Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/3587/2023

AARP/363/2025 du 08.10.2025 sur JTDP/1506/2024 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : BLANCHIMENT D'ARGENT;INTENTION
Normes : CP.305bis.al1; CP.12
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3587/2023 AARP/363/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 octobre 2025

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Patrick BOLLE, avocat, SLRG Avocats, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/1506/2024 rendu le 10 décembre 2024 par le Tribunal de police,

et

B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, parties plaignantes,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 10 décembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 1 du code pénal [CP]), lui infligeant une peine pécuniaire de 70 jours-amende (montant de l'unité pénale : CHF 80.-), avec sursis (délai d'épreuve : deux ans), et l'a condamnée à réparer le dommage matériel de I______ (CHF 363.20) et de H______ (CHF 800.- ), frais de la procédure à sa charge. La première juge a encore ordonné le séquestre, la confiscation et la destruction des objets figurant sous chiffres 2 à 5 de l'inventaire n° 40432520230307 du 7 mars 2023 des objets suivants saisis sur la prévenue : téléphone portable [de marque] M______, 36 cartes BITCOIN, 52 reçus de caisse, une copie de son contrat de travail et deux copies de formulaires d’inscription N______ [opérateur de télécommunication].

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement avec les conséquences que cela emporte sur le sort des conclusions civiles et des frais de la procédure.

b. Selon l'ordonnance pénale du 19 janvier 2024, il lui est reproché ce qui suit :

entre le 6 janvier 2023 et le 10 février 2023, elle a accepté de mettre à disposition ses comptes bancaires (O______ : IBAN 1______ ; P______ : IBAN 2______ ; Q______ : IBAN 3______ ; R______ : IBAN 4______), afin de recevoir, pour le compte d'un ou de plusieurs tiers, différents montants, pour un total d'environ CHF 16'000.-, provenant de plusieurs escroqueries préalables commises au préjudice de plusieurs lésés, notamment les plaignants J______, B______, D______, F______, S______, E______, G______, C______, T______, L______, I______, K______ et H______, ce dont elle aurait à tout le moins dû se douter compte tenu des circonstances, puis d'avoir utilisé l'argent ainsi obtenu pour acquérir des cartes de type U______ [qui permet d’acheter des cryptomonnaies] dont elle devait transmettre les codes à un certain V______. Dans ce contexte, elle a reçu :

-          14 versements, pour un montant total de CHF 3'986.30, au moyen de TWINT sur le numéro de téléphone +41 5______, lié à son compte auprès de R______ ;

-          24 versements, pour un montant total de CHF 3'983.07, au moyen de TWINT sur le numéro de téléphone +41 6______, lié à son compte Q______ ;

-          21 versements pour un montant total de CHF 5'274.-, au moyen de TWINT sur le numéro de téléphone +41 7______, lié à un compte P______ ;

-          des versements, au moyen de TWINT sur le numéro de téléphone +41 7______, lié à son compte O______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Entre le 9 janvier et le 10 février 2023, J______, B______, D______, F______, S______, E______, G______, C______, T______, L______, I______, K______ et H______, domiciliés dans divers cantons, ont déposé plainte pénale, rapportant en substance des faits similaires : ils avaient répondu à des annonces sur FACEBOOK MARKETPLACE proposant à la vente des objets d'occasion, eu quelques échanges avec la partie venderesse (identité variable), payé le prix via TWINT et jamais reçu la marchandise. Les paiements des lésés avaient été faits en faveur de trois raccordements téléphoniques dont l'enquête établira qu'ils étaient enregistrés au nom de A______ et liés à ses trois comptes auprès de R______, Q______ et P______.

