Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/345/2022 du 13.05.2022 sur OMP/2975/2022 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/22926/2021 ACPR/345/2022 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 13 mai 2022 |
Entre
A______, domicilié c/o B______, ______[GE], comparant par Me C______, avocat, _______,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de nomination d'office rendue le 21 février 2022 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 4 mars 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 février 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner sa défense d'office.
Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance entreprise et à la nomination de Me C______ en qualité de défenseur d'office à compter du 11 février 2022.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 16 septembre 2021, vers 3h18, l'avant du motocycle conduit par A______ a percuté l'arrière du skateboard de D______, lequel circulait sur la route de Chancy, en direction de Bernex.
b. Il ressort des différents documents médicaux au dossier que D______ a subi de nombreuses lésions consécutives à cet accident, dont une fracture du tibia et du péroné, de l'os orbito-zygomatique droit et du majeur droit ainsi qu'un pneumothorax. Il a été hospitalisé le jour de l'accident et est sorti de l'hôpital le 18 novembre suivant.
c. Le 13 décembre 2021, D______ a déposé plainte contre A______ pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), subsidiairement lésions corporelles simples, et violation graves des règles de la circulation routière (art. 90 LCR).
Le jour de l'accident, alors qu'il traversait la route au passage piéton, il s'était fait percuter violemment, avant de perdre connaissance. Il n'avait ni vu ni entendu le motocycle arriver. Il lui avait été rapporté que le conducteur faisait la course avec l'une de ses connaissances, ce qui expliquait sa grande vitesse. Il ne s'était pas encore remis de l'accident et en porterait certainement des séquelles durant plusieurs années.
Il a constitué Me E______ à la défense de ses intérêts.
d. Entendu le 16 septembre 2021 par la police en qualité de prévenu, A______ a expliqué avoir vu, au dernier moment, un individu sur une planche à roulette au milieu de la chaussée. Il avait tenté de l'éviter en déviant sa trajectoire sur la gauche, en vain. Ils étaient tous deux tombés au sol. Il avait ressenti des douleurs sur diverses parties du corps. Après l'accident, il s'était rendu directement auprès de D______. Un de ses amis, qui le suivait au moyen d'un autre engin, avait été présent lors de l'accident. Il reconnaissait avoir bu quatre bière de 0,3 dl durant la soirée.
e. Selon le rapport de renseignements du 13 novembre 2021, lors du heurt, D______ circulait au milieu de la route de Chancy, en direction de Bernex, et n'avait pas emprunté le trottoir.
Selon le résultat de l'éthylotest effectué à 4h28 sur les lieux de l'accident, A______ présentait un taux d'alcoolémie de 0.52 mg/l.
Les images de l'accident, extraites de la vidéosurveillance, ont été versées à la procédure.
f. Par ordonnance pénale du 21 janvier 2022, le Ministère public a reconnu A______ coupable de conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcoolémie qualifié
(art. 91 al. 2 let. a LCR) et de lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 1 CP) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30.- le jour, (sous déduction d'un jour), avec sursis, ainsi qu'à une amende de CHF 360.- à titre de sanction immédiate. D______ a été renvoyé à agir par la voie civile s'agissant de ses éventuelles prétentions civiles.
Les faits en lien avec la violation de l'art. 91 al. 2 let. a LCR étaient établis par le test éthylomètre et avaient été reconnus par A______, lequel avait déclaré avoir bu quatre bières le soir des faits.
S'agissant des lésions corporelles par négligence, A______ n'avait pas pris toutes les précautions requises, notamment en adaptant sa vitesse, surtout durant la nuit, ce qui lui aurait permis de voir D______ à temps et de freiner. Cette prudence aurait permis d'éviter l'accident et les lésions subies par le prénommé. Le comportement de D______, "certes une cause concomitante de l'accident, dès lors qu'il était sur son skateboard sur la chaussée, n'était dans ces circonstances pas si extraordinaire qu'il s'impose comme sa seule cause".
g. Par pli du 31 janvier 2022, A______ y a formé opposition.
h. Par ordonnance pénale du 21 janvier 2022, le Ministère public a reconnu D______ coupable de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR), pour avoir circulé au milieu de la voie de circulation le soir des faits et non sur les trottoirs situés de part et d'autre de celle-ci. Il a été condamné à une amende de CHF 200.-.
