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Décisions | Tribunal pénal

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P/6751/2017

JTDP/760/2022 du 23.06.2022 sur OPMP/9536/2020 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.303
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 12


23 juin 2022

 

MINISTÈRE PUBLIC

Madame A______, domiciliée ______[GE], partie plaignante,

contre

Monsieur X______, né le ______1978, domicilié ______[GE], prévenu


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut au maintien de son ordonnance pénale du 18 novembre 2020.

A______, conclut à un verdict de culpabilité.

X______ conclut à son acquittement.

*****

Vu l'opposition formée le 7 décembre 2020 par X______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 18 novembre 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Ministère public du 2 septembre 2021 ;

Vu l'art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lequel le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

EN FAIT

A.  Par ordonnance pénale du 18 novembre 2020, valant acte d'accusation, il est reproché à X______ une dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 CP), pour avoir, par courrier adressé au Ministère public le 25 janvier 2017, déposé plainte pénale et ainsi provoqué l'ouverture d'une procédure pénale (P/1______/2017) contre son ex-compagne, A______, pour calomnie, dénonciation calomnieuse et induction de la justice en erreur, procédure ayant fait l'objet d'une ordonnance de classement en date du 2 novembre 2020, suite à la condamnation de X______, dans le cadre de la procédure P/2______/2016, pour injure et menaces proférées contre A______[1].

B.  Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:

Chronologie

a.    Le 6 octobre 2016, A______ a déposé plainte pénale pour injure et menaces contre son ex-ami X______, duquel elle était vraisemblablement enceinte. Suite à cette plainte, le Ministère public a ouvert la procédure P/2______/2016.

b.   Le 25 janvier 2017, X______ a fait parvenir au Ministère public une courrier intitulé "Réponse à la plainte [du 6 octobre 2016] de A______ et plainte contre cette dernière pour calomnie, dénonciation calomnieuse et induction de la justice en erreur", décrivant les divers échanges personnels et téléphoniques qu'il avait eus avec A______ – alors enceinte – du 6 août à fin septembre 2016.

Dans cette plainte, X______ explique que le 6 août 2016, il avait accompagné A______ à l'hôpital pour un contrôle gynécologique et s'était occupé des enfants de celle-ci dans la salle d'attente de l'hôpital. Trois jours plus tard, son ex-compagne l'avait informé par message qu'elle serait partie en voyage en Espagne. Durant les vacances, elle lui avait envoyé diverses photographies d'elle sur la plage ou au restaurant avec des amis, ainsi que des photographies de ses enfants qui passaient leurs vacances en France. Le 17 août 2016, il l'avait accompagnée à Rive pour effectuer une échographie. À cette occasion, il l'avait informée du fait qu'il voyait une autre femme, ce à quoi A______ lui avait répondu qu'elle aurait tout fait pour qu'il n'obtienne pas la garde partagée de leur bébé. Le 19 août 2016, son ex-amie l'avait appelé pour lui demander d'aller chercher ses enfants qui rentraient de leurs vacances, ce qu'il avait fait. Le lendemain, celle-ci lui avait écrit un message pour le remercier, mais la discussion avait rapidement tourné lorsqu'il avait évoqué la nécessité d'effectuer un test génétique après la naissance du bébé pour en déterminer la paternité biologique. Dans ce contexte conflictuel, il lui avait adressé le message suivant: "j'ai tout enregistré et je vais t'ouvrir les portes de l'enfer et je dirai à la police et au social toute chose que tu fais", par lequel il ne souhaitait pas la menacer de mort mais simplement lui annoncer qu'elle aurait des problèmes. Après ce jour, il n'avait plus parlé avec A______, mais il avait reçu une convocation de la police pour se prononcer au sujet des "menaces de mort et violences envers A______ et ses enfants le 6 août 2016".

X______ conclut son courrier du 25 janvier 2017 ainsi: "Au vu de ce qui précède et de la fausseté des propos tenus par A______, je vous informe que je dépose contre cette dernière une plainte pénale pour calomnie, dénonciation calomnieuse et induction de la justice en erreur car elle savait pertinemment que le 6 août 2016, je n'avais proféré à son encontre ou à l'encontre de ses enfants aucune menace ni exercé la moindre violence".

