Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/5137/2014

ACPR/310/2022 du 03.05.2022 sur OCL/1493/2021 ( MP ) , ADMIS

Recours TF déposé le 03.06.2022, rendu le 22.03.2023, IRRECEVABLE, 6B_739/2022
Descripteurs : PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(EN GÉNÉRAL);PRÉSOMPTION D'INNOCENCE;PRINCIPE DE L'ACCUSATION;GENRE D'INFRACTION;DIMINUTION EFFECTIVE DE L'ACTIF
Normes : CPP.382; CP.70; CP.164

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5137/2014 ACPR/310/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 mai 2022

 

Entre

A______ et B______ LTD, tous deux comparant par Mes Robert ASSAEL,
Andrew GARBARSKI et Alice STAMPFLI-PARMENTIER, avocats, étude Bär & KARRER SA, quai de la Poste 12, 1211 Genève 11,

recourants,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 15 novembre 2021 par le Ministère public,

 

et

C______, domiciliée ______, comparant par Me François MEMBREZ, avocat, étude WEABER Avocats, rue Verdaine 12, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 26 novembre 2021, A______ et B______ LTD recourent contre l'ordonnance du 15 novembre 2021, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a, notamment:

- classé la procédure à l'égard de feu F______ (chiffre 1 du dispositif);

- condamné A______ au paiement d'une créance compensatrice à hauteur de CHF 2'717'407.- (chiffre 2);

- ordonné le maintien du séquestre des avoirs sur le compte n° 1______ ouvert au nom de B______ LTD auprès de [la banque] D______, à due concurrence, jusqu'à l'achèvement de la procédure de recouvrement de la créance compensatrice (chiffre 3);

- ordonné, dès l'entrée en force de l'ordonnance querellée, la levée partielle du solde des avoirs séquestrés sur ledit compte (chiffre. 4);

- renvoyé les "parties civiles" à agir, auprès de l'autorité compétente s'agissant de l'allocation de la créance compensatrice, et par la voie civile s'agissant de leurs prétentions civiles (chiffres 5 et 6); et

- refusé d'allouer à A______ et B______ LTD une indemnité pour leurs dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 let. b et 434 al. 1 CPP; chiffre 8).

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation des chiffres 2, 3, 4 et 8 du dispositif de l'ordonnance querellée, à la levée intégrale du séquestre des avoirs sur le compte n° 1______ et à l'octroi d'une indemnité conjointe de CHF 258'676.- pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure; subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

I. Contexte

a. SOCIETE IMMOBILIERE E______ SA (ci-après : SI E______ SA) était une société anonyme sise à Genève ayant pour le but l'achat, la vente, la construction et la gérance de tous immeubles en Suisse.

Elle avait pour administrateur F______, du 6 juin 2001 jusqu'à sa faillite, le 3 juin 2010.

b. Par convention du 15 mai 2001, A______, citoyen kazakh, représenté par G______, a acquis le capital-actions de SI E______ SA d'un montant nominal de CHF 50'000.-, pour un prix de CHF 3'700'000.-.

L'unique actif de cette société était alors constitué de la parcelle 2______ de la commune de H______, sise au no. ______, chemin 3______.

c. En 2002, la société a commencé l'édification de deux immeubles administratifs, sur la base d'un projet conçu par I______, architecte, sur ladite parcelle et sur la parcelle 4______ de la commune de H______, sise route 5______, acquise par SI E______ SA dans l'intervalle.

En cours de construction, SI E______ SA a trouvé un locataire pour les locaux, à savoir J______ SA. Des baux avaient été conclus en septembre 2004, autorisant le locataire à procéder, à sa charge, à des modifications du projet initial et à des aménagements intérieurs. À l'issue des travaux de construction, l'architecte devait établir un décompte des travaux à charge de la propriétaire des locaux et ceux à la charge du locataire.

L'intervention de J______ SA dans les travaux a entrainé un changement d'architecte, le bureau K______ remplaçant I______ dès l'été 2004.

Les travaux du bâtiment au chemin 3______ no. ______ se sont achevés, sous réserve des finitions, alors que la construction de celui à la route 5______ n'avait pas encore débuté.

d. Le 30 août 2006, une convention de vente des actions de SI E______ SA a été signée par F______ et G______. À teneur de la première page, le premier agissait "à titre fiduciaire, d'ordre et pour le compte de l'actionnaire unique" de la société, lequel vendait au second le capital-actions de SI E______ SA, sa créance chirographaire inscrite au passif du bilan 2005 ainsi que tous ses droits patrimoniaux et sociaux et toutes ses créances contre la société pour un prix de CHF 68'329'565.-.

Ce montant devait être acquitté à raison de CHF 18'329'565.- en mains du notaire, en vue de rembourser les prêts hypothécaires, et, en mains du vendeur, de CHF 17 millions avant le 5 septembre 2006, et du solde de CHF 33 millions avant le 29 décembre 2006.

e. À l'époque de cette vente, les actifs de la société se concentraient autour de quatre parcelles dont elle était propriétaire, soit:

i) la parcelle 2______ sise à H______ (chemin 3______);

ii) la parcelle 4______ sise à H______, (route 5______);

iii) la parcelle 6______ sise à H______, libre d'immeuble;

iv) la parcelle 7______ sise à Genève (rue 8______), sur laquelle se trouvait un immeuble loué.

f. Par arrêts du Tribunal fédéral des 12 décembre 2008 (4A_259/2008) et 12 mars 2009 (4A_589/2008), SI E______ SA a été condamnée à payer à I______ respectivement CHF 780'358.35 et CHF 2'031'631.10, avec intérêts, pour ses honoraires et débours en lien avec les projets immobiliers du chemin 3______ et de la route 5______, antérieurs à la vente du 30 août 2006.

g. Par actes des 4 et 15 septembre 2006, SI E______ SA, représentée par F______, a vendu à L______ SA la parcelle 6______ pour un prix de CHF 577'000.-, la parcelle 2______, comprenant tous les travaux de finition de l'immeuble tels que résultant du cahier des charges signé avec J______ SA, pour un prix de CHF 28 millions, la parcelle 7______ pour un prix de CHF 11 millions et la parcelle 4______, comprenant l'immeuble dont la construction venait de débuter, pour un prix de CHF 16 millions, soit un montant total de CHF 55'577'000.-.

