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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23544/2017

ACPR/303/2022 du 03.05.2022 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Recours TF déposé le 08.06.2022, rendu le 29.11.2022, ADMIS/PARTIEL, 1B_282/2022
Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ;VIDÉOSURVEILLANCE;MOYEN DE PREUVE;PREUVE ILLICITE
Normes : CPP.197; CPP.269; CPP.277; CPP.279; CPP.280

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23544/2017 ACPR/303/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 mai 2022

Entre

A______, B______, C______ et D______, comparant par respectivement Mes E______, F______, G______ et H______ (co-conseils), ainsi que I______, avocats, et faisant élection de domicile chez ce dernier,

recourants

 

contre les ordonnances rendues par le Tribunal des mesures de contrainte les 17 novembre 2017, 22 février 2018, 27 avril 2018, 18 mai 2018 et 14 août 2018 en matière de surveillance secrète

et

 

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 janvier 2022, A______, B______, C______ et D______ recourent contre les cinq ordonnances – notifiées le 23 décembre 2021 – par lesquelles le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a, dès le 17 novembre 2017 et jusqu’au 14 novembre 2018, autorisé, prolongé et étendu la pose de caméras à l’extérieur de leur domicile de J______ [GE].

Les recourants concluent à l'annulation de ces ordonnances. Préalablement, ils demandent que le Ministère public soit astreint à fournir divers renseignements techniques, ainsi que l’identité de la source mentionnée dans le rapport de police à l’origine de la mesure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 23 octobre 2017, la police a informé le Ministère public tenir de source sûre et confidentielle que la famille B______/A______, composée de B______ (père), A______ (mère), C______ (fils) et D______ (épouse de ce dernier), exploiterait son personnel de maison, de nationalité indienne, en le faisant dormir dans l’abri anti-atomique de leur villa, dans des conditions indécentes et en le rémunérant très en-deçà des salaires minimaux en vigueur, pour un travail long et harassant, avec peu de liberté de mouvement. Les passeports des quatre employés concernés leur avaient été soustraits. Les rotations au sein de ce personnel étaient régulières.

B______ et C______ avaient déjà été entendus en janvier 2007 dans une affaire analogue, comme le montraient les procès-verbaux d’audition de police joints [dont il ressort que le personnel de maison, bien qu’engagé par une officine de K______ (Inde) pour la durée d’une année, était considéré comme « des membres de la famille », n’était pas déclaré aux autorités administratives suisses, logeait dans l’abri anti-atomique et percevait – en Inde – un salaire annuel équivalant à quelques centaines de francs suisses ; leurs passeports restaient temporairement en mains de la fiduciaire de la famille B______/A______ pour les formalités de déplacement telles que les visas ; cf. la procédure pénale P/1______/2006, pièces PP K-100'000 ss., dont ces procès-verbaux émanent et à l’issue de laquelle B______ et A______ furent condamnés par ordonnances de condamnation du 27 juillet 2007 pour non-paiement de cotisations sociales et de l’impôt à la source et infraction au droit des étrangers].

La police sollicitait l’ouverture d’une instruction pour soupçon de traite d’êtres humains (art. 182 CP), ainsi que la délivrance de mandats d’amener et de perquisition.

b.        Le 16 novembre 2017, la police a suggéré au Ministère public une surveillance secrète, sonore et visuelle, des abords, voire de l’intérieur, de la villa de la famille B______/A______, aux fins de cerner les conditions dans lesquelles le personnel était traité.

c.         Le jour même, le Ministère public a ordonné la pose de caméras à l’extérieur de l’habitation, de telle façon que les allées et venues du personnel et sa liberté de mouvement pussent être observées.

d.        Le 17 novembre 2017, le TMC a autorisé la mesure jusqu’au 20 février 2018, relevant que des investigations étaient parallèlement en cours auprès de caisses de compensation, pour vérifier si le personnel était payé, ainsi qu’auprès des services compétents pour la délivrance de visas. Il importait de lutter contre le fléau de la traite d’êtres humains, et la nature de cette infraction, qui se déroulait en milieu clos, rendait les recherches excessivement difficiles ou impossibles. L’attention du Ministère public était attirée sur la nécessité de préserver l’anonymat de toute personne non impliquée.

e.         Le 9 janvier 2018, le Ministère public a requis les caisses de compensation concernées de lui produire toutes les déclarations qu’aurait pu leur avoir fournies la famille B______/A______ en qualité d’employeur. Les réponses, datées des 15 janvier et 1er février 2018, ont été négatives.

f.         Le 12 février 2018, la police a avisé le Ministère public que le système de surveillance mis en place n’avait été opérationnel qu’à partir du 22 janvier 2018, mais avait confirmé la présence de cinq employés. Les recherches se poursuivaient pour établir l’identité de ceux-ci. Une prolongation de la surveillance était nécessaire.

g.        Le 21 février 2018, le Ministère public a prié le TMC de prolonger – respectivement ordonner, si sa demande devait être considérée comme tardive – la surveillance pour une durée de trois mois, invoquant la traite d’êtres humains (art. 182 CP), subsidiairement l’usure (art. 157 CP). Il importait de constater la liberté de mouvement du personnel de maison, notamment s’il quittait ou non le périmètre immédiat de la villa.

h.        Le lendemain, le TMC a autorisé la mesure pour la durée de trois mois, avec effet dès la veille, mentionnant uniquement l’art. 182 CP et faisant en substance siens les motifs invoqués. L’attention du Ministère public était attirée sur la nécessité de préserver l’anonymat de toute personne non impliquée.

i.          Le 23 mars 2018, une ancienne domestique de la famille B______/A______ à Genève a déposé plainte pénale à raison de ses conditions de travail, qu’elle avait fuies un an plus tôt, après huit années de service.


