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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/2949/2018

CAPH/155/2019 du 19.09.2019 sur JTPH/63/2019 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 21.10.2019, rendu le 24.04.2020, IRRECEVABLE, 4A_522/2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2949/2018-5 CAPH/155/2019

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 19 septembre 2019

 

Entre

A______ SA, sise ______, ______ (Genève), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 25 février 2019, comparant par Me Jean-Louis SCENINI, avocat, JLS avocats, Schanzeneggstrasse 3, 8027 Zurich, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, ______ (France), intimée, comparant par Me Felix M. MATHIS et Me Rinon MEMETI, avocats, FRORIEP Legal AG, Bellerivestrasse 201, case postale, 8034 Zurich, en l'Étude desquels elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement incident JTPH/63/2019 du 25 février 2019, reçu le lendemain par les parties, le Tribunal des prud'hommes, statuant sur incident, a admis le cumul d'actions résultant de la demande formée le 6 juillet 2018 par B______ contre A______ SA (chiffre 1 du dispositif) et réservé la suite de la procédure (ch. 2).

B.            a. Par acte expédié le 12 mars 2019 au greffe de la Cour de justice, A______ SA appelle de ce jugement. Elle conclut, à titre superprovisionnel et provisionnel, à l'annulation des audiences des 14, 15, 21, 22, 28 et 29 mars 2019. Principalement, elle conclut, avec suite de frais et dépens des deux instances, à l'annulation du jugement et à l'irrecevabilité de la demande en paiement formée par B______ le 6 juillet 2018 à son encontre. A titre subsidiaire, elle conclut à ce que les prétentions de ladite demande, soumises à des procédures différentes, soient scindées en deux et à ce qu'un délai de 30 jours lui soit accordé pour dupliquer avant de "commencer les séances en administration des preuves".

b. Par arrêt CAPH/60/2019 du 13 mars 2019, la Cour a constaté que les conclusions prises à titre superprovisionnel et provisionnel par A______ SA étaient sans objet, le Tribunal des prud'hommes ayant annulé les audiences concernées.

c. Dans sa réponse du 16 avril 2019, B______ a conclu au déboutement de A______ SA de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais et dépens.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

e. Par avis du 11 juin 2019, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les éléments pertinents suivants résultent de la procédure.

a. En date du 6 juillet 2018, B______ a déposé une demande en paiement auprès du Tribunal des prud'hommes, concluant à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser la somme totale de 538'157 fr. au moins, dont 21'285 fr. à titre d'indemnité pour atteinte à la personnalité en application de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l'égalité entre femmes et hommes (ci-après: LEg).

B______ a soutenu que la procédure ordinaire s'appliquait compte tenu de la valeur litigieuse de ses conclusions.

b. Dans sa réponse du 20 septembre 2018, A______ SA a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

c. Les parties ont été entendues lors de l'audience de débats d'instruction du 10 décembre 2018, à l'issue de laquelle un délai au 20 décembre 2018 a été fixé pour répliquer et au 21 janvier 2019 pour dupliquer.

d. Dans sa réplique du 20 décembre 2018, B______ a persisté dans ses conclusions.

e. Le 16 janvier 2019, A______ SA a déposé des conclusions tendant principalement à ce que la demande du 6 juillet 2018 soit déclarée irrecevable, dès lors que B______ avait cumulé dans son action des prétentions soumises à des procédures différentes.

Subsidiairement, elle a conclu à l'octroi d'un délai supplémentaire de 30 jours pour déposer sa duplique.

f. Par ordonnance OTPH/2949/2018 du 1er février 2019, le Tribunal, statuant préparatoirement, a imparti à B______ un délai de 15 jours pour se prononcer sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par A______ SA. Il a par ailleurs imparti aux parties un délai de 15 jours pour lui indiquer si elles acquiesçaient à l'application des règles de la procédure ordinaire à la présente cause, les prétentions relevant de la LEg restant traitées en procédure simplifiée.