L'acquisition de cette dernière parcelle a été liée à la conclusion simultanée d'un contrat d'entreprise entre les parties, aux termes duquel SI E______ SA était chargée de la construction et des finitions de l'immeuble pour un prix de CHF 36'700'000.-.

h. Selon un décompte daté du 2 octobre 2008, établi par le notaire, le prix de vente de CHF 55'577'000.- a servi, à hauteur de CHF 22'862'897.65, au remboursement des crédits hypothécaires (CHF 18'482'747.25) ainsi qu'au paiement de la commission de courtage (CHF 1'076'000.-), de l'impôt immobilier (CHF 340'874.55), de la facture du notaire (CHF 5'027.05) et d'une créance d'une entreprise (CHF 2'958'248.80), le solde étant de CHF 32'714'102.35.

i. Du prix convenu par le contrat du 30 août 2006, A______ a reçu, sur le compte de M______ SA, société panaméenne dont il avait le contrôle, CHF 42 millions au total. Le versement de ce montant, sur le compte ouvert auprès de [la banque] D______, s'est opéré de la sorte:

- CHF 17 millions le 20 septembre 2006, sur instruction de F______ au notaire.

- CHF 12 millions le 29 décembre 2006, au débit des comptes de SI E______ SA;

- CHF 12 millions le 17 avril 2007, au débit des comptes de SI E______ SA;

- CHF 1 million le 15 juin 2007, au débit des comptes de SI E______ SA.

j. La poursuite des chantiers sur les parcelles 2______ et 4______ a été marquée par la dégradation des relations entre SI E______ SA, L______ SA, J______ SA et le bureau d'architecte K______ SA.

Il ressort en effet d'un jugement du Tribunal de première instance du 8 mars 2010 (JTPI/3097/10) que SI E______ SA considérait les exigences de J______ SA exorbitantes et ne permettant plus de tenir les projections financières fondant les relations contractuelles entre les divers intervenants. L______ SA s'était pour sa part mise à payer directement les corps de métier, en déclarant compenser ces versements avec les sommes dues à SI E______ SA, ce qui avait provoqué une crise de liquidités chez celle-ci. Les deux sociétés avaient alors conclu, en septembre 2007, une convention de règlement des flux financiers. Les travaux avaient finalement été achevés entre fin 2007 et fin 2008. K______ SA n'avait toutefois pas établi le décompte des travaux à prendre en charge par SI E______ SA et de ceux à assumer par J______ SA. De sorte que les relations financières entre les différents intervenants n'avaient pu être dénouées et que SI E______ SA avait été confrontée à de nombreux créanciers impayés, alors même qu'elle était vraisemblablement créancière de montants relativement importants. Le nouveau directeur estimait les créances de SI E______ SA envers L______ SA et J______ SA à CHF 9'874'054.40.

La faillite de SI E______ SA a été prononcée le 3 juin 2010, à la requête de I______, lequel, admis à l'état de collocation, s'est vu délivrer, le 24 juin 2014, un acte de défaut de biens à concurrence de CHF 4'253'223.65.

II. Instruction

a. Le 10 mars 2014, L______ SA et I______ ont déposé plainte pénale contre les organes de SI E______ SA en liquidation pour faux dans les titres (art. 251 CP), gestion déloyale (art. 158 CP), banqueroute frauduleuse (art. 163 CP), diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP), gestion fautive (art. 165 CP), violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP), avantages accordés à certains créanciers (art. 167 CP) et inobservation des prescriptions légales sur la comptabilité (art. 325 CP), leur reprochant d'avoir utilisé le produit de vente des immeubles pour acquitter le montant dû à A______ plutôt que pour désintéresser les créanciers de la société.

I______ a, dans ce cadre, confié la défense de ses intérêts à sa femme, Me C______, avocate au barreau.

b. En 2015, le Ministère public a requis de l'Office des faillites le dossier de SI E______ SA, lequel comprenait notamment:

- les bilans comptables de la société pour 2005, 2006, 2007 et 2009, avec extraits du grand livre correspondants et rapports de l'organe de révision pour les deux premiers exercices;

- un résumé des bilans comptables de SI E______ SA, dont il ressort que:

·         pour 2005 (bilan révisé), les actifs se chiffraient à CHF 51'745'965.- et les fonds étrangers à CHF 50'898'806.-;

·         pour 2006 (bilan révisé), les actifs se chiffraient à CHF 6'685'303.- et les fonds étrangers à CHF 5'790'467.-;

·         pour 2007 (bilan non révisé), les actifs se chiffraient à CHF 7'337'433.- et les fonds étrangers à CHF 6'401'056.-;

- un compte de frais et tableau de distribution des deniers déposé le 24 juin 2014, faisant état, à la clôture de la faillite, d'un déficit total au détriment des créanciers de CHF 11'043'600.15;

- une analyse financière de l'Office des faillites du 18 novembre 2011, laquelle conclut, "vu la complexité du dossier, notamment en terme de conflit et d'incompréhension entre les différentes parties" et vu "le manque de documentation", qu'il n'était pas opportun que l'Office dépose une plainte;

- un procès-verbal d'audition de F______ du 29 juin 2010, lequel datait le commencement du surendettement de SI E______ SA "au début 2009" et estimait que la cause de l'insolvabilité était due à un "manque de liquidités, récupération de diverses créances".

c. Le 6 janvier 2015, F______ a été entendu par le Ministère public, en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Il a déclaré qu'avec la vente des actions le 30 août 2006, G______ avait acquis la société pour son compte, devenant l'actionnaire de SI E______ SA. Ce dernier n'ayant toutefois pas la surface financière pour payer le prix convenu de CHF 68'329'565.-, il était prévu de revendre les immeubles de la société.

