Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2134/2020

ATAS/641/2022 du 07.07.2022 ( ARBIT )

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2134/2020 ATAS/641/2022

ORDONNANCE D’EXPERTISE

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 7 juillet 2022

7ème chambre

 

En la cause

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

MOOVE SYMPANY AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

VIVAO SYMPANY AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

PROGRÈS VERSICHERUNGEN AG

SWICA GESUNDHEITSORGANISATION

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNG AG

INTRAS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA-BASIS SA

SANA24 AG

ARCOSANA AG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

VISANA AG

VIVACARE

COMPACT GRUNDVERSICHERUNGEN AG

Toutes représentées par SANTESUISSE, sise rue des Terreaux 23, LAUSANNE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Olivier BURNET

 

 

demanderesses

contre

 

 

Monsieur A______, domicilié c/o B______, à GENEVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Jacques ROULET

 

 

défendeur

 

 


 

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ (ci-après : le médecin ou le défendeur), né en 1953, détient un titre de spécialiste en médecine interne générale et un certificat de pratique du laboratoire au cabinet médical (CMPR). Depuis le 14 octobre 1987, il exploite un cabinet à Genève. Il est également le médecin répondant de C______ et d D______.

2.             Depuis 2010, SANTESUISSE a interpellé régulièrement le médecin en raison de ses indices de coût par patient trop élevés concernant les années statistiques 2009 et suivantes, afin qu'il donne des explications sur les particularités de sa pratique et respecte le principe de l'économicité.

Le 29 décembre 2010, celui-ci a notamment répondu que les chiffres étaient biaisés par le fait que son numéro RCC était aussi utilisé par ses confrères de C______ et du D______.

3.             Par courrier du 19 février 2015, SANTESUISSE a informé le médecin, concernant l'année statistique 2013, que la moitié au moins des prescriptions comportait des erreurs d'identification. En effet, plusieurs prescriptions effectuées par C______ avaient été affectées à son numéro RCC, alors que cette dernière institution de santé avait son propre RCC. De nombreuses ordonnances prescrites par les médecins du D______ avaient également été attribuées au RCC du médecin, bien que les médecins dudit centre disposent d'un RCC personnel.

4.             Concernant l'année 2016, le médecin a répondu le 2 août 2018 que c'étaient les pharmaciens qui lui attribuaient à tort des médicaments sur son numéro RCC.

Par courrier du 17 août 2018, SANTESUISSE lui a demandé quelles démarches il avait entreprises pour que ses ordonnances fussent clairement identifiables.

5.             Pour l'année statistique 2018, les indices des coûts directs du médecin étaient de 211 dans les statistiques factureurs (ci-après: RSS) et les coûts indirects de 212. Les indices selon la méthode statistique analyse de variation (ci-après : ANOVA pour ANalysis Of VAriances) étaient de 206 pour les coûts directs et de 236 pour les coûts totaux. Selon la nouvelle méthode analyse de régression, les indices des coûts directs étaient de 172 et ceux des coûts totaux de 233.

6.             Par demande du 3 juillet 2020, les assurances-maladie mentionnées dans le rubrum du présent arrêt, représentées par SANTESUISSE, ont saisi le Tribunal de céans d'une demande en restitution de CHF 126'467.40, subsidiairement de CHF 96'206.05, sous suite de dépens. La demande est fondée sur l'indice de régression des coûts totaux de 233 points. La somme à restituer est calculée sur les coûts directs, avec une marge de tolérance de 120%. Les demanderesses ont également relevé que les consultations du défendeur étaient plus longues (149 points TARMED facturés par consultation contre 91 dans le groupe de comparaison) et plus fréquentes (6,8 consultations contre 4,1). Du détail de la facturation résultait que le défendeur n'utilisait quasi-exclusivement que cinq positions TARMED, à savoir : 00.0010 consultation, première période de 5 minutes ; 00.0020 + consultation pour les personnes au-dessus de 6 ans et de moins de 75 ans, par période de 5 minutes en plus – et 00.0025 pour les patients plus âgés ; 00.0015 + supplément pour prestations de médecine de famille au cabinet médical ; 00.0030 + consultation, dernière période de 5 minutes (supplément de consultation) ; 00.0520 consultation psychothérapique ou psychosociale par le spécialiste de premier recours, par période de 5 minutes. Les consultations étaient presque systématiquement facturées de façon identique avec ces dernières positions TARMED, seul le temps de la consultation variant. La position 00.0520 était davantage facturée par le défendeur par rapport à ses confrères. La médecine psychosociale n'était cependant pas considérée comme une particularité d'un médecin, selon le Tribunal fédéral, dès lors que la prise en charge de troubles psychiques constituait un élément central de la pratique du médecin généraliste. En ce qui concerne les conclusions subsidiaires, elles étaient fondées sur l'indice ANOVA des coûts directs de 206 et prenaient en considération une marge de 130 points.