i.D______ n'a pas formé opposition contre cette décision.
j. Par plis des 20 et 24 janvier 2022, D______ a transmis au Ministère public des rapports médicaux relatifs à son suivi ainsi que des documents sur ses prétentions civiles. Il en ressort qu'il chiffre son dommage matériel à CHF 1'798.95, ses frais médicaux non remboursés à CHF 1'019.15 et ses frais de transport pour se rendre à ses séances de physiothérapies hebdomadaires à CHF 2'400.-.
k. Par pli du 11 février 2022, A______ a demandé la désignation de
Me C______ en qualité de défenseur d'office.
À teneur du formulaire joint à sa demande, A______ a déclaré habiter chez sa mère et percevoir mensuellement CHF 750.- de pension alimentaire de son père. Ses charges s'élevaient à CHF 498.85, soit le montant de la prime relative à son assurance maladie.
Il a produit l'avis de taxation fiscale 2020 duquel il ressort qu'il n'est pas imposable, son certificat d'assurance 2022 ainsi que l'attestation de subside 2021 – précisant ne pas avoir encore reçu la décision pour 2022 – faisant état du versement mensuel de CHF 188.-. Il a aussi joint l'extrait de son compte Postfinance du 1er novembre 2021 au 31 janvier 2022.
C. Aux termes de l’ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que la cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait et qu'A______ était donc à même de se défendre efficacement seul. En outre, l’affaire était de peu de gravité et n’exigeait pas la désignation d’une défenseur d’office.
D. a. Dans son recours, A______ expose tout d'abord être indigent. Ne disposant que de la pension alimentaire versée par son père, ses charges n'étaient pas couvertes après le paiement de sa prime d'assurance maladie et la déduction du minimum vital OP.
L'assistance d'un défenseur d'office était justifiée pour sauvegarder la défense de ses intérêts. En effet, le plaignant était lui-même assisté d'un avocat, de sorte qu'il convenait de garantir le principe de l'égalité des armes, ce d'autant plus que ce dernier avait pris des "libertés" avec la "vérité" dans sa plainte pénale. Au bénéfice d'un apprentissage et d'une formation de technicien, il ne pouvait lutter à "armes égales" dans le cadre d'une instruction ayant pour objet, d'une part, la validité de l'éthylotest et, d'autre part, la détermination des circonstances de l'accident. Enfin, la décision finale allait avoir une incidence sur le droit de recours des assurances, et ce bien que le juge civil ne soit pas lié par ladite décision, de sorte que les enjeux pour lui étaient considérables.
b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.
Le principe de l'égalité des armes n'était pas suffisant à lui seul pour permettre à A______ de bénéficier d'une défense d'office. La cause était de peu de gravité au regard de la peine qui lui avait été infligée par ordonnance pénale. Elle ne présentait pas de difficultés particulières, de faits ou de droit, qu'il n'était pas en mesure de résoudre seul. Il avait admis avoir consommé de l'alcool le soir des faits et les images de la vidéo surveillance versées à la procédure avaient permis de connaitre le déroulement précis de l'accident. Même si le plaignant avait mentionné l'existence de lésions corporelles graves dans sa plainte, le Ministère public avait qualifié les faits de lésions corporelles simples par négligence. A______ maitrisait la langue française et avait parfaitement compris ce qui lui était reproché. La procédure ensuite de son opposition ne présentait aucune difficulté. Enfin, A______ n'expliquait pas en quoi l'issue de la procédure pénale pouvait avoir une importance particulière pour lui.
c.A______ réplique.
E. Lors de l'audience de confrontation du 15 mars 2022 par-devant le Ministère public, A______ a confirmé son opposition du 31 janvier 2022. Il contestait s'être rendu coupable de lésions corporelles simples par négligence dès lors qu'il considérait ne pas avoir été négligent. En outre, s'il admettait avoir bu de l'alcool, le taux établi lui paraissait élevé vu sa consommation. Confirmant ses déclarations faites à la police, il ajoutait qu'il roulait "dans les limitations", son objectif étant de regagner son domicile. Le soir des faits, il faisait nuit et D______ n'avait "aucune lumière sur lui". Il contestait avoir fait la course avec F______, qui rentrait aussi à son domicile. Questionné sur les images versées à la procédure, il expliquait qu'il considérait la rue comme n'étant pas bien éclairée et précisait qu'il "y avait une courbe".
