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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1166/2021

JTAPI/1100/2021 du 01.11.2021 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : IMPÔT SUR LA FORTUNE;ACTION(PAPIER-VALEUR);VALEUR FISCALE;PROCÉDURE D'ESTIMATION
Normes : LIPP.47.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1166/2021 ICC

JTAPI/1100/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 1er novembre 2021

 

dans la cause

 

Madame A______et Monsieur B______, représentés par Mes Stanislas CRAMER et Frédéric NEUKOMM, avocats, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige porte sur la taxation cantonale 2017 de Madame A______et Monsieur B______.

2.             C______ SA est une société holding et son but consiste en « prise et gestion de participations à d'autres entreprises, y compris prise de participations dans des sociétés immobilières en Suisse, et détention de biens immatériels, dans le respect des dispositions de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger ».

C______ SA détient notamment la totalité de D______ SA, laquelle a pour but : « prestations de service dans le domaine des ressources humaines, de la gestion financière, de l'administration générale, des services généraux ainsi que toute autre activité en relation avec ces domaines ». Cette dernière société est tombée en faillite le 1______ 2020 et a été radiée du Registre du commerce le 2______ 2021.

3.             Dans leur déclaration fiscale 2017, les contribuables ont mentionné la valeur de leurs participations dans C______ SA et dans D______ SA pour un montant respectif de CHF 4'200'000.- et de CHF 50'000.-.

4.             Par bordereau d’ICC daté du 17 septembre 2020, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé les contribuables pour l’année 2017 en arrêtant la valeur des titres susmentionnés à respectivement CHF 9'245'000.- et CHF 34'500.-. Pour évaluer ces participations, elle s’est fondée sur la circulaire n° 28 de la conférence suisse des impôts intitulée « instructions concernant l'estimation des titres non cotés en vue de l'impôt sur la fortune » (ci-après : la circulaire n° 28).

5.             Le 16 octobre 2020, les contribuables ont élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau.

La valeur fiscale de C______ SA était manifestement erronée. En vue de son estimation, l’AFC-GE avait évalué sa filiale D______ SA à hauteur de CHF 6'215'900.-. Or, cette dernière société avait réalisé des pertes importantes dès 2010.

L’AFC-GE l’avait considérée comme une société auxiliaire et l’avait taxée en retenant comme assiette fiscale une marge de 7 % sur ses charges. Puisqu’elle ne disposait pas des liquidités nécessaires pour acquitter ses impôts déterminés sur la base d’un statut qui ne correspondait pas à la réalité économique, ses dirigeants avaient été contraints de déposer le bilan.

6.             Par décision du 1er mars 2021, l’AFC-GE a rejeté la réclamation et confirmé sa taxation, retenant que la valeur des participations litigieuses avait été fixée en application de la circulaire n° 28.

7.             Par acte du 31 mars 2021, les contribuables ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision en concluant à ce que, pour le calcul de la valeur des actions de C______ SA, il ne soit pas pris en considération celle des titres de D______ SA, dissoute pour cause de faillite.

En 2012, une restructuration du groupe était intervenue, qui avait pour objet d’accorder le statut de holding à C______ SA, qui devrait détenir principalement deux filiales d’exploitation, E______ SA et F______ SA, ainsi qu’une société assurant les services transversaux, D______ SA. La demande de statut de holding avait été acceptée par l’AFC-GE le 28 janvier 2013.

Le 17 octobre 2014, l’AFC-GE avait accordé à D______ SA le statut de société de services, imposant une marge minimale de 7 % sur ses coûts d’exploitation. Lors d’un contrôle mené par l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) auprès de D______ SA portant sur les prix de transferts entre cette société et les autres entités du groupe, l’AFC-CH avait considéré que les pertes enregistrées étaient économiquement justifiées et les prix pratiqués par D______ SA pour des prestations à F______ SA, conforme au marché. En revanche, en taxant D______ SA d’office, l’AFC-GE n’avait pas admis ces pertes et avait appliqué sur celles-ci une marge de 7 %. F______ SA avait perdu son principal client, plaçant le groupe dans de réelles difficultés et D______ SA avait été contrainte de déposer le bilan. Dès lors, la valeur de C______ SA retenue par l’AFC-GE ne correspondait pas à la réalité économique.

