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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/15240/2008

AARP/252/2025 du 08.07.2025 sur ORV/25/2009 ( REV )

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION);EXPERTISE PSYCHIATRIQUE;MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE
Normes : CPP.410.al1.leta; CPP.412; CPP.132.al1.letb; CP.59
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15240/2008 AARP/252/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 juillet 2025

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant en personne,

demandeur,

 

contre l'ordonnance de non-lieu ONL/25/2009 de la Chambre d'accusation du 26 mai 2009,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

défendeur.


EN FAIT :

A. a. Par acte du 18 juin 2025, intitulé "Demande d'octroi d'un défenseur d'office (art. 132 al. 1 let. b CPP) dans le cadre d'une procédure de révision (art. 410 ss CPP)" A______ indique requérir l'octroi de l'assistance judiciaire et la désignation d'un défenseur d'office aux fins d'agir en révision de l'ordonnance de la Chambre d'accusation ONL/25/2009 du 26 mai 2009 par laquelle il avait bénéficié d'un non-lieu en raison de son irresponsabilité et son placement institutionnel en milieu fermé avait été prononcé.

b. Selon les réquisitions en non-lieu du Procureur général du 30 avril 2009, A______ avait, le 24 septembre 2008, proféré des menaces de mort à l'encontre de deux agents de sécurité du Palais de justice, alors qu'il portait sur lui, dans des vêtements spécialement adaptés à ces fins ou à la cheville, un pistolet de calibre 9 mm chargé, dont une cartouche était engagée dans le canon, un magasin de réserve, un couteau automatique et un autre couteau. Emmené de force hors des locaux du Ministère public (MP), il avait injurié une personne, laquelle avait déposé plainte pénale.

Néanmoins, selon une expertise psychiatrique du 6 mars 2009, A______ ne possédait au moment d'agir pas la capacité d'apprécier le caractère illicite de ses actes ni celle de se déterminer en fonction d'une telle appréciation, en raison d'un trouble délirant persistant de type paranoïaque et de sévérité élevée. Ledit trouble et le risque de récidive d'infractions de même genre, voire de commission d'infractions plus graves, justifiaient le prononcé d'un traitement institutionnel en milieu fermé.

c. À l'appui de sa requête, A______ expose qu'une nouvelle expertise du 24 janvier 2022 retient qu'il n'était pas en état d'irresponsabilité au moment de la commission des actes décrits dans les réquisitions en non-lieu. Il s'agissait d'un fait nouveau qui, s'il avait été connu de la Chambre d'accusation, n'aurait pas permis le prononcé de la mesure.

Il produit notamment les actes évoqués ci-avant, les deux expertises et la décision du 4 juillet 2024 par laquelle le Tribunal d'application des peines et des mesures (TAPEM) a ordonné la prolongation du traitement institutionnel pour une durée d'une année mais en a prononcé la libération conditionnelle, charge au Service d'application des peines et mesures (SAPEM ; désormais : SRSP) de produire certains documents, avec un délai d'épreuve de cinq ans durant lequel A______ doit, au titre de règles de conduite, notamment continuer un suivi psychothérapeutique et médicamenteux et se soumettre à des contrôles inopinés de la compliance médicamenteuse.

d.a. En substance, l'expertise du 6 mars 2009 pose un diagnostic de trouble délirant persistant (F22.0), caractérisé par la prédominance d'idées délirantes, hors réalité, au contenu paranoïaque. L'expertisé présentait depuis plusieurs années, soit depuis l'adolescence à tout le moins, un ensemble d'idées délirantes apparentées, persistantes. Le thème en était centré sur les idées de persécution et le trouble s'était aggravé au cours du temps avec désormais un sentiment de danger de mort d'où la nécessité de posséder en permanence une arme à feu chargée ainsi que des couteaux. Il s'agissait d'une maladie chronique et invalidante, nécessitant une prise en charge spécialisée et hospitalière ou ambulatoire, le projet devant inclure en tous les cas un traitement médicamenteux et une psychothérapie individuelle. Vu l'anosognosie de l'expertisé, le traitement médical devait être pratiqué en milieu institutionnel pendant une période suffisamment longue pour que l'expertisé réalisât la nécessité du traitement neuroleptique – qu'il refusait en l'état –, à défaut duquel la récidive était certaine, sous forme de possibles actes dangereux pour la société. En revanche, un internement n'était pas justifié, le comportement de l'expertisé étant uniquement réactionnel à son désir, non enraciné dans une personnalité psychopathique.

d.b. L'expertise du 24 janvier 2022 a été réalisée sur mandat du SRSP, afin de permettre à cette autorité de se prononcer sur la prolongation de la mesure thérapeutique institutionnelle et sur d'éventuelles ouvertures de sortie.

