/12/2017 du 13 janvier 2017 ; ACPR/254/2015 du 30 avril 2015 consid. 1 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n 4 ad art. 231).

Le recours émane du prévenu, qui a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP) et qui, détenu, a un intérêt à l'annulation de la décision entreprise (art. 104 al. 1 let. a et 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne remet pas en cause l’existence de charges suffisantes contre lui et n’y consacre qu’une allusion, en p. 16 de l’acte de recours, selon laquelle les conclusions de l’autopsie de la victime seraient les seules charges réunies contre lui, ce que le Ministère public combat dans ses observations.

Il n'y a pas à s'attarder sur ce point, d’autant moins qu’au cours des débats du Tribunal criminel, les légistes mandatés par la justice, confrontés à moult contre-expertises privées, ont maintenu toutes leurs conclusions initiales sur une mort violente causée par suffocation hétéro-agressive (procès-verbal d’audience, 9 mai 2022, pp. 18 à 43) et que celle-ci est survenue – ce qui n’a jamais été contesté – lors d’un huis clos n’ayant réuni que le recourant et celle qui était sa femme (ACPR/758/2016 du 24 novembre 2016 consid. 2. ; jugement du Tribunal criminel, p. 17).

3.             Le recourant estime que le risque de fuite serait inexistant ou pourrait être pallié par les mêmes mesures de substitution que par le passé, avec des sûretés augmentées, le cas échéant.

3.1.       Selon l'art. 231 al. 1 CPP, au moment du jugement, le tribunal de première instance détermine si le prévenu qui a été condamné doit être placé ou maintenu en détention pour des motifs de sûreté pour garantir l'exécution de la peine ou de la mesure prononcée (let. a) ou en prévision de la procédure d'appel (let. b). Ces cas de figure ne constituent pas des motifs de détention proprement dits au sens de l'art. 31 al. 1 Cst., mais apportent des précisions d'ordre procédural en relation avec les motifs de détention légaux de l'art. 221 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_210/2016 du 24 juin 2016 consid. 2.1.). Le but est d’assurer l’exécution effective du condamné contre lequel il existe des indices concret d’une intention de fuir à l’étranger ou de se cacher en Suisse pour se soustraire à l’exécution du jugement (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 7 ad art. 231). Matériellement, l'art. 231 al. 1 CPP a notamment pour but d'assurer la recherche de la vérité dans les cas d'infractions graves, en particulier en cas de risque de fuite et de collusion. L'art. 221 al. 1 let. a CPP se trouve ainsi renforcé par l'art. 231 al. 1 CPP après une condamnation intervenue en première instance, notamment lorsque les faits concernant une infraction grave sont contestés (ATF 145 IV 503 consid. 2.1 p. 506 s.).

3.2.       Le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 143 IV 160 consid. 4.3 p. 166 s.). Il est sans importance que l'extradition du prévenu puisse être obtenue (ATF 123 I 31 consid. 3d p. 36 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_61/2015 du 19 mars 2015 consid. 3.1). Même si cela ne dispense pas de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, la jurisprudence admet que lorsque le prévenu a été condamné en première instance à une peine importante, le risque d'un long séjour en prison apparaît plus concret que durant l'instruction (ATF 145 IV 503 consid. 2.2 p. 507). Ainsi, un prévenu âgé de 82 ans, de nationalité suisse et atteint de cardiopathie et d’hypertension (traitées par des comprimés), reconnu coupable d’assassinat et condamné à dix-huit ans de peine privative de liberté, peut être tenté de fuir pour éviter de passer le restant de ses jours en prison, alors même que pareil risque n’avait pas été retenu contre lui avant le verdict et qu’il admettait les faits (ibid. consid. 2.3 p. 507 s.). À l’inverse, un ressortissant suisse bi-national, résidant en Suisse depuis 5 ans avec femme et enfants, sans emploi et possédant un bien immobilier à l’étranger, présente un risque de fuite atténué après une détention provisoire de plusieurs années, même s’il conteste les faits et encourt la prison à vie en appel, et doit bénéficier de mesures de substitution (arrêt du Tribunal fédéral 1B_344/2017 du 20 septembre 2017 consid. 4.4. et 5.2.).

Au surplus, le Tribunal fédéral a renforcé sa jurisprudence relative à l'obligation de l'autorité d'appel d'interroger elle-même le prévenu sur les faits et infractions contestés, indépendamment de l'intervention du défenseur du prévenu. Faute d'intensité suffisante dans l'audition du prévenu par la juridiction d'appel, la pratique du Tribunal fédéral est ainsi d'annuler l'arrêt sur appel et de renvoyer la cause à la dernière instance cantonale (ATF 145 IV 503 consid. 2.4 p. 508 s. ; 143 IV 288 consid. 1.4.2-1.4.4 p. 291 ss. ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_903/2018 du 14 décembre 2018 consid. 3, non publié in ATF 144 IV 383, et 6B_155/2019 du 29 mars 2019 consid. 3 ; pour le cas d’un assassinat commis à huis clos, ATF
145 IV 503, précité).