Il ressort des considérants que le Tribunal proposait de soumettre l'intégralité de la cause à la procédure ordinaire et de traiter les prétentions relevant de la LEg en appliquant la maxime inquisitoire.

g. Dans sa détermination du 13 février 2019, A______ SA a confirmé ses conclusions du 16 janvier 2019, relevant que le cumul d'actions n'était admissible que si celles-ci relevaient de la même procédure, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, de sorte que l'ensemble de la procédure devait être déclaré irrecevable.

h. Dans sa détermination du 19 février 2019, B______ a acquiescé à l'application des règles de la procédure ordinaire et conclu principalement à la recevabilité de sa demande du 6 juillet 2018 ainsi qu'à l'irrecevabilité de la requête de A______ SA du 16 janvier 2019. Subsidiairement, elle a conclu à ce que le Tribunal déclare la demande en paiement recevable à hauteur de 516'872 fr., et ordonne la division de la cause pour les prétentions relatives à la LEg.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal s'est interrogé sur la bonne foi de A______ SA dès lors qu'elle n'avait pas soulevé l'exception d'irrecevabilité dans sa réponse, ni lors de l'audience du 10 décembre 2018. Il a toutefois laissé cette question indécise et considéré que, dans un souci d'économie de procédure et de célérité, il ne se justifiait pas de rejeter la demande ni de la scinder en deux, dès lors que B______ avait acquiescé à l'application des règles de la procédure ordinaire. Il a ainsi décidé de faire application des règles de la procédure ordinaire pour les conclusions qui ne relevaient pas de la LEg et de la maxime inquisitoire pour la conclusion en paiement d'une indemnité pour atteinte à la personnalité fondée sur la LEg.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Le tribunal peut rendre une décision incidente lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable (art. 237 al. 1 CPC). La décision incidente est sujette à recours immédiat; elle ne peut être attaquée ultérieurement dans le recours contre la décision finale (art. 237 al. 2 CPC).

Dans le cas d'un appel contre une décision incidente, la valeur litigieuse doit être déterminée sur la base des conclusions au fond dont est saisie l'instance précédente (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordung, 3ème éd., 2017, n. 9 ad art. 308 CPC; Sterchi, Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordung, Band II, 2012, n. 28 ad art. 308 CPC).

1.2 En tant qu'il a admis le cumul d'actions, le jugement attaqué est une décision incidente, dès lors que l'admission des griefs soulevés par l'appelante aurait pour conséquence d'entraîner l'irrecevabilité, à tout le moins partielle, de la demande en paiement de l'intimée. La valeur litigieuse au fond étant supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte.

Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ) dans le délai utile de 30 jours (art. 311 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Chambre de céans revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelante invoque une violation de la garantie d'un procès équitable et de son droit d'être entendue en tant que le Tribunal n'a pas donné suite à sa conclusion tendant à l'octroi d'un délai supplémentaire de 30 jours pour déposer sa duplique.

2.1 Conformément aux art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, les parties ont le droit d'être entendues. Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos (ATF 139 I 189 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5D_74/2019 du 29 mai 2019 consid. 4).

La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; 139 IV 179 consid. 2.2; 122 IV 8 consid. 2.c; arrêt du Tribunal fédéral 5A_362/2016 du 20 février 2017 consid. 3.1). Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de statuer sur une requête qui lui est présentée dans les délais et en bonne et due forme alors qu'elle était tenue de statuer (ATF 135 I 6 consid 2.1; 134 I 229 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_950/2015 du 29 septembre 2016 consid. 4.2.1), lorsqu'elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_362/2016 précité consid. 3.1).

Le droit d'être entendu n'est pas une fin en soi. Il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée. Dans ce cas, en effet, le renvoi de la cause à l'autorité précédente en raison de cette seule violation constituerait une vaine formalité et conduirait seulement à prolonger inutilement la procédure (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_904/2018 du 20 février 2019 consid. 3.1).

2.2 En l'occurrence, le Tribunal n'a pas refusé sans motivation d'octroyer à l'appelante une prolongation du délai pour dupliquer, ce qui serait constitutif d'une violation de son droit d'être entendue, mais a réservé la suite de la procédure. Ainsi, rien n'indique que le Tribunal a refusé ou refusera d'octroyer un nouveau délai à l'appelante pour dupliquer une fois l'incident définitivement clos, étant précisé que les audiences d'administration des preuves ont été annulées. L'appelante n'a, en l'état, pas été empêchée de se déterminer sur la réplique de l'intimée, de sorte que son droit d'être entendue n'a pas été violé.

Quand bien même il y aurait une violation du droit d'être entendu en tant que le Tribunal ne s'est pas prononcé explicitement sur la prolongation de délai dans le cadre du jugement incident, il ne se justifierait pas d'annuler ce dernier sur cette base, dès lors que la question de la prolongation de délai a trait à la conduite du procès au fond et n'a aucune influence sur l'incident, objet de la présente procédure. Annuler le jugement et renvoyer la cause au Tribunal pour nouvelle décision ne constituerait en effet qu'une vaine formalité qui prolongerait inutilement la procédure.

Enfin, la Cour ne saurait fixer directement un délai pour dupliquer dans le cadre de la procédure de première instance. Il n'appartient en effet pas à la Cour d'intervenir dans la conduite du procès, alors que le Tribunal a réservé la suite de la procédure.

Le premier grief de l'appelante se révèle ainsi mal fondé.

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir violé l'art. 90 let. b CPC en admettant le cumul d'actions en dépit du fait que les prétentions de l'intimée n'étaient pas soumises à la même procédure.

3.1.1 Le Tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action (art. 59 al. 1 CPC). Il examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

A teneur de l'art. 90 CPC, le demandeur peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur pour autant que le même tribunal soit compétent à raison de la matière (let. a) et qu'elles soient soumises à la même procédure (let. b).

La procédure ordinaire est applicable aux litiges dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 243 al. 1 a contrario CPC). La procédure simplifiée s'applique quelle que soit la valeur litigieuse aux litiges relevant de la loi du 24 mars 1995 sur l'égalité (art. 243 al. 2 let. a CPC).

Selon l'art. 247 al. 2 let. a CPC, le tribunal établit les faits d'office dans les affaires visées à l'art. 243 al. 2 CPC.

La procédure simplifiée est a la fois peu onéreuse et sociale: elle s'applique a des cas ou la procédure ordinaire serait trop lourde et ou le caractère particulier des parties, de celle socialement plus faible en particulier, devrait être pris en compte («procès civil social»). La procédure est en outre accessible a tout un chacun (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6953).

3.1.2 Le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur la question du cumul d'actions lorsque des prétentions soumises à la procédure simplifiée en raison de leur nature sont cumulées avec des prétentions soumises à la procédure ordinaire du fait de leur valeur litigieuse.

Il a toutefois retenu qu'il convenait de procéder au calcul de la valeur litigieuse conformément à l'art. 93 CPC avant de déterminer si les conditions d'application de l'art. 90 CPC étaient remplies, admettant qu'une prétention qui, prise individuellement, serait soumise à la procédure simplifiée en raison de sa valeur litigieuse (art. 243 al. 1 CPC), soit cumulée avec une autre soumise à la procédure ordinaire (ATF 142 III 788 consid. 4.2.2-4.2.4). La condition posée par l'art. 90 let. b CPC est ainsi d'ores et déjà atténuée par les règles sur le calcul de la valeur litigieuse (Heinzmann, Cumul et concours d'actions dans le procès civil social, in Le procès civil social, 2018, p. 80).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs jugé que la notion de "protection contre les congés" en matière de droit du bail (art. 243 al. 2 let. c CPC) devait être comprise dans une acception large et a ainsi intégré à cette notion des prétentions qui, selon une interprétation stricte, seraient soumises à la procédure ordinaire (ATF 142 III 690 consid. 3.1; 142 III 402 consid. 2.5.4). Par le biais de cette interprétation, le Tribunal fédéral a ainsi rendu possible le cumul de prétentions qui, à teneur stricte de la loi, relèveraient de procédures différentes.

