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Décisions | Tribunal pénal

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P/6238/2018

JTDP/916/2022 du 21.07.2022 sur OPMP/5902/2021 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.138
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 11


21 juillet 2022

 

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur A______, domicilié ______[VD], partie plaignante, assisté de Me B______

Monsieur C______, domicilié ______[VD], partie plaignante, assisté de Me B______

contre

Madame X______, née le ______1945, domiciliée ______, FRANCE, prévenue, assistée de Me D______


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut au maintien de son ordonnance pénale, à ce que X______ soit condamnée à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 500.- avec un sursis de 3 ans, à ce que les parties plaignantes soient renvoyées à agir par la voie civile s'agissant de leurs prétentions civiles, à ce que X______ soit condamnée à payer à A______ et C______ un montant de CHF 9'267.60 à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure ainsi qu'au paiement des frais de la procédure.

A______ et C______, par la voix de leur Conseil, concluent à un verdict de culpabilité et à ce qu'il soit donné une suite favorable aux conclusions civiles déposées ce jour, lesquelles comprennent également une demande d'indemnité au sens de l'art. 433 CPP.

X______, par la voix de son Conseil, conclut à son acquittement, à ce qu'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP lui soit allouée conformément à l'état de frais déposé et au rejet des conclusions civiles et en indemnisation formées par les parties plaignantes.

*****

Vu l'opposition formée le 1er juillet 2021 par X______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 23 juin 2021;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Ministère public du 12 juillet 2021;

Vu l'art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lequel le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

EN FAIT

A.           Par ordonnance pénale du 23 juin 2021, qui tient lieu d'acte d'accusation, il est reproché à X______, une infraction d'abus de confiance (art. 138 ch. 1 CP), pour s'être, à Genève, entre le 6 janvier 2009 et le 29 septembre 2010, appropriée sans droit le solde du compte bancaire 1______, ouvert dans les livres de la banque E______, dont elle était co-titulaire avec feu F______, décédé le ______ 2009, soit CHF 90'843.40, en ordonnant, le 17 septembre 2010, le transfert du solde dudit compte d'un montant de CHF 70'000.- sur son propre compte bancaire afin de s'enrichir illégitimement au préjudice de l'hoirie d'F______.

A cet égard, le Ministère public a indiqué dans son ordonnance pénale que : « [X______] connaissait l'existence des héritiers réservataires ainsi que du dernier testament de feu son compagnon, lequel lui léguait uniquement une somme de CHF 30'000.-. Il convient en sus de relever que toutes les opérations effectuées du vivant d'F______ sur le compte 1_____ ont pu, compte tenu de leur communauté de vie, profiter à X______, de sorte qu'on ne peut en tirer aucune conclusion s'agissant de la titularité économique des avoirs restants. Elle ne pouvait ainsi ignorer que l'argent du compte précité faisait partie des actifs de la succession du défunt, à tout le moins qu'il devait être comptabilité en vue de la liquidation de la succession et qu'il lui appartenait de prouver en être l'ayant-droit économique, ce avant de l'incorporer à son propre patrimoine. »

B.            Les faits suivants ressortent du dossier :

Contexte

a.a. X______ a partagé sa vie avec F______ de 1989 jusqu'au décès de ce dernier le ______ 2009.

a.b. Le 21 août 1999, F______ a déposé auprès de la Justice de paix un testament, dans lequel il léguait à son décès CHF 30'000.- à X______ « en récompense des services rendus des années durant pour [son] entretien personnel et les assistances à [ses] ennuis de santé, de même que pour l'aide pour l'entretien à la maison ».

a.c. Il ressort du certificat d'héritiers du ______ 2010, établi par la Justice de paix du district du Gros-de-Vaud, que les héritiers de feu F______ étaient son épouse, G______, décédée le ______ 2016, et ses fils C______ et A______, nés les ______ 1956 et ______ 1958.

