Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/24712/2014

AARP/166/2025 du 06.05.2025 sur OPMP/1860/2015 ( REV ) , TOTAL

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION);ORDONNANCE PÉNALE;ACQUITTEMENT
Normes : CPP.410; CP.303
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24712/2014 AARP/166/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 6 mai 2025

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me B______, avocate,

demanderesse en révision,

 

contre l'ordonnance pénale OPMP/1860/2015 rendue le 10 mars 2015 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

défendeur en révision.


EN FAIT :

A. a. Par ordonnance pénale OPMP/1860/2015 du 10 mars 2015, le Ministère public (MP) a reconnu A______ coupable de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 du Code pénal [CP]) et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 50.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, frais de la procédure en CHF 260.- à sa charge.

Par acte du 17 février 2025, reçu au greffe de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) le 18 février 2025, A______ forme une demande en révision à l'endroit de cette ordonnance pénale, concluant à son annulation, à son acquittement complet, à la radiation au casier judiciaire de l'inscription ad hoc et à son indemnisation à hauteur de CHF 300.- pour le tort moral subi.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

De la procédure P/24712/2014

a. A______ a entretenu une relation amoureuse avec C______, de laquelle est issue D______, née le ______ 2006 au Cameroun, et E______, née le ______ 2011 à Genève. D______ a rejoint sa famille en Suisse en 2014.

b. Le 17 décembre 2014, A______ s'est présentée à la police afin de déposer plainte pénale contre son compagnon C______. Elle a expliqué qu'après avoir appris qu'elle était enceinte d'un enfant (E______) qui n'était pas de lui, C______ était devenu méchant. Il l'insultait régulièrement, la frappait à réitérées reprises, parfois avec des objets (ceinture, bâtons, chaussures et chaises), ou après l'avoir attachée avec des câbles électriques. Il l'avait également, à plusieurs reprises, enfermée dans la cave de son immeuble et menacée de la tuer en lui mettant un couteau de cuisine sous la gorge. Il lui avait, une fois, brûlé les fesses au moyen d'un fer à repasser. Il la forçait régulièrement à avoir des relations sexuelles contre son gré ; il aimait lui attacher les mains et les pieds avant de la sodomiser. Leur fille D______ n'assistait pas à ces scènes car C______ l'envoyait dans sa chambre, mais elle pouvait entendre. C______ ne vivait pas officiellement avec elles mais il avait les clés de l'appartement et faisait ce qu'il voulait. Elle avait peur de sa réaction lorsqu'il apprendrait qu'elle s'était rendue à la police. Elle était terrorisée et avait longuement hésité avant de décider d'en parler.

c. Le 18 décembre 2014, la police a tenté de joindre C______ à plusieurs reprises sans succès. Le 19 décembre 2014, A______ et C______ se sont présentés ensemble au poste de police.

c.a. A______ a alors expliqué que, après avoir déposé plainte, elle était rentrée chez elle et C______ avait compris que la police s'intéressait à lui, à cause d'elle. Il lui avait donné une gifle au visage, qui lui avait fendu la lèvre supérieure, et des coups de pied au ventre et aux jambes. Le lendemain, soit le 18 décembre 2014, C______ lui avait dit qu'il valait mieux se quitter et lui avait rendu les clés de son appartement. Le soir, il était revenu au domicile. Elle avait appelé un médecin pour faire constater ses plaies, mais C______ l'avait renvoyé en disant qu'il ne s'agissait pas de la bonne adresse. Le médecin en avait informé la police.

c.b. À teneur du rapport d'expertise du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) du 30 janvier 2015, A______, examinée aux urgences de la Maternité des HUG le 19 décembre 2014, ne présentait aucune lésion traumatique. L'examen gynécologique et l'expertise des frottis prélevés ne permettaient pas d'apporter d'élément probant, sans pour autant exclure un rapport sexuel tel que décrit par l'expertisée.

c.c. Auditionnée selon le protocole EVIG, D______, alors âgée de 8 ans, a révélé que ses parents "se discutaient" souvent. Son père tapait sa mère, mais elle-même et sa petite sœur ne faisaient pas l'objet de maltraitance. Son père lançait des verres "sur la face" de sa mère ou la frappait avec sa ceinture, raison pour laquelle celle-ci avait décidé de déménager. Elle n'avait pas été témoin de ces faits mais avait entendu des cris, des bruits de coups ou de bris. Elle savait que sa mère avait également parlé de ces faits à une copine.

d. C______ a fermement nié les faits. Il n'avait jamais frappé sa compagne, mais admettait qu'ils avaient parfois des disputes. Au Cameroun, il avait pu la "baffer" en raison de son infidélité, mais cela n'était plus arrivé depuis qu'il vivait en France.