Parallèlement à la vente de la parcelle 4______ (route 5______ no. ______), un contrat d'entreprise avait été conclu entre L______ SA et SI E______ SA pour la construction d'un immeuble sur ladite parcelle, la seconde intervenant comme entrepreneur général, moyennant paiement de CHF 36'700'000.-. Le profit envisagé sur cette opération était de CHF 8 millions. Le chantier avait connu de nombreuses difficultés; L______ SA avait exigé de payer directement les sous-traitants; au bout du compte, SI E______ SA avait réalisé une perte. La faillite ultérieure y était due en grande partie. À la question de savoir pourquoi la société avait versé les montants à A______ alors qu'ils étaient dus par G______, acquéreur des actions, il a répondu "je n'aurais pas dû procéder ainsi. Je n'aurais pas dû exécuter les demandes de M. G______". A______ n'avait perçu que CHF 42'000'000.- sur les CHF 68'000'000.- prévus par la convention de vente des actions.

Lors de cette audience, F______ a versé à la procédure une lettre du 20 février 2011, adressée à l'Office des faillites, où, en lien avec les versements opérés en faveur de A______, il précise, sous la plume de son conseil, "qu'au moment des versements susmentionnés, SI E______ était parfaitement en mesure de les effectuer, les comptes bancaires de la société étant largement créditeurs et les soldes substantiellement plus élevés que les virements".

d. Le 5 avril 2017, le Ministère public a ouvert une instruction contre F______ des chefs de:

- diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP), pour avoir, en sa qualité d'administrateur de SI E______ SA (art. 29 let. a CP), transféré CHF 42 millions à A______, alors que (i) SI E______ SA n'était aucunement débitrice de ce dernier, (ii) A______ n'était créancier que de G______ ou des personnes que celui-ci représentait en signant la convention du 30 août 2006, et (iii) le prix de vente des actions de la société fixé dans cette convention était supérieur à la valeur de ses actifs, de sorte que les valeurs patrimoniales transférées à A______ l'avaient été à titre gratuit, ou à tout le moins contre une prestation de valeur manifestement inférieure.

- violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP), pour avoir, lors des exercices 2007 à 2009, en sa qualité d'administrateur de SI E______ SA (art. 29 let. a CP), contrevenu à l'obligation légale de tenir régulièrement ses livres de comptabilité, ou de dresser un bilan, étant précisé que SI E______ SA avait été déclarée en faillite le 3 juin 2010.

e. Le 18 août 2015, le Ministère public a entendu G______, en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Malgré la convention de vente des actions du 30 août 2006, qu'il avait signée, il contestait avoir fait l'acquisition de SI E______ SA. Il n'avait jamais été question pour lui d'acheter la société; il avait seulement reçu, de A______, le mandat de trouver un acquéreur pour les actifs de cette société, ce dernier voulant vendre ses immeubles à Genève – pour récupérer ses investissements – car il désirait s'installer en Angleterre et y investir. F______ avait tout organisé. Il n'avait pas suivi la vente des immeubles, ni n'était intervenu dans le cadre d'un quelconque versement ultérieur à A______. Il ignorait la situation financière de SI E______ SA au moment de la signature de la convention du 30 août 2006.

f. Les 25 janvier et 22 février 2017, le Ministère public a entendu A______, en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Il ne connaissait que vaguement les projets immobiliers liés à la SI E______ SA. F______ s'occupait du projet de construction d'un bâtiment sur le terrain du chemin 3______. Au moment où il avait décidé de se retirer du projet, il avait eu une réunion avec F______ et G______. Ce dernier aimant le projet, il avait proposé à celui-ci, en 2005, de reprendre sa participation, car il souhaitait se faire rembourser ses investissements faits entre 2001 et 2005, chiffrés à CHF 50'000'000.-. N'ayant perçu que CHF 42 millions, il considérait la différence comme une perte.

Il ignorait l'existence de la convention du 30 août 2006 mais qu'à l'époque, il sortait du projet en vendant ses actions de la société. G______ devait le payer puisque c'était ce dernier qui était à l'initiative de son départ et qui reprenait l'investissement.

g. Le 6 avril 2017, le Ministère public a auditionné F______ en qualité de prévenu.

Après avoir été notifié de l'ordonnance d'ouverture d'une instruction, F______ s'est déterminé sur les charges retenues contre lui en répondant qu'il "n'aurai[t] pas dû procéder aux transferts" mais que s'agissant de l'aspect juridique, il n'était pas en mesure de se déterminer.

Lors des discussions portant sur la sortie de A______, la vente des immeubles détenus par SI E______ SA avait tout de suite été envisagée. Comme G______ envisageait d'utiliser la société par la suite, la vente des actions avait été préférée à la liquidation de la société. Lors de la signature de la convention du 30 août 2006, il savait que G______ ne verserait pas à A______ la somme prévue dans le contrat. Les prix de vente des immeubles, de même que le contrat d'entreprise devaient néanmoins permettre d'y procéder.