Les experts ont posé un diagnostic de psychose paranoïaque, précisant que ce trouble est classé sous le même chiffre (F22.0) que celui retenu en 2009. Il s'agit d'un groupe de divers troubles caractérisés uniquement, ou essentiellement, par la présence d'idées délirantes persistantes et ne pouvant être classé parmi les troubles organiques, schizophréniques ou affectifs. Il inclut le délire sensitif à la relation, l'état paranoïaque, la paranoïa, la paraphrénie tardive et la psychose paranoïaque. Dans la psychose paranoïaque, le sujet perçoit que quelque chose dans les événements le concerne, sans comprendre de quoi il s'agit. Cela conduit en règle générale à une systématisation, un égocentrisme, et surtout, ce qui se repérait très bien dans le cas de A______, un développement logique sur des prémisses fausses. Le diagnostic avait des répercussions très concrètes sur la perception de la réalité. Il s'agissait d'une maladie mentale sévère, en particulier en cas de décompensation. Chez l'expertisé, le délire était chronique et enkysté. Les effets de la structure sont le plus souvent une altération de la capacité de discernement sur le plan de la cognition, en cas de décompensation, et/ou, quasiment toujours, sur le plan de la volition. Le risque de passage à l'acte violent par le demandeur était réel en cas de réunion de plusieurs facteurs de déstabilisation soit : déstabilisation du système de croyances, dérobement de l'objet de persécutions, désaveux des représentations idéales par la réalité, le paranoïaque ne fait plus peur, il renonce à l'appel à l'aide, il ne croit plus à la loi, il n'y fait plus appel ou encore la déplétion narcissique. Le risque était d'autant plus sérieux que A______ ne cherchait jamais à nuancer ou à tempérer ses interprétations, vivant sur un mode très réel et dans une certitude d'avoir raison. Actuellement, le risque global était peu élevé mais devait être évalué en permanence car la réalité externe n'irait, en cas d'ouverture du cadre, certainement pas dans le sens de ses revendications. La mesure institutionnelle ou l'appartement protégé restaient indiqués mais il serait, criminologiquement et cliniquement, préférable d'extraire l'expertisé du système de la sanction pénale.

"Pour ne pas conclure/fermer", A______ souffrait d'une sévère paranoïa de type interprétative chronique dont le noyau n'avait jamais été modifié par aucun traitement, même neuroleptique forcé. En revanche, les traitements avaient réduit la tension interne, donc l'anxiété, et cela avait apaisé le rapport à l'autre. Pour trancher la question de la prolongation de la mesure institutionnelle pénale, il fallait tenir compte de la problématique de la proportionnalité. Le prononcé de la mesure avait été justifié, car l'intéressé présentait un grave trouble mental. Celle-ci n'avait pas permis de le soigner mais avait contribué objectivement à l'éloigner de "se promener avec une arme chargée dans la collectivité". Il était possible de soutenir aujourd'hui que la mesure pénale avait atteint son objectif et une mesure de droit civil, au sens de l'art. 426 du Code civil, pourrait, aux yeux des experts, répondre aux exigences du traitement des symptômes cliniques en cas de crise psychotique aiguë, l'hospitalisation pouvant être demandée par l'institution (foyer) et/ou la curatrice/curateur, étant précisé que lesdits experts estimaient que la seconde disposition citée était très proche de l'esprit de l'art. 59 CP.

e. À teneur du jugement du 4 juillet 2024, le TAPEM a considéré qu'il résultait de l'ensemble du dossier que la mesure thérapeutique institutionnelle avait permis une évolution favorable de la situation du demandeur, suite à l'élargissement du cadre des sorties et à son placement en foyer, au sein duquel son comportement était jugé correct et la compliance bonne, malgré certains signes de fragilité. Ces signes plaidaient en faveur de la prolongation de la mesure. Néanmoins, il fallait tenir également compte de ce que l'expertise du 24 janvier 2022 retenait un risque de passage à l'acte violent peu probable et que, du point de vue de la proportionnalité, A______ était privé de sa liberté depuis octobre 2008 pour des faits qualifiés d'injures et de menaces.

EN DROIT :

1. Si, à rigueur de texte, l'acte déposé par le demandeur paraît tendre à la désignation d'un défenseur d'office en vue du dépôt ultérieur d'une demande de révision, il reste que les développements qu'il comporte permettent clairement de comprendre les conclusions de ladite demande, qu'il est dirigé contre une décision entrée en force et quels sont les motifs invoqués, de sorte qu'il satisfait d'ores et déjà aux conditions de l'art. 411 du code de procédure pénale (CPP). Il convient partant de le traiter comme une demande de révision, formée par devant l'autorité compétente (art. 21 al. 1 let. b du CPP en lien avec l'art. 130 al. 1 let. a de la loi d'organisation judiciaire [LOJ]).

Dans cette mesure, la demande serait recevable.