a.d. Dans le cadre des démarches effectuées en lien avec la succession de leur père, notamment concernant la procédure d'annonce spontanée effectuée auprès de l'Administration fiscale cantonale, C______ et A______ ont découvert l'existence d'un compte bancaire n°1______ que leur père détenait en cotitularité avec X______ auprès de la banque E______, anciennement la EA_____. A cet égard, ils ont pu constater que, depuis le décès de leur père, X______, qui leur avait indiqué dans un premier temps ignorer l'existence d'un tel compte, s'est vu transférer le solde des avoirs se trouvant sur ce compte, sans en informer les héritiers de feu F______, de même que les autorités civiles ou fiscales. C______ et A______ ont dès lors déposé plainte pénale à l'encontre de l'intéressée le 3 avril 2018, cette dernière s'étant appropriée, sans droit, des avoirs appartenant à la masse successorale de feu F______.

Eléments en lien avec le compte bancaire n°1______

b.a. Le 1er avril 1994, F______ a ouvert, auprès de la banque E______, un compte bancaire n°1______.

X______, de même qu'H______, avaient une procuration individuelle sur ce compte.

b.b. Le 22 août 1994, le compte bancaire en question a fait l'objet de nouveaux titulaires, de sorte que les documents d'ouverture de compte du 1er avril 1994 ont été annulés au profit de nouveaux documents, dans lesquels il était mentionné qu'F______ et X______ étaient désormais co-titulaires du compte n°1______ et les ayants droit économiques des avoirs s'y trouvant.

F______, X______ et H______ disposaient d'une procuration individuelle sur ce compte.

b.c. A cette occasion, une convention de solidarité a été signée entre F______, X______ et E______.

L'article de 2 de ladite convention avait la teneur suivante :

« Sans qu'il soit nécessaire de requérir le concours ou le consentement des autres déposants, tout déposant est solidairement autorisé à disposer librement et en tout temps du dépôt joint et du ou des compte(s) joint(s), soit en totalité, soit en partie; il peut en particulier augmenter à son gré, réduire ou mettre en gage le dépôt et le compte, en opérer le retrait intégral et en donner seul quittance valable, échanger certains titres contre d'autres et, d'une façon générale, agir comme s'il était seul propriétaire. Les déposants reconnaissent par conséquent d'avance comme valable pour chacun d'eux toutes opérations traitées, toutes quittances, toutes ratifications ou mandats donnés par l'un d'entre eux relativement au dépôt et aux comptes joints, ainsi que toutes communications de la Banque, même adressées à un seul déposant. »

A son article 4 la convention prévoyait qu'« au cas où l'un des déposants ou l'héritier d'un de ceux-ci attaquerait la Banque en restitution du dépôt conjoint ou du solde du compte joint ou lui interdirait expressément d'exécuter les dispositions d'autre déposant, la Banque ne peut plus donner suite qu'aux dispositions prises d'un commun accord par tous les déposants ou leurs ayants-droit. »

b.d. Le compte n°1______ a été clôturé le 29 septembre 2010 à la demande téléphonique de X______ le 17 septembre 2010 pour des raisons successorales. Douze mois avant la clôture du compte, les avoirs de celui-ci totalisaient CHF 90'000.- et s'élevaient à la clôture du compte à CHF 70'000.-.

c. Il ressort plus particulièrement des relevés bancaires du compte en question les éléments suivants :

- au 17 juin 2008, le portefeuille n°2______ présentait un solde de CHF 210'742.25 ;

- le 18 juin 2008, F______ a transféré pour CHF 120'222.45 du portefeuille n°2_____ sur le compte bancaire n°3______ ouvert au nom de ce dernier ;

- au 31 décembre 2008, le portefeuille n°2______ présentait un solde de CHF 90'843.40 dont des obligations et placements à court terme d'une valeur totale de CHF 88'060.40 et des liquidités d'une valeur totale de CHF 2'783.- ;