Après avoir confirmé sa plainte, D______ a reconnu qu'il circulait au milieu de la chaussée, qu'il n'avait pas de lumière sur lui et portait un pull de couleur noire. Selon lui, A______ aurait pu le voir. S'il est exact qu'il portait des écouteurs, il lui semblait que son téléphone était éteint au moment de l'accident.
À l'issue de l'audience, le conseil d'A______ a sollicité l'audition de l'inspecteur ayant effectué l'éthylotest sur son client. Le conseil de D______ a requis l'audition de F______.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) — les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées — concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).![endif]>![if>
2. Le recourant reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé une défense d'office. ![endif]>![if>
2.1. En dehors des cas de défense obligatoire visés à l'art. 130 CPP, l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance. S'agissant de la seconde condition, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP). ![endif]>![if>
Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe "notamment"), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (arrêts 1B_12/2020 du 24 janvier 2020 consid. 3.1; 1B_374/2018 du 4 septembre 2018 consid. 2.1). La désignation d'un défenseur d'office peut ainsi s'imposer selon les circonstances, lorsque le prévenu encourt une peine privative de liberté de quelques semaines à quelques mois si, à la gravité relative du cas, s'ajoutent des difficultés particulières du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, qu'il ne serait pas en mesure de résoudre seul. En revanche, lorsque l'infraction n'est manifestement qu'une bagatelle, en ce sens que son auteur ne s'expose qu'à une amende ou à une peine privative de liberté de courte durée, la jurisprudence considère que l'auteur n'a pas de droit constitutionnel à l'assistance judiciaire (ATF 143 I 164 consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 1B 360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.1).
2.2. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêt 1B_494/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités).
S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours (ATF 139 III 396 consid. 1.2; 129 I 129 consid. 2.3.1), la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 140 V 521 consid. 9.1). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier. Quant à la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure, ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (arrêt du Tribunal fédéral 1B 360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.2).
2.3. En l'espèce, le recourant, qui ne conteste pas que la cause ne présente pas la gravité requise par l'art. 132 al. 3 CPP, considère qu'il ne s'agit pas d'un cas bagatelle et que l'intervention d'un défenseur est justifiée par d'autres motifs.
Tout d'abord, il conteste les faits tels que retenus par le Ministère public. Force est de constater que les circonstances dans lesquelles est survenu l'accident - avec blessé - présentent une certaine importance s'agissant des faits reprochés au recourant; ainsi, quand bien même les images de l'accident figurent à la procédure, le recourant, selon ses explications, entend contester la négligence ou encore invoquer une rupture du lien de causalité en raison du comportement du plaignant. On peut admettre ici que ce cas appelle, objectivement, le recours à un défenseur d'office. La cause présente une complexité de faits et de droit.
Enfin, la question de l'indigence, qui n'a pas été contestée par le Ministère public, ne nécessite pas un examen détaillé dès lors qu'elle apparait établie, au vu des documents produits.
Compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, il se justifie de mettre le recourant au bénéfice d'une défense d'office, au jour du dépôt de la demande
(art. 5 RAJ), soit au 11 février 2022.
3. Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée. La défense d'office du recourant sera admise à compter du 11 février 2022 et
Me C______ désigné à cet effet.![endif]>![if>
4. La procédure est gratuite (art. 20 RAJ).![endif]>![if>
5. Le recourant n'a pas produit d'état de frais (art. 17 RAJ). Compte tenu du travail accompli par son conseil, la rémunération de ce dernier sera arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 600.- TTC.![endif]>![if>
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.
Désigne Me C______ à la défense d'office d'A______ avec effet au 11 février 2022.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à Me C______ à la charge de l'État, une indemnité de CHF 600.- TTC pour l'activité déployée en faveur d'A______ dans la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.
Le greffier : Xavier VALDES |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).