2. 2.1.1. L'art. 410 al. 1 let. a CPP permet à toute personne lésée par un jugement entré en force d'en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuve qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère du condamné.

2.1.2. Les faits ou moyens de preuves sont nouveaux lorsque le juge n'en a pas eu connaissance au moment où il s'est prononcé, c'est-à-dire lorsqu'ils ne lui ont pas été soumis sous quelque forme que ce soit (ATF 137 IV 59 consid. 5.1.2 ; 130 IV 72 consid. 1). Les faits et moyens de preuve sont sérieux lorsqu'ils sont propres à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation et que l'état de fait ainsi modifié rend possible un jugement sensiblement plus favorable au condamné (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 ; 137 IV 59 consid. 5.1.2 et 5.1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_688/2020 du 15 octobre 2020 consid. 1.1).

2.2. L'art. 412 CPP prévoit que la juridiction d'appel examine préalablement la demande de révision en procédure écrite (al. 1). Elle n'entre pas en matière si la demande est manifestement irrecevable ou non motivée ou si une demande de révision invoquant les mêmes motifs a déjà été rejetée par le passé (al. 2). Si la juridiction d'appel entre en matière sur la demande, elle invite les autres parties et l'autorité inférieure à se prononcer par écrit (al. 3). Elle détermine les compléments de preuves à administrer et les compléments à apporter au dossier et arrête des mesures provisoires, pour autant que cette décision n'incombe pas à la direction de la procédure en vertu de l'art. 388 CPP (al. 4).

Selon le Message du Conseil fédéral, la procédure d'examen préalable de l'al. 1 sert avant tout à examiner si les moyens de révision invoqués sont vraisemblables
(FF 2006 1305 ad art. 419 [actuel art. 412]). La procédure de non-entrée en matière peut néanmoins être envisagée lorsqu'une des conditions de l'examen préalable de l'al. 1 n'est pas remplie (N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich 2023, n. 2 ad art. 412). Il n'est ainsi pas exclu de prononcer une décision de non-entrée en matière lorsque les moyens de révision invoqués apparaissent d'emblée comme non vraisemblables. L'économie de la procédure le commande alors, car si la situation est évidente, il n'y a pas de raison que l'autorité requière des déterminations (art. 412 al. 3 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_310/2012 du 20 juin 2011 consid. 1.6).

2.3. En application de l'art. 59 al. 1 CP, lorsque l'auteure ou l'auteur souffre d'un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel, à condition qu'elle ou il ait commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble (let. a) et qu'il soit à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec lui (let. b).

Le traitement institutionnel s'effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d'exécution des mesures (al. 2).

Le traitement est appliqué dans un établissement fermé tant qu'il y a lieu de craindre que l'auteur ne s'enfuie ou ne commette de nouvelles infractions (al. 3).

La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d'une libération conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu'il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l'auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l'autorité d'exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois (al. 4).

2.4. En l'espèce, le demandeur se prévaut bien d'éléments nouveaux – l'expertise du 24 janvier 2022 et le jugement du TAPEM – mais se méprend manifestement sur leur contenu et portée. Les experts mis en œuvre par le SRSP, et dont la mission n'était pas de se prononcer sur la responsabilité pénale du demandeur, n'ont en effet pas contredit les conclusions de leurs prédécesseurs – même si le diagnostic posé n'est pas identique – et n'ont nullement estimé qu'il n'était pas irresponsable en octobre 2009, pas plus qu'ils n'ont remis en cause la réalisation des conditions posées par l'art. 59 CP au moment du prononcé de l'ordonnance de la Chambre d'accusation. Au contraire, ils ont retenu que la mesure eût pu être reconduite mais qu'il y avait néanmoins une amélioration de la situation de l'intéressé et qu'il fallait également tenir compte du principe de la proportionnalité. Faisant sienne cette analyse, le TAPEM a prononcé la prolongation de la mesure, en confirmant partant le principe, mais en a prononcé la libération conditionnelle, tout en l'assortissant de règles de conduite. C'est dire qu'il ne résulte nullement des éléments nouveaux dont se prévaut le demandeur que la mesure n'aurait pas dû être prononcée, le 26 mai 2009.

Aussi, la demande de révision doit-elle d'emblée être qualifiée de manifestement irrecevable.

3. Vu cette issue, la demande de désignation d'un défenseur d'office est sans objet.

4. Il sera exceptionnellement renoncé à la perception de frais.

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Considère que l'acte du 18 juin 2025 de A______ adressé à la Chambre pénale d'appel et de révision vaut demande de révision de l'ordonnance de non-lieu ONL/25/2009 de la Chambre d'accusation du 26 mai 2009.

Déclare irrecevable ladite demande de révision.

Constate que la demande de désignation d'un défenseur d'office dont elle était assortie est sans objet.

Renonce exceptionnellement à la perception de frais.

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.