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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/6418/2023

AARP/81/2024 du 11.03.2024 sur OPMP/4389/2023 ( REV )

Descripteurs : NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE
Normes : CPP.410; CPP.85.al4
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6418/2023 AARP/81/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 11 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Nicolas DAUDIN, avocat, place Claparède 7, case postale 360, 1211 Genève 12,

demandeur en révision,

 

contre l'ordonnance pénale OPMP/4389/2023 rendue le 19 mai 2023 par le Ministère public

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

défendeur en révision.

 

 

 

 

 

 


EN FAIT :

A. a.a. Par ordonnance OPMP/4389/2023 du 19 mai 2023, le Ministère public (MP) a reconnu A______ coupable de non restitution de permis ou de plaques (art. 97 al. 1 let. b de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR]) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, à CHF 50.- l'unité, renonçant à révoquer le sursis accordé le 16 avril 2021 par le MP mais prolongeant le délai d'épreuve d'un an et lui adressant un avertissement, frais de la procédure en CHF 260.- à sa charge.

a.b. Par cette ordonnance, il était reproché à A______ d'avoir, à Genève, en sa qualité d'administrateur de la société B______ SA, entre le 24 mai 2022 et le
27 mars 2023, nonobstant une sommation de l'Office cantonal des véhicules (OCV), omis de restituer en mains de cette autorité le permis de circulation et les plaques de contrôle GE 1______, lesquels lui avaient été retirés par décision du 8 avril 2022, à la suite du non-paiement de l'impôt et/ou de l'émolument sur le véhicule.

A______ y a fait opposition le 22 décembre 2023, par l'intermédiaire de son conseil, n’ayant pris connaissance de son contenu que le 14 décembre 2023.

b. Par demande en révision du 22 décembre 2023, A______ conclut à la révision et à l'annulation de l'ordonnance en cause, à son acquittement complet, sous suite de frais et dépens, subsidiairement au renvoi de la cause au MP pour nouvelle décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Les faits visés dans l'ordonnance pénale ont été dénoncés le 24 mai 2022 par l'OCV à la police, puis communiqués au MP.

La police a tenté de joindre A______ par le biais de ses numéros de téléphone privé et professionnel, mais ceux-ci n'étaient plus valables. Un mandat de comparution a été adressé par voie postale le 27 janvier 2023 à l'adresse privée du concerné, sise chemin 2______ no. ______, [code postal] C______ [GE], afin qu'il soit entendu le 23 février 2023 mais celui-ci ne s'est pas présenté à son audition ni n'a justifié sa carence.

A______ n'a pas non plus donné suite au courrier du MP du 27 mars 2023 visant à ce qu’il se détermine sur les faits reprochés et s'est vu notifier l'ordonnance pénale querellée – par courrier recommandé du 23 mai 2023 à son adresse privée qui est revenu en retour le 5 juin 2023 avec la mention "non réclamé" –, sans jamais avoir été entendu.

b. Le dossier comporte notamment les pièces suivantes :

- la décision de retrait du permis de circulation et des plaques GE 1______, adressée par l'OCV le 8 avril 2022 par courrier "A+" et distribuée à l'adresse privée de A______ le lendemain, selon le suivi de la poste, par laquelle l'OCV prend acte que malgré son rappel du 21 février 2022, l'impôt et/ou l'émolument de CHF 956.50 n'a toujours pas été réglé dans le délai imparti ;

- la deuxième et dernière sommation adressée par l'OCV le 24 mai 2022 par courrier "A+" et distribuée à l'adresse privée de A______ le lendemain, selon le suivi de la poste, l'avertissant que faute du dépôt des plaques ou de paiement, les faits seront dénoncés au MP, par l'intermédiaire de la police ;

- la dénonciation par l'OCV du 24 mai 2022 à la police ;

- l'extrait du registre du commerce des sociétés D______ SA, dont l'administratrice est E______ et la directrice F______, toutes deux avec signature individuelle, et B______ SA, dont le seul administrateur est A______, avec signature individuelle ;

- copie de l'ordonnance pénale querellée avec le tampon du MP à côté de la mention "Ne vaut pas nouvelle notification 14.12.2023" ;

- un courriel de l'OCV du 17 janvier 2024 au MP, confirmant que l'Office avait connaissance de l'adresse du siège de la société B______ SA, sise avenue 3______ no. ______, [code postal] Genève, ainsi que de celle privée de l'administrateur, sise chemin 2______ no. ______, [code postal] C______, cette dernière ayant été enregistrée dans leur système dès le 7 décembre 2021 pour la correspondance.