C______ a admis, le lendemain devant le MP, des propos et insultes proférés peu après la naissance de E______, ayant appris qu'il n'en était pas le père biologique. Il ne comprenait pas pour quelle raison A______ l'accusait ainsi, ce d'autant qu'elle continuait à le fréquenter, ni pourquoi D______ parlait de violences entre sa mère et lui.

C______ a été remis en liberté le 20 décembre 2014 avec, à titre de mesures de substitution, l'interdiction d'entrer en contact avec A______ ou de l'approcher à moins de 200 mètres.

e. Une audience de confrontation a été menée le 20 janvier 2015 devant le MP. A______ n'était pas assistée d'un avocat, contrairement à C______.

À la question de savoir si elle confirmait ses précédentes déclarations à la police, A______ a répondu que non. Elle était tellement fâchée contre C______ qu'elle avait raconté des choses qui n'étaient pas conformes à la réalité. Ils avaient uniquement échangé des insultes. Les sodomies alors qu'elle était attachée avaient également eu lieu mais de manière consentie. Elle niait avoir fait l'objet de pressions pour revenir sur ses déclarations.

A______ a immédiatement été mise en prévention de dénonciation calomnieuse et a admis les faits.

f. Les faits reprochés à C______ ont fait l'objet d'une ordonnance de classement du 10 mars 2015 et l'intéressé s'est vu allouer un montant de CHF 300.- à titre de réparation du tort moral, les frais de la procédure, en CHF 370.-, étant mis à la charge de A______ au sens de l'art. 427 al. 2 du Code de procédure pénale (CPP).

g. Une ordonnance pénale a été rendue contre A______ le même jour, la déclarant coupable de dénonciation calomnieuse pour avoir "déposé plainte pénale contre C______ en l'accusant de contrainte sexuelle (art. 189 CP), de lésions corporelles simples (art. 123. CP), de voies de fait (art. 126 CP), de séquestration (art. 183 CP) et de menaces (art. 180 CP), alors que ces infractions n'avaient pas été commises et qu'elle les avait inventées de toutes pièces".

A______ a été condamnée à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 50.-, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans.

De la procédure P/1______/2017

h. Une nouvelle procédure a été ouverte à l'encontre de C______ suite à une dénonciation du Service de protections des mineurs (SPMi) du 1er juin 2017, concernant des violences soupçonnées de sa part sur D______ et E______.

A______ a déposé plainte le 21 juin 2017 pour violences physiques et sexuelles, réitérant en particulier ses allégations relatives à des coups subis avec une ceinture et les sodomies forcées. Elle avait retiré sa plainte de 2014 car C______ et sa propre famille l'y avaient forcée.

i. C______ a fait l'objet d'une condamnation définitive par arrêt du 29 novembre 2023 de la CPAR, le déclarant coupable :

-        de viol commis à réitérées reprises, entre le début de l'année 2015 et le 24 mai 2017, pour avoir fait subir à sa compagne A______, dans le contexte de violence physique et de pression psychologique exercées sur elle, l'acte sexuel en la pénétrant vaginalement avec son sexe, alors qu'il savait que celle-ci n'était pas d'accord ;

-        de lésions corporelles simples aggravées, pour avoir, entre le début de l'année 2015 et le 24 mai 2017, frappé sa compagne à plusieurs reprises et sur tout le corps (notamment le dos, les mains et les cuisses) avec, notamment, ses mains, une ceinture, un bâton en bois, un câble avec prise, ainsi qu'avec une botte, lui occasionnant des lésions ;

-        de lésions corporelles simples aggravées et de violation du devoir d'assistance ou d'éducation au préjudice de D______ (entre l'arrivée de cette dernière en Suisse en 2014 et le 24 mai 2017) et de E______ (entre début 2015 et le 24 mai 2017).