3.3.       Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), d'autres solutions moins dommageables que la détention sont ordonnées si elles permettent d'atteindre le même but que celle-ci. Selon l'art. 237 al. 1 CPP, le tribunal compétent peut ainsi ordonner la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (al. 2 let. b), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), d'avoir un travail régulier (let. e), de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f). La liste des mesures de substitution énoncée à l'art. 237 CPP n'est pas exhaustive, et des mesures peuvent être combinées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 7 décembre 2011 consid. 4.2).

3.4.       S’il y a danger de fuite, le tribunal peut astreindre le prévenu au versement d’une somme d’argent afin de garantir qu’il se présentera aux actes de procédure et qu’il se soumettra à l’exécution d’une sanction privative de liberté (art. 238 al. 1 CPP). Le montant des sûretés dépend de la gravité des actes reprochés au prévenu et de sa situation personnelle (art. 238 al. 2 CPP). La libération moyennant sûretés implique un examen approfondi, qui demande une certaine collaboration de la part du prévenu, dès lors que le caractère approprié de la garantie doit être apprécié notamment au regard des ressources du prévenu, de ses liens avec des personnes pouvant lui servir de caution et de la confiance qu'on peut avoir que la perspective de perdre le montant fourni agira comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de fuite. Il convient également de faire preuve de prudence quant à l'origine des fonds proposés (arrêt du Tribunal fédéral 1B_169/2021 du 4 novembre 2021 consid. 3.1).

3.5.       En l'espèce, il importe de relever d’emblée que le risque de fuite a constamment été opposé au recourant. Ce danger n’est donc pas né avec le verdict rendu le 13 mai 2022.

En revanche, ce prononcé l’a augmenté.

Dans sa décision du 24 novembre 2016 (ACPR/758/2016 consid. 4.2.), la Chambre de céans observait déjà ce qui suit :

« ( ) on peut considérer que l'aisance financière du recourant et son réseau relationnel dû aux activités socio-professionnelles précitées, aussi résiduelles soient-elles aujourd'hui en raison de son âge, ainsi qu'il l'allègue, lui permettraient de refaire sa vie à l'étranger sans guère de difficulté et l'inciter, par crainte d'une peine privative de liberté d'une certaine importance s'il était condamné, à sacrifier les attaches affectueuses qu'il dit avoir nouées avec les enfants de sa défunte femme et leurs propres enfants, même si ceux-ci l'estimeraient à l'égal d'un grand-père. À l'inverse, sa propre famille en Suisse, notamment sa fille, qu'il a rejointe à F______ [SO] après les faits, pourrait, plus facilement que sa belle-famille, garder le contact avec lui, voire le rencontrer, s'il disparaissait à l'étranger. »

Saisi d'un recours, le Tribunal fédéral a approuvé cette analyse, ajoutant que l'ensemble des mesures de substitution prononcées, y compris l'interdiction de quitter la Suisse, même de façon temporaire, était nécessaire pour limiter de façon déterminante le risque de fuite (arrêt 1B_260/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.2. in fine).

Or, à ces éléments s’ajoutent deux autres.

En premier lieu, la présence d’une compagne, auprès de qui le recourant résidait dans l’attente de son procès. Cette femme, plus jeune que lui, n’apparaît pas dénuée d’aisance financière, selon les affirmations du recourant aux débats (procès-verbal de l’audience du 9 mai 2022, p. 9), d’autant moins qu’elle a revendu après 2017 des actions d’une société industrielle, dont elle détenait le quart, pour un profit qui n’a pas été divulgué (eodem loco). Dans ces conditions, et partageant les vues du recourant sur son innocence, elle pourrait, sinon faire le sacrifice d’un déplacement de son centre de vie, i.e. s’établir à l’étranger, du moins assumer les implications financières de leur relation amoureuse si le recourant quittait la Suisse.

Par ailleurs, se décrivant lui-même comme de santé délicate, le recourant pourrait se trouver d’autant plus enclin à vouloir finir ses jours à l’étranger, sans avoir à redouter une incarcération dont il a dit aux débats la répulsion qu’elle lui inspirait (procès-verbal du 9 mai 2022, p. 8). La médication qui lui est prescrite apparaît suffisamment courante, disponible et simple à administrer pour ne pas entraver sa liberté de mouvement, comme tendent à le montrer les déplacements à l’étranger qui lui ont été consentis pendant l’instruction préparatoire, et, par voie de conséquence, ne l’empêcherait pas de réaliser un départ définitif de Suisse.