Après la vente des immeubles, il ne savait pas véritablement pourquoi il était resté administrateur de SI E______ SA, même si la construction d'immeubles était une opération qui devait générer un chiffre d'affaires important pour celle-ci.

III. Séquestre et classement

a.a. Le 3 mars 2017, le Ministère public a ordonné le séquestre, à concurrence de CHF 9'285'897.65, du compte n° 1______ ouvert au nom de B______ LTD – société incorporée aux îles Vierges britanniques et dont A______ est l'ayant droit économique – auprès de D______.

Ce montant correspondait à la différence entre la somme perçue par A______ dans le cadre de la vente du 30 août 2006 (CHF 42 millions) et le produit net de la vente des immeubles selon le décompte du 2 octobre 2008 (CHF 32'714'102.35) ; il pouvait dès lors avoir été acquis sans contre-prestation correspondante et était susceptible de faire l'objet d'une confiscation ou d'une créance compensatrice à la fin de la procédure.

a.b. Par arrêt du 4 septembre 2017 (ACPR/600/2017), confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt 1B_426/2017 du 28 février 2018), la Chambre de céans a rejeté le recours formé par B______ LTD contre cette décision.

b. Le 16 août 2017, le conseil de F______ a annoncé au Ministère public le décès de son mandant.

c. Le 22 août 2018, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait classer la procédure en raison du décès du prévenu et prononcer, cas échéant, une créance compensatrice à l'endroit de A______ et B______ LTD. Les parties étaient invitées à se déterminer sur la valorisation de SI E______ SA au 30 août 2006, ce qu'elles ont fait, le 15 novembre 2018.

Par courrier, les parties ont discuté du bien-fondé de la créance compensatrice et, subsidiairement, de son montant.

d. Le 1er mai 2019, C______ a informé le Ministère public du décès de son mandant et époux, I______. Elle reprenait l'intégralité des droits de procédure de ce dernier.

e. Le 4 juin 2019, le Procureur a rendu un nouvel avis de prochaine clôture, informant les parties qu'il considérait que l'instruction était achevée et qu'une ordonnance de classement serait prochainement rendue. Il entendait prononcer une créance compensatrice d'un montant de CHF 504'664.-, en retenant que A______, en cédant les actions de SI E______ SA contre un prix de CHF 42 millions, avait fourni une contreprestation de CHF 41'495'336.-, analyse comptable à l'appui. Il renonçait toutefois à allouer ladite créance aux lésées, les conditions de l'art. 73 CP n'étant pas réalisées.

f. A______ et B______ LTD se sont déterminés le 28 juin 2019. Se référant à leurs observations du 15 novembre 2018, ils ont affirmé que les conditions au prononcé d'une créance compensatrice n'étaient pas remplies. Le montant retenu dans l'avis de prochaine clôture était erroné, ce que confirmait un rapport de la fiduciaire N______ SA, daté 25 juin 2019.

g. C______ s'est déterminée le 28 juin 2019 pour contester le tableau de calcul contenu dans l'avis de prochaine clôture, lequel était erroné et lacunaire.  

h.a. Le 21 septembre 2020, A______ et B______ LTD ont demandé au Ministère public la levée du séquestre du compte bancaire de B______ LTD, à tout le moins pour le montant excédant la somme de CHF 504'664.- retenue au titre d'une éventuelle créance compensatrice dans l'avis de prochaine clôture.

h.b. Le 22 octobre 2020, le Ministère public a partiellement levé le séquestre opéré en mains de D______, en tant qu'il dépassait la somme de CHF 600'000.-.

i. Entre le 26 mars 2020 et le 4 octobre 2021, A______ et B______ LTD ont produit plusieurs analyses comptables complémentaires de SI E______ SA, établies par la fiduciaire N______ SA, lesquelles ont été contestées par les parties plaignantes.

j. Le 4 octobre 2021, le Ministère public a rendu un troisième avis de prochaine clôture, réitérant que l'instruction était terminée et qu'une créance compensatrice serait prononcée, dont le montant serait toutefois de CHF 2'717'407.-, sans allocation aux lésés.