8.             Dans sa réponse du 5 juillet 2021, l’AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours.

C______ SA, société holding, avait été évaluée sur la base de sa valeur substantielle et les participations qu’elle détenait, en se fondant sur leur activité effective. D______ SA étant une société de services, elle devait être estimée en tenant compte de la moyenne pondérée entre sa valeur substantielle et sa valeur de rendement doublée. S’agissant de cette dernière, l’AFC-GE avait capitalisé le bénéfice net de cette société des exercices 2014, 2015 et 2016, ressortant des avis de taxation.

Il ne pouvait être tenu compte de la faillite de D______ SA prononcée le 1______ 2020, car il s’agissait d’un événement postérieur à l’exercice en cours.

L’AFC-GE admettait toutefois d’effectuer une estimation selon une méthode postnumerando. La valeur de la participation des contribuables dans C______ SA était ramenée à CHF 7'200'000.-, comprenant une estimation des titres de D______ SA s’élevant à CHF 4'269'000.-. Pour obtenir la valeur de rendement de cette société, elle avait capitalisé le bénéfice net des années 2015, 2016 et 2017.

Un tableau explicatif du calcul de la valeur de D______ SA était produit.

9.             Par réplique du 30 août 2021, les contribuables ont maintenu leur recours.

L’AFC-GE avait procédé à un ajustement du bénéfice de D______ SA en appliquant une approche « cost plus 7 % » sur ses charges. Au cours de la période concernée par le rappel d’impôt, elle avait rendu des services exclusivement à deux sociétés, à savoir F______ SA et G______ SA, détenue à 49 % par H______ SA, donc une société tierce par rapport à D______ SA. Dans sa décision de procéder à un ajustement du bénéfice de cette société, l’AFC-GE n’avait pas indiqué à quelle société aurait dû être refacturée l’insuffisance de marge. La seule solution correcte consistait à considérer que l’insuffisance de marge était due au fait que F______ SA avait sous-rémunéré D______ SA pour ses services.

Puisque D______ SA et F______ SA étaient toutes deux intégralement détenues par H______, augmenter le bénéfice de D______ SA ne pouvait que réduire d’autant celui de F______ SA, mais sans toutefois que cette opération comptable n’ait d’incidence économique sur la valeur du groupe.

10.         Dans sa duplique du 21 septembre 2021, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse. Un ajustement du bénéfice de D______ SA avait pour effet de réduire d’autant la valeur de la société du groupe à qui l’insuffisance de marge avait été refacturée, le patrimoine de la holding demeurant identique. Amputer le bénéfice de F______ SA, resterait toutefois sans incidence sur la valeur de cette société, étant donné que la valeur de rendement de cette dernière société était nulle.

11.         Par mémoire du 4 octobre 2021, les recourants ont fait valoir qu’il était arbitraire de considérer que le fait d’ajuster le bénéfice de l’une des sociétés sous-jacentes de la holding demeurait sans incidence sur le patrimoine de celle-ci. Le patrimoine des époux ne s’était aucunement amélioré consécutivement à la reprise opérée par l’AFC-GE en 2017.

12.         Par pli du 14 octobre 2021, l’AFC-GE a derechef persisté dans les conclusions de sa réponse.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             Les recourants contestent la valeur des titres de C______ SA retenue par l’AFC-GE. Selon eux, c’est à tort que, dans le cadre de cette estimation, la valeur de sa filiale D______ SA a été arrêtée à CHF 6'215'900.-, cette société étant tombée en faillite. Par ailleurs, les redressements opérés auprès de cette société demeurent sans incidence sur la valeur du groupe, puisqu’une reprise effectuée dans le bénéfice de D______ SA doit conduire à une réduction équivalente de celui de sa société-sœur.

Dans sa réponse, l’AFC-GE a accepté de diminuer la valeur fiscale de C______ SA de CHF 9'245'000.- à CHF 7'200'000.- en tenant compte pour ce faire d’une valeur de D______ SA réduite de CHF 6'215'900.- à CHF 4'269'000.-.

4.             Sont notamment soumis à l'impôt sur la fortune les immeubles, les actions, les obligations, les valeurs mobilières de toute nature et les créances hypothécaires et chirographaires (art. 47 let. a et b de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

5.             La circulaire n° 28 a pour objectif l'estimation uniforme en Suisse, pour l'impôt sur la fortune, des titres nationaux et étrangers qui ne sont négociés dans aucune bourse. Elle sert à l'harmonisation fiscale intercantonale (ch. 1 al. 1). La circulaire a rencontré l’approbation du Tribunal fédéral (arrêts 2C_632/2018 du 29 août 2019 et 2C_583/2013 du 23 décembre 2013).