Enfin, dans une affaire où il n’existe aucun témoin des faits, eux-mêmes contestés, la comparution personnelle du recourant aux débats d’appel n’a rien perdu de son importance par rapport à celle qu’elle revêtait déjà par-devant le Tribunal criminel. À cette différence près que le recourant, qui plaide son acquittement, se trouve actuellement dans une situation procédurale totalement inverse, et donc moins favorable, que celle qu’il espérait en première instance.

Le recourant doit ainsi se voir opposer un risque concret de fuite.

3.6.       Pour pallier ce risque, le recourant propose, en bref, de proroger les mesures de substitution qui avaient cours jusqu’à son procès et d’augmenter, si nécessaire, les sûretés déjà déposées, le cas échéant par un montant, fixe, réuni par des tiers, ainsi que par une contribution personnelle, qu’il laisse cependant à l’autorité de recours le soin de fixer.

En premier lieu, le respect scrupuleux des règles de conduite (ou de leur allègement temporaire) valables pendant l’instruction préparatoire – lors de laquelle le recourant entendait démontrer son innocence – ne donne pas d’indication fiable sur leur efficacité future, maintenant que sa version des faits n’a pas prévalu en première instance et qu’il est plus concrètement confronté à la perspective d’une longue privation de liberté, plusieurs années après une brève détention provisoire, en 2016.

Par ailleurs, et quoi qu’en dise le recourant, l’éventualité d’une confusion entre sa fortune mobilière et sa fortune immobilière ne ressort pas de ses déclarations au procès ; il y a clairement énoncé le chiffre de CHF 15 millions pour l’une et de CHF 12 millions pour l’autre (procès-verbal du 9 mai 2022, p. 5). Soit un total de CHF 27 millions. En cherchant à renverser la vapeur en instance de recours, par la production d’extraits de comptes bancaires, le recourant ne parvient pas à dissiper le doute qu’il minore sa surface financière réelle, et ce, alors qu’il a obtenu une baisse des sûretés fournies au Pouvoir judiciaire, puis réalisé, quelques mois plus tard, une vente immobilière profitable hors canton. Ce doute persiste avec le laconisme des détails fournis sur la cession de ses propres actions de la société dont sa compagne possédait le quart. Au procès, il a estimé sa part à CHF 30'000.- au maximum (procès-verbal du 9 mai 2022, p. 9), pour un profit de 5 % ; mais, comme le fait remarquer le Ministère public dans ses observations, il a établi avoir payé plus de CHF 110'000.- d’honoraires à l’avocat mandaté pour ce faire (cf. requête d’indemnisation, p. 3, et pièce annexe n° 6) – une disproportion apparente qui ne laisse pas d’étonner en termes de rapport coût-bénéfice –. Le recourant ne s’en est pas expliqué en réplique.

Dans une situation aussi peu transparente, ce n’est pas à la Chambre de céans de formuler un montant de sûretés au hasard, qu’il soit égal ou supérieur à celui retenu dans la dernière décision du Tribunal des mesures de contrainte en la matière. La jurisprudence attend, au contraire, du prévenu une coopération loyale et complète, pour ne pas dire spontanée et franche, sur sa situation financière.

Par ailleurs, la contribution de tiers de son entourage – que le recourant a chiffrée, elle, mais sans que ceux-ci ne la ratifient – consisterait notamment à reprendre à sa compagne et à ses enfants une forte proportion de ce qu’il affirme leur avoir versé par suite de l’opération immobilière susmentionnée. La perte éventuelle de cet argent leur serait donc d’un sacrifice moins lourd que s’il était issu de leurs propres deniers.

3.7.       En tant que ne sont pas réunies les conditions d’une libération moyennant des sûretés proportionnées à un risque de fuite accru, il n’y a pas à s’interroger sur une combinaison éventuelle avec les autres mesures de substitution proposées par le recourant, voire avec d’autres encore, telles qu’une assignation à résidence, une présentation périodique à la police ou le port d’un bracelet électronique.

4.             Du point de vue temporel, compte tenu de l’infraction principale dont le recourant a été déclaré coupable, de la peine encourue et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure respecté (art. 212 al. 3 CPP).

5.             Le recours est rejeté.

6.             Le recourant, qui n’a pas gain de cause, assumera les frais de l'instance (art. 428 al. 1 CPP), qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.-, y compris l’émolument (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de l'instance, arrêtés en totalité à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son défenseur principal, au Tribunal criminel et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4040/2016

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00