- au 31 décembre 2009, le portefeuille n°2______ présentait un solde de CHF 100'693.30 dont des obligations d'une valeur totale de CHF 64'851.05 et des liquidités d'une valeur totale de CHF 35'842.25 ;

- au 31 décembre 2009, le compte investissement n°4_____ présentait un solde de CHF 4'967.- ;

- au 31 décembre 2009, le compte courant n°5_____ présentait un solde d'EUR 20'790.- ;

- le 22 septembre 2010, EUR 20'276.17 ont été débités du compte courant n°5_____en faveur du compte courant n°10.160439_0 100 EUR dont était titulaire X______ ;

- le 22 septembre 2010, CHF 1'294.37 ont été débités du compte investissement n°4_____en faveur du compte investissement n°6_____ dont était titulaire X______.

Déclarations de X______

d. X______ a contesté les faits qui lui sont reprochés et a expliqué avoir fait la connaissance d'F______ en 1988. Suite au décès de sa maman à Nice et n'ayant plus de parent, le précité lui avait proposé de venir vivre en Suisse pour y travailler, ce qu'elle avait accepté.

Ainsi, dès 1989, elle avait débuté un emploi dans un laboratoire homéopathique à Lausanne. A cette période, elle avait fait la connaissance de G______, épouse d'F______ et handicapée, qui habitait au rez-de-chaussée de leur maison. Cette dernière et F______ étaient séparés, vivant chacun à des étages différents de la maison. Le précité avait également deux enfants, A______, avec lequel il ne s'entendait pas, et C______.

Elle avait par la suite emménagé dans cette maison et était devenue proche d'F______ qui avait partagé sa vie depuis cette époque. Elle s'était investie dans les tâches quotidiennes pour la famille I_____, notamment en s'occupant de faire les courses, de préparer les repas, d'accompagner G______ à ses rendez-vous de médecin ou encore d'assister F______ pour ses affaires courantes, ce dernier disposant de plusieurs appartements dans la maison.

Afin de faciliter leur relation financière, F______ et elle-même avaient décidé d'ouvrir un compte joint qui s'appelait L_____. Ils avaient dès le départ tous les deux la signature sur ce compte qui était utilisé d'une part pour leurs dépenses, et d'autre part pour le cas où il arriverait quelque chose à l'un d'eux. En effet, il était convenu verbalement avec F______ qu'au décès de l'un d'eux, l'autre en conserverait le solde. Ce compte bancaire était alimenté tant par elle-même que par F______ qui l'avait probablement plus alimenté qu'elle. Il n'y avait pas de règle quant au montant mensuel que chacun devait verser. Tous les deux procédaient à des retraits du compte pour l'entretien du ménage, même si la plupart du temps ils le faisaient ensemble.

Elle avait également un droit d'habitation dans la maison familiale. Cependant, suite au décès d'F______, elle avait décidé de retourner vivre à Evian, renonçant à son droit d'habitation, et avait, en accord avec l'épouse de C______, clôturé le compte bancaire ouvert chez J______ sur lequel elle avait la signature. Elle avait remis le solde à cette dernière.

Elle avait aussi clôturé le compte bancaire joint L_____ en prenant contact avec le gestionnaire du compte, K______, afin de régler les formalités, lesquelles s'étaient déroulées sans problème, le solde du compte ayant été versé en sa faveur sur un compte ouvert à Yverdon-les-Bains. En effet, le précité savait que le compte bancaire était commun et qu'au décès d'un des titulaires, l'autre en récupérerait le solde. A la clôture du compte, il y avait CHF 69'000.-. Elle n'avait pas avisé les héritiers de l'existence de ce compte, dès lors qu'il ne concernait pas ces derniers et que c'était indépendant de la succession de feu F______. Elle avait utilisé une partie des fonds transférés pour ses dépenses courantes et la réorganisation de sa vie à Evian, l'autre partie étant toujours en sa possession, ignorant toutefois combien il lui restait, dans la mesure où elle avait réparti la somme sur plusieurs comptes bancaires en sa possession. Elle ignorait comment elle avait régularisé ce compte en France.