k. Dans une lettre du 5 novembre 2021, A______ et B______ LTD ont contesté les déterminations de C______ sur l'avis de prochaine clôture et sollicité, détails à l'appui, la somme de CHF 258'676.- (hors taxe) à titre d'indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, correspondant à CHF 258'290.- d'honoraires d'avocats et CHF 386.- de débours.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les circonstances entourant la vente du 30 août 2006 de l'intégralité des actions de SI E______ SA par A______ à G______ étaient établies. Or, la valeur de SI E______ SA au 30 août 2006 était de CHF 39'282'593.-, alors que A______, par le truchement de sa société M______ SA, avait perçu, au travers de plusieurs versements, la somme totale de CHF 42'000'000.-. Il en résultait que SI E______ SA s'était dessaisie d'un montant de CHF 2'717'407.- (CHF 42'000'000.- - CHF 39'282'593.-) en faveur de A______, sans justification ni contre-prestation adéquate, et ce alors qu'elle avait de nombreux autres créanciers. Ces versements réalisaient donc les éléments constitutifs de l'infraction de diminution effective de l'actif au préjudice de créanciers (art. 164 CP), à tout le moins. Les valeurs patrimoniales concernées n'étant plus disponibles, une créance compensatrice d'un montant équivalent était prononcée. La question de la bonne foi de A______ pouvait rester ouverte en l'absence d'une contre-prestation adéquate, la clause de rigueur ne s'appliquant pas. Les conditions de l'art. 73 CP n'étant pas réalisées, une allocation aux lésés de la créance compensatrice n'était pas prononcée. Vu le prononcé d'une créance compensatrice à l'encontre de A______ et du maintien du séquestre des avoirs de B______ LTD, les prétentions en indemnisation soulevées par ceux-ci étaient refusées.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ LTD soutiennent notamment que le prononcé d'une créance compensatrice violait les art. 70 et 71 CP, dans la mesure où l'exigence de la réalisation d'une infraction pénale n'était pas remplie. En particulier, aucune diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers ne pouvait être retenue contre feu F______. L'ordonnance querellée était lacunaire sur ce point, l'instruction n'ayant pas permis de démontrer que le comportement de ce dernier remplissait les éléments constitutifs de l'infraction, soit notamment le dol spécial de causer un dommage aux créanciers. La situation financière effective de la société permettait de surcroît de procéder aux versements effectués en faveur de A______, eu égard au produit réalisé par la vente des biens immobiliers de la société (CHF 55'577'000.-) et du prix rattaché au contrat d'entreprise passé avec L______ SA (CHF 36'700'000.-). Une violation de l'obligation de tenir une comptabilité ne pouvait en outre entrer en compte, étant prescrite, impropre à générer des valeurs patrimoniales susceptibles de confiscation et, en tout état, non réalisée. L'ordonnance querellée prononçait une créance compensatrice contre l'un (A______) et le maintien du séquestre sur les comptes de l'autre (B______ LTD), enfreignant de la sorte la dualité juridique qui les distinguait et sans pouvoir retenir une application du principe de la transparence ("Durchgriff"). Le séquestre devait par conséquent être levé. Enfin, le refus de leur attribuer une indemnisation en qualité de tiers touchés par des actes de procédure ne reposait sur aucune base juridique et aucun motif valide; une indemnité de CHF 258'676.- devait leur être allouée pour les frais engendrés devant le Ministère public.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève que l'ayant droit économique de B______ LTD était A______ et que les dénégations de ce dernier à ce sujet ne suffisaient pas à écarter l'application de la théorie de la transparence. Pour le surplus, il propose le rejet du recours.

c. Dans ses observations, C______ soutient, notamment, que le recours est irrecevable, les conclusions des recourants étant contradictoires en tant qu'elles contestaient la créance compensatrice mais pas le renvoi des parties à agir au civil pour l'allocation de celle-ci (chiffre 5 du dispositif). Les conditions de l'art. 164 CP étaient en outre réunies. En versant la somme totale de CHF 42'000'000.- à A______, alors que SI E______ SA n'en était pas débitrice, F______ avait attribué des libéralités au préjudice des créanciers. Sur le plan subjectif, F______ avait admis qu'il n'aurait pas dû "exécuter les demandes de M. G______". En outre, il savait que G______ n'avait pas la surface financière pour faire l'acquisition de la société au prix convenu dans l'acte du 30 août 2006 et que ce dernier ne verserait pas à A______ l'entier de cette même somme. Il avait donc commis intentionnellement l'infraction de diminution de l'actif au préjudice des créanciers. Il était enfin abusif d'invoquer la dualité juridique entre A______ et B______ LTD.

d. A______ et B______ LTD répliquent, contestant, en substance, les observations de C______.

e. C______ duplique.

EN DROIT :

1.             1.1. Contenus dans un même acte, les recours de A______ et B______ LTD ont été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émanent d'un tiers visé par une créance compensatrice, respectivement d'un tiers saisi (art. 105 al. 1 let. f CPP).

1.2. Les recourants ayant pris des conclusions communes, il convient de distinguer leur qualité pour agir selon les points attaqués dans l'ordonnance querellée, dans la mesure où leurs intérêts juridiques ne se recoupent pas complètement.

1.2.1. Toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour contester celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Cet intérêt doit être juridique et direct. Le recourant est ainsi tenu d’établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu’il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif (ATF 145 IV 161 consid. 3 p. 163).

1.2.2. Le titulaire d’un compte bancaire est, en principe, habilité à quereller la mesure de séquestre ordonnée sur ses avoirs (arrêt du Tribunal fédéral 1B_76/2020 du 6 juillet 2020 consid. 1).

1.2.3. Le tiers condamné à payer une créance compensatrice a qualité pour recourir (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 14 ad art. 382). Il ne peut, en revanche, justifier d'un intérêt juridique pour contester la confiscation ou le séquestre d'avoirs dont il n'est pas titulaire. De même, le titulaire de ces avoirs confisqués ou séquestrés ne saurait faire valoir un intérêt juridique à contester le prononcé d'une créance compensatrice à l'égard d'un tiers, même si la mesure touchant ses avoirs vise à garantir le paiement de ladite créance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2019 du 16 décembre 2020 consid. 1.3).

1.2.4. Le recours au principe de la transparence (Durchgriff) suppose qu'il y ait identité entre une personne morale et celle qui la domine. Il a pour conséquence que l'indépendance formelle de la première n'est pas prise en considération. Ni le sociétaire ni l’entité ne peuvent se prévaloir de la dualité juridique formelle, de sorte que les rapports de droit qui lient l'une lient également l'autre. En revanche, en ce qui les concerne, ils doivent s'en tenir à la forme d'organisation qu'ils ont choisie et ne peuvent invoquer avec succès l'absence de dualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_122/2017 du 8 janvier 2019 consid. 7.1 et les références citées).

1.3. En l'espèce, les recourants font valoir la dualité juridique qui les séparerait. À les suivre, cela signifierait que seul A______, en son nom propre, serait directement touché par la créance compensatrice prononcée à son encontre, tandis que B______ LTD serait seule touchée par le maintien du séquestre de ses avoirs. À l'inverse, il résulterait de l'application du principe de transparence qu'une seule entité, partagée par les deux recourants, serait simultanément touchée par les deux mesures.