De plus, en application de l'art. 90 CPC, les actions en fixation du loyer initial, soumises à la procédure simplifiée (art. 243 al. 2 let. c CPC), et en restitution du trop-perçu, soumises à la procédure ordinaire si la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., sont traitées dans le cadre d'une seule et même procédure (arrêts du Tribunal fédéral 4A_599/2015 et 4A_603/2015 du 15 juin 2016; ACJC/1169/2019 du 12 août 2019; ACJC/390/2015 du 30 mars 2015).

Selon un arrêt zurichois portant sur une action en constat d'une atteinte à la personnalité, soumise à la procédure ordinaire, ainsi qu'en paiement de 30'000 fr., soumise à la procédure simplifiée, l'Obergericht du canton de Zurich a retenu que lorsque le droit matériel prévoit le cumul d'actions - en exigeant par exemple que toutes les conclusions fondées sur l'art. 28a CC soient traitées dans une seule procédure -, la réglementation restrictive du CPC ne s'y oppose pas. Afin de déterminer la procédure applicable, l'Obergericht a considéré que la cause devait être qualifiée de non pécuniaire, les prétentions non pécuniaires prenant le pas sur les prétentions pécuniaires, de sorte que la procédure ordinaire était applicable (OGer ZH RB180014 du 23 juillet 2018).

3.1.3 Une partie de la doctrine est d'avis qu'un cumul d'actions devrait être admis uniquement si la procédure est déterminée par la valeur litigieuse et non par la nature du litige (Füllemann, in DIKE Kommentar Schweizerische Zivilprozessordnung, 2016, n. 6 ad art. 90 CPC; Mohs, in ZPO Kommentar, 2015, n. 1b ad art. 90 CPC; Gasser/Rickli, in Schweizerische Zivilprozessordnung, Kurzkommentar, 2014, n. 11 ad art. 90 CPC).

La doctrine majoritaire estime toutefois qu'un cumul d'actions devrait être admis en présence de prétentions soumises à la procédure simplifiée du fait de leur nature et d'autres relevant de la procédure ordinaire en raison de leur valeur litigieuse, en dépit du texte de l'art. 90 let. b CPC (Grobéty, Le cumul objectif d'actions en procédure civile suisse, 2018, p. 291 et 295; Heinzmann, op. cit., p. 82; Dietschy-Martenet, Loi sur l'égalité et procédure civile: un accès facilité ou complexifié à la justice?, in RDS 2017 I, p. 441; Aubry Girardin, Les problèmes qui se posent aux juges lors de l'application de la LEg, in L'égalité entre femmes et hommes dans les relations de travail, 2016, p. 114; Hauck, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2016, n. 15 ad art. 243 CPC; Hofmann/Lüscher, Le code de procédure civile, 2015, p. 157-158 et 223; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 2014, p. 760; Oberhammer, in Kurzkommentar ZPO, 2014, n. 5a ad art. 90 CPC). Pour certains auteurs, le cumul d'actions doit alors être soumis à la condition qu'un lien de connexité existe entre les différentes prétentions (Heinzmann, op. cit., p. 82; Grobéty, op. cit., p. 289 à 291; Oberhammer, in Kurzkommentar ZPO, 2014, n. 5a ad art. 90 CPC). Sans prendre explicitement position sur la question, Bohnet reconnaît que si l'exclusion du cumul d'actions en raison de prétentions soumises à des procédures différentes est compréhensible lorsqu'une procédure spéciale s'applique, elle est plus discutable lorsque les prétentions sont soumises à la procédure ordinaire ou simplifiée (Bohnet, in Commentaire romand, CPC, 2019, n. 9 ad art. 90 CPC). Tappy reconnaît également que l'art. 90 CPC mériterait des assouplissements (Tappy, in Commentaire romand, CPC, 2019, n. 22 ad art. 243 CPC). Lazopoulos, Leimgruber et Killias estiment qu'en présence de prétentions soumises à des procédures différentes, il y a attraction de procédure en faveur de la procédure simplifiée (Lazopoulos/Leimgruber, ZPO Kommentar, 2015, n. 9 ad art. 243 CPC; Killias, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, Band II, 2012, n. 44 ad art. 243 CPC), admettant implicitement le cumul d'actions dans ce cas de figure.