Elle avait été surprise qu'en 2017, A______ lui reproche d'avoir fait clôturer ce compte et d'avoir récupéré le solde de celui-ci. Elle avait dit qu'elle ne connaissait pas l'établissement E______, ignorant que cet établissement avait repris la EA______.

C.           X______, ressortissante française, est née le _____ 1945. Elle est célibataire, sans enfant et retraitée.

Elle perçoit des rentes vieillesse en Suisse et en France de l'ordre de CHF 2'000.- par mois. Son loyer est de EUR 900.- par mois. Elle s'acquitte également de sa prime d'assurance maladie mensuelle de EUR 140.-. Elle n'a pas de dettes et dispose d'une fortune d'un montant de EUR 650'000.-.

Elle n'a pas d'antécédents judiciaires en Suisse.

 

EN DROIT

Culpabilité

1.             Le principe de l'accusation est consacré à l'art. 9 CPP, mais découle aussi des art. 29 al. 2 Cst., 32 al. 2 Cst. et 6 par. 1 et 3 let. a et b CEDH. Selon ce principe, l'acte d'accusation définit l'objet du procès (fonction de délimitation). Il doit décrire les infractions qui sont imputées au prévenu de façon suffisamment précise pour lui permettre d'apprécier, sur les plans subjectif et objectif, les reproches qui lui sont faits. Le principe d'accusation vise également à protéger le droit à une défense effective et le droit d'être entendu (fonction d'information). Le contenu de l'acte d'accusation doit ainsi permettre au prévenu de s'expliquer et préparer efficacement sa défense (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1180/2020 du 10 juin 2021, consid. 1.1).

L'art. 9 al. 2 CPP réserve la procédure de l'ordonnance pénale, qui en cas de maintien de l'ordonnance pénale à la suite d'une opposition, a pour conséquence de la transformer en acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP). L'ordonnance pénale doit dès lors contenir tous les éléments, notamment factuels, requis pour un acte d'accusation afin de satisfaire aux exigences de la maxime d'accusation (art. 325 CPP) (Y. JEANNERET / A. KUHN, Précis de procédure pénale, Berne 2018, 2ème édition, n°4024, p. 58).

L'acte d'accusation désigne le plus brièvement possible, mais avec précision, les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur (art. 325 al. 1 let. f CPP).

En d'autres termes, l'acte d'accusation doit contenir les faits qui, de l'avis du ministère public, correspondent à tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée à l'accusé. Le tribunal est lié par l'état de fait décrit dans l'acte d'accusation, mais peut s'écarter de l'appréciation juridique qu'en fait le ministère public (art. 350 al. 1 CPP), à condition d'en informer les parties présentes et de les inviter à se prononcer (art. 344 CPP) (arrêt du Tribunal fédéral 6B_655/2021 du 22 décembre 2021, consid. 3.1).

2.             Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 § 2 CEDH et, sur le plan interne, par l'art. 32 al. 1 Cst. et l'art. 10 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

En tant que règle relative au fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie que toute personne prévenue d'une infraction pénale doit être présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit légalement établie et, partant, qu'il appartient à l'accusation de prouver la culpabilité de l'intéressé. La présomption d'innocence est violée si le juge du fond condamne l'accusé au motif que son innocence n'est pas établie, s'il a tenu la culpabilité pour établie uniquement parce que le prévenu n'a pas apporté les preuves qui auraient permis de lever les doutes quant à son innocence ou à sa culpabilité ou encore s'il a condamné l'accusé au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88, 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Cela étant, le juge du fond ne peut retenir un fait défavorable à l'accusé que s'il est convaincu de la matérialité de ce fait, de sorte que le doute profite à l'accusé (ATF 120 Ia 31 consid. 2c p. 37).