L'application ou non de ce principe peut toutefois rester indécise in casu dans la mesure où, nonobstant le résultat, les griefs soulevés contre l'ordonnance querellée, à l'égard de la créance compensatrice et du séquestre, seront de toute façon examinés, en tant qu'ils sont soulevés, les recourants agissant par un mémoire commun, par au moins une partie qui a la qualité pour recourir sur l'aspect en cause.

Pour des considérations pratiques, la position des recourants sera néanmoins adoptée. Ils seront, partant, considérés comme deux personnes distinctes, l'une physique et l'autre morale, avec pour conséquence que le recours de A______ est recevable contre le prononcé de la créance compensatrice mais irrecevable contre le maintien du séquestre, tandis que l'inverse s'applique pour le recours de B______ LTD.

Dans tous les cas, étant les deux touchés par le refus de leur indemnisation sollicitée, ils disposent chacun d'un intérêt juridique protégé à recourir contre le chiffre 8 de l'ordonnance querellée.

1.4. La prétendue irrecevabilité du recours soulevée par C______ peut être d'emblée exclue. Les conclusions des recourants ne présentent aucune contradiction. En outre, ces derniers, qui ne sont pas directement touchés par le chiffre 5 du dispositif de l'ordonnance querellée, ne pouvaient de toute manière pas remettre en cause ce point, en l'absence d'intérêt juridique protégé.

2.             A______ soutient que les conditions pour le prononcé d'une créance compensatrice n'étaient pas réunies, étant précisé que l'ordonnance de classement ne retient que la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction à l'art. 164 ch. 1 CP, à l'exclusion des autres visées dans la plainte.

2.1.1. Selon l'art. 70 al. 1 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction. Lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles, l'art. 71 CP autorise le juge à ordonner leur remplacement par une créance compensatrice de l'État d'un montant équivalent (al. 1). Le juge peut renoncer totalement ou partiellement à la créance compensatrice s'il est à prévoir qu'elle ne serait pas recouvrable ou qu'elle entraverait sérieusement la réinsertion de la personne concernée (al. 2).

Les valeurs patrimoniales résultant d'une infraction ne sont plus disponibles lorsqu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées. Le but de la créance compensatrice est d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés. La créance compensatrice ne joue qu'un rôle de substitution de la confiscation en nature et ne doit donc, par rapport à celle-ci, engendrer ni avantage ni inconvénient. En raison de son caractère subsidiaire, la créance compensatrice ne peut être ordonnée que si les conditions de la confiscation sont remplies dans l'hypothèse où les valeurs patrimoniales auraient été disponibles, sans toutefois la nécessité d'un lien de connexité entre les valeurs saisies et l'infraction commise (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 62).

2.1.2. La confiscation suppose que les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l'infraction soient réalisés, même si la culpabilité de son auteur n'est pas examinée (ATF 132 II 178 consid. 4 p. 184; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 9 ad art. 70).

Il incombe au juge de la confiscation de démontrer que ces conditions sont réunies, selon les règles usuelles d'établissement des faits et d'appréciation des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 6B_474/2016 du 6 février 2017 consid. 3.1). Hors l'hypothèse expressément réglée par l'art. 72 CP (confiscation de valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle), un renversement du fardeau de la preuve est exclu (ATF 132 II 178 consid. 4.1 p. 184 s.; arrêt 6B_474/2016 précité).

2.1.3. Selon l'art. 70 al. 2 CP, la confiscation n’est pas prononcée lorsqu’un tiers a acquis les biens/valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive. Ces conditions sont cumulatives. Si l’une d’elles n’est pas réalisée, la mesure peut être prononcée alors même que l’intéressé a conclu une transaction en soi légitime. S'agissant de la contre-prestation, elle n'est pas adéquate quand les valeurs patrimoniales ont été remises à titre gratuit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2019 du 16 décembre 2020 consid. 5.3).

2.2. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, n'est pas directement applicable à la procédure de confiscation. Le juge de la confiscation recherche uniquement si les biens ont un lien avec une infraction, mais ne s'interroge pas sur la culpabilité de son auteur. Ainsi, lorsque la mesure de confiscation est menée indépendamment de la procédure pénale proprement dite, ou lorsqu'elle frappe une personne qui n'est pas accusée, la présomption d'innocence n'est pas opposable (ATF 132 II 178 consid. 4.1 p. 184 s. et les références citées; 117 IV 233 consid. 3 p. 237 s.). Le fait de reconnaître que le comportement d'une personne réalise les éléments constitutifs d'une infraction, qu'il est illicite et que les valeurs patrimoniales en résultant doivent être confisquées ne viole pas le principe de la présomption d'innocence, tant que la décision concernée n'est pas rédigée de telle sorte qu'elle laisse penser, directement ou indirectement, que cette personne aurait été condamnée si la procédure engagée contre elle avait été conduite jusqu'à son terme (ATF 141 IV 155 consid. 4.4 p. 167; 117 IV 233 consid. 3 p. 238).  

2.3. Selon l’art. 164 ch.1 CP, se rend coupable de diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers, le débiteur qui, de manière à causer un dommage à ses créanciers, et s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui, aura diminué son actif, en cédant des valeurs patrimoniales à titre gratuit ou contre une prestation de valeur manifestement inférieure.

Toutes les libéralités (hormis les cadeaux usuels), quel qu'en soit le destinataire, tombent sous le coup de la loi, dès lors que l'intention de nuire au créancier peut être établie. Il faut y ajouter toute aliénation moyennant une contre-valeur insuffisante, pour autant que l'intention de nuire au créancier soit prouvée (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 2010, n. 13 ad art. 164).