Il a en revanche été acquitté des faits qualifiés de contrainte sexuelle (se rapportant à des sodomies forcées entre le début de l'année 2015 et le 24 mai 2017) et de menaces (commises à réitérées reprises entre le 21 mars 2017 et le 24 mai 2017).

j. Cet arrêt fait référence à de nombreuses reprises à la procédure P/24712/2014. On y apprend notamment, en lien avec cette procédure, les faits pertinents suivants :

A______ a déclaré qu'elle avait retiré sa plainte déposée en 2014 car C______ et sa propre famille l'avaient forcée (consid. B.e.a). Elle était victime et avait été condamnée pour des actes qu'elle avait bien subis. Elle avait un casier "sale" alors que celui de son agresseur était propre. En 2014, après le dépôt de sa première plainte, elle avait été logée par la LAVI au foyer F______ où elle avait été retrouvée par C______ après deux jours. Il lui avait alors dit que cela ne servait à rien de fuir, qu'il la retrouverait. Elle était restée une dizaine de jours dans cet établissement, durant lesquels il la guettait, avant de céder et rentrer avec lui, "sans faire d'histoire" (consid. B.e.f.b).

Les déclarations de D______ dans la procédure, faisant état de violences sur elle-même mais également sur sa mère, ont fait l'objet d'une expertise de crédibilité aboutissant à un score particulièrement élevé. Aucune forme de pression ou de coercition n'avait été relevée (consid. B.d.j).

k. La CPAR a retenu, dans sa partie en droit, les considérants pertinents suivants :

"3.8.1. L'appelant, avec les premiers juges, nie toute crédibilité aux propos de la plaignante. Or la condamnation de l'intimée en 2014 pour dénonciation calomnieuse n'entache pas la crédibilité de ses déclarations faites dans la présente cause. En effet, les rétractations ne sont pas insolites chez les victimes. En outre, et surtout, la présente procédure n'est pas de son fait, d'une part, et sa posture initiale a été de protéger l'appelant et non de saisir immédiatement la première opportunité de lui nuire, d'autre part. Le fait que la condamnation ait été prononcée sans tenir compte des propos de la fille des parties, qui confirmaient largement les actes dénoncés par sa mère, laisse songeur. Ces indices doivent être appréciés en sa faveur ; s'y ajoute le déséquilibre entre l'intimée, en personne, et l'appelant, qui était à l'époque assisté d'un avocat, tous éléments qui conduisent à relativiser fortement le poids de cette condamnation.

[…]

3.8.2. À titre liminaire, s'il ressort de la procédure de 2014 que l'intimée avait déjà dénoncé faire l'objet de menaces et qu'il est vraisemblable, au regard du contexte général de violences dans lequel l'intimée était plongée, que ces faits se soient produits et n'aient point cessé avec le temps, la Cour rappelle qu'elle est tenue par la maxime d'accusation de sorte que seuls peuvent être considérés ceux décrits par le MP, lequel n'a retenu qu'une période pénale de deux mois, soit du 21 mars 2017 au 24 mai 2017.

[…]

3.8.3. L'intimée a allégué avoir subi plusieurs contraintes sexuelles, soit des sodomies forcées où elle était pieds et poings liés, faits dont elle s'était déjà plainte en 2014. Cette première procédure avait été classée à la suite de sa rétractation, l'intimée alléguant que les sodomies avaient été consenties, ce qui n'avait suscité aucune réaction de l'appelant à l'époque. Cependant, dans la présente cause, il a décrié avec véhémence cette pratique, indiquant ne pas se reconnaitre en elle, de sorte qu'aucune crédibilité ne peut être accordée à ses dénégations.

Si la Cour est convaincue de l'existence de ces faits, elle éprouve des difficultés à retenir qu'ils se soient produits dans le cadre de la présente cause, en raison des écueils déjà soulevés en première instance, soit que l'intimée a déclaré en début d'instruction ne plus avoir été sodomisée depuis 2014 (B – 96), d'une part, et que l'épisode décrit très précisément – survenu selon ses dires à G______ [GE] – l'avait particulièrement marquée car c'était sa première fois (E – 60), ce qui est incompatible d'un point de vue temporel avec la période retenue dans l’acte d’accusation (entre le début de l'année 2015 et le 24 mai 2017), d'autre part. Or, l'acte d'accusation ne retient que cette seule occurrence. Au vu de ce qui précède, l'acquittement de l'appelant sera confirmé et l'appel-joint rejeté sur ce point.

3.8.4. […] Or, l'intimée avait déjà sollicité l'aide étatique en 2014 avant d'être poussée à retirer sa plainte pénale, l’appelant l’ayant retrouvée dans le foyer où elle s’était réfugiée, ce qui démontre l'emprise de l'appelant et l’impuissance des autorités à la protéger ; loin d'être rassurée et encadrée par l'institution, elle a de surcroit essuyé une condamnation. La sœur de l'intimée a également témoigné de ses efforts vains pour l'encourager à sortir de la domination de l'appelant. L'intimée pouvait effectivement se sentir piégée dans une situation sans issue : elle a décrit un climat de psycho-terreur où elle se sentait constamment surveillée, sachant que l'appelant, décrit comme omniscient, finirait toujours par la retrouver (ce qu’il a fait) et qu'à la moindre contrariété la violence se répercuterait sur elle si ce n'était directement sur ses filles. Le fait de se plier au moindre de ses désirs et de se sacrifier pour protéger autant que possible ses enfants apparaît crédible dans ce contexte. Le schéma de violences intrafamiliales dans lequel elle et ses filles étaient plongées rend compréhensible le fait qu'elle ait souvent préféré se soumettre à l'acte sexuel, ce d'autant plus qu'il signait vraisemblablement la fin de ses tourments.

Dans la mesure où par ailleurs les violences physiques ont été établies et qu'il n'y a aucune raison de remettre en doute la description du rituel punitif, l'intimée ayant répété de manière constante avoir été la plupart du temps attachée et en culotte durant les sévices – la matière des liens ou le type d'objet utilisé important finalement peu –, les actes sexuels qui se produisaient dans ce cadre sont sans équivoque constitutifs de viols, l'intimée ne pouvant être disposée, après son passage à tabac, à entretenir des rapports consentis.".

Concernant les déclarations de l'enfant D______, la CPAR a encore retenu :

"3.6.1. […] La procédure de 2014, nonobstant l'écoulement du temps depuis lors, constitue un indice fort en faveur de la crédibilité de l'enfant, étant précisé que la rétractation et la condamnation de sa mère ne suffisent pas à retenir que les allégations faites à l'époque étaient infondées et mensongères, un tel comportement n'étant pas inhabituel pour une victime. En effet, à cette occasion déjà, l’enfant avait fait part du comportement violent de son père. Elle n'en avait d'ailleurs pas rajouté, indiquant ne pas être elle-même victime de maltraitances et circonscrivant le discours autour de sa mère avec prudence et honnêteté ("des fois il prend sa ceinture, des fois y prend pas (…) des fois y prend sa ceinture et y n'tape pas ma maman"; "j'entends des bruits de ceinture et ma maman elle crie" (…) ; "elle a parlé à ses copines de ça" C – 434 s.). La procédure y relative ayant été rapidement classée, ses confidences n'avaient suscité aucune prise en charge supplémentaire. Une pollution du discours n'est donc pas établie à ce stade.".

l. Par arrêt 6B_103/2024 du 5 novembre 2024, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de C______ et confirmé l'arrêt de la CPAR susvisé.

Au sujet de la crédibilité de A______, le Tribunal fédéral a retenu à son considérant 4.2 : "Premièrement, [le recourant] fait valoir que la procédure P/24712/2014 initiée à la suite d'une plainte de l'intimée 2 [A______] avait été clôturée par une ordonnance de classement du 10 mars 2015 et que cette dernière avait été condamnée pour une dénonciation calomnieuse par ordonnance pénale du même jour. Pour le recourant, cette condamnation entache la crédibilité de l'intimée 2. Comme l'a relevé la cour cantonale, les rétractations ne sont pas insolites chez la victime. En outre, la cour cantonale a constaté à juste titre que la présente procédure n'avait pas été initiée par l'intimée 2 et qu'elle avait tenté au début de protéger le recourant.

En second lieu, selon le recourant, les déclarations de l'intimée 2 contiendraient des variations sur des éléments essentiels, notamment sur la description des objets que le recourant utilisait pour la frapper. La cour cantonale n'a pas nié que l'intimée 2 avait varié dans ses déclarations à ce sujet, mais elle a considéré que ces variations ne procédaient pas d'exagération crasse qui suffirait à la discréditer.