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a; 124 IV 86 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c).

3.         3.1.1. L'art. 138 ch. 1 CP sanctionne d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire le comportement de celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée (al. 1), ou de celui qui, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées (al. 2).

3.1.2. Sur le plan objectif, l'infraction suppose qu'une valeur ait été confiée, soit que l'auteur ait acquis la possibilité d'en disposer, mais que, conformément à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé ; en d'autres termes, qu'il l'ait reçue à charge pour lui d'en disposer au gré d'un tiers, notamment de la conserver, de la gérer ou de la remettre. Le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée. La propriété n'est ainsi pas protégée, mais le droit de celui qui a confié la valeur patrimoniale à ce que celle-ci soit utilisée dans le but assigné et conformément aux instructions données (ATF 143 IV 297 consid. 1.3 ; 133 IV 21 consid. 6.2 ; 129 IV 257 consid. 2.2.1).

3.1.3. Du point de vue subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime ou de procurer à un tiers un tel enrichissement (ATF 118 IV 27 consid. 2a). Ce dessein peut être réalisé par dol éventuel (ATF 133 IV 21 consid. 6.1.2).

3.1.4. S'agissant des rapports entre les héritiers et le co-titulaire survivant d'un compte joint, en l'absence d'une clause d'exclusion des héritiers, la relation de compte joint perdure entre le co-titulaire survivant et la communauté héréditaire du défunt. En fonction du rapport interne (contrat de base) qui le liait au défunt et le lie désormais à ses héritiers, il appartient en principe au fondé de procuration d'informer les héritiers de l'existence de ce contrat et d'obtenir de leur part une confirmation de ses pouvoirs (C. BRETTON-CHEVALLIER / N. MEGEVAND, La banque face aux demandes de renseignements des héritiers - Aspects contractuels, successoraux et de droit international privé, in NOT@LEX, 2011, pp. 134 et 135).

Le titulaire survivant acquiert certes le droit de disposer des actifs à l'égard de la banque; cette circonstance ne le libère pas des obligations qu'il peut avoir à l'égard des héritiers du défunt en ce qui concerne ces actifs, compte tenu des rapports juridiques que les titulaires entretenaient entre eux (C. LOMBARDINI, Secret bancaire et droit à l'information des héritiers, in NOT@LEX, 2012, p. 102).

3.2. A titre liminaire, le Tribunal relève que si l'ordonnance pénale, valant acte d'accusation, indique le fait que la prévenue s'est appropriée sans droit des valeurs patrimoniales de feu F______ alors que celles-ci aurait dues revenir à la masse successorale, ce qu'elle savait, celle-ci ne décrit pas en quoi les avoirs transférés par la prévenue du compte joint sur son compte personnel constituaient des valeurs patrimoniales confiées que la prévenue aurait utilisées contrairement aux instructions reçues. Cet élément est corroboré aussi par le fait que le Ministère public précise dans son ordonnance pénale qu'il n'est pas possible de déterminer la titularité économique des avoirs, puisque « toutes les opérations effectuées du vivant d'F______ sur le compte 1_____ ont pu, compte tenu de leur communauté de vie, profiter à X______ ».

Ainsi, de l'avis du Tribunal, l'ordonnance pénale ne satisfait pas les exigences posées par la jurisprudence quant au respect de la maxime d'accusation.

Cela étant, l'abus de confiance commis au préjudice de l'hoirie de feu F______ n'est en tous les cas pas établi, les éléments constitutifs de l'infraction n'étant pas réalisés.