 

j.          Le 26 mars 2018, la police a rendu deux rapports :

            dans le premier, elle transmet la plainte pénale susmentionnée et expose comment la famille B______/A______ fait venir sa domesticité d’Inde en Suisse [demandes de visa Schengen déposées auprès de divers consulats européens en Inde, sous couvert de tourisme ; déplacements du personnel d’Inde en France, avec délivrance le cas échéant d’une autorisation provisoire de séjour ouvrant le droit à travailler dans cet État] et l’exploite [aucun contact avec quiconque sur le territoire suisse ; aucun argent suisse ; retenue des passeports ; travail sept jours sur sept, sous la menace de perte d’emploi, de contrôles policiers ou de représailles] : ces conditions avaient été vécues par trois anciens employés, outre la plaignante susmentionnée.

            dans le second, la police note avoir, notamment, constaté la présence à J______ de trois employés indiens qui ne sortaient pas de la propriété, à la différence de deux chauffeurs et d’une lingère. L’un des trois employés indiens, une femme, avait pu être formellement identifiée ; elle promenait quotidiennement un chien à l’extérieur de la résidence, sans s’en éloigner ; les deux autres employés indiens étaient vus sporadiquement dans la cour, l’un portant souvent du linge. La surveillance en cours ne permettait pas d’autre constatation, notamment pas sur la nature des tâches de ces personnes ni sur la façon dont elles étaient traitées.

k.        Le 12 avril 2018, le Ministère public a décerné des mandats d’amener contre A______, B______, C______ et D______, ainsi que le mandat de perquisitionner la propriété de J______. Les trois employés indiens, entendus par la police, ont déposé plainte pénale contre la famille B______/A______. Leurs passeports ont été découverts dans une armoire de A______. Des perquisitions exécutées simultanément dans deux sociétés de la famille B______/A______, à Genève, ont conduit à la découverte de documents relatifs au personnel de maison, tels que des copies scannées de passeports et des attestations en vue de la délivrance d’autorisations de séjour.

l.          Le 13 avril 2018, A______, B______, C______ et D______ ont été prévenus d'incitation à entrée et séjour illégaux, d'emploi d'étrangers sans autorisations, d'usure et de traite d'êtres humains pour avoir, à Genève, depuis 1997, fait venir d'Inde du personnel de maison et l'avoir exploité à des conditions en tout cas non conformes au Contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs de l’économie domestique (J 1 50.03).

En substance, A______, B______, C______ et D______ ont contesté les préventions, mais reconnu la violation dudit contrat-type envers les quatre plaignants.

Une discussion sur l’exécution d’une procédure simplifiée s’est engagée dans la foulée [pièce PP E-50'009].

A______, B______, C______ et D______ ont ensuite été mis en liberté sous mesures de substitution (interdiction de contacter les plaignants et obligation de comparaître aux audiences ultérieures).

m.      Le 26 avril 2018, le Ministère public a rendu une ordonnance « d’extension de la surveillance ( ) en cas de découverte fortuite ». L’exécution d’une procédure simplifiée était en discussion, et il importait de s’assurer de l’absence de récidive. L’enquête montrait des charges suffisantes d’usure par métier (art. 157 ch. 2 CP) et d’infractions aggravées à l’art. 116 LÉtr [auj. LÉI], sur de très longues années. Il convenait que l’utilisation du résultat de la surveillance fût étendue rétroactivement à ces deux infractions.

Simultanément, le Ministère public a demandé au TMC l’extension de la surveillance en cours aux deux infractions susmentionnées.

n.        Le 27 avril 2018, par une unique décision, le TMC a fait droit à ces demandes. L’attention du Ministère public était attirée sur la nécessité de préserver l’anonymat de toute personne non impliquée.

o.        Après que la police lui eut suggéré la reconduction de la surveillance pour s’assurer « avec certitude » que la famille B______/A______ n’employait pas « à nouveau » du personnel en situation illégale, le Ministère public a exposé à l’attention du TMC, le 17 mai 2018, que l’exécution d’une procédure simplifiée était toujours en discussion et que la surveillance devait être prolongée pour vérifier que les prévenus respecteraient à l’avenir les conditions d’engagement de leur personnel de maison.

p.        Le lendemain, le TMC y a fait droit, donnant son autorisation jusqu’au 18 août 2018. L’attention du Ministère public était attirée sur la nécessité de préserver l’anonymat de toute personne non impliquée.

q.        Le 18 mai 2018, puis le 27 juillet 2018, le Ministère public a étendu son instruction aux faits reprochés par deux anciens employés supplémentaires, qui avaient porté plainte les 17 mai 2018 et 13 juin 2018.

r.         À l’audience du 13 juin 2018, les discussions sur l’exécution d’une procédure simplifiée se sont poursuivies [pièces PP E-166 ss.]. On déduit de la date inscrite sur l’enveloppe scellée contenant un acte d’accusation [pièce PP C5-70'000] que cette voie a été abandonnée le 15 juin 2018.

s.         Le 13 août 2018, après que la police lui eut suggéré la reconduction de la surveillance secrète pour les mêmes motifs qu’auparavant, le Ministère public a exposé à l’attention du TMC, que les pourparlers en vue d’une procédure simplifiée avaient échoué (joignant apparemment une ordonnance du 5 juillet 2018 en prenant acte, qui ne se retrouve pas au dossier), mais qu’il convenait toujours de vérifier que les prévenus respecteraient à l’avenir les conditions d’engagement de leur personnel de maison.

t.          Le lendemain, le TMC y a fait droit jusqu’au 14 novembre 2018, retenant qu’il était nécessaire de s’assurer de la « bonne conduite » des prévenus, lesquels niaient l’illicéité de leurs actes, et qu’il était difficile pour leurs victimes de se plaindre de leurs conditions de travail. L’attention du Ministère public était attirée sur la nécessité de préserver l’anonymat de toute personne non impliquée.

u.        La surveillance n’a pas été prolongée au-delà du 14 novembre 2018. Selon le rapport de police du 14 janvier 2022, aucun compte rendu n’avait été établi pour la période du 14 août 2018 au 14 novembre 2018, et aucun enregistrement n’était « disponible ». La police précisait à cette occasion que les caméras avaient été placées dans une haie et avaient dans leur champ l’entrée dans la propriété, ainsi que la cour.

v.        Dans l’intervalle, C______ (le 19 septembre 2018) et B______, A______ et D______ (le 16 novembre 2018), ont été avisés que l’instruction était étendue à des faits concernant un septième ancien employé (qui avait déposé plainte le 17 septembre 2018).

w.      Au mois d’octobre 2020, un délai a été accordé aux parties pour présenter leurs réquisitions de preuve. C______ a demandé à être entendu une nouvelle fois et à pouvoir interroger les parties plaignantes (quatre restent constituées). Une audience d’instruction s’est tenue à ces fins, le 4 mars 2021. A______, B______, C______ et D______ ont demandé la convocation d’audiences supplémentaires. Leur recours contre le refus opposé par le Ministère public a été déclaré irrecevable par la Chambre de céans (art. 394 let. b CPP ; ACPR/778/2021 du 12 novembre 2021). Le litige est actuellement pendant par-devant le Tribunal fédéral (cause 1B_682/2021).