L'infraction est intentionnelle; le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_829/2019 du 21 octobre 2019 consid. 2.2). En sus, l'infraction exige une intention spéciale: l'auteur doit avoir l'intention de causer un dommage au(x) créancier(s). Sous la forme minimale du dol éventuel, il faut au moins qu'il accepte que son comportement puisse nuire au(x) créancier(s) (B. CORBOZ, op. cit., n. 24 ad art. 164). Si aucune poursuite n'a encore été engagée, cela implique nécessairement que le débiteur sache qu'il se trouve déjà dans une situation financière difficile ou qu'il ait envisagé et accepté la possibilité que sa situation financière puisse se dégrader jusqu'à l'introduction de poursuites (Y. WERMEILLE, La diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers et la gestion fautive, RPS 1999, p. 384).

L’intention doit exister au moment de l’acte (principe de la concomitance). Si l'on est en présence d'une infraction formelle, ce sera le moment où l'auteur adopte le comportement réprimé par la norme pénale; s'il s'agit d'une infraction matérielle, ce sera le moment où il adopte le comportement qui cause le résultat prohibé (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 29 ad art. 12).

L'art. 164 ch. 1 CP réprime un délit propre, qui ne peut être commis que par le débiteur. Lorsque cette qualité échoit à une personne morale, les personnes physiques qui en sont organes sont, en vertu de l'art. 29 CP, punissables en tant qu'auteurs, si elles ont agi ès qualité pour cette dernière (ATF 131 IV 49 consid. 1.3.1 p. 53).

2.4. En l'espèce, il est acquis que feu F______ était l'administrateur de SI E______ SA, déclarée en faillite le 3 juin 2010. Il est également patent que le précité a exécuté des versements, depuis les comptes de la société, en faveur de A______, actionnaire unique sortant, dont les motifs apparaissent – a priori – douteux et vraisemblablement discutables au regard du droit des sociétés, à tout le moins. L'ancien prévenu a d'ailleurs admis qu'il n'aurait pas dû effectuer les transferts de fonds en question.

Sur cette base, le Ministère public tient pour établi que lesdits versements, "effectués sans justification ni contre-prestation adéquate, alors même que la société avait de nombreux autres créanciers", permettaient de retenir que les éléments constitutifs de l'infraction de diminution effective de l'actif au préjudice de créanciers étaient réalisés.

Cela étant, il ne développe pas son avis au-delà de l'aspect lié à la contre-prestation adéquate, alors qu'il s'agirait – comme cela lui incombe – de mettre en corrélation les agissements du prévenu défunt avec tous les éléments constitutifs objectifs de l'art. 164 CP. Surtout, il ne consacre aucune ligne à la réalisation des éléments constitutifs subjectifs de l'infraction concernée. Or, l'état de fait retenu par la Chambre de céans, qui dispose pour cela d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), ne permet pas d'imputer – à satisfaction de droit – au prévenu défunt l'intention de causer un dommage aux créanciers au moment d'effectuer les versements incriminés.

À teneur des auditions tenues durant l'instruction, il appert que le processus de vente des immeubles détenus par SI E______ SA trouvait son origine dans la volonté du recourant de se retirer du projet et de se faire rembourser ses investissements. L'ancien prévenu a d'ailleurs admis que le montant obtenu de ces ventes devait servir à solder le prix convenu dans la convention du 30 août 2016, précisant – ce qui apparait vraisemblable vu l'opération commerciale en cause – que la valeur de rachat des immeubles était connue au moment de signer ladite convention. La société a ainsi cédé ses terrains pour CHF 55'577'000.-.

Simultanément, elle a signé un contrat d'entreprise, selon lequel elle devait intervenir comme entrepreneur général pour le projet sur la parcelle 4______ (route 5______) vendue, faisant l'objet d'un contrat de bail avec J______ SA, pour un montant de CHF 36'700'000.- et dont l'ancien prévenu escomptait un profit de CHF 8 millions.

Dans ce contexte, les déclarations de l'ancien prévenu à l'Office des faillites selon lesquelles SI E______ SA disposait de la surface financière suffisante pour effectuer les paiements en faveur de A______, trouvent du répondant ou, à tout le moins, paraissent crédibles. D'autant plus qu'au moment de réaliser la double opération, soit, d'une part, le transfert de son capital-actions et, d'autre part, la vente de ses immeubles, le bilan, révisé, de SI E______ SA pour 2006 était équilibré à hauteur de CHF 6'685'303.-. Même les créances que faisait valoir HI______ depuis le 9 décembre 2004, finalement reconnues en 2008, pour CHF 2'811'989.45 au total, à supposer qu'elles n'étaient pas déjà comptabilisées au bilan, pouvaient être absorbées par les actifs de la société, sans mettre en péril la situation financière de celle-ci.

En théorie donc, l'opération planifiée pour la sortie le recourant, fût-elle discutable et hasardeuse, restait dans le champ comptable du possible au moment où les premiers remboursements en faveur du recourant – constituant chacun une aliénation en diminution de l'actif – sont intervenus en 2006, soit le 20 septembre et le 29 décembre 2006, pour CHF 29 millions au total (CHF 17 millions + CHF 12 millions).

Face à ce constat, on ne saurait imputer à l'ancien prévenu une volonté de nuire aux créanciers de la société au moment de procéder à ces deux versements et le Ministère public est encore moins en mesure de le démontrer. Le choix de conclure un contrat d'entreprise, pour un projet d'une valeur importante, laisse d'ailleurs penser que F______ avait dans l'idée que la société allait se pérenniser au-delà de la vente de ses biens immobiliers, ce qui est encore conforté dans son choix d'en rester l'administrateur.