La procédure pénale P/1______/2017 a été ouverte à la suite de cette plainte.

c.    Le 17 mars 2017, A______ a déposé plainte pénale contre X______, lui reprochant d'avoir, par son courrier du 25 janvier 2017, déposé une dénonciation calomnieuse à son encontre, l'accusant de s'être elle-même rendue coupable de dénonciation calomnieuse, en portant plainte contre lui le 6 octobre 2016. À teneur de la plainte pénale du 17 mars 2017: "X______ se ser[vai]t de demi-vérités en les présentant sous des apparences mensongères" et "était de mauvaise foi lorsqu'il a déposé ses plaintes [sachant] pertinemment que ses accusations étaient fausses ou exagérées". Le dépôt de cette deuxième plainte pénale contre X______ a provoqué l'ouverture de la présente procédure.

d.   X______ a été condamné du chef d'injure et menaces proférées contre A______ par arrêt du 12 décembre 2019 de la Chambre d'appel et de révision, entré en force le 10 mars 2020, à la suite du rejet du recours déposé au Tribunal fédéral pour cause d'irrecevabilité, ce qui a amené le Ministère public à classer, le 2 novembre 2020, la procédure P/1______/2017 ouverte contre A______ pour calomnie, dénonciation calomnieuse et induction de la justice en erreur.

Déclarations

e.    Entendu par la police le 26 août 2020, X______ a déclaré qu'il avait déposé plainte pénale contre son ex-compagne puisqu'elle avait menti en l'accusant de menaces.

f.a. À l'audience de confrontation du 15 juin 2021, X______ a réitéré qu'il avait déposé plainte pénale le 25 janvier 2017 car il avait été accusé à tort d'avoir menacé et agressé A______ et la fille de celle-ci. Par cette plaine, il avait voulu démontrer qu'au mois d'août 2016, son ex-amie avait requis son aide et lui avait confié ses enfants, ce qui était incompatible avec les accusations d'agression et menaces qu'elle portait contre lui.

f.b. Lors de la même audience, A______ s'est principalement exprimée au sujet des menaces et injures visées par la procédure P/2______/2016 s'étant soldée par une condamnation de X______[2], ainsi qu'à propos des violences dont elle accusait son ex-ami, qui avaient pourtant fait l'objet d'une non-entrée en matière en date du 12 septembre 2016[3]. Elle a reconnu avoir confié ses enfants à son ex-compagnon courant août 2016 puisqu'elle était dans le besoin, tout en précisant qu'elle n'avait pas confiance en lui et qu'elle s'était adressée à une tierce personne dès qu'elle avait pu.

C.a. À l'audience de jugement, X______ a expliqué que, par le dépôt de sa plainte pénale du 25 janvier 2017, il entendait informer les autorités du fait que les accusations dont il faisait l'objet étaient fausses. Il avait rédigé le courrier du 25 janvier 2017 avec l'aide d'un ami qui maîtrisait le français mieux que lui et qui lui avait conseillé de déposer plainte pénale. En réalité, il souhaitait contester les faits qui lui étaient reprochés suite à la plainte déposée le 6 octobre 2016, à savoir les menaces de mort dont l'accusait son ex-compagne. Il a ajouté qu'il s'était agi d'un malentendu et qu'il n'entendait pas être condamné deux fois pour les mêmes faits.

b. A______ a confirmé sa plainte pénale et ajouté que son ex-compagnon l'avait frappée lorsqu'elle était enceinte. Rendue attentive au fait que la présente procédure portait uniquement sur le courrier adressé par X______ au Ministère public le 25 janvier 2017, elle a ajouté que celui-ci continuait à "dire des choses fausses" sur son compte.

D.  X______, ressortissant suisse, est né le ______1978 à ______ [Egypte]. Il est divorcé et père de deux enfants. Il ne travaille pas et subvient à ses besoins grâce à l'aide de l'Hospice général. Il a des dettes à hauteur d'environ CHF 8'000.-.

A teneur de son casier judiciaire, X______ a été condamné le 12 décembre 2019 par la Chambre pénale d'appel et de révision de Genève, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 10.- avec sursis durant 3 ans pour injure et menaces.

 

EN DROIT

1.1.1. L'art. 303 ch. 1 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui aura dénoncé à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'il savait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale.

1.1.2. Une dénonciation n'est calomnieuse que si la personne mise en cause est innocente. Est innocente, la personne qui n'a pas commis les faits délictueux qui lui sont faussement imputés. Est également considérée comme innocente la personne dont l'innocence – sous réserve d'une reprise de la procédure – a été constatée avec force de chose jugée par une décision de non-lieu ou d'acquittement. Il est en effet dans l'intérêt de la sécurité du droit qu'une décision ayant acquis force de chose jugée ne puisse plus être contestée dans une procédure ultérieure. Un précédent jugement ou une décision d'acquittement ne lie toutefois le juge appelé à statuer sur l'infraction de dénonciation calomnieuse dans une nouvelle procédure que pour autant que cette première décision renferme une constatation sur l'imputabilité d'une infraction pénale à la personne dénoncée. Dans la mesure où la précédente procédure a été classée pour des motifs d'opportunité (art. 54 CP), cela n'empêche pas le juge appelé à statuer sur l'infraction de dénonciation calomnieuse, de statuer à nouveau sur la culpabilité de la personne dénoncée (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1289/2018 du 20 février 2019 consid. 1.2.1). La fausseté de l'accusation doit en principe être établie par une décision qui la constate, qu'il s'agisse d'un acquittement, d'un non-lieu ou d'un classement, le juge de la dénonciation calomnieuse étant lié par cette décision (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 et 2.2).