La procédure consécutive à ces plaintes et à d'autres faits similaires a été attribuée au Ministère public (MP) genevois.

b.a. A______, d’origine haïtienne, est arrivée en Suisse en 1997, à l’âge de 24 ans. Elle est divorcée et mère de deux filles, étudiantes. Elle a suivi avec succès en 2022-2023, une formation d’auxiliaire de santé, tout en travaillant à temps partiel dans une entreprise de distribution de publicité, et est employée dans un EMS en qualité d’aide-soignante. Elle n’a pas d’antécédent judiciaire.

b.b. Le 15 février 2023, elle s'est présentée à la police pour y déposer plainte mais a été entendue en qualité de prévenue. Q______ l'avait interpelée le 7 février précédent au sujet du nombre anormalement élevé de transactions TWINT sur son compte en ses livres, lui demandant si elle connaissait les auteurs des versements. Son compte auprès dudit établissement avait été bloqué. Elle avait souhaité prendre un temps de réflexion puis avait été contactée de manière similaire par P______ de sorte qu'elle avait compris qu'elle s'était "fait avoir".

En substance, selon ses déclarations à la police puis devant le MP, A______ avait pris connaissance sur FACEBOOK d'une offre d'emploi pour du télétravail à temps partiel. À compter du 30 décembre 2022, elle avait échangé via l'application MESSENGER puis WHATSAPP ainsi que par téléphone avec une personne se présentant sous le nom de V______ et qui s'exprimait bien en français. Il lui avait expliqué que le travail consistait à recevoir, via TWINT, des paiements de clients de la société W______ [site internet de services bancaires], sise en Allemagne, puis d'acquérir des cartes U______ et d'en communiquer le code. Elle avait cherché l’entreprise employeur sur Internet et ne savait pas s'il s'agissait d'une société de crédit, ayant vu beaucoup de références à ce terme. Il y avait des images de personnes se serrant la main. Elle n’avait pas tenté d’obtenir davantage d’informations car, pour elle, il s’agissait simplement d’un travail. V______ lui avait demandé une copie de son titre de séjour, étant précisé qu'interrogée sur ce point en appel, elle ne se souvenait pas s'il avait également requis son numéro AVS. Elle avait indiqué qu'elle n'avait pas d'expérience dans le domaine de la finance et son interlocuteur l'avait rassurée, exposant que l'activité était simple. V______ lui avait expliqué précisément où se procurer les cartes U______, dont elle avait jusqu’alors ignoré l’existence, et fait tenir un contrat de travail qui lui avait paru en règle. Elle n'avait pas eu de doute sur la légalité de ce qui lui était proposé, vu ces éléments ainsi que d'autres, notamment le fait qu'il lui avait été indiqué que le salaire de CHF 2'000.-/mois serait soumis au paiement des cotisations sociales et, eu égard au numéro suisse des payeurs, étant précisé qu’elle n’avait en définitive jamais perçu son salaire. En outre, elle avait déjà par le passé été engagée après un entretien d'embauche téléphonique et des contacts via MESSENGER. Elle avait trouvé « normal » de transférer de l’argent à l’étranger.

Elle n’avait pas non plus considéré excessif le montant de la rémunération eu égard à l’activité demandée, soit, outre recevoir de l’argent via TWINT, acheter des cartes, gratter la pellicule couvrant le code PIN, puis envoyer à V______ un scan de la carte.

Elle n’utilisait précédemment pas l’application TWINT. En revanche, elle détenait les comptes sur lesquels les fonds avaient été crédités depuis plus de 20 ans, de même que le premier numéro de téléphone utilisé. Par la suite, comme elle ne voulait pas utiliser son raccordement personnel, V______ lui avait envoyé de l’argent afin qu’elle pût acquérir un second téléphone et deux nouvelles cartes SIM.

Initialement, seul son compte auprès de Q______ avait été utilisé, puis, comme elle ne pouvait plus le débiter, la limite de sa carte étant atteinte, elle avait dû mettre à contribution ses deux autres relations bancaires.

Pour A______, il s’agissait d’un travail comme un autre, et qui était à sa portée. Elle s’était sentie en confiance, V______, parlant bien le français et lui ayant expliqué que l’entreprise avait des correspondants dans toute la Suisse, outre que les numéros des donneurs d’ordre via TWINT étaient des numéros suisses.

b.c. A______ a remis à la police (cf. inventaire des objets saisis) une enveloppe dans laquelle elle avait classé toute la documentation relative à l’activité incriminée, en particulier le contrat de travail. Ce document présente plusieurs singularités, pour ne pas dire incongruités, stipulant notamment que :

- « l'employeur a effectué une déclaration préalable à l'embauche auprès de l'URSSAF le : 06/01/2023 » ;

- A______ était censée remplacer une employée nommément désignée, absente en raison d’un « ACCIDENT GRAVE » ;

- son supérieur hiérarchique était censé être X______, avec lequel elle n’avait cependant jamais été en contact ;

- la durée de travail hebdomadaire était de 15 à 20 heures pour un emploi à temps complet.

b.d. Le TP a fait imprimer et verser à la procédure l’extraction des échanges via MESSENGER puis WHATSAPP entre A______ et le soi-disant V______ enregistrée par la police sur une clef USB. Ces pièces ont été communiquées au défenseur de A______ dès réception, soit la veille de l’audience, selon une note au dossier. L’avocat n'a pas réagi, ni n’a soulevé de question préjudicielle à l’ouverture des débats.

Il est renvoyé au résumé de ces messages contenu dans le jugement (point b.e.a. ; art. 82 al. 4 du Code de procédure pénale [CPP]).

c. Devant la première juge, A______ a indiqué, après avoir donné une première réponse évasive, qu’il lui était paru « normal » de recevoir des paiements destinés à une société de crédits comportant des références à des appareils de téléphone portables ou des articles de la marque Dyson. Elle a également répondu de manière évasive lorsqu’il lui a été demandé ce qu’elle avait pensé être la provenance des montants crédités. Elle avait confiance, vu la façon dont les choses s’étaient déroulées. Elle ne s’était pas non plus demandé pourquoi elle devait acheter des cartes U______, ayant simplement vu sur Internet que « cela était lié à la finance ». Elle a concédé avoir été surprise de recevoir des demandes de retour de certains payeurs mais s’était contentée de transmettre l’information à V______. Elle ne contestait pas, par référence à des messages de sa part au précité, lui avoir demandé de faire le nécessaire et qu’elle ne souhaitait pas avoir d’ennuis. Celui-ci lui avait demandé de bloquer le contact, précisant que les clients ne devaient pas entrer en relation avec elle. Elle n’avait pas trouvé cela bizarre car elle avait une confiance absolue. Elle n’avait pas davantage réagi au message en allemand évoquant la « Polizei ». Elle avait demandé un autre raccordement car elle ne voulait pas mélanger sa vie privée et professionnelle, non à cause de ce message, malgré la coïncidence de dates [demande faite le lendemain de la réception du message]. Il était vrai qu’à teneur d’une communication de V______, elle avait reçu un montant de CHF 2'000.- à titre de salaire [message indiquant qu’elle pouvait prélever cette somme sur les montants reçus via TWINT], mais elle n’avait tout de même pas reçu sa rémunération, ainsi qu’elle l’avait déclaré au MP.

Son téléphone personnel lui avait été restitué.

Elle avait été stressée par la procédure. Elle était touchée d’être atteinte dans sa réputation mais était néanmoins désolée pour les lésés.