3.1.4 La doctrine est partagée quant à la procédure applicable en cas de cumul d'actions portant sur des prétentions soumises à des procédures différentes du fait de leur nature (art. 243 al. 2 CPC). Certains auteurs proposent de considérer l'objet du procès comme un tout et de déterminer la procédure applicable en fonction de sa composante prépondérante (Grobéty, op. cit., p. 291 et 292; Heinzmann, op. cit., p. 83). D'autres estiment qu'une attraction de procédure en faveur de la procédure simplifiée devrait s'appliquer (Aubry Girardin, op. cit., p. 113; Lazopoulos/Leimgruber, op. cit., n. 9 ad art. 243 CPC; Killias, op. cit., n. 44 ad art. 243 CPC), étant réservée la situation où une prétention tombant dans le champ d'application de l'art. 243 al. 2 CPC serait invoquée de manière abusive ou de façon manifestement non pertinente (Aubry Girardin, op. cit., p. 113; Killias, op. cit., n. 44 ad art. 243 CPC). D'autres auteurs suggèrent enfin d'appliquer la procédure ordinaire à l'ensemble des prétentions (Dietschy-Martenet, op. cit., p. 441-442; Hauck, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2016, n. 15 ad art. 243 CPC; Hofmann/Lüscher, Le code de procédure civile, 2015, p. 157-158 et 223; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 760), la maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 1 let. a CPC) devant toutefois continuer à s'appliquer aux prétentions relevant de l'art. 243 al. 2 CPC (Dietschy-Martenet, op. cit., p. 442-443; Hofmann/Lüscher, op. cit., p. 158; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 760-761).

L'applicabilité de différentes maximes concernant l'établissement des faits à l'intérieur de la même procédure n'empêche pas le cumul objectif d'actions (Bohnet, op. cit., n. 9b ad art. 90 CPC ; Heinzmann, op. cit., p. 79-80). Preuve en est que dans la procédure de divorce, diverses maximes s'appliquent suivant la prétention en cause (Bohnet, op. cit., n. 9b ad art. 90 CPC).

3.1.5 Le Conseil fédéral a par ailleurs proposé en mars 2018 une modification du Code de procédure civile (CPC), estimant que l'examen de l'adéquation du CPC à la pratique avait révélé que selon l'opinion générale, les instruments de coordination des procédures prévus par le CPC devaient être précisés et renforcés. Il s'agit notamment du cumul d'actions qui est visé, lorsque certaines prétentions sont soumises à la procédure ordinaire et d'autres à la procédure simplifiée (Rapport explicatif du Conseil fédéral relatif à la modification du code de procédure civile du 2 mars 2018 p. 10 et 13). L'art. 90 al. 1 de l'avant-projet de la modification du CPC du 2 mars 2018 prévoit ainsi que le demandeur peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur aux conditions suivantes: le même tribunal est compétent au fond (let. a) et les prétentions ont un lien de connexité (let b). L'al. 2 précise que le cumul d'actions est exclu lorsque certaines prétentions sont soumises à la procédure sommaire ou à une procédure relevant du droit de la famille. L'al. 3 prévoit enfin que lorsque certaines prétentions relèvent de par leur nature de la procédure simplifiée, l'art. 247 s'applique par analogie à ces causes, même si plusieurs prétentions sont jugées ensemble dans la procédure ordinaire.

Le Conseil fédéral propose ainsi que le cumul d'actions soit admis lorsque les prétentions formulées ne sont pas toutes soumises à la même procédure. Le cumul d'actions sera donc possible malgré le fait que la procédure simplifiée soit applicable à certaines prétentions et la procédure ordinaire à d'autres, tant qu'il existe un lien de connexité matérielle entre elles (art. 90 AP-CPC). Si certaines prétentions relèvent de par leur nature de la procédure simplifiée, l'art. 247 s'appliquera par analogie dans la procédure ordinaire (Rapport précité, p. 18).