Au vu de l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus (cf. 4.1), la cour cantonale n'a pas versé dans l'arbitraire en considérant les déclarations de l'intimée 2 comme crédibles, malgré ses rétractations en 2014 et les variations dans son discours.".

C. a. À l'appui de sa demande de révision, A______ fait valoir que l'arrêt de la CPAR du 29 novembre 2023 apportait des éléments de fait et des moyens de preuve nouveaux. Aux termes de cet arrêt, la CPAR reconnaissait coupable C______ des faits qui lui étaient reprochés mais questionnait également expressément sa propre culpabilité de dénonciation calomnieuse dans le cadre de la procédure de 2014. En effet, la CPAR conférait une crédibilité indiscutable à ses déclarations et à celles de ses filles, validant la réalité des faits qu'elles avaient exposés, non seulement dans la procédure de 2017 mais également dans celle de 2014. Bien que la période pénale soit différente, parce que liée à la maxime d'accusation, la CPAR s'était déclarée convaincue que les faits s'étaient bel et bien produits dans le cadre de la procédure de 2014 et que les violences au sein de ce couple n'avaient jamais cessé. L'expertise de la crédibilité de D______ du 1er juin 2018 était également à mettre à son crédit, en tant que moyen de preuve nouveau, puisque D______ avait déjà parlé de violences subies par sa mère lors de son audition dans la procédure P/24712/2014. Le retrait de sa plainte en 2014 était le résultat de nombreuses pressions exercées tant par C______ que par sa propre famille, craignant des représailles et démunie face à l'absence de protection de la part des autorités. Dans ce climat de terreur, et sans l'assistance d'un avocat, elle n'avait pas eu d'autre solution que de revenir sur ses déclarations et d'en assumer les conséquences, sans qu'il ne puisse lui être reproché de ne pas avoir contesté l'ordonnance pénale à l'époque. Cette dernière était toutefois manifestement infondée.

Une indemnité pour tort moral au titre de l'art. 429 al. 1 let. c CPP devait lui être accordée. L'ordonnance pénale du 10 mars 2015 était inscrite au casier judiciaire depuis une dizaine d'années, alors qu'elle était totalement injustifiée, et elle avait dû s'en expliquer auprès de ses futurs employeurs. Elle avait largement payé la "légèreté" du MP qui n'avait pas voulu voir l'évidence et avait été jusqu'à accorder un tort moral à C______, son bourreau, dont elle reprenait ainsi symboliquement le montant de CHF 300.-.

b. Le MP s'en rapporte à justice sur le fond, tout en précisant que ce sont les déclarations de A______ qui avaient provoqué l'ouverture de l'instruction pour dénonciation calomnieuse à son encontre et qu'elle savait alors – bien que peut-être sous contrainte – que ce qu'elle était en train d'affirmer au procureur n'était pas conforme à la réalité. La répartition des frais ne pouvait pas être revue dans le cadre de la procédure de révision.

D. Me B______, défenseure d'office de A______, a déposé un décompte pour la procédure de révision, facturant, sous des libellés divers, 15 heures d'activité de cheffe d'étude.

EN DROIT :

1. 1.1. La demande de révision a été formée par-devant l'autorité compétente (art. 21 al. 1 let. b CPP cum art. 130 al. 1 let. a de la Loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]) et selon la forme prévue par la loi (art. 411 al. 1 CPP).

Selon l'art. 411 al. 2 CPP, les demandes de révision visées à l'art. 410 al. 1 let. b et 2 CPP doivent être déposées dans les 90 jours à compter de la date à laquelle la personne concernée a eu connaissance de la décision en cause. Dans les autres cas, elles ne sont soumises à aucun délai.

1.2. En l'espèce, la demande de révision formée le 17 février 2025, soit dans le délai de 90 jours après la notification, le 18 novembre 2024, de l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 novembre 2024, est recevable au regard de ces dispositions.

2. 2.1.1. L'art. 410 al. 1 let. a CPP permet à toute personne lésée par un jugement entré en force, une ordonnance pénale, une décision judiciaire ultérieure ou une décision rendue dans une procédure indépendante en matière de mesures, d'en demander la révision, notamment, s'il existe des faits nouveaux antérieurs au prononcé ou de nouveaux moyens de preuve qui sont de nature à motiver l’acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère ou plus sévère du condamné ou encore la condamnation de la personne acquittée.

2.1.2. Les faits ou moyens de preuve invoqués au titre de l'art. 410 al. 1 let a CPP doivent être nouveaux et sérieux. Les faits ou moyens de preuve sont inconnus lorsque le juge n'en a pas eu connaissance au moment où il s'est prononcé, c'est-à-dire lorsqu'ils ne lui ont pas été soumis sous quelque forme que ce soit. Ils sont sérieux lorsqu'ils sont propres à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation et que l'état de fait ainsi modifié rend possible un jugement sensiblement plus favorable au condamné (ATF 137 IV 59 consid. 5.1.2 et 5.1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_688/2020 du 15 octobre 2020 consid. 1.1).

2.1.3. Les conditions d'une révision visant une ordonnance pénale sont restrictives. L'ordonnance pénale est rendue dans le cadre d'une procédure spéciale. Elle a pour spécificité de contraindre le condamné à prendre position. Une absence de réaction de sa part s'interprète comme un acquiescement. Il doit s'opposer dans le délai prévu à cet effet s'il n'adhère pas à sa condamnation, par exemple parce qu'il entend se prévaloir de faits omis qu'il considère comme importants. Le système serait compromis si, une fois le délai d'opposition échu sans avoir été utilisé, le condamné pouvait revenir sur l'acquiescement ainsi donné et demander selon son bon vouloir la révision de l'ordonnance pénale pour des faits qu'il aurait déjà pu faire valoir dans une procédure ordinaire en manifestant son opposition (ATF 130 IV 72 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_482/2024 du 16 octobre 2024 consid. 2.2.2 ; 6B_1139/2023 du 26 juin 2024 consid. 2.1.3 ; 6B_244/2022 du 1er mars 2023 consid. 1.3 ; 6B_1122/2020 du 6 octobre 2021 consid. 2.2.3).

Il s'ensuit qu'une demande de révision dirigée contre une ordonnance pénale doit être qualifiée d'abusive si elle repose sur des faits que le condamné connaissait initialement, qu'il n'avait aucune raison légitime de taire et qu'il aurait pu révéler dans une procédure ordinaire mise en œuvre par une simple opposition. En revanche, une révision peut entrer en considération à l'égard d'une ordonnance pénale pour des faits et des moyens de preuve importants que le condamné ne connaissait pas au moment du prononcé de l'ordonnance ou dont il ne pouvait pas se prévaloir ou n'avait pas de raisons de se prévaloir à cette époque (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 ; 130 IV 72 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_482/2024 du 16 octobre 2024 consid. 2.2.2).

2.2.1. L'art. 410 al. 1 let. b prévoit la révision d'une décision, lorsque celle-ci est en contradiction flagrante avec une décision pénale rendue postérieurement sur les mêmes faits. Ce motif de révision est un cas particulier de révision à raison de faits nouveaux selon l'art. 410 al. 1 let. a CPP. Il s'agit d'un motif absolu de révision, en ce sens qu'il implique l'annulation du jugement concerné indépendamment de sa vérité matérielle (ATF 144 IV 121 consid. 1.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1083/2021 du 16 décembre 2022 consid. 2.3).

2.2.2. La contradiction au sens de cette disposition doit porter sur un élément de fait et non pas sur l'application du droit ou sur une modification ultérieure de la jurisprudence ; l'appréciation différente d'une question de droit entre deux autorités ne constitue pas un motif de révision (ATF 148 IV 148 consid. 7.3.3). C'est l'appréciation du même état de fait retenu à la base de chacun des jugements qui doit présenter une contradiction telle qu'elle les rend inconciliables au point qu'un des deux jugements apparaît nécessairement faux (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1462/2022 du 18 janvier 2024 consid. 1.3.3 ; 6B_972/2019 du 9 octobre 2019 consid. 3.2).

2.2.3. Contrairement à ce qui vaut pour le motif de révision de l'art. 410 al. 1 let. a CPP, il n'est pas déterminant de savoir si le condamné avait déjà connaissance des faits sur lesquels se fonde la décision postérieure rendue, s'il les a tus sans raison légitime et s'il eût pu les révéler dans une procédure ordinaire mise en œuvre par une simple opposition. Le fait qu'il eût pu faire opposition à l'ordonnance pénale, sans avoir à la motiver, n'exclut pas la formulation d'une demande de révision fondée sur l'art. 410 al. 1 let. b CPP (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_482/2024 du 16 octobre 2024 consid. 3.4 ; 6B_932/2019 du 5 mai 2020 consid. 2.3.1 ; 6B_980/2015 du 13 juin 2015 consid. 1.4).

2.3.1. En l'espèce, la demanderesse fonde sa demande de révision sur le contenu de la procédure P/1______/2017, ayant abouti à l'arrêt de la CPAR du 29 novembre 2023, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral du 5 novembre 2024.

L'arrêt du 29 novembre 2023, désormais définitif, retient effectivement de nombreux faits qui viennent remettre en cause la condamnation de la demanderesse du 10 mars 2015. La CPAR, qui avait connaissance de l'entier des éléments ressortant du dossier de la procédure P/24712/2014, les a mis en balance avec les faits ressortant de la procédure de 2017. Au regard de ces nouveaux faits, elle s'est prononcée sur ceux de 2014, retenant en particulier que la condamnation pour dénonciation calomnieuse de la demanderesse laissait "songeur". En effet, les faits dénoncés par l'intéressée étaient corroborés par les déclarations de sa fille D______ – particulièrement crédibles –, une rétractation n'était pas insolite de la part d'une victime de violences conjugales et des pressions avaient pu être exercées par le prévenu, qui l'avait retrouvée dans le foyer où elle logeait. Enfin, celle-ci s'était présentée seule et non assistée devant le procureur lorsqu'elle était revenue sur ses déclarations, en présence de son conjoint représenté par un avocat.

La CPAR ne peut que faire siens ses propres considérants. Au regard des éléments issus de la procédure de 2017, la crédibilité des déclarations de la demanderesse, y compris en 2014, doit être reconnue et les rétractations de celle-ci à l'audience de confrontation du 20 janvier 2015 apparaissent bel et bien comme le résultat de pressions de son compagnon, et non comme l'aveu d'une accusation mensongère. Il peut être relevé, comme l'a déjà fait la CPAR dans l'arrêt susvisé, que le MP n'a pas fait preuve d'une grande circonspection en ne tenant pas compte des déclarations de l'enfant et du contexte conjugal, avant de condamner la demanderesse pour dénonciation calomnieuse.

Au terme de son dispositif, l'arrêt du 29 novembre 2023 rendu dans la P/1______/2017 a reconnu C______ coupable de faits identiques, comparables à ceux pour lesquels la demanderesse avait déposé plainte les 17 et 19 décembre 2014. Liée par la maxime d'accusation, la CPAR n'est pas revenue sur le classement des infractions reprochées à C______ dans la procédure P/24712/2014, mais s'est néanmoins déclarée convaincue que tout ou partie de celles-ci avaient effectivement été commises par C______, sur la base de ce qui s'est passé ensuite. Il appert ainsi que l'appréciation de l'état de fait figurant dans l'ordonnance pénale du 10 mars 2015 est en contradiction flagrante avec l'appréciation du même complexe de fait figurant dans l'arrêt du 29 novembre 2023, rendu postérieurement, ce qui rend ces deux prononcés inconciliables, au point que le premier apparaît nécessairement faux.

Un motif de révision au sens de l'art. 410 al. 1 let. b CPP est ainsi fondé. La demande de révision doit être admise sans qu'il n'y ait lieu de se demander si la demanderesse aurait pu faire valoir ces éléments dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'ordonnance pénale dans les délais. On pourrait, au demeurant, l'exclure, étant donné le climat de contrainte dans lequel se trouvait la demanderesse, qui n'était pas assistée d'un avocat.

3. 3.1. À teneur de l'art. 413 al. 2 CPP, si la juridiction d'appel constate que les motifs de révision sont fondés, elle annule partiellement ou entièrement la décision attaquée ; de plus, elle renvoie la cause pour nouveau traitement et nouveau jugement à l'autorité qu'elle désigne (let. a) ou rend elle-même une nouvelle décision si l'état du dossier le permet (let. b).

3.2. En l'espèce, il résulte de ce qui a été exposé ci-avant que c'est à tort que l'ordonnance pénale retient que A______ avait dénoncé C______, "alors que ces infractions n'avaient pas été commises et qu'elle les avait inventées de toutes pièces". Le verdict de culpabilité de A______ du chef de dénonciation calomnieuse et l'ordonnance pénale du 10 mars 2015 doivent, partant, être corrigés.

Le dossier permettant d'ores et déjà de dire que les éléments constitutifs, tant objectifs que subjectifs, de l'infraction de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 CP) ne sont pas remplis, l'acquittement de la demanderesse doit être prononcé sans renvoi de la cause à l'autorité précédente.

Vu l'admission de la demande de révision, l'ordonnance pénale OPMP/1860/2015 du 10 mars 2015 sera annulée et l'inscription y relative radiée du casier judiciaire de la demanderesse (art. 30 al. 5 de la Loi fédérale sur le casier judiciaire [LCJ]).

4. 4.1.1. Selon l'art. 415 al. 2 CPP, si le condamné est acquitté ou que sa peine est réduite, ou si la procédure est classée, le montant des amendes ou des peines pécuniaires perçu en trop lui est remboursé. Les prétentions du prévenu en matière de dommages-intérêts ou de réparation du tort moral sont régies par l'art. 436 al. 4 CPP.

Les montants à rembourser sur cette base portent intérêts qui, à défaut de réglementation spécifique, sont fixés à 5% conformément à l'art. 73 al. 2 de la Loi fédérale complétant le Code civil suisse (CO ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 7 ad art. 415).

4.1.2. Aux termes de l'art. 428 al. 5 CPP, lorsqu'une demande de révision est admise, l'autorité pénale appelée à connaître ensuite de l'affaire fixe les frais de la première procédure selon son pouvoir d'appréciation.

4.1.3. Selon l'art. 436 al. 4 CPP, le prévenu qui, après révision, est acquitté ou condamné à une peine moins sévère a droit à une juste indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure de révision. S'il a subi une peine ou une mesure privative de liberté, il a également droit à une réparation du tort moral et à une indemnité dans la mesure où la privation de liberté ne peut être imputée sur des sanctions prononcées à raison d'autres infractions.

4.2.1. Compte tenu de son acquittement, la demanderesse ne devra pas supporter les frais de la procédure d'instruction mis à sa charge dans l'ordonnance pénale annulée. Le montant déjà réglé à cet égard, en CHF 260.-, devra lui être remboursé, avec intérêts à 5% à compter du jour de leur paiement.

La peine pécuniaire, prononcée avec sursis, n'a pas été exécutée ; la question de son remboursement ne se pose donc pas.

L'ordonnance de classement rendue le 10 mars 2015 au bénéfice de C______, en parallèle de l'ordonnance pénale ici annulée, n'étant pas remise en cause, il ne peut être revenu sur les frais que celle-ci a mis, en application de l'art. 427 al. 2 CPP, à la charge de la demanderesse.

4.2.2. Il résulte de l'art. 436 al. 4 CPP qu'une réparation du tort moral n'est envisageable que si le prévenu acquitté a subi une peine ou une mesure privative de liberté. Les conclusions de la demanderesse en indemnisation du tort moral, en lien uniquement avec le fait d'avoir été condamnée à tort, doivent dès lors être rejetées.

5. Vu l'issue de la procédure, il ne sera pas perçu de frais pour la procédure de révision (art. 428 CPP al. 1 a contrario).

6. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me B______, défenseure d'office de A______, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale. La rémunération de Me B______ sera partant arrêtée à CHF 3'243.- correspondant à 15 heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure et l'équivalent de la TVA au taux de 8.1% en CHF 243.-.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit la demande en révision formée par A______ contre l'ordonnance pénale OPMP/1860/2015 rendue le 10 mars 2015 par le Ministère public dans la procédure P/24712/2014.

L'admet.

Annule l'ordonnance pénale OPMP/1860/2015 rendue le 10 mars 2015 par le Ministère public.

Acquitte A______ du chef de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 CP).

Ordonne la rectification du casier judiciaire de A______ en ce sens.

Ordonne la restitution à A______ de toute somme payée en exécution des frais mis à sa charge par l'ordonnance annulée, ce montant portant intérêt à 5% l'an à compter du jour de son paiement.

Déboute A______ de ses conclusions en indemnisation.

Laisse les frais de la procédure de révision à la charge de l'État.

Arrête à CHF 3'243.-, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseure d'office de A______, pour la procédure de révision.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Ana BARBOSA RIESEN FERNANDES

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.