C. a. Lors des débats d’appel, A______ a exposé qu’elle contestait sa condamnation parce qu’elle avait eu le sentiment qu’elle s’était comportée honnêtement. Elle avait demandé un téléphone professionnel mais néanmoins mis à contribution ses comptes bancaires privés parce que tout était allé très vite. Elle a été incapable de dire quel sens avait eu à ses yeux la tâche qu’elle avait acceptée, se contentant d’expliquer qu’elle avait besoin d’un travail et que celui proposé correspondait à ses compétences. Elle n’avait lu le contrat qu’en diagonale, de sorte qu’elle n’avait pas prêté attention à la référence à l’URSSAF. Elle n’avait pas été surprise par la mention du nom et du motif de l’absence de l’employée qu’elle était censée remplacer ou par l’horaire hebdomadaire de 15 à 20 heures pour un emploi à 100%. Elle ne s’était pas demandé pourquoi une « institution financière » utiliserait les comptes TWINT de ses employés pour recevoir des paiements de ses clients. Dans son esprit, une telle entreprise gérait de l’argent. Requise d’expliquer comme elle réconciliait cette notion avec une activité d’envoi de colis que certains payeurs s’étaient plaints de ne pas avoir reçus, elle affirmé que V______ lui avait dit que c’était « comme Y______ [vente en ligne de vêtements]». Elle réitérait qu’elle n’avait pas reçu de rémunération. Après lui avoir écrit qu’elle pouvait prélever sur les versements reçus, V______ l’avait instruite par téléphone d’acquérir des [cartes] U______, disant qu’elle recevrait la somme ultérieurement, avec un décompte en bonne et due forme.

À l’heure de s’exprimer en dernier, A______ a exposé qu’elle était désolée pour les parties plaignantes mais était, elle aussi, une victime.

b. Par le truchement de son conseil, elle persiste dans ses conclusions. Les arguments plaidés seront discutés dans la mesure de leur pertinence au fil des considérants qui suivent.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. Dans sa déclaration d’appel, puis encore lors de la plaidoirie de son conseil, l’appelante s’est plainte de ce que l’impression de ses échanges avec son commanditaire eut été versée au dossier à la veille des débats, y voyant une violation de ses droits procéduraux, sans indiquer lesquels et sans prendre de conclusion à cet égard.

On se contentera donc de relever, tout d’abord, que si l’impression n’a été versée au dossier que sur initiative du TP, il reste que les données y figuraient depuis le début, sur un support électronique. Le conseil de l’intéressée était ainsi en mesure d’en requérir une copie, s’il l’estimait opportun, ce qu’il s’est abstenu de faire.

Ensuite, l’appelante n’a réagi ni lorsqu’elle a été informée de l’apport de la version imprimée, ni à l’ouverture des débats, alors qu’il lui était loisible de requérir le report de l’audience pour prendre le temps d’examiner cette pièce.

Enfin, toute supposée violation de ses droits procéduraux – on imagine son droit d’être entendue – serait réparée par le plein pouvoir de cognition de la juridiction d’appel, devant laquelle l’appelante avait tout loisir de discuter le contenu des messages et remettre en question l’appréciation de ces échanges par le TP. Elle ne l’a pas fait.

Le grief est ainsi infondé.

3. 3.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Il n'y a pas non plus de renversement du fardeau de la preuve lorsque l'accusé refuse sans raison plausible de fournir des explications rendues nécessaires par des preuves à charge. Son silence peut alors permettre, par un raisonnement de bon sens conduit dans le cadre de l'appréciation des preuves, de conclure qu'il n'existe pas d'explication à décharge et que l'accusé est coupable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_47/2018 du 20 septembre 2018 consid. 1.1).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.2.1. La personne qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont elle savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, sera punie d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (art. 305bis al. 1 CP).

3.2.2. L'exigence de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales blanchies suppose qu'il puisse être établi de quelle infraction principale (ou préalable) les valeurs patrimoniales proviennent. La preuve stricte de l'acte préalable n'est toutefois pas exigée. Il n'est pas nécessaire que l'on connaisse en détail les circonstances du crime, singulièrement son auteur, pour pouvoir réprimer le blanchiment. Le lien exigé entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est ainsi volontairement ténu. L'exigence d'un crime préalable suppose cependant établi que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.2). Celui-ci doit être la cause essentielle et adéquate de l'obtention des valeurs patrimoniales et celles-ci doivent provenir typiquement du crime en question. En d'autres termes, il doit exister entre le crime et l'obtention des valeurs patrimoniales un rapport de causalité naturelle et adéquate tel que la seconde apparaît comme la conséquence directe et immédiate du premier (cf. ATF 138 IV 1 consid. 4.2.3.2). Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non. En matière de blanchiment, cela conduit à rechercher si le crime préalable est une condition nécessaire de l'obtention des valeurs patrimoniales (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.3.3). Un comportement est la cause adéquate d'un résultat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3).