3.2 En l'espèce, l'intimée a formulé, dans sa demande, des prétentions soumises à la procédure ordinaire en raison de leur valeur litigieuse supérieure à 30'000 fr. ainsi qu'une prétention relevant de la procédure simplifiée en tant qu'elle est fondée sur la LEg.

Bien que le texte strict de la loi s'oppose à première vue à un tel cumul, il ressort de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée que face aux problèmes rencontrés dans la pratique, des assouplissements ont été apportés à l'art. 90 CPC ainsi qu'à l'art. 243 al. 2 let. c CPC, ayant pour conséquence que le cumul d'actions est rendu possible pour des prétentions qui, individuellement et à teneur stricte de la loi, sont soumises à des procédures différentes. Dans un cas de figure comme celui qui nous occupe, la doctrine majoritaire est d'avis que le cumul d'actions devrait être admis, solution également proposée par le Conseil fédéral dans son avant-projet de modification du Code de procédure civile. Il serait en effet contraire au principe d'économie de procédure de scinder celle-ci ou d'obliger la partie demanderesse à intenter deux procès alors que ses prétentions reposent sur le contrat de travail entre les parties et sont connexes. En effet, cela aurait notamment pour conséquence de convoquer les mêmes témoins, dont la plupart sont domiciliés à l'étranger, ainsi que les parties dans le cadre de deux causes différentes pour qu'ils se prononcent sur le même complexe de faits, ce qui prendra nécessairement plus de temps, et d'augmenter les frais d'avocats des parties du fait des audiences et écritures supplémentaires qu'impliquent inévitablement deux procédures. Une telle solution apparaît d'autant plus inadaptée qu'elle va à l'encontre du but de la procédure simplifiée, à laquelle la prétention relevant de la LEg est soumise, qui tend à protéger la partie socialement plus faible - le travailleur en l'occurrence - et à lui faciliter l'accès à la justice.

Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal d'avoir admis le cumul d'actions et soumis le litige à la procédure ordinaire tout en réservant la maxime inquisitoire sociale pour la prétention relevant de la LEg. Cette solution, qui est conforme à l'avis de la doctrine majoritaire et à l'avant-projet de modification du CPC, permet en effet au travailleur de faire valoir toutes ses prétentions issues du contrat de travail dans le cadre d'un seul et même litige, tout en conservant une certaine protection s'agissant de la prétention relevant de la LEg. L'application de maximes différentes dans le cadre de la même procédure ne rend pas l'administration des preuves difficilement praticable, contrairement à ce que soutient l'appelante, dans la mesure où les questions relevant des différentes maximes sont distinctes. A cet égard, la doctrine relève à juste titre que des maximes différentes sont déjà appliquées par exemple dans le cadre des procédures de divorce, sans que cela ne pose de problème particulier.

L'appelante ne saurait par ailleurs tirer un argument du fait que le Tribunal a proposé de soumettre les prétentions relevant de la LEg à la "procédure simplifiée" dans son ordonnance préparatoire, puis à la "maxime inquisitoire" dans son jugement incident. Il ressort en effet des considérants de l'ordonnance préparatoire que, malgré la formulation du dispositif, il était clairement proposé de faire application de la procédure ordinaire à l'intégralité de la cause, les prétentions relevant de la LEg étant néanmoins traitées sous l'angle de la maxime inquisitoire, ce qui correspond à la solution figurant dans le jugement querellé. Le Tribunal n'a ainsi pas décidé différemment de ce qu'il avait initialement proposé, contrairement à ce que soutient l'appelante.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

4.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 23 RTFMC par analogie, par renvoi de l'art. 68 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 12 mars 2019 par A______ SA contre le jugement JTPH/63/2019 rendu le 25 février 2019 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/2949/2018.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Anne-Christine GERMANIER, juge employeur; Monsieur Willy KNOPFEL, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.