C. a. Le 22 décembre 2021, le Ministère public a informé la famille B______/A______ de l’existence, de la forme, de la durée et des raisons de la surveillance secrète dont elle avait été l’objet.

b. Le 24 décembre 2021, A______, B______, C______ et D______ ont demandé la pose de scellés sur les supports des images enregistrées.

D. a. À l'appui de leur recours, A______, B______, C______ et D______, déclarant agir « par souci de simplification » sous l’égide du seul avocat de cette dernière, sans autre justificatif, reprochent au TMC d'avoir ordonné, et prolongé pendant près d’une année, la surveillance par caméras de leur domicile sur la seule foi d’une source sûre et confidentielle.

Après leur libération, cette surveillance avait constitué une mesure de substitution secrète, inconnue du CPP. L’absence d’information sur son étendue et sur sa source violait leur droit d’être entendus. Une fois des précisions obtenues sur ces questions, l’acte de recours serait complété.

Enquêter sur les conditions de travail d’employés ne revenait pas à enquêter sur un réseau. La police, dont les rapports de 2017 en vue d’ouverture d’instruction, puis de mesures secrètes, étaient séparés de plusieurs jours, n’avait pas entrepris le moindre contrôle; elle prônait en premier lieu une perquisition, sans qu’on puisse comprendre son changement ultérieur en faveur d’une surveillance secrète. Or, la pose de caméras était une atteinte à la vie privée plus grave qu’une interception téléphonique. Le TMC n’avait nullement examiné ce qu’il en serait de mesures moins incisives. Des auditions, des ordres de dépôt, voire une enquête de voisinage, eussent pu suffire aux fins recherchées.

La surveillance n’avait jamais eu la moindre utilité, preuve que la condition d’ultima ratio n’était pas réalisée lorsqu’elle avait été ordonnée. En la prolongeant aux fins de s’assurer d’aucune récidive, le TMC ne visait pas la recherche de preuves d’une infraction. Le procédé relevait d’une tromperie : les mesures de substitution à la détention étaient légères, alors qu’était en réalité surveillée secrètement toute personne, y compris les défenseurs, et non seulement les éventuels contacts, prohibés, avec les parties plaignantes. Même si les images devaient être floutées, pareille surveillance était disproportionnée.

L’une des prolongations (celle sollicitée par le Ministère public le 21 février 2018) avait, par ailleurs, été requise un jour trop tard, ce qui entraînait l’annulation de toutes les subséquentes.

L’ordonnance du 27 avril 2018 autorisait l’utilisation de découvertes fortuites, mais avait servi, en réalité, à ajouter de nouvelles infractions, l’usure par métier et le séjour illégal, qui étaient omises dans l’ordonnance initiale.

b. Le TMC déclare persister dans « sa décision ».

c. Le Ministère public fait valoir que les précisions techniques demandées par les recourants n’étaient exigées ni par la loi, ni par la jurisprudence, ni par la doctrine, sauf pour la surveillance des télécommunications. Seule, sa première décision reposait sur une source confidentielle et sûre ; les autres s’appuyaient sur l’évolution de l’enquête. Les recourants faisaient une lecture tendancieuse de la jurisprudence topique.

Les faits reprochés, d’une grande gravité, se déroulaient à l’abri des regards, dans un huis clos familial, de sorte que d’autres investigations eussent été inopérantes. Même les recherches initiales auprès des assurances sociales n’auraient pas permis de déterminer les conditions d’embauche et de travail du personnel de maison.

L’ordonnance faisant suite à une requête prétendument tardive avait traité celle-ci comme une nouvelle demande, ce qui ruinait l’objection des recourants.

La proportionnalité avait été respectée, puisqu’il avait été renoncé à la suggestion initiale de placer des caméras à l’intérieur de la villa. De même, des vérifications avaient été entreprises et des ordres de dépôt décernés, mais il était « imaginable » que ces investigations n’avaient aucune chance d’aboutir, à l’instar d’auditions, car il apparaissait « évident » que les faits seraient contestés par les recourants. Une perquisition n’avait été ordonnée qu’après que les soupçons furent apparus plausibles. L’art. 182 CP était l’une des infractions les plus graves de l’ordre juridique, sanctionnée « par une peine privative de liberté non plafonnée ».

La demande d’extension du 26 avril 2018 ne visait, en réalité, que l’art. 116 LÉI, car l’usure était subsidiaire à la traite. Or, le système mis en place par les recourants pour obtenir des visas à leur personnel n’était pas connu lorsque la surveillance initiale avait été décidée.

À supposer que les entretiens des recourants avec leurs défenseurs eussent lieu à domicile, ce qui était insolite, on ne voyait pas de quelle tromperie procédait la surveillance, laquelle n’avait jamais porté sur des enregistrements sonores. De toute façon, les recourants avaient demandé l’apposition de scellés sur les images, de sorte que leurs droits seraient préservés dans ce contexte.

d. En réplique, les recourants ont persisté dans leur argumentaire.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une mesure de surveillance secrète sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 279 al. 3, 281 al. 4 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner de prévenus qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des ordonnances querellées (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Dans sa décision précédente, la Chambre de céans n’a pas fait cas de l’absence de procuration formelle, non seulement pour la prévenue au nom de laquelle l’avocat qui signe le recours intervient par-devant le Ministère public, mais aussi en substitution auto-proclamée de ses confrères, i.e. sans que l’accord de ceux-ci ou de leurs clients ne soit explicite ou reconnaissable (ACPR/778/2021, précité, consid. 1). Il n’en ira pas différemment en la présente instance.

3.             L’objet du litige est strictement circonscrit à l’admissibilité (la légalité) de la mesure secrète dont les recourants ont été l’objet.

Point n’est donc besoin, pour traiter le recours, d’administrer des preuves – complémentaires (art. 389 al. 3 CPP) – sur les modalités techniques concrètes de la mise en œuvre de cette surveillance, à supposer que la question conserve un objet, puisque la police a fourni des explications à ce sujet. L’appui sur une source anonyme, quant à lui, relève du fond, sans qu’il importe de connaître son identité à ce stade.

Aussi les conclusions préalables des recourants, y compris en complètement de leur mémoire, sont-elles rejetées.

4.             Selon l'art. 279 al. 1 CPP, l'acte par lequel le ministère public informe les intéressés qu'il a exercé sur leurs raccordements une surveillance secrète comporte les motifs, le mode et la durée de la surveillance. Le simple avis épistolaire qu'une surveillance a été mise en œuvre pour les fins d'une enquête ne suffit pas (ACPR/613/2018 du 30 octobre 2018 consid. 4.1.). Le recours instauré à l'art. 279 al. 3 CPP permet de contester la légalité de la mesure, et non sa valeur probante, l'examen de cette dernière question appartenant au juge du fond. Lorsque la communication des mesures de surveillance a été valablement notifiée par le ministère public (art. 279 al. 1 CPP), la licéité de cette surveillance ne peut plus être examinée par le juge du fond (ATF 140 IV 40 consid. 1.1 p. 42 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_63/2016 du 8 juin 2016 consid. 1.2.2 non publié in ATF 142 IV 289). Le recours se dirige premièrement contre la décision d'autorisation du tribunal des mesures de contrainte, mais couvre également l'ordre de surveillance du ministère public. Dans ce cadre, le recourant pourra notamment se plaindre que les conditions de l'ordre de surveillance ou de l'autorisation n'étaient pas remplies (A. DONATSCH et al. (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zurich 2020, n. 84 ad art. 279 ; N. SCHMID / D. JOSITSCH, StPO Praxiskommentar, 3e éd., Zurich 2018, n. 14 ad art. 279). Pour rendre sa décision, l'autorité de recours doit fonder son appréciation sur les circonstances qui prévalaient au moment où l'autorité d'autorisation a statué (ATF 141 IV 459 consid. 4.3 p. 465; 140 IV 40 consid. 4.2 p. 43 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 3.1).

5.             Les recourants se plaignent, en bref, d'une violation de l’art. 280 CPP, en ce sens que le TMC se serait fondé à tort, et pendant près de douze mois, sur une source anonyme.

5.1.       Seules les infractions visées par le catalogue exhaustif de l'art. 269 al. 2 CPP peuvent justifier une surveillance; parmi celles-ci figurent en particulier les art. 157 ch. 2 CP (usure par métier), 182 CP (traite d'êtres humains) et 116 al. 3 let. a LÉI (incitation à l'entrée, à la sortie ou au séjour illégaux avec enrichissement illégitime).

5.1.1.      L'infraction d'usure (art. 157 CP) consiste à obtenir ou à se faire promettre une contre-prestation disproportionnée en exploitant la faiblesse de l'autre partie dans le cadre d'un contrat onéreux, par exemple celui relatif à un employé de maison, dont la prestation en travail représente une valeur économique (ATF 130 IV 106 = SJ 2005 I 52).

5.1.2.      Conformément à l'art. 182 al. 1 CP, celui qui, en qualité d'offreur, d'intermédiaire ou d'acquéreur, se livre à la traite d'un être humain à des fins d'exploitation sexuelle, d'exploitation de son travail ou en vue du prélèvement d'un organe, est puni d'une peine privative de liberté ou d'une peine pécuniaire.

Il y a traite d'êtres humains lorsque des personnes disposent d'autres êtres humains comme s'il s'agissait d'objets, que ce soit sur un « marché » international ou intérieur. Tel peut être le cas de l’exploitation d’employés de maison (FF 2011 8).

Pour que cette infraction soit réalisée, un seul acte suffit et peut ne concerner qu'une seule personne. On se trouve dans un cas de traite lorsque la victime – traitée comme une marchandise vivante, notion qui constitue « le cœur du problème » (FF 2005 6323) – est contrainte par la force, par la menace, par toute forme de pression, par un enlèvement, une fraude, une tromperie, un abus d'autorité ou en achetant la personne ayant autorité sur elle; il suffit que la victime soit dans une situation particulière de vulnérabilité, par exemple en étant isolée ou sans ressources dans un pays qui lui est étranger (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 4.3.1.). Tel est également le cas lorsqu'une personne est continuellement empêchée d'exercer ses droits fondamentaux en violation de la réglementation du travail ou des dispositions relatives à la rémunération, la santé et la sécurité sur le lieu de travail; concrètement, il peut s'agir notamment de privation de nourriture, de maltraitance psychique, de chantage, d'isolement, de lésions corporelles, de violences sexuelles ou de menaces de mort. Sauf à étendre de manière trop large la notion d'exploitation du travail, de simples violations des dispositions sur le droit du travail ne suffisent en principe pas (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 4.3.1.). Si une personne sans autorisation de séjour et/ou de travail n'est pas à l’abri de toute pression, en particulier quant à ses choix en matière d'activité lucrative, son recrutement et son engagement – même à des conditions défavorables ou en violation manifeste notamment des lois sur les assurances sociales et/ou de la législation sur le travail – ne constituent cependant pas à eux seuls des soupçons d'une infraction à l'art. 182 CP. Ainsi, le travailleur « au noir » qui dispose librement de ses documents d’identité et de la faculté de quitter la Suisse, notamment en se procurant un billet d’avion, n’est pas déjà victime d’une traite d’êtres humains (arrêt précité, consid. 4.3.2.).

Le fait de recruter une personne à ces fins est assimilé à la traite. Le recrutement doit ainsi être conçu comme toute activité tendant à obliger ou engager une personne en vue de son exploitation ; le comportement typique du recruteur dans la traite d'êtres humains peut, par exemple, faire intervenir une offre contractuelle de travail trompeuse, utilisée comme un leurre pour tromper la victime vouée à l'exploitation ; le recruteur qui est simultanément acquéreur agit pour son propre bénéfice (arrêt du Tribunal fédéral 6B_4/2020 du 17 décembre 2020 consid. 4.1.).

5.1.3.      Selon l'art. 116 LÉI, est puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque en Suisse ou à l'étranger, facilite l'entrée, la sortie ou le séjour illégal d'un étranger ou participe à des préparatifs dans ce but (al. 1 let. a). La peine encourue est une peine privative de liberté de cinq ans au plus, additionnée d'une peine pécuniaire, ou une peine pécuniaire si l'auteur agit pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime (al. 3 let. a).

5.2.       En tant qu'autorité d'autorisation pour l’utilisation de dispositifs d’enregistrement d’activités se déroulant en des lieux non publics ou non librement accessibles (art. 272 al. 1, 274, 280 let. b et 281 al. 4 CPP), le TMC est appelé à vérifier l'existence de graves soupçons, au sens de l'art. 269 al. 1 let. a CPP. Lors de cet examen, il n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge. Il doit uniquement examiner si, au vu des éléments ressortant alors de la procédure, il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant la mesure requise et procède donc à un examen de la qualification juridique des faits sous l'angle de la vraisemblance (ATF 141 IV 459 consid. 4.1 p. 461).

Il n'est donc pas nécessaire de prouver les éléments de la qualification déjà au moment de statuer sur l'admissibilité de la mesure. Il faut aussi tenir compte de la gravité de l'infraction examinée, de l'existence, le cas échéant, d'une décision judiciaire préalable relative à de tels soupçons, ainsi que de l'avancée depuis lors de l'instruction. Pour effectuer ce contrôle, le TMC se fondera en particulier sur la demande du ministère public, l'ordre de surveillance de ce dernier, un exposé des motifs et les actes déterminants du dossier. La requête contiendra notamment une – courte – description de l'état de fait, l'indication de l'infraction poursuivie et des circonstances fondant les graves soupçons. Elle exposera de plus les démarches entreprises au cours de l'enquête, en particulier celles restées sans succès. Il arrive que des éléments relevés par la police dans ses rapports ne puissent pas être davantage étayés, notamment afin de protéger, provisoirement ou durablement, l'identité de certains informateurs; l'utilisation de telles informations n'en est pas pour autant exclue si celles-ci semblent objectivement plausibles au vu des circonstances entourant l'enquête. Le principe de subsidiarité (art. 269 al. 1 let. c CPP) présuppose notamment que l'autorité examine d'abord si une autre mesure moins incisive peut atteindre le résultat recherché (ultima ratio).

Le statut particulier de la police dans le CPP ne la dispense pas de manière générale d'expliquer, même brièvement, l'origine de ses soupçons (indicateur, pièce et/ou propres observations effectuées). Le ministère public doit pouvoir partir du principe que les éléments figurant dans les rapports de la police dénonçant une infraction ont été récoltés de manière conforme aux obligations incombant aux services de police. Il en découle que les constatations émises par la police dans ses rapports sont en principe suffisantes, même en l'absence d'autres pièces, pour justifier l'ouverture d'une instruction, car c’est dans ce cadre que ceux-ci pourront être confirmés ou infirmés. Il convient aussi de prendre en compte la nature de l'infraction dénoncée. Afin de réduire le risque de collusion pouvant en découler, il se justifie, le cas échéant, de ne pas divulguer immédiatement les origines de certaines informations, notamment au début d'une instruction. La situation devrait être envisagée différemment en cas de prolongation de la mesure ou de recours systématique à la terminologie « sources confidentielles et sûres »; une telle explication n'est en effet pas suffisante, en particulier sur la durée, pour justifier la mise en œuvre d'une mesure de surveillance secrète (ATF 142 IV 289 consid. 2.2 p. 294 ss. et 3.3. p. 299).

En tout état de cause, la surveillance peut également porter sur des actes futurs (arrêt du Tribunal fédéral 1B_366/2017 du 13 décembre 2017 consid. 3.2.).

5.3.       La surveillance par des dispositifs techniques au sens de l'art. 280 CPP, notamment aux fins prévues par les let. a et b, est une mesure de contrainte (arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2016 du 21 mars 2017 consid. 2.5.2.2.), qui entraîne une atteinte à la sphère privée plus intrusive qu'en matière de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication vu la méthode utilisée, à savoir l'installation d'un appareil d'écoute/d'enregistrement/de localisation à l'insu de la personne concernée, qui ne peut dès lors en principe pas supposer que ses conversations à ces endroits seront écoutées/enregistrées ou ses déplacements localisés (ATF 144 IV 370 consid. 2.3 p. 375 s.). La possibilité de cette surveillance, voulue par le législateur, n’attente toutefois pas au noyau intangible des droits fondamentaux, au sens de l’art. 36 al. 4 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2016 précité consid. 2.4.2.).

6.             En l’espèce, il résulte des principes dégagés par la jurisprudence que chacune des décisions, querellées, du TMC doit être examinée pour elle-même, en fonction de l’état du dossier tel qu’il existait lorsque chacune des demandes d’autorisation a été soumise à cette autorité par le Ministère public. On peut, ce nonobstant, distinguer d’emblée trois phases d’évolution de l’instruction pendant la durée de la surveillance secrète : la première s’étend des rapports de police d’octobre/novembre 2017 jusqu’à l’appréhension des recourants en avril 2018, avec une prolongation de la surveillance secrète dans l’intervalle, au mois de février 2018 ; la deuxième commence à la mise en liberté des recourants, le 13 avril 2018, englobe l’extension du 27 avril 2018 et la prolongation du 18 mai 2018 et prend fin avec l’échec de la mise en œuvre d’une procédure simplifiée (le 15 juin 2018 ou le 5 juillet 2018) ; la troisième court depuis cet échec jusqu’au 14 novembre 2018, comprenant la prolongation de surveillance du 14 août 2018.

6.1.       Dans cette chronologie, il convient de relever que la source anonyme n’est pas directement mentionnée dans le rapport de police du 16 novembre 2017 suggérant la mise en œuvre d’une surveillance secrète. Elle fonde plutôt un premier rapport, du 23 octobre 2017, demandant l’ouverture d’une instruction pénale pour traite d’êtres humains, et auquel le second rapport renvoie. Elle n’appuie qu’indirectement l’ordonnance initiale du Ministère public, du 17 novembre 2017, dans laquelle elle n’est ni mentionnée ni citée. Elle ne réapparaît dans aucune décision ultérieure.

Ladite source révélait des informations détaillées sur : le nombre d’habitants de la villa de J______, famille et domesticité ; les nationalités des membres du personnel de maison, avec la précision que ceux de nationalité indienne y résideraient en permanence ; que ces quatre-là dormiraient dans l’abri-atomique, ne disposeraient plus de leurs passeports et seraient sous-payés pour un travail long et harassant, avec peu de liberté de mouvement.

Par ailleurs, cette source n’était pas la seule motivation fournie par la police à l’appui de son rapport du 23 octobre 2017. Au contraire, la police rappelait et étayait la similitude avec des faits remontant à dix ans plus tôt, au même endroit et avec les mêmes suspects, pour une même catégorie de personnel, de même provenance.

Pris dans leur ensemble, ces éléments factuels constituaient des soupçons graves et concordants d’une exploitation – le cas échéant, réitérée – d’employés de maison étrangers en situation précaire, voire vulnérable, en Suisse, c’est-à-dire d’une infraction à l’art. 182 CP – expressément visé aussi en tête du rapport du 16 novembre 2017 –.

Ce crime (art. 10 al. 2 CP) est une infraction parmi les plus graves du Code pénal, puisqu’il est passible, certes pas d'une peine non plafonnée, mais de vingt ans de peine privative de liberté au plus (art. 40 al. 2 CP), à l’égal du meurtre (art. 111 CP).

6.2.       Il est vrai que, dans le rapport du 23 octobre 2017 – lui-même conforme aux art. 15 al. 2 et 307 al. 1 et 3 CPP –, la police ne préconisait pas une surveillance vidéo au domicile des recourants, mais des mandats d’amener et une perquisition. On ne voit cependant pas ce que les recourants voudraient tirer, à cet égard, du laps de temps écoulé entre ce rapport et le suivant, qui suggérera la surveillance secrète. En termes de subsidiarité, des mandats d’amener et une perquisition immédiats eussent été des mesures de contrainte plus intrusives pour leurs libertés individuelles que l’enregistrement d’images (art. 280 let. b CPP) depuis une haie de leur propriété, puisque s'assurer de leurs personnes (art. 196 let. b CPP), au besoin par la force (art. 200 CPP), eût entravé, voire supprimé, leur liberté d’aller et venir.

Les recourants oublient que, dans ce second rapport, la police souhaitait non seulement installer des caméras à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de la villa, dans les parties communes de l’habitation, et sonoriser celles-ci (art. 280 let. a CPP). Ni le Ministère public ni le TMC n’en ont voulu. L’empiètement sur la vie privée des recourants et sur l’intimité de leur vie familiale par la pose d’une caméra à l’extérieur de la villa ne saurait donc avoir atteint déjà l’intensité intrusive d’une mesure d’écoute ou d’enregistrement de leurs conversations ou télécommunications.

Enfin, les recourants ne paraissent plus maintenir leur allégation selon laquelle leurs avocats leur rendaient visite à domicile. On peine d’ailleurs à discerner la portée du grief. À supposer qu’il eût fallu en inférer un risque de violation du secret professionnel, les recourants oublient que le TMC a pris soin d’imposer l’anonymisation des images de toute personne sans lien avec la procédure. Par ailleurs, on ne voit pas en quoi l’enregistrement d’éventuelles allées et venues de leurs avocats attenteraient au secret professionnel dû à leurs clients, car de semblables images eussent pu être obtenues par une caméra placée sur le domaine public, devant l’entrée de leur propriété.

Dans ces circonstances, ni l’ordre de surveillance, du 16 novembre 2017, ni la décision d’approbation, du 17 novembre 2017, ne souffrent de critique.

6.3.       L’examen du bien-fondé de la prolongation accordée le 22 février 2018 ne peut faire abstraction de la précision apportée par la police dans son rapport du 12 précédent, à savoir que le système installé – à l’extérieur de la villa – n’a été totalement opérationnel qu’à partir du 22 janvier 2018. Deux mois se sont écoulés en pure perte, non parce que la traite soupçonnée aurait cessé sitôt accordée l’autorisation de surveiller, mais parce qu’aucun moyen technique n’a fonctionné.

Ainsi, faute d’élément dans un sens ou dans un autre, le Ministère public restait, jusqu’à la date susmentionnée, dans la situation de départ, à savoir des soupçons fondés sur une source confidentielle et sûre et sur un précédent, voire un antécédent judiciaire. À ceci près toutefois – et c’est décisif – que la brève durée de la surveillance effective (soit entre le 22 janvier 2018 et le 12 février 2018) a permis de dénombrer la présence de cinq employés dans la propriété, ce qui tendait à corroborer la source. En ce sens, la mesure s’est montrée fructueuse.

Sa prolongation se justifiait pour vérifier ou établir la liberté de mouvement du personnel dans et hors de la propriété, ainsi que son taux de renouvellement, puisque la source faisait aussi état de rotations parmi les domestiques. Pareil soupçon participe de l’élément constitutif de marchandisation de l’être humain que réprime l’art. 182 CP. C’est, du reste, la seule infraction que le TMC a retenue dans son ordonnance du 22 février 2018.

Il est vrai que le Ministère public a sollicité la prolongation de la surveillance après le terme accordé par le TMC. Toutefois, la règle de l’art. 274 al. 5 CPP, selon laquelle la prolongation doit être demandée par cette autorité avant l’expiration de la surveillance en cours (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 50 ad art. 274), n’est pas une règle de validité de la preuve (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_274/2015 du 10 novembre 2015 consid. 3.2. non publié in ATF 141 IV 459). En tout état, les timbres humides d’acheminement du rapport de police du 12 février 2018 montrent que le Ministère public a saisi le TMC à réception dudit rapport, ce qui ne saurait lui être reproché.

Par conséquent, l’ordre de surveillance, du 21 février 2018, et la décision d’approbation, du 22 février 2018, s’avèrent conformes au droit.

6.4.       Le rapport de police du 26 mars 2018 revêt une valeur intermédiaire, puisque la prolongation accordée par le TMC venait à échéance le 21 mai suivant. Il montre la progression de l’enquête. La police note que deux chauffeurs vivaient à l’extérieur de la propriété et venaient y prendre leur service. Elle a pu repérer trois employés qui ne sortaient pas des lieux, sauf à ce que l’une d’entre eux, de nationalité indienne et désignée par ses nom et prénom, promenât parfois un chien à l’extérieur de la résidence, sans jamais s’éloigner. Le fait que l’un des hommes transportât souvent du linge et fît partie des deux personnes qui ne sortaient jamais hors de la propriété était un indice supplémentaire que, en tout cas pendant une durée supérieure à un mois, le personnel de maison n’avait joui que d’une liberté de mouvement très limitée, comme la source l’avait révélé.

Cela étant, la police constatait simultanément que l’efficacité de la surveillance avait atteint ses limites et ne permettait, en particulier, pas de cerner la nature exacte des tâches confiées au personnel et la façon dont celui-ci était traité derrière les murs.

C’est ce constat qui paraît avoir conduit le Ministère public à intervenir sur les lieux, le 12 avril 2018, en y faisant procéder à l’interpellation des recourants et à une perquisition. En d’autres termes, il se résolvait ce jour-là aux mesures que la police lui avait suggérées d’emblée, dans son rapport du 23 octobre 2017, parce que la surveillance autorisée et en cours n’amènerait plus d’élément déterminant pour la prévention de traite.

Dès lors que les trois employés identifiés dans la villa ont déposé plainte pénale sur ces entrefaites et que leurs conditions d’hébergement ont été constatées de visu et photographiées, doit être examinée la nécessité d’avoir maintenu la surveillance après la libération des recourants, le 13 avril 2018.

6.5.       Les recourants font valoir que, à compter de cette date, la prolongation de la surveillance équivalait à une mesure de substitution secrète, par quoi il faut sans doute comprendre : supplémentaire, par rapport aux deux qui leur furent imposées (interdiction de contacter les plaignants et obligation de déférer aux convocations), et illicite, pour n’avoir pas été énoncée ouvertement dans les décisions ordonnant leur mise en liberté.

6.5.1.      Ils estiment avoir été ce faisant « trompés » par l’autorité. Sur ce point, ils ne peuvent être suivis. Il y a notamment tromperie, au sens de l'art. 140 CPP, lorsque la personne en cause est sciemment induite en erreur par un représentant de l'autorité ; est décisif pour retenir une violation de l'art. 140 CPP le fait que la personne en cause, en raison des explications de l'autorité pénale, se fonde sur un état de fait erroné (arrêt du Tribunal fédéral 1B_366/2017 du 13 décembre 2017 consid. 4.2.). Or, un prévenu qui se trouve en liberté (art. 212 al. 1 CPP) peut faire l'objet d'une mesure de surveillance par le biais d'un moyen technique indépendamment de l'atteinte à la sphère privée que cela constitue (cf. art. 280 s. CPP). Sous réserve d'éventuelles limitations de contacts ou de périmètre, cette personne reste libre de se déplacer, n'ayant ainsi en particulier aucune obligation de se rendre ou de rester à l'endroit où pourrait être installée la mesure secrète (ATF 147 IV 402 consid. 5.1.3 p. 407).

6.5.2.      Une surveillance secrète, qui a pour but de récolter les preuves d’une infraction, ne saurait cependant être confondue avec une mesure de substitution, laquelle est un palliatif à des risques pouvant sans cela justifier la détention avant jugement et peut donc viser, comme telle, à parer – ouvertement – la commission de nouvelles infractions, le cas échéant au moyen d’appareils techniques (art. 237 al. 3 CPP).

Or, force est de constater que la reconduction de la surveillance, à partir du 27 avril 2018, a été motivée uniquement par la volonté – explicite – du Ministère public et du TMC de prévenir toute récidive de la part des recourants. Peu importe que la recherche et le démantèlement d’actes futurs d’un prévenu puissent légitimer une surveillance secrète. En l’espèce, il ne s’agissait plus d’établir la réalité et l’ampleur de la traite d’êtres humains (art. 182 CP), de l’usure par métier (art. 157 ch. 2 CP) ou de la facilitation lucrative de séjour et travail illégaux (art. 116 al. 3 LÉI). Le rapport de police du 26 mars 2018 donnait déjà tous les détails sur les stratagèmes prêtés aux recourants pour faire venir en Suisse le personnel de maison qu’il leur est reproché d’avoir exploité. En outre, les perquisitions opérées le 12 avril 2018 auprès de deux sociétés liées à leur famille avaient, selon rapport de police du lendemain, permis de mettre la main sur de la documentation à ce propos.

En d’autres termes, les éléments utiles à établir les préventions susmentionnées paraissent avoir été récoltés et sauvegardés au plus tard après l’exécution des mandats d’amener et de perquisitions du 12 avril 2018. Du reste, dans sa « demande d’extension », datée du 26 avril 2018, le Ministère public expose que ce n’était qu’« après l’interpellation » des recourants que l’ampleur et le professionnalisme de leurs infractions présumées à la LÉI avaient pu être mis en évidence, ainsi que leur enrichissement.

C’est à telle enseigne, aussi, que l’« ordonnance d’extension », datée elle aussi du 26 avril 2018, détaille par le menu la façon dont les recourants se seraient procurés leur personnel de maison en éludant le droit public du travail et des étrangers, et ce, sans s’appuyer, là non plus, sur les éventuels résultats qu’aurait produits la surveillance secrète exercée jusque-là.

Enfin, sitôt les recourants mis en prévention, le 13 avril 2018, des discussions se sont immédiatement engagées pour clore la poursuite par voie de procédure simplifiée (art. 358 ss. CPP).