6.             Les titres d’une société holding pure sont estimés selon la valeur substantielle de la société (ch. 38). Les titres et participations détenus par la société sont estimés selon les chiffres 23 et 24 (ch. 39).

Les titres et participations cotés en bourse doivent figurer au cours de clôture du dernier jour de bourse de la période fiscale correspondante (ch. 23 al. 1). Les titres et participations non cotés sont estimés selon les présentes Instructions, mais au minimum à leur valeur comptable. On peut s'écarter de cette règle dans des cas justifiés (ch. 24 al. 1).

S’agissant de l’évaluation des sociétés commerciales, industrielles et de services, le ch. 34 prescrit que la valeur de l'entreprise résulte de la moyenne pondérée entre la valeur de rendement (ch. 7 à 10) qui est doublée, d’une part, et la valeur substantielle (ch. 11 à 14) déterminée selon le principe de continuation de l’exploitation, d’autre part.

7.             En raison des prescriptions du droit commercial concernant la valeur maximale, la valeur comptable se situe en général en dessous de la valeur vénale. Dans le cas exceptionnel où l’estimation de titres ou de participations non cotés serait inférieure à la valeur comptable, il conviendrait alors de prendre la valeur comptable comme valeur minimale. Cela signifie qu’on ne peut prendre en compte les réserves latentes négatives. Il n’existe aucun motif de s’écarter des valeurs choisies dans le bilan commercial aussi longtemps que celles-ci ne sont pas de manière évidente contraires au droit commercial (commentaire 2020 de la circulaire n° 28 ad ch. 24).

8.             L’art. 58 al. 1 let. a LIFD qui prévoit que le bénéfice net imposable comprend le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent, énonce le principe de l’autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel les comptes, et notamment le compte de résultats, établis conformément aux règles du droit commercial (ou comptable) lient les autorités fiscales à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières (ATF 137 II 353 consid. 6.2). L’autorité du bilan commercial tombe en revanche lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l’exigent (ATF 141 II 83 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_484/2019 du 6 novembre 2019 consid. 7.1). Le principe d’autorité du bilan lie non seulement l’autorité fiscale, mais aussi le contribuable lui-même, qui est tenu par sa comptabilité (autorité formelle du droit comptable ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.1 ; ATA/969/2020 du 29 septembre 2020 consid. 8c).

9.             En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3).

10.         En l’espèce, les recourants ne peuvent être suivis dans leur raisonnement.

Il ne saurait être tenu compte de la faillite de D______ SA, dès lors qu’elle a été prononcée en 2020, soit trois ans après l’année fiscale litigieuse (2017).

Dans le tableau intégré dans sa réponse, l’AFC-GE expose la manière dont elle a déterminé la valeur de D______ SA, ramenée de CHF 6'215'900.- à CHF 4'269'000.-. Sa valeur vénale est nulle. L’autorité intimée a calculé la valeur de rendement en se fondant sur les bénéfices déclarés par cette société durant les années 2015, 2016 et 2017 auxquels il convient d’ajouter des reprises, composées essentiellement d’insuffisances de marge.

Les recourants font valoir que les reprises au titre d’insuffisance de marge demeurent sans incidence au niveau de la valeur de la holding – et donc de leurs titres – étant donné que ces redressements doivent se traduire simultanément par une réduction du bénéfice de F______ SA et donc, de sa valeur. L’AFC-GE reconnaît que tel doit être le cas. Toutefois, même s’il était possible à ce stade de corriger le bénéfice de F______ SA, en dérogation au principe de déterminance, la valeur de cette société n’en serait néanmoins pas réduite, car elle est déjà nulle, ainsi qu’il résulte de la feuille d’estimation de C______ SA effectuée par l’autorité intimée d’après la circulaire n° 28. Au surplus, les contribuables ne contestent pas les calculs figurant dans le tableau de la réponse, qui seront confirmés.

Le tribunal donne dès lors acte à l’AFC-GE de ce qu’elle accepte de réduire la valeur fiscale de C______ SA de CHF 9'245'000.- à CH 7'200'000.-.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement et le dossier, renvoyé à l’AFC-GE pour nouvelle taxation.

12.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui obtiennent partiellement gain de cause, sont condamnés au paiement d’un émolument réduit s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l’avance de frais de CHF 200.- leur sera restitué.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 600.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 31 mars 2021 par Madame A______et Monsieur B______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 1er mars 2021 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             ordonne la restitution aux recourants du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

6.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 600.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Caroline GOETTE et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière