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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/7671/2020

AARP/147/2024 du 22.04.2024 sur JTDP/1029/2023 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : BLANCHIMENT D'ARGENT;ACQUITTEMENT;IN DUBIO PRO REO
Normes : CP.305bis; CPP.10.al3; CPP.429.al1.leta
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7671/2020 AARP/147/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 22 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1029/2023 rendu le 16 août 2023 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1029/2023 du 16 août 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 1 du Code pénal [CP]) et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, à CHF 334.- l'unité, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans). Ses conclusions en indemnisation ont été rejetées.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité fondée sur l'art. 429 al. 1 let. a du Code de procédure pénale (CPP), frais de procédure à la charge de l'État.

b. Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, frais à la charge de l'appelant.

c. Selon l'ordonnance pénale du 7 avril 2022, valant acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, entre le 26 mars 2020 et le 3 avril 2020, utilisé ses comptes bancaires auprès de la banque C______ afin de recevoir, pour le compte d'une personne inconnue, des sommes d'argent provenant d'escroqueries sur internet, puis de les avoir transférées, notamment à l'étranger, empêchant ainsi leur confiscation.

Les montants crédités et débités dudit compte peuvent être résumés comme suit :

Dates

Crédits

Motifs

Débits

26.03.2020

CHF 1'470.-

D______

CHF 1'500.-

27.03.2020

CHF 820.-

E______

01.04.2020

CHF 400.-

F______

CHF 360.-

CHF 360.-

03.04.2020

CHF 420.-

G______

B. Les faits suivants, encore pertinents en appel, ressortent de la procédure :

a. À l'époque, A______ était titulaire des comptes bancaires suivants ouverts auprès de C______ (IBAN : 1______) ainsi que de la banque H______ (IBAN : 2______).


 

Ledit compte bancaire ouvert auprès de C______ a été crédité comme suit :

-       le 26 mars 2020, CHF 1'470.- de la part I______, [code postal] J______ [VS] (motif : "D______" [ordinateur portable]) ;

-       le 27 mars 2020, CHF 820.- de la part de K______ Sàrl, [code postal] L______ [VD] (motif : "E______ 2018" [ordinateur de bureau]) ;

-       le 1er avril 2020, CHF 400.- de la part de M______, rue 3______ no. ______, [code postal] N______ [BL] (motif : "F______" [drone caméra]) ;

-       le 3 avril 2020, CHF 420.- de la part de O______ SA, route 4______ no. ______, [code postal] P______ [FR] (motif : "G______ [drone caméra] OK Q______NO.5______").

Il a été débité le 26 mars 2020 de CHF 1'500.- et, le 1er avril 2020, de deux fois CHF 360.- à destination de "E-Banking Fremdwährung/Ausland" (traduction libre de la Cour : E-Banking monnaie étrangère/étranger).

b. Le 16 avril 2020, R______ a déposé plainte pénale contre inconnu. Il avait contacté un vendeur sur Q______, site de petites annonces en ligne, pour acquérir un ordinateur au prix de CHF 870.-. Il avait versé l'argent, mais n'avait jamais reçu la marchandise, étant précisé que l'annonce avait ensuite disparu.

À l'appui de sa plainte, le lésé a notamment produit les conversations entretenues via le site précité et par courriel (S______@gmail.com) à teneur desquelles on observe que le prétendu vendeur avait commencé par lui transmettre les coordonnées du compte C______ de A______ (prétendu titulaire : S______) avant de lui remettre les coordonnées de celui qu'il détenait auprès de H______ (prétendu titulaire identique) sur lequel il avait versé l'argent (date valeur : 2 avril 2020).

c. Le 17 avril 2020, un employé de C______ a contacté téléphoniquement A______. Selon les notes interne de la banque (en allemand) résumant cet entretien, A______ avait expliqué avoir vendu des biens qu'il possédait depuis deux ans. Le prix était justifié par l'usure de la marchandise. Il avait utilisé le profil Q______ "A______ [orthographié différemment]". Cette dernière avait été envoyée au destinataire. Il ne disposait pas du numéro de tracking de la Poste, mais il était convenu de ce que l'employé de la banque le rappellerait à ce propos. Il s'agissait d'une activité privée et lui-même n'entendait pas vendre d'autres biens dans un avenir proche. Il avait crédité son compte T______ [services bancaires sur application mobile] qu'il détenait depuis deux ans.

d. À teneur du "Reporting Entity Summary Report" du 23 avril 2020 établi en allemand par le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), A______ avait affirmé, en réponse aux questions de C______, qu'il vendait des objets d'occasion à bon prix. Il n'avait pas pu expliquer pourquoi il avait par exemple vendu deux drones identiques à un prix différent et pour quelle raison il n'avait pas utilisé son compte habituel, mais son compte C______ dont il ne s'était presque plus servi dès mars 2020.

e. Le 5 mai 2020, le MROS a informé le MP de ce que la relation bancaire dont A______ était titulaire auprès de C______ avait été annoncée pour des soupçons de fraude sur des plateformes de vente en ligne et de blanchiment d'argent.

f. Par courriel du 7 mai 2020, A______ a écrit à H______ pour les informer de sa surprise à la suite de leur annonce selon laquelle toutes ses données bancaires avaient été transmises à la police six jours plus tôt. Il n'avait reçu que des informations partielles par téléphone deux semaines plus tôt et n'avait pas été suivi par la banque. Il constatait que le problème provenait de trois entrées de fond et confirmait ne pas en être le commanditaire ou bénéficiaire. Il ne connaissait pas l'identité des expéditeurs auxquels il n'avait jamais transmis ses coordonnées. Il avait fait part à la banque au téléphone de son souhait de retourner au plus vite les fonds aux propriétaires. Il n'avait jamais souhaité garder ces sommes. Il priait l'établissement bancaire de procéder immédiatement au renvoi des fonds. Déçu du manque de soutien de la banque, il souhaitait également clôturer son compte.

g. Les 8 et 13 mai 2020, les montants crédités sur le compte H______, soit CHF 870.- (provenant du compte bancaire du témoin R______), CHF 831.- et CHF 698.-, ont été renvoyés à leur expéditeur.

h. Fin mai 2020, respectivement fin août 2020, A______ a définitivement clôturé son compte auprès de C______, puis de H______.

Auditions

i. Entendu par la police le 16 novembre 2020, par le MP le 5 octobre 2021 et par le TP, A______ a déclaré ce qui suit :

i.a. Il avait été contacté par H______ au sujet de l'origine des fonds, notamment du virement de CHF 870.-. Il n'avait reconnu ni la transaction ni l'expéditeur. Il n'avait pas remarqué le motif des virements et avait demandé le retour des fonds. Le représentant de la banque avait dit que cela n'était pas aussi facile, mais il avait reçu une confirmation en ligne quelques jours plus tard. Il n'avait plus reçu d'informations de la banque. Lorsqu'il avait consulté le dossier de la procédure, il avait réalisé que le destinataire des paiements ne correspondait pas au titulaire du compte, de sorte que la banque aurait dû les bloquer. Dès avril 2020, il avait entamé un processus pour faire renvoyer ces montants à leurs expéditeurs, ce qui avait été fait en mai 2020. En juillet 2020, il avait clôturé son compte en raison de son insatisfaction. Il s'était également promis de changer de banque dès qu'il reprendrait une activité professionnelle, ce qui avait été le cas en juillet 2020, étant précisé qu'il se trouvait au chômage depuis 12 mois.

i.b. En l'espace de trois ans, il avait prêté à un ancien ami, U______, qui vivait désormais dans le sud de la France, plus de CHF 10'000.- pour la création d'une société de production vidéo, en particulier pour l'achat de matériel informatique, drone, appareils photographiques et de vidéos. Ils s'étaient ensuite brouillés, s'étant senti utilisé par son ami, et en avait souffert. La dernière fois qu'ils s'étaient vus remontait à février 2020 tandis que leur dernière discussion, via Messenger, qui avaient porté sur les montants à rembourser datait du mois de mars 2020.

Il avait rapidement remarqué le premier montant de CHF 1'470.- crédité sur son compte bancaire C______ et pensé qu'il s'agissait d'un remboursement de U______, étant précisé que son ami connaissait les coordonnées bancaires dudit compte. Il n'avait ensuite pas consulté son compte régulièrement puisque, durant la pandémie, ses journées se résumaient à manger, dormir et regarder la télévision. Il n'avait pas de travail à cette période et donc pas de motif d'accéder à son compte. Il avait observé que les transactions concernaient essentiellement du matériel informatique, ce qu'il avait trouvé normal pensant que l'argent provenait de son ami. Il avait en effet financé en faveur de ce dernier l'achat d'un D______, d'un E______ et de deux drones, y compris un F______. Il n'avait pas cherché à contacter U______ puisqu'il ne souhaitait plus de contact avec lui et n'avait pas remarqué à ce moment-là l'identité des expéditeurs. Au bout d'un certain temps, il s'était dit que cela faisait une très grosse somme pour être un règlement de la part de U______ et son instinct professionnel, étant souligné qu'il était actif dans le domaine bancaire, lui avait mis "la puce à l'oreille". Il avait décidé de clôturer son compte en mai 2020. Plus tard, il a expliqué avoir pensé que son débiteur avait symboliquement choisi la période de son anniversaire (______ mars) pour le rembourser. Il ne l'avait ni remercié ni ne lui avait parlé de ces montants. Il n'avait pas conservé leurs échanges car il s'agissait d'une relation toxique. Il avait transféré CHF 1'500.- (débités le 26 mars 2020) et deux fois CHF 360.- (débités le 1er avril 2020) sur son compte T______. Il avait choisi les montants au hasard.

Plus tard, il a expliqué n'avoir pas tout de suite remarqué l'expéditeur des montants en les recevant sur son application. C'était seulement après la dénonciation du MROS et le blocage de ses comptes, soit durant la procédure pénale, qu'il avait connu le détail. Il aurait demandé un retour de fonds pour les transactions reçues sur son compte C______, à l'instar de ce qu'il avait fait pour la banque H______, si la banque l'avait contacté. Il avait viré l'argent sur son compte T______ car cette carte lui permettait, durant la pandémie, d'effectuer des achats sans contact, étant précisé qu'il n'avait pas de carte avec son compte C______. Il avait dépensé ces montants.

i.c. Confronté au fait que ses deux comptes bancaires avaient fait l'objet de crédits sortant de l'ordinaire, A______ n'a pas été en mesure de l'expliquer. Il pouvait uniquement dire que ce n'était pas ses transactions. H______ avait fait preuve d'une grande incompétence en traitant son cas, alors qu'il avait peut-être été prétérité par l'ouverture d'un compte en ligne chez C______. Questionné quant au fait qu'une partie des transactions n'étaient pas sorties de son compte, alors qu'il reconnaissait que les montants ne lui étaient pas destinés, il a évoqué avoir fait de la politique par le passé et être en train d'y revenir, de sorte que d'aucuns avaient peut-être tenté de nuire à sa réputation, ce d'autant qu'il était responsable du département compliance d'une banque privée. Il a expliqué avoir ouvert en février 2020 puis fermé deux ou trois semaines plus tard un compte en ligne pour effectuer des investissements de trading, sur lequel il avait versé EUR 250.-. Dans ce contexte, il avait dû transmette les coordonnées de ses comptes.

Lors des débats de première instance, A______ a ajouté ne pas être en mesure d'expliquer pourquoi l'interlocuteur de R______ avait transmis à ce dernier les coordonnées de ses deux comptes. Il s'en est dit inquiet.

i.d. Entendu par le TP, R______ a réitéré les termes de sa plainte pénale. Il a ajouté que le vendeur lui avait transmis un premier IBAN vers un compte C______, puis qu'il lui avait dit que c'était confus car le compte était partagé avec une autre personne. Il avait enfin viré l'argent sur un compte ouvert auprès de H______. La banque lui avait retourné l'argent.

Conclusions en indemnisation

j. En première instance, A______ a conclu à l'octroi d'une indemnité de CHF 5'402.95, TVA comprise, pour ses frais d'avocat, soit l'équivalent de 18 heures et 40 minutes de travail de chef d'étude au tarif de CHF 400.-/heure.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties (art. 406 al. 2 CPP).

b.a. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

L'ordonnance pénale ne respectait pas le principe d'accusation, en ce sens qu'elle ne décrivait aucunement les supposées escroqueries commises en amont de l'infraction de blanchiment d'argent. Il n'était au demeurant pas établi que les montant versés sur son compte C______ provenaient d'un tel crime. Le fait de virer les sommes sur un compte T______ ouvert auprès de [la banque] V______ et dont il était l'unique ayant-droit économique ne constituait pas un acte d'entrave. L'élément subjectif faisait défaut. Il avait expliqué de manière constante et crédible avoir pensé que les montants étaient des remboursements de prêts qu'il avait accordé à un ami. Il n'aurait pas risqué une condamnation qui aurait mis un terme à sa carrière dans le domaine bancaire.

b.b. À l'appui de son appel, A______ produit :

-       une capture d'écran, dont on comprend du titre de la pièce et des informations y figurant qu'il s'agit des coordonnées d'un compte bancaire suisse ouvert auprès de V______, dont la bénéficiaire est "T______ LTD, W______, UK" ;

-       une note d'honoraires pour l'activité de son conseil du 17 août 2023 au 15 février 2024, soit cinq heures d'activité de chef d'étude au tarif précité, TVA en sus.

c. Dans son mémoire de réponse, le MP persiste dans ses conclusions.

L'ordonnance pénale décrivait les faits reprochés de manière suffisamment détaillée pour que l'appelant puisse se défendre. Les infractions commises en amont étaient établies par les dires du témoin R______. Les motifs des versements sur le compte C______ étaient similaires à ceux effectués sur le compte H______. On ne pouvait pas inférer du classement des faits commis au préjudice du précité que l'appelant n'avait pas agi à d'autres occasions notamment via son compte C______. L'acte d'entrave était réalisé par le passage d'un compte à un autre à l'étranger. Dès lors que les transactions sortaient de l'ordinaire, ce que l'appelant avait remarqué, il avait a minima envisagé et accepté l'idée de transférer une somme issue d'une infraction. Les explications quant aux prétendus remboursements de son ancien ami n'étaient pas crédibles, qu'importait qu'il n'avait pas le profil d'un blanchisseur vu sa profession.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 325 al. 1 CPP, l'acte d'accusation désigne notamment les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur ainsi que les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public. En d'autres termes, l'acte d'accusation doit contenir les faits qui, de l'avis du ministère public, correspondent à tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée au prévenu (ATF 143 IV 63 consid. 2.2 ; ATF 141 IV 132 consid. 3.4.1).

2.2. L'ordonnance pénale du 7 avril 2022 mentionne des indications de temps et de lieu précises. Elle contient en outre une description, certes brève comme le prévoit d'ailleurs la loi, des faits reprochés à l'appelant, soit d'avoir utilisé ses comptes bancaires auprès de C______ afin de recevoir, pour le compte d'une personne inconnue, des sommes d'argent provenant d'escroqueries sur internet, puis de les avoir transférées, notamment à l'étranger, empêchant ainsi leur confiscation.

La description des faits reprochés à l'appelant est suffisante pour écarter tout doute quant au comportement qui lui est reproché. Il savait que le reproche formulé à son égard était d'avoir reçu sur ses comptes bancaires des montants provenant d'une escroquerie et de les avoir transférés sur un compte à l'étranger. Il n'était pas indispensable, contrairement à l'avis de l'appelant, de détailler plus précisément les infractions en amont, dans la mesure où il n'est pas nécessaire que l'on connaisse en détail les circonstances du crime ou même de son auteur pour réprimer le blanchiment d'argent.

2.3. En vertu de ce qui précède, l'appelant était en mesure d'apprécier les reproches formulés à son égard et de se défendre efficacement, ce qu'il a du reste fait, de sorte que le principe d'accusation n'a pas été violé in casu.

Le grief infondé est rejeté.

3. 3.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

3.2. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF
144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.3. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.4.1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine de droit (art. 305bis al. 1 CP).

3.4.2. Le comportement délictueux consiste à entraver l'accès de l'autorité pénale au butin d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, en rendant plus difficile l'établissement du lien de provenance entre la valeur patrimoniale et le crime. L'acte d'entrave doit être examiné de cas en cas, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes. Le blanchiment d'argent étant une infraction de mise en danger abstraite, et non de résultat, il n'y a pas lieu de rechercher si les agissements reprochés ont empêché concrètement l'identification de l'origine ou la confiscation, mais uniquement si ces agissements étaient, en tant que tels, propres à rendre l'identification de l'origine ou la confiscation plus difficile (ATF 144 IV 172 consid. 7.2.2 ; 136 IV 188 consid. 6.1).

L'acte d'entrave peut être réalisé par n'importe quel acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de la valeur patrimoniale provenant d'un crime (ATF 136 IV 188 consid. 6.1 ; 122 IV 211 consid. 2 ;
119 IV 242 consid. 1a). Ainsi, le fait de transférer des fonds de provenance criminelle d'un pays à un autre constitue un acte d'entrave (ATF 127 IV 20 consid. 2b/cc et 3b). De même, le recours au change est un moyen de parvenir à la dissimulation de l'origine criminelle de fonds en espèces, qu'il s'agisse de convertir les billets dans une monnaie étrangère ou d'obtenir des coupures de montants différents. Le simple versement d'argent sur un compte bancaire personnel, ouvert au lieu du domicile de l'auteur de l'infraction qualifiée et servant aux paiements privés habituels, ne constitue pas un acte d'entrave au sens de l'art. 305bis ch. 1 CP (ATF 124 IV 274 consid. 4a). Tombe en revanche sous le coup de cette disposition le placement d'argent provenant d'un crime chaque fois que le mode ou la manière d'opérer ne peut être assimilé au simple versement d'argent liquide sur un compte (ATF 119 IV 242 consid. 1d ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_649/2015 du 4 mai 2016 consid. 1.1). L'acte d'entrave doit être examiné de cas en cas, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes. Le blanchiment d'argent étant une infraction de mise en danger abstraite, et non de résultat, il n'y a pas lieu de rechercher si les agissements reprochés ont empêché concrètement l'identification de l'origine ou la confiscation, mais uniquement si ces agissements étaient, en tant que tels, propres à rendre l'identification de l'origine ou la confiscation plus difficile (ATF 144 IV 172 consid. 7.2.2 ; 136 IV 188 consid. 6.1).

3.4.3. L'exigence de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales blanchies suppose qu'il puisse être établi de quelle infraction principale/préalable les valeurs patrimoniales proviennent. La preuve stricte de l'acte préalable n'est toutefois pas exigée. Il n'est pas nécessaire que l'on connaisse en détail les circonstances du crime, singulièrement son auteur, pour pouvoir réprimer le blanchiment. Le lien exigé entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est ainsi volontairement ténu. L'exigence d'un crime préalable suppose cependant établi que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime. Celui-ci doit être la cause essentielle et adéquate de l'obtention des valeurs patrimoniales et celles-ci doivent provenir typiquement du crime en question. En d'autres termes, il doit exister entre le crime et l'obtention des valeurs patrimoniales un rapport de causalité naturelle et adéquate tel que la seconde apparaît comme la conséquence directe et immédiate du premier. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non. En matière de blanchiment, cela conduit à rechercher si le crime préalable est une condition nécessaire de l'obtention des valeurs patrimoniales. Un comportement est la cause adéquate d'un résultat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 1 consid. 4.1.3, 4.2.2 et 4.2.3.3).

3.4.4. L'infraction de blanchiment est intentionnelle, le dol éventuel étant suffisant. L'auteur doit vouloir ou accepter que le comportement qu'il choisit d'adopter soit propre à provoquer l'entrave prohibée. Au moment d'agir, il doit s'accommoder d'une réalisation possible des éléments constitutifs de l'infraction. L'auteur doit également savoir ou présumer que la valeur patrimoniale provenait d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié. À cet égard, il suffit qu'il ait connaissance de circonstances faisant naître le soupçon pressant de faits constituant légalement un crime ou un délit fiscal qualifié et qu'il s'accommode de l'éventualité que ces faits se soient produits (ATF 122 IV 211 consid. 2e ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_649/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.1).

3.4.5.1. Il est établi et non contesté que le compte de l'appelant ouvert auprès de C______ a été crédité et débité comme décrit supra (cf. B.a.), les débits ayant ensuite été versés sur un compte T______ dont celui-ci était l'ayant-droit économique.

3.4.5.2. Quoi qu'en dise l'appelant, il ne fait aucun doute que les fonds versés sur son compte C______ résultent de prétendues ventes conclues sur un site de petites annonces en ligne. En dépit du classement des faits commis au préjudice du témoin R______, on ne peut qu'imaginer qu'un stratagème similaire a été mis en place pour inciter des acheteurs à payer sur un des comptes de l'appelant. Cela est du reste confirmé par le fait que le prétendu vendeur d'ordinateur a transmis les coordonnées des deux relations bancaires au lésé afin qu'il y verse le prix de l'objet. À cela s'ajoute que les transactions datent de la même période (mars et avril 2020), que les biens concernés sont de même type (matériel électronique) et qu'un des acheteurs a mentionné dans le motif du versement le numéro d'une annonce Q______, ce qui confirme encore l'identité de la plateforme internet utilisée. Cela étant, faute de plaintes pénales déposées pour ces quatre occurrences et par conséquent de lésés, on ignore tout du contexte précis dans lequel ont été conclues ces ventes (teneur de l'annonce, discussion avec le soi-disant vendeur, etc.). On ne dispose donc pas de suffisamment d'éléments pour établir la condition de l'astuce, même s'il n'est pas indispensable d'établir la preuve stricte de l'infraction préalable. On ne peut en particulier pas exclure qu'il se fût agi d'une tromperie non astucieuse, non protégée pas le droit pénal, et donnant lieu à un litige civil (dol, inexécution, etc.), sinon d'une pure erreur dans la communication de coordonnées bancaires à la disposition du vendeur félon.

3.4.5.3. Même à considérer l'inverse, on ne saurait reprocher à l'appelant d'avoir envisagé d'avoir perçu des sommes qui étaient le fruit d'un crime et de s'en être accommodé. Dans le cadre des faits qui ont été classés, l'appelant a en effet requis de la banque le renvoi des fonds dont il ignorait l'expéditeur dès lors qu'ils ne lui étaient pas destinés, attitude qui démontre qu'il n'a jamais souhaité les conserver. Dans la même logique, il n'y a pas de raison de douter de ses explications selon lesquelles il aurait procédé de manière identique s'il s'était aperçu de ce que les versements sur son compte C______ ne provenaient pas de son ancien ami. À cet égard, il n'apparaît pas curieux qu'il n'a pas contrôlé régulièrement son compte C______ vu la période en cause, était relevé qu'il percevait ses indemnités de l'assurance chômage sur son autre compte.

Certes, l'appelant s'est montré largement inconsistant entre les déclarations faites par-devant le représentant de C______ en avril 2020 et celles qu'il a ensuite livrées au cours de la procédure. Les premières doivent toutefois être examinées avec précaution : elles ont été recueillies par un employé de la banque sans tenir compte des garanties procédurales, puis résumées en allemand dans une note interne. L'appelant ne s'est jamais déterminé sur leur contenu et encore moins sur la traduction libre proposée dans le cadre du présent arrêt. On ne saurait dès lors en tenir compte à charge, sauf à violer son droit d'être entendu, ce d'autant qu'il s'est montré pour le reste constant en évoquant les remboursements de son ancien ami.

3.4.5.4. Au vu de ce qui précède, l'élément subjectif à tout le moins fait défaut, de sorte qu'un verdict d'acquittement se justifie. Il ne sera par conséquent pas procédé à l'examen de l'acte d'entrave.

L'appel est admis et le jugement querellé est reformé en ce sens.

4. L'appel étant admis, les frais y relatifs, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'200.-, seront laissés à la charge de l'État (art. 428 CPP a contrario).

Les frais de la procédure préliminaire et de première instance seront également laissés à la charge de l'État pour le même motif.

5. 5.1. Si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

5.2. Dans le prolongement de ce qui prévaut pour la répartition des frais de la procédure, l'appelant peut prétendre au remboursement de l'intégralité des honoraires de son conseil pour autant qu'ils étaient objectivement nécessaires à sa défense.

Les notes de frais produites par l'appelant respectent globalement les principes prévalant en matière d'indemnisation, de sorte que lui sera allouée (art. 429 aCPP dans sa teneur avant le 31 décembre 2023, applicable contre les jugements rendus avant cette date selon l'art 453 CPP) une indemnité de :

-       CHF 5'402.95, soit 18 heures et 40 minutes de travail de chef d'étude à CHF 400.-/heure, TVA à 7.7% en sus, pour la procédure préliminaire et de première instance ;

-       CHF 2'159.85, soit cinq heures d'activité au même tarif, TVA à 7.7% (CHF 41.05) et 8.1% (CHF 118.80) en sus, pour la procédure d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1029/2023 rendu le 16 août 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/7671/2020.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ de blanchiment d'argent (art. 305bis al. 1 CP).

Alloue une indemnité de CHF 5'402.95, TVA incluse, à A______ pour ses frais de défense pendant la procédure préliminaire et de première instance et de CHF 2'159.85, TVA incluse, pour la procédure d'appel.

Prend acte de ce que le premier juge a arrêté les frais de première instance à CHF 1'548.00.-, y compris un émolument complémentaire, et laisse ceux-ci à la charge de l'État.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'315.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'200.-, et laisse ceux-ci à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police ainsi qu'au Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS).

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'548.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'200.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'315.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'863.00