L'escroquerie, qui est un crime en droit suisse (art. 146 CP cum art. 10 CP), consiste à tromper la dupe. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas ; il faut qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 143 IV 302 consid. 1.3 ; 142 IV 153 consid. 2.2.2 ; 135 IV 76 consid. 5.2). Tel est notamment le cas si l'auteur conclut un contrat en ayant d'emblée l'intention de ne pas fournir sa prestation alors que son intention n'était pas décelable (ATF 118 IV 359 consid. 2), s'il exploite un rapport de confiance préexistant qui dissuade la dupe de vérifier (ATF 122 IV 246 consid. 3a) ou encore si la dupe, en raison de sa situation personnelle (faiblesse d'esprit, inexpérience, grand âge ou maladie), n'est pas en mesure de procéder à une vérification et que l'auteur exploite cette situation (ATF 120 IV 186 consid. 1a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1180/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.2).

Il y a notamment astuce lorsque l'auteur recourt à une mise en scène comportant des documents ou des actes ou à un échafaudage de mensonges qui se recoupent de façon si raffinée que même une victime critique se laisserait tromper. Il y a manœuvre frauduleuse, par exemple, si l'auteur emploie un document faux ou fait intervenir, à l'appui de sa tromperie, un tiers participant ou manipulé (ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; ATF 122 IV 197 consid. 3d).

L'astuce sera également admise lorsque l'auteur exploite un rapport de confiance préexistant propre à dissuader la dupe d'effectuer certaines vérifications (ATF 126 IV 165 consid. 2a ; ATF 125 IV 124 consid. 3a ; ATF 122 IV 246 consid. 3a ; par ex. arrêt du Tribunal fédéral 6B_130/2016 du 21 novembre 2016 consid. 2.2.2).

Celui qui promet une prestation sans avoir l'intention de l'exécuter agit astucieusement parce qu'en promettant, il donne le change sur ses véritables intentions, ce que sa victime est dans l'impossibilité de vérifier (ATF 118 IV 359 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1141/2017 du 7 juin 2018 consid. 1.2.1). Une tromperie sur la volonté affichée n'est cependant pas astucieuse dans tous les cas, mais seulement lorsque l'examen de la solvabilité n'est pas exigible ou est impossible et qu'il ne peut par conséquent être tiré aucune conclusion quant à la volonté de l'auteur de s'exécuter (ATF 125 IV 124 consid. 3a). Il est trop schématique d'affirmer que la volonté affichée est un phénomène intérieur invérifiable et qu'une tromperie relative à cette volonté est toujours astucieuse (ATF 118 IV 359 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_584/2018 du 30 août 2018 consid. 2.1). L'auteur qui conclut un contrat ayant d'emblée la volonté de ne pas fournir sa prestation agira de façon astucieuse dans le cas d'opérations courantes, de faible valeur, pour lesquelles une vérification entraînerait des frais ou une perte de temps disproportionnés ou ne peut être exigée pour des raisons commerciales. En revanche, dans une vente conclue sur internet, il a été admis que la dupe avait agi avec légèreté en livrant contre facture un produit d'une importante valeur marchande à un inconnu sans examiner, au moins de manière sommaire, sa solvabilité ; l'escroquerie a donc été niée (ATF 142 IV 153 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_584/2018 du 30 août 2018 consid. 2.1). L'emprunteur qui a l'intention de rembourser son bailleur de fonds n'agit pas astucieusement lorsqu'il ne l'informe pas spontanément de son insolvabilité (ATF 86 IV 205). Il en va en revanche différemment lorsque l'auteur présente une fausse vision de la réalité de manière à dissuader le prêteur de se renseigner sur sa situation financière ou lorsque des circonstances particulières font admettre à l'auteur que le prêteur ne posera pas de questions sur ce point (ATF 86 IV 206 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_817/2018 du 23 octobre 2018 consid. 2.4.1 et les références ; 6P.113/2006 du 27 septembre 2006 consid. 6.1).

La tromperie portant sur la volonté d'exécuter une prestation, en particulier sur le fait de prétendre être disposé à payer, constitue en principe une tromperie astucieuse, étant donné qu'elle se rapporte à des faits internes qui, par essence, ne peuvent être directement vérifiés par le cocontractant (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2). L'astuce ne fait alors défaut que si les affirmations de l'auteur concernant sa volonté d'exécuter sa prestation sont indirectement susceptibles de faire l'objet de vérifications portant sur sa capacité à s'exécuter et si, à l'aune des vérifications que l'on pouvait raisonnablement attendre de la part de la dupe, celle-ci aurait pu ou dû se rendre compte que l'auteur ne disposait pas d'une telle capacité. Cette approche découle de l'idée selon laquelle quiconque n'a manifestement pas la capacité d'exécuter sa prestation ne peut pas non plus avoir de volonté sérieuse de s'exécuter (ATF 147 IV 73 consid. 3.3 ; 135 IV 76 consid. 5.2 ; 118 IV 359 consid. 2). Les spécificités du contrat liant la victime et l'auteur peuvent jouer un rôle dans l'appréciation des vérifications que la dupe doit entreprendre (arrêt du Tribunal fédéral 6B_797/2023 ; 6B_809/2023 du 29 novembre 2023 consid. 6.1).

3.3.1. Selon l'art. 12 al. 1 CP, sauf disposition expresse et contraire de la loi, est seul punissable l'auteur d'un crime ou d'un délit qui agit intentionnellement.

Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait (al. 2).

Agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle (al. 3).

3.3.2. Le dol éventuel est une forme d'intention, qui se distingue de la négligence consciente sur le plan volitif, non cognitif. En d'autres termes, la différence entre le dol éventuel et la négligence consciente réside dans la volonté de l'auteur et non dans la conscience. Dans les deux cas, l'auteur est conscient que le résultat illicite pourrait se produire, mais, alors que celui qui agit par négligence consciente escompte qu'il ne se produira pas, celui qui agit par dol éventuel l'accepte pour le cas où il se produirait (ATF 133 IV 9 consid. 4 ; 125 IV 242 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_268/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.3).

La distinction entre le dol éventuel et la négligence consciente peut parfois s'avérer délicate, notamment parce que, dans les deux cas, l'auteur est conscient du risque de survenance du résultat. En l'absence d'aveux de la part de l'auteur, la question doit être tranchée en se fondant sur les circonstances extérieures, parmi lesquelles figurent la probabilité, connue de l'auteur, de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celles-ci sont élevées, plus l'on sera fondé à conclure que l'auteur a accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable. Peuvent aussi constituer des éléments extérieurs révélateurs, les mobiles de l'auteur et la manière dont il a agi (ATF 133 IV 9 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_268/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.3).