1.1.3. Selon une partie de la doctrine, n'est pas punissable celui qui, faisant usage de ses droits procéduraux de défense, conteste les accusations qui pèsent sur lui en accusant son dénonciateur d'avoir menti et de l'avoir accusé à tort. En revanche, celui qui dépasse le cadre de ses droits procéduraux déposant une plainte pour dénonciation calomnieuse contre son dénonciateur, encourt le risque de se rendre lui-même coupable de cette infraction (Schweizerisches Strafgesetzbuch, Trechsel/Pieth, art. 303 N 10).

1.1.4. L'élément constitutif subjectif de l'infraction exige l'intention et la connaissance de la fausseté de l'accusation. L'auteur doit savoir que la personne qu'il dénonce est innocente. Par conséquent, il ne suffit pas que l'auteur ait conscience que ses allégations pourraient être fausses. Il doit savoir que son accusation est inexacte. Le dol éventuel ne suffit donc pas (ATF 136 IV 170 consid. 2.1). La preuve de l'intention de l'auteur doit être soumise à des exigences élevées (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 137-292 StGB, 4ème éd., Bâle 2019, n. 43 ad art. 303 CP). Ainsi, celui qui dépose une dénonciation pénale contre une personne ne se rend pas coupable de dénonciation calomnieuse, du fait que la procédure pénale ouverte consécutivement à la dénonciation est classée. L’infraction n’est réalisée que si l’innocence de la personne dénoncée a été constatée dans une procédure précédente. Cependant, cette décision, lorsqu'elle existe, n'empêche pas celui qui doit répondre d'une dénonciation calomnieuse d'expliquer pourquoi, selon lui, le dénoncé avait adopté un comportement fautif et d'exciper de sa bonne foi (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 et 2.2 ; JdT 2011 IV p. 102). Par ailleurs, l'auteur doit agir en vue de faire ouvrir une poursuite pénale contre la personne qu'il accuse injustement. Le dol éventuel suffit quant à cette volonté de faire ouvrir une poursuite pénale (ATF 85 IV 83).

1.2.1. En l'espèce, il est établi que la plainte pénale déposée par le prévenu le 25 janvier 2017 visait une personne – la plaignante – s'étant avérée innocente. Son innocence est en effet établie sur la base de l'ordonnance de classement du 2 novembre 2020, rendue après que l'instruction complète de la cause a conduit à la condamnation du prévenu des chefs de menaces et d'injure, confirmant ainsi la véracité des propos tenus par A______ dans le cadre de sa plainte pénale.

1.2.2. Néanmoins, le Tribunal considère que le courrier adressé par le prévenu au Ministère public le 25 janvier 2017 ne dénonce pas de faits constitutifs des infractions visées dans son intitulé. En effet, le prévenu se contente dans son courrier de contester les faits dont il était lui-même accusé dans le cadre de la procédure P/2______/2016, sans véritablement dénoncer un comportement fautif et contraire à la loi de la plaignante. Faute de faits délictuels ou criminels dénoncés à l'autorité de poursuite pénale, le prévenu ne saurait s'être rendu coupable de dénonciation calomnieuse. La mention d'un simple intitulé ne saurait à elle seule être considérée comme une dénonciation calomnieuse, en l'absence de description factuelle d'un quelconque élément constitutif de l'infraction.

1.2.3. Compte tenu de ce qui précède et du contexte fortement conflictuel ayant amené les parties à déposer trois plaintes pénales l'un contre l'autre en moins de 6 mois, l'on ne saurait retenir que le prévenu entendait, par sa plainte du 25 janvier 2017, mettre en cause une personne qu'il savait innocente. Il sera dès lors acquitté du chef d'accusation de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 CP).

2. Vu l'issue de la procédure, les frais seront laissés à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition  :

Déclare valables l'ordonnance pénale du 18 novembre 2020 et l'opposition formée contre celle-ci par X______ le 7 décembre 2020.

Et, statuant à nouveau contradictoirement :

Acquitte X______ de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 CP).

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

 

La Greffière

Séverine CLAUDET

Le Président

Antoine HAMDAN

 

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

 

Etat de frais

Frais du Ministère public

CHF

760.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

90.00

Frais postaux (convocation)

CHF

42.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

1249.00

==========

 

 



[1] Arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (AARP/439/2019) du 12 décembre 2019, entré en force le 10 mars 2020, à la suite du rejet du recours de X______ par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_147/2020, rendu le 3 mars 2020).

[2] AARP/439/2019 du 12 décembre 2019, entré en force le 10 mars 2020.

[3] ONMMP1______/2016 du 12 septembre 2016.