Il ressort des éléments retenus en fait que la prévenue et feu F______ étaient co-titulaires d'un compte bancaire joint n°1______ ouvert auprès de E______ et les ayants droit économiques des avoirs se trouvant sur ce compte. En revanche, aucun accord n'a été ratifié entre ces derniers auprès de la banque conférant un usage déterminé des avoirs se trouvant sur le compte bancaire en question. Au contraire, la convention de solidarité signée le 22 août 1994 met en évidence le fait que chacun des titulaires pouvaient en disposer comme bon lui semblait, aucune restriction quant au but et à l'usage de ces fonds n'ayant été prévue. Ces éléments viennent corroborer les déclarations de la prévenue, selon lesquelles ce compte était utilisé pour les dépenses courantes du couple et qu'au décès de l'un d'eux, l'autre pouvait en récupérer le solde. De plus, aucune clause déterminant le but et l'usage de ces avoirs au décès d'un des titulaires du compte n'était prévue que ce soit dans ladite convention ou dans une convention ultérieure.

Le Tribunal relève également que si le testament du 22 août 1999 de feu F______ prévoyait que la prévenue hériterait uniquement de CHF 30'000.-, cela ne signifiait pas pour autant qu'en prélevant le solde du compte n°1_____, la prévenue se soit appropriée sans droit plus de CHF 30'000.- appartenant à feu F______, respectivement à son hoirie, dans la mesure où il n'est pas possible de déterminer la titularité économique des avoirs restants sur ce compte, ce que relève à juste titre le Ministère public.

Il ne peut dès lors pas y avoir de valeurs patrimoniales confiées à la prévenue au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP.

Sur cette base, la prévenue était en droit de transférer le solde des avoirs de ce compte joint sur son compte personnel. En revanche, le fait que la prévenue n'ait pas averti l'hoirie de feu F______ de l'existence de ce compte qu'elle a clôturé relève d'une problématique de droit civil qu'il n'appartient pas au Tribunal pénal de trancher.

Ainsi, la prévenue sera acquittée du chef d'abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP.

Conclusions civiles

4. 4.1.1. La partie plaignante peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale (art. 122 al. 1 CPP), l'autorité judiciaire saisie de la cause pénale jugeant les conclusions civiles indépendamment de leur valeur litigieuse (art. 124 al. 1 CPP).

En vertu de l'art. 126 al. 1 let. a et b CPP, le tribunal statue sur les prétentions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu ou lorsqu'il acquitte le prévenu et que l'état de fait est suffisamment établi.

4.1.2. D'une manière générale, en matière de responsabilité civile (art. 41 CO ss) et en tant que les prétentions civiles découlent directement de la commission de l'infraction reprochée au prévenu (art. 122 CPP), si l'acquittement du prévenu résulte de motifs tenant au droit matériel (c'est-à-dire en cas de non-réalisation d'un élément constitutif de l'infraction), alors les conditions d'une action civile par adhésion à la procédure pénale feront défaut et les conclusions civiles devront – en principe – être rejetées (N. JEANDIN / S. FONTANET, CR-CPP, éd. 2019, n°11a, ad. art. 126).

4.2. En l'espèce, les parties plaignantes ont déposé des conclusions civiles tendant au versement de CHF 45'421.- à titre de dommage matériel, correspondant à la moitié du solde du compte n°1_____, arrêté au 31 décembre 2008, montant qui n'est pas suffisamment motivé, dès lors qu'à teneur du dossier, il n'est pas possible de déterminer la titularité économique des avoirs restants sur le compte.

Cela étant, compte tenu de l'acquittement de la prévenue, le Tribunal déboutera les parties plaignantes de leurs conclusions civiles.

Frais et indemnités

5. 5.1.1. A teneur de l'art. 426 al. 1 CP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné. Font exception les frais afférents à la défense d'office; l'art. 135 al. 4, est réservé.

Lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CP).