3.4. Reconnue coupable du chef de blanchiment d’argent, l’appelante conteste, dans un premier moyen, que l’élément constitutif objectif du crime préalable serait réalisé, au motif que les personnes qui avaient payé sur ses comptes bancaires les prix d’achats effectués sur MARKETPLACE n’auraient pas procédé aux vérifications simples permettant de déjouer la tromperie. Elle ne sera pas suivie : on ne se trouve en effet pas dans un cas similaire à celui du vendeur qui avait accepté, sur Internet, de livrer contre facture un produit d'une importante valeur marchande à un inconnu sans examiner, au moins de manière sommaire, sa solvabilité, tel qu’évoqué dans la jurisprudence citée plus haut. Dans le cas présent, les objets proposés à la vente sur MARKETPLACE étaient de faible valeur, comme il en est couramment proposé sur toutes sortes de plateformes dédiées au marché de l’occasion (autrefois petites-annonces, désormais sites Internet ou réseaux sociaux), où l’habitude s’est installée de ne pas effectuer de vérifications poussées, d’autant plus qu’il est bien souvent misé sur la compulsivité d’achat et qu’une certaine urgence à conclure la transaction est induite par la crainte qu’un autre acquéreur n’arrache la potentielle bonne affaire. Pour ce type particulier d’opérations, il faut donc retenir que le seuil au-delà duquel la mise en scène peut être considérée comme astucieuse est bas. Ici, il était franchi dès lors que les dupes ont eu quelques échanges avec la supposée partie venderesse et pouvaient être rassurés par le fait que le paiement devait être effectué via TWINT, soit une application de paiement suisse, gage de ce que l’identité du titulaire du compte crédité est connue.

3.5.1. En second lieu, l’intéressée conteste avoir agi par dol éventuel, évoquant les divers éléments qui l’avaient, selon ses dires, mise en confiance (processus de sélection auquel elle pensait avoir été soumise via un entretien d’embauche téléphonique et demande de produire son CFC ainsi qu’un document d’identité, contrat de travail à la forme « usuelle et attendue », salaire approprié ; vérifications qui l’avaient confortée dans l’idée que l’employeur existait bien). Elle se prévaut aussi de son expérience précédente d’engagement similaire pour une entreprise de distribution et de la brièveté de la période pénale, qui ne lui avait pas laissé le temps de prendre conscience de la réalité de la situation. Il était si vrai qu’elle était convaincue de ne rien avoir fait d’illicite qu’elle s’était rendue à la police pour déposer plainte pénale. On pouvait ainsi tout au plus lui reprocher d’avoir été crédule, ce qui relevait de la négligence, non punissable.

3.5.2. Force est de constater, avec la première juge, que l’appelante minimise les signaux d’alerte, à commencer par le fait que l’activité qui lui était proposée était hautement suspecte du seul fait qu’elle n’avait aucun sens : on ne voit pas qu’une entreprise active dans le domaine des crédits ou de la gestion de patrimoine utilise les comptes de ses employés pour recevoir des versements de ses clients, via TWINT (signal d’alerte présent dès le début) ou ait une activité en lien avec l’envoi de colis (signal apparu en cours d’activité).

S’il est vrai que, à tout le moins depuis la pandémie de Covid et les changements qu’elle a provoqués, notamment dans le monde du travail, des embauches à distance ne sont pas inconcevables, il demeure que le contrat de travail n’avait nullement une forme « usuelle et attendue », comme plaidé. Il était au contraire entaché d’incongruités, soit la référence à l’URSSAF, l’institution de sécurité sociale française, non allemande (siège du soi-disant employeur) ou suisse (domicile de la travailleuse et lieu de l’exercice de l’activité), dévoilait des données personnelles de l’employée prétendument remplacée ou encore évoquait une durée de travail hebdomadaire imprécise et bien inférieure à celle d’un « temps complet ».

De plus, en cours d’activité, l’appelante a reçu des messages des tiers payeurs qui se plaignaient de ne pas avoir reçu leurs colis et demandaient d’être remboursés, l’un d’entre eux menaçant même de faire appel à la police. Elle en a été très perturbée, ainsi que cela résulte de ses messages au commanditaire, mais s’est contentée de suivre ses instructions, en bloquant le contact des dupes, tout en poursuivant son activité.

Ces divers éléments, à disposition de l’appelante avant le début de son activité ou apparus au cours de celle-ci, étaient autant d’indices du caractère hautement suspect de l’opération, ce dont la plupart des citoyens ordinaires se serait rendue compte.