C. a. À teneur de sa demande en révision puis de ses observations, A______ persiste dans ses conclusions, sollicitant au préalable la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur son opposition à l'ordonnance pénale querellée.

Il n'avait reçu aucun des courriers qui lui avaient été adressés par l'OCV, la police ou le MP, étant relevé que les courriers "A+" n'avaient pas la même force probante que ceux recommandés. S'étant retiré des affaires à Genève, en raison notamment de ses problèmes de santé (arrêts cardiaques en 2014, 2017 et 2019), il avait délégué la gestion de sa société, qui n'avait plus d'activités, à la D______ SA, sise rue 4______ no. ______, [code postal] Genève, au bénéfice d'un mandat général, comme le démontrait le courriel qu'il avait adressé 7 octobre 2021 à l'employé de celle-ci, en s'envoyant, depuis et sur la même adresse e-mail de la société "B______@______.com", ledit courriel par lequel il informait son interlocuteur qu'il était à l'étranger et qu'il souhaitait avoir un résumé de la situation, sur ce qui avait été reçu et restait à faire. S'apercevant des carences liées à sa société, il avait repris récemment sa gestion et tentait à ce jour de les rattraper ; il avait notamment repris contact avec l'OCV le 18 décembre 2023.

Parqué sur une place privée devant le siège de sa société, le véhicule en question avait été déplacé près de son domicile, sur un emplacement privé, où il se trouvait actuellement. Les pneus étaient crevés, photographies à l'appui, et la batterie à plat. L'ouverture manuelle dudit véhicule n'étant pas possible, ce que le centre "G______ Genève" avait confirmé, il ne pouvait récupérer le permis de circulation ainsi que la plaque d'immatriculation qui se trouvaient à l'intérieur de celui-ci.

Au Portugal depuis plusieurs mois, il avait reçu un message de la police sur sa messagerie le 20 juillet 2023, sans aucun détail sur l'objet de l'appel. Il avait rappelé mais son interlocuteur était absent, si bien qu'il avait laissé ses coordonnées mais n'avait depuis reçu aucune nouvelle.

Ces éléments nouveaux et inconnus du MP à l'époque étaient de nature à modifier sa condamnation par un acquittement ou à tout le moins par une réduction de peine. Sa demande en révision était ainsi fondée.

b. Dans sa réponse du 12 février 2024, le MP conclut à l'irrecevabilité de la demande en révision, n'ayant pas encore traité l'opposition à l'ordonnance pénale querellée, a priori tardive, subsidiairement au rejet de ladite demande, sous suite de frais.

Depuis le 7 décembre 2021, l'adresse de correspondance de la société B______ SA, dont A______ était administrateur unique, avec signature individuelle, correspondait à l'adresse privée de ce dernier. Ni le courrier du 7 octobre 2021 produit, ni le registre du commerce ne permettaient de retenir que la gestion de sa société avait été déléguée à la D______ SA. Les courriers qui lui avaient été adressés par l'OCV, la police et le MP avaient quoi qu'il en soit été valablement notifiés à l'adresse de correspondance de la société renseignée, comme l'attestaient les suivis postaux. A______ n'avait au demeurant pas démontré avoir quitté Genève, le registre de l'Office cantonal de la population et des migrations faisant état de la même adresse, sise à C______, depuis le 3 juin 2014, et les arrêts cardiaques subis, nullement prouvés, étaient antérieurs à la décision de l'OCV.

c. Le demandeur en révision a répliqué le 28 février 2024, persistant dans ses conclusions. Dans sa duplique du 8 mars 2024, le MP a informé la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) qu’il avait transmis la cause au Tribunal de police pour qu’il statue sur l’opposition tardive.


 

EN DROIT :

1.             1.1. La CPAR est l'autorité compétente en matière de révision (art. 21 al. 1 let. b du Code de procédure pénale suisse [CPP] cum art. 130 al. 1 let. a de la Loi d'organisation judiciaire [LOJ]).

1.2. L'art. 410 al. 1 let. a CPP permet à toute personne lésée par une ordonnance pénale entrée en force d'en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuve qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère du condamné.

La révision revêt un caractère subsidiaire et suppose un jugement entré en force. La subsidiarité de la révision au sens des art. 410 ss CPP se conçoit par rapport aux moyens de droit ordinaires cantonaux, notamment l'appel au sens des
art. 398 ss CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_440/2016 du 8 novembre 2017 consid. 2.3.1 destiné à publication et les références citées).

1.3. La demande en révision en raison de faits ou de moyens de preuve nouveaux n'est soumise à aucun délai (art. 411 al. 2 in fine CPP).

1.4. L'art. 412 CPP prévoit que la juridiction d'appel examine préalablement la demande de révision en procédure écrite (al. 1). Elle n'entre pas en matière si la demande est manifestement irrecevable ou non motivée ou si une demande de révision invoquant les mêmes motifs a déjà été rejetée par le passé (al. 2).

1.5.1. Selon l'art. 85 al. 4 let. a CPP, un prononcé est réputé notifié lorsque, expédié par lettre signature, il n'a pas été retiré dans les sept jours à compter de la tentative infructueuse de remise du pli, si la personne concernée devait s'attendre à une telle remise.

La personne concernée ne doit s'attendre à la remise d'un prononcé que lorsqu'il y a une procédure en cours qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, à savoir de faire en sorte, entre autres, que les décisions relatives à la procédure puissent leur être notifiées. Le devoir procédural d'avoir à s'attendre avec une certaine vraisemblance à recevoir la notification d'un acte officiel naît avec l'ouverture de la procédure et vaut pendant toute sa durée. Il est admis que la personne concernée doit s'attendre à la remise d'un prononcé lorsqu'elle est au courant qu'elle fait l'objet d'une instruction pénale au sens de l'art. 309 CPP. Un prévenu informé par la police d'une procédure préliminaire le concernant, de sa qualité de prévenu et des infractions reprochées, doit se rendre compte qu'il est partie à une procédure pénale et donc s'attendre à recevoir, dans ce cadre-là, des communications de la part des autorités, y compris un prononcé. De jurisprudence constante, celui qui se sait partie à une procédure judiciaire et qui doit dès lors s'attendre à recevoir notification d'actes du juge, est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins. À ce défaut, il est réputé avoir eu, à l'échéance du délai de garde, connaissance du contenu des plis recommandés que le juge lui adresse. Une telle obligation signifie que le destinataire doit, le cas échéant, désigner un représentant, faire suivre son courrier, informer les autorités de son absence ou leur indiquer une adresse de notification (ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 p. 33 ; 141 II 429 consid. 3.1 p. 431 s. ; 139 IV 228 consid. 1.1 p. 230).

1.5.2. En matière de circulation routière, un courrier officiel visant à identifier le conducteur responsable, tout en indiquant que ce dernier serait déféré à l'autorité compétente, n'est pas suffisant, en l'absence de toute audition, y compris par la police, pour retenir l'existence d'un rapport juridique de procédure pénale suffisamment clair pour que le destinataire doive s'attendre à se voir directement notifier une ordonnance pénale. La fiction de notification prévue à l'art. 85
al. 4 CPP ne s'applique pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1154/2021 du
10 octobre 2022 consid. 1.3).

1.6. En l'espèce, au vu de cette jurisprudence, il est douteux que l’ordonnance pénale dont la révision est demandée ait pu valablement entrer en force, la fiction de notification prévue par l'art. 85 al. 4 let. a CPP ne trouvant a priori pas application. En effet, le demandeur n'a à aucun moment été entendu dans le cadre de la procédure pénale dirigée à son encontre.

En tout état, le demandeur a fait opposition à l'ordonnance pénale querellée, tout en demandant en parallèle la révision de celle-ci. Le MP ayant transmis cette opposition, qu’il considère tardive, à l’autorité compétente, la décision litigieuse n'apparaît ainsi pas définitive de sorte que la demande en révision semble d'emblée irrecevable.

La demande en révision doit ainsi être qualifiée d'irrecevable, faute d'un jugement entré en force ; la cause est renvoyée au MP pour qu'il statue sur l'opposition du demandeur.

2. Vu l'issue de la procédure, les frais seront laissés à la charge de l’État.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare irrecevable la demande en révision formée par A______ contre l'ordonnance pénale OPMP/4389/2023 rendue le 19 mai 2023 par le Ministère public dans la procédure P/6418/2023.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l’État.

Renvoie la cause au Ministère public pour suite à donner au sens des considérants.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, à l'Office cantonal des véhicules.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.