L'appréciation de l'intention de l'ancien prévenu, en particulier s'agissant du dol spécial, pourrait être différente s'agissant des versements survenus les 17 avril et 15 juin 2007, pour CHF 13 millions au total (CHF 12 millions + CHF 1 million). Il ressort en effet des déclarations de l'ancien prévenu et du jugement du Tribunal de première instance (JTPI/3097/10) que les problèmes financiers ont commencé en lien avec le projet immobilier pour lequel SI E______ SA intervenait comme entrepreneur général. Le début des complications avec J______ SA et L______ SA n'a pas de date définie mais l'on peut le situer entre 2007 et 2008, étant rappelé que les bilans dès 2007 ne sont plus révisés et que F______ a daté le début du surendettement au début de l'année 2009.

Cela étant, le Ministère public n'a – une nouvelle fois – consacré aucun développement pour démontrer que les éléments subjectifs de l'infraction considérée étaient réalisés. À noter d'ailleurs qu'il est resté muet sur le sujet même dans le cadre de ses observations sur le recours.

Dans tous les cas, à supposer qu'une intention délictuelle, nonobstant sa forme, pouvait être retenue contre l'ancien prévenu en lien avec les versements intervenus en 2007; on se retrouverait dans la situation où la contre-prestation reçue par le recourant sur la base d'une infraction à l'art. 164 CP, soit CHF 13 millions, serait inférieure au prix du bien cédé, à savoir l'actionnariat de SI E______ SA, évaluée par le Ministère public à CHF 39'282'593.-. Cas échéant, les conditions pour le prononcé d'une créance compensatrice ne seraient plus réunies, la bonne foi du recourant n'ayant, au demeurant, pas été remise en question.

En résumé, le Ministère public n'a pas démontré la réalisation des éléments constitutifs subjectifs de l'infraction de diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers alors qu'une telle obligation lui incombait pour prononcer une créance compensatrice. Cette démonstration apparait, par ailleurs, infondée s'agissant des deux paiements opérés en faveur du recourant en 2006 et, de ce fait, insuffisante pour maintenir la mesure sur la seule base des paiements opérés en 2007.

En définitive, la créance compensatrice doit être révoquée et le recours de A______ admis sur ce point.

3.             B______ LTD conclut à la levée du séquestre portant sur son compte.

3.1.  L’autorité d’instruction peut placer sous séquestre, en vue de l’exécution d’une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée (art. 71 al. 3 CP).

3.2. En l'espèce, dans la mesure où le prononcé d'une créance compensatrice est annulée pour les motifs qui précèdent, l'intérêt au maintien du séquestre suit le même sort, sans qu'il puisse être rattaché à une autre disposition légale. La mesure ne se justifie dès lors plus.

Le séquestre sera, partant, intégralement levé.

4.             A______ et B______ LTD font grief au Ministère public d'avoir refusé de leur allouer une indemnité au sens de l'art. 434 CPP.

4.1. Aux termes de l'art. 434 al. 1 CPP, les tiers qui, par le fait d'actes de procédure ou du fait de l'aide apportée aux autorités pénales, subissent un dommage ont droit à une juste compensation si le dommage n'est pas couvert d'une autre manière, ainsi qu'à une réparation du tort moral.

La notion de juste compensation du dommage se réfère aux principes généraux du droit de la responsabilité civile, à l'instar de ce qui prévaut pour l'indemnisation du prévenu (art. 429 ss CPP). Il s'agit en principe d'une pleine indemnité pour les inconvénients subis. Le dommage susceptible d'être compensé consiste dans une diminution du patrimoine du tiers lésé, qui pourra être matérielle, économique ou encore provoquée par les frais de défense et de procédure engagés pour faire valoir ses droits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1210/2017 du 10 avril 2018 consid. 4.1).

4.2. En l'espèce, le Ministère public a refusé de considérer les requêtes en indemnisation des recourants, dûment motivées à temps, au motif qu'une créance compensatrice était prononcée contre l'un et que le séquestre était maintenu contre l'autre.

Indépendamment du fait que ce raisonnement ne trouve aucune prise dans les exigences légales pour ce genre d'indemnisation, il est de toute manière devenu caduc par l'annulation des deux mesures.

Les prétentions des recourants doivent dès lors être examinées. En regard de leur importance, portant sur un total de CHF 258'676.-, il appartiendra au Ministère public de passer en revue leur détail pour évaluer si elles sont justifiées et, dans le cas contraire, de motiver pourquoi il s'en écarte (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 14b ad art. 434).

La cause lui sera ainsi renvoyée pour qu'il statue sur ce point.

5.             Les recourants obtenant globalement gain de cause, même si leur recours commun présente, pour chacun, un volet irrecevable, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             Les recourants, qui ont partiellement gain de cause, ont sollicité une équitable indemnité qu'ils chiffrent à CHF 8'000.- (TTC), correspondant à 17h30 d'activité, au taux horaire de CHF 450.-/h. Ils produisent à cet égard un relevé faisant état de 35h d'activité par une collaboratrice et 5h20 par un associé.

Eu égard à leur mémoire de recours (quarante-sept pages), leurs observations (sept pages) et leur duplique spontanée (deux pages), ce montant n'apparaît pas excessif et sera alloué par moitié aux deux recourants, soit CHF 4'000.-, sans TVA vu leur domicile à l'étranger.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet les recours de A______ et B______ LTD dans la mesure de leur recevabilité.

Annule les chiffres 2, 3, 4 et 8 du dispositif de l'ordonnance querellée.

Ordonne la levée intégrale du séquestre des avoirs sur le compte n° 1______ ouvert au nom de B______ LTD auprès de D______.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur les prétentions de A______ et B______ LTD en indemnités selon l'art. 434 CPP.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 4'000.- (TTC).

Alloue à B______ LTD, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 4'000.- (TTC).

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs conseils, à C______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).