3.5.3. Néanmoins, l’appelante est parue sincère, lors des débats d’appel, en réitérant ce qu’elle avait dit tout au long de la procédure, soit, en substance, qu’elle s’était contentée de vérifications très superficielles, s’intéressant uniquement à l’idée de décrocher un emploi correspondant à ses capacités, sans se poser davantage de questions, et se considérait elle-même victime du commanditaire qui avait exploité sa candeur. Or, pour surprenante qu’elle soit, son attitude, consistant en définitive à se voiler la face, apparaît crédible au regard de son ingénuité, telle qu’elle a pu être perçue à l’occasion de son audition par la Cour. Certes, on ne peut exclure qu’elle eût feint la naïveté, mais elle serait alors bien bonne comédienne, et rien ne permet de l’affirmer. La brièveté de la période pénale joue en sa faveur car plus la situation aurait duré, moins il aurait été plausible qu’elle ignorait que les fonds qu’elle se chargeait d’encaisser et transférer étaient le produit d’une infraction. Il en va de même de son parcours de vie, qui ne dément pas la possibilité d’une certaine inexpérience, à tout le moins dans la faible mesure où cela a été instruit.

Le TP a vu une preuve de mensonge, nuisant à la crédibilité de l’appelante, dans le fait qu’elle avait affirmé ne pas avoir perçu son salaire alors que l’instruction du commanditaire de le prélever sur les fonds illicites laissait entendre le contraire. Or, la prévenue s’en est expliquée et son propos est plausible car il est fort vraisemblable que, se rendant bien compte de ce qu’ils ne pourraient continuer longtemps de la manipuler, les malfrats qui l’avaient mise à l’œuvre eussent préféré recouvrer l’intégralité du produit des escroqueries commises au préjudice des dupes, plutôt que se délester de CHF 2’000.-.

3.5.4. Aussi, on ne peut, sur la base des éléments du dossier, acquérir la conviction que l’appelante a envisagé et accepté qu’elle blanchissait le produit d’un crime ; il est tout aussi plausible qu’elle eût fait preuve d’une singulière crédulité, voire de négligence consciente, trop contente de l’occasion présentée par cette activité simple, souple et bien rémunérée, étant précisé que le salaire mensuel brut de CHF 2'000.- était raisonnable s’agissant d’un temps partiel et ne représentait donc pas en soi un signal d’alerte.

En conclusion, il est retenu, au bénéfice de la présomption d’innocence, qu’il subsiste un doute suffisant sur la réalisation de l’élément constitutif subjectif de l’intention, de sorte qu’un verdict de culpabilité ne peut être prononcé. L’appel est partant admis.

4. Vu cette issue, l’appelante ne saurait être condamnée à réparer le dommage matériel subi par les lésés I______ et H______, lesquels seront déboutés de leur conclusions civiles, et les frais de la procédure seront laissés à la charge de l’État.

5. À raison, l’appelante ne conteste pas les dispositions prises par le TP s’agissant des objets séquestrés, lesquels sont tous en lien avec le blanchiment du produit des escroqueries commises en amont, infraction réalisée, si ce n’est par elle, par les malfrats qui l’ont mise en œuvre (art. 263 al. 1 CPP et art. 69 CP), étant précisé que le téléphone visé par l’inventaire n’est pas l’appareil personnel de l’intéressée et qui lui a été rendu.

6. Il est également pris acte de ce qu’elle a renoncé à toute indemnisation.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1506/2024 rendu le 10 décembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/3587/2023.

L'admet.

Annule ce jugement

Acquitte A______ du chef de blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 1 CP).

Rejette les conclusions civiles de I______ et H______.

Ordonne le séquestre, la confiscation et la destruction des objets figurant sous chiffres 2 à 5 de l'inventaire n° 40432520230307 du 7 mars 2023 (art. 263 al. 1 CPP et art. 69 CP).

Donne acte à A______ de ce qu’elle a renoncé à toute indemnisation fondée sur les art. 429 et 436 CPP.

Laisse les frais de l’ensemble de la procédure à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, à l’Office fédéral de la police, ainsi qu’à l’Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète
(art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.