Or, pareille procédure ne se concevait pas sans que les recourants n’eussent reconnu « les faits déterminants pour l’appréciation juridique » (art. 358 al. 1 CPP). Si – comme relevé dans l’ordonnance « d’extension de la surveillance par mesures techniques en cas de découvertes fortuites », du 26 avril 2018 – un des points en discussion semble avoir été la requalification, à la demande des recourants, des actes éventuellement constitutifs de traite (art. 182 CP) en usure (art. 157 CP), force est d’en conclure que le Ministère public estimait disposer au plus tard à cette date-là des faits « déterminants » à l’appui de l’une et l’autre infraction, c’est-à-dire avoir réuni des éléments suffisants en termes de typicité, illicéité et culpabilité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 6 ad art. 356).

Certes, rien n’empêchait le Ministère public de poursuivre la procédure préliminaire parallèlement aux pourparlers, tant et aussi longtemps qu’un acte d’accusation n’était pas rédigé et approuvé par les recourants (art. 360 al. 5 CPP ; cf. N. SCHMID / D. JOSITSCH, op. cit., n. 2 ad art. 358). Mais cette situation intermédiaire impliquait a fortiori que le Ministère public, s’il entendait prolonger ou étendre la mesure secrète en cours, montrât à l’attention du TMC en quoi une surveillance par caméras extérieures et sans prise de son étayerait mieux encore les soupçons à l’appui des trois infractions qu’il instruisait.

Or, on ne voit pas comment les « montages financiers complexes et internationaux » auxquels il s’est référé dans sa « demande d’extension » de la surveillance aux art. 157 ch. 2 et 116 al. 3 LÉI, et le TMC à sa suite, seraient mieux établis par des caméras vidéo filmant des allées et venues.

Quant au souci d’éviter toute récidive, tel qu’il se lit dans l’ordonnance « d’extension de la surveillance ( ) en cas de découvertes fortuites » relatives aux deux infractions précitées, il n’appartient pas aux conditions d’application des art. 269 et 278 CPP. Peu importe, par conséquent, que le résultat des actes de procédure exécutés les 12-13 avril 2018 y soit qualifié de « sorte de découverte fortuite », au sens de l’art. 278 CPP – alors que ce résultat l’était bien, mais au sens de l’art. 243 CPP traitant de la perquisition, c’est-à-dire sans devoir être soumis à l’approbation du TMC (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 8 s. ad art. 243).

Sur ces points, le recours est fondé. L’extension de la surveillance à deux infractions supplémentaires, ainsi qu’aux découvertes fortuites qu’aurait révélées à leur sujet la surveillance déjà autorisée pour la traite, n’aurait pas dû être approuvée par le TMC.

6.6.       Les mêmes considérations s’appliquent à la demande de prolongation et à l’ordonnance d’approbation datées du 18 mai 2018. Ces décisions ne reposent, elles aussi, que sur la volonté d’établir « avec certitude » si les recourants n’employaient plus de personnel illégal, i.e. d’établir s’ils n’avaient plus récidivé après leur mise en liberté, mais non pas si des indices à l’appui d’infraction aux art. 157 ch. 2 CP, 182 CP ou 116 al. 3 LÉI demandaient encore à être recueillis ou vérifiés. En d’autres termes, la surveillance secrète n’a pas été utilisée à des fins conformes à la loi.

6.7.       Ces considérations s’appliquent, encore, à la demande de prolongation du 13 août 2018 et à l’ordonnance du lendemain, qui présentent les mêmes caractéristiques que leurs devancières. On ne voit pas comment une surveillance par caméras permettait de vérifier que les prévenus respectaient désormais les conditions d’engagement de leur personnel de maison, comme le soutenait le Ministère public, ou, pour reprendre les termes du TMC, de s’assurer de « la bonne conduite » des recourants. Aussi l’ordonnance susmentionnée du TMC ne peut-elle être approuvée non plus.

6.8.       Il résulte de ce qui précède, en résumé, que les ordonnances, expressément querellées, du TMC des 27 avril 2018, 18 mai 2018 et 14 août 2018 seront annulées.

7.             À teneur de l'art. 277 CPP, les documents et enregistrements collectés lors d'une surveillance non autorisée doivent être immédiatement détruits (al. 1), et les informations recueillies lors de la surveillance ne peuvent être exploitées (al. 2). Il s'agit d'un cas d'inexploitabilité absolue au sens de l'art. 141 al. 1 CPP (ATF
146 IV 36 consid. 2.1 p. 41 ; 145 IV 42 consid. 4.5 p. 48).

Lorsqu'elle constate qu'une mesure de surveillance n'aurait pas dû être ordonnée ou autorisée, l’autorité de recours doit appliquer l'art. 277 CPP et détruire immédiatement les documents et enregistrements collectés (ACPR/784/2021 du 16 novembre 2021 consid. 3 ; A. DONATSCH et al., op. cit., n. 91 ad art. 379 ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 13 ad art. 279).

Aussi la destruction immédiate des supports d’images illicites obtenus grâce aux trois ordonnances susmentionnées sera-t-elle ordonnée, en l’espèce, quand bien même les recourants n’y ont pas conclu.

8.             Les recourants, qui obtiennent gain de cause, n’assumeront pas de frais judiciaires (art. 423 et 428 al. 1 CPP).

9.             Ils réclament une indemnité de CHF 3’600.- pour leurs frais de défense, correspondant à huit heures de travail d’un avocat associé. Au vu de leurs écritures et des arguments développés, ce montant paraît raisonnable et conforme au tarif admis (not. ACPR/214/2022 du 29 mars 2022). Aussi sera-t-il alloué, TVA en sus.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours et annule les ordonnances du Tribunal des mesures de contrainte des 27 avril 2018, 18 mai 2018 et 14 août 2018.

Constate l’illicéité de la surveillance secrète opérée au domicile des recourants entre le 13 avril 2018 et le 14 novembre 2018.

Ordonne en conséquence la destruction immédiate des supports images portant sur cette période.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Alloue à A______, B______, C______ et D______, créanciers solidaires, une indemnité de CHF 3'600.- (plus TVA, 7,7 %), à la charge de l’État, pour leurs frais de défense en instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants (soit, pour eux, leur commun avocat), au Tribunal des mesures de contrainte et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).