5.1.2. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Il doit exister un lien de causalité entre son comportement fautif d'un point de vue civil et les frais des actes des autorités qui en ont résulté. La relation de causalité est réalisée lorsque, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement de la personne concernée était de nature à provoquer l'ouverture de la procédure pénale et le dommage ou les frais que celle-ci a entraînés. Le lien de causalité doit être adéquat. S'il fait défaut, la responsabilité à raison des frais n'est pas engagée. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. L'acte répréhensible n'a pas à être commis intentionnellement. La négligence suffit, sans qu'il soit besoin qu'elle soit grossière (J. FONTANA, CR-CPP, éd. 2019, n°2 ad. art. 426).

5.2. En l'espèce, si sous l'angle du droit pénal, aucune infraction ne peut être retenue à l'encontre de la prévenue, sur le plan civil, cette dernière a adopté un comportement fautif. En effet, même si l'intéressée a le droit de disposer des actifs à l'égard de la banque, il n'en demeure pas moins que cela ne la libère pas des obligations qu'elle peut avoir à l'égard de l'hoirie de feu F______ en ce qui concerne ces actifs, compte tenu des rapports juridiques que la prévenue entretenait avec ces derniers en lien avec le compte bancaire n°1______, l'hoirie étant devenue, suite au décès de feu F______, co-titulaire du compte.

Ainsi, la prévenue, ayant provoqué l'ouverture de la procédure pénale, sera condamnée aux frais de celle-ci, qui s'élèvent à CHF 1'362.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 9 al. 1 let. d RTFMP).

6. 6.1.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

6.1.2. A teneur de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité ou la réparation du tort moral lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

Cette disposition est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. Une mise à charge des frais selon l'art. 426 al. 1 et 2 CPP exclut en principe le droit à une indemnisation. La question de l'indemnisation doit être tranchée après la question des frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation. Il en résulte qu'en cas de condamnation aux frais, il n'y a pas lieu d'octroyer de dépens ou de réparer le tort moral (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

6.2. En application de ce qui précède, les conclusions en indemnisation de la prévenue seront rejetées, dans la mesure où son comportement a contribué à l'ouverture de la présente procédure pénale.

7. 7.1. A teneur de l'art. 433 al. 1 let. b CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure si le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP.

7.2. En l'espèce, la prévenue a été acquittée des faits qui lui étaient reprochés, mais a été condamnée au paiement des frais, tel que développé au point 5.2. supra. Cependant, son comportement, certes blâmable et fautif, ne la rend pas pour autant responsable du dommage réclamé par les parties plaignantes qu'elles ont fait valoir en vain dans ladite procédure.

Les parties plaignantes seront dès lors déboutées de leurs conclusions basées sur l'art. 433 CPP.

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale du 23 juin 2021 et l'opposition formée contre celle-ci par X______ le 1er juillet 2021.

et statuant à nouveau contradictoirement :

Acquitte X______ de l'infraction d'abus de confiance (art. 138 ch. 1 CP).

Déboute A______ et C______ de leurs conclusions civiles et de leurs conclusions à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.

Condamne X______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'362.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 2 CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de X______ (art. 430 al. 1 let. a CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

Le Greffier

Laurent FAVRE

Le Président

François HADDAD

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

Etat de frais

Frais du Ministère public

CHF

870.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

90.00

Frais postaux (convocation)

CHF

45.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

1362.00

==========

 

Restitution de valeurs patrimoniales et/ou d'objets

Lorsque le présent jugement sera devenu définitif et exécutoire, il appartiendra à l'ayant-droit de s'adresser aux Services financiers du pouvoir judiciaire (finances.palais@justice.ge.ch et +41 22 327 63 20) afin d'obtenir la restitution de valeurs patrimoniales ou le paiement de l'indemnité allouée, ainsi que, sur rendez-vous, au Greffe des pièces à conviction (gpc@justice.ge.ch et +41 22 327 60 75) pour la restitution d'objets.

 

Notification à X______, soit pour elle son Conseil,
Me D______

Par voie postale

Notification à A______ et C______, soit pour eux leur Conseil,
Me B______
Par voie postale

Notification au Ministère public
Par voie postale