7.             Lors de l'audience du 2 octobre 2020, le Tribunal de céans a constaté l'échec de la tentative de conciliation.

8.             Par courrier du 6 octobre 2020, les demanderesses ont choisi Madame Dominique TRITTEN en tant qu'arbitre.

9.             Dans sa réponse du 25 novembre 2020, le défendeur a conclu au rejet de la demande, sous suite de dépens. Préalablement, il a conclu à ce que les demanderesses communiquent un certain nombre de données. Subsidiairement, il a conclu à la mise en œuvre d'une expertise analytique. En outre, il a choisi Monsieur Jean-Claude BRÜCKNER en tant qu'arbitre. Il disposait d'une autorisation d'auto-dispensation de stupéfiants et d'un CMPR, ce qui n'était pas le cas de l'ensemble des médecins de son groupe de comparaison. Durant 2018, il avait soigné 347 patients et non 269, comme cela était mentionné dans les statistiques. Cela s'expliquait éventuellement par des prestations en-deçà de la franchise des patients. Il s'était spécialisé dans la prise en charge de patients souffrant de pluri-toxicomanies dont la prise en charge se faisait de manière quasi-systématique dans le cadre d'un « traitement agoniste aux opioïdes » (TAO). Pour ces prises en charge, les médecins devaient s'annoncer et s'enregistrer auprès de l'autorité cantonale compétente. Le traitement de poly-toxicomanies impliquait un long travail de mise en confiance et ainsi des soins médicaux plus récurrents que la moyenne. Il soignait aussi de nombreux cas complexes qui lui étaient transférés par d'autres confrères et dont la durée de la prise en charge était entre 30 et 60 minutes. Actuellement, il prodiguait le TAO à 45 patients, ce qui était largement supérieur à la moyenne. 17 de ses patients, soit 5% de sa patientèle, représentaient 31% des consultations et 34% des coûts. Ils avaient requis plus de 25 consultations et représentaient moins d'un tiers des patients traités dans le cadre d'un TAO. Par ailleurs, la quasi-totalité des patients bénéficiant d'un TAO était à l'aide sociale, soit au total 117 patients, ce qui n'était pas pris en compte dans les statistiques. Le défendeur effectuait aussi beaucoup de visites à domicile. Le rapport de régression attestait au demeurant qu'il prenait en charge environ trois fois moins de patients que la moyenne de son groupe de comparaison. Cela faussait ses indices. En excluant des calculs la faible proportion de patients faussant les statistiques, les indices du défendeur pour les 95% des patients restants étaient en outre dans la norme, voire inférieurs aux coûts moyens, à savoir de 127 pour les coûts totaux et de 76 pour les coûts directs.

Par ailleurs, la méthode de régression n'avait pas été validée à ce jour par le Tribunal fédéral et avait fait l'objet de critiques et réserves de la part des professionnels de la santé, dont la Fédération des médecins suisses (ci-après : FMH pour Foederatio Medicorum Helveticorum). Le défendeur a également émis des critiques sur certains points précis de cette méthode. Les données statistiques devaient donc être appliquées avec prudence. En tout état de cause, les données figurant dans les statistiques le concernant n'étaient pas fiables.

10.         Dans leur duplique du 24 février 2021, les demanderesses ont persisté dans leurs conclusions et refusé de donner suite aux requêtes préalables du défendeur, les jugeant inutiles et/ou disproportionnées, ou ne disposant pas des informations requises. Elles se sont en outre opposées à la mise en œuvre d'une expertise analytique. Il ressortait du rapport de E______ que le taux d'aide sociale n'était pas significatif au niveau des statistiques. La méthode, affinée avec des outils mathématiques reconnus, permettait de déterminer de façon précise les médecins hors norme. Il était en outre sans importance que le défendeur dispose d'un CMPR, dès lors qu'il n'avait pas facturé le laboratoire interne, à l'exception de CHF 25.-. Le défendeur prescrivait peu de méthadone, mais par contre énormément de Dormicum (CHF 86'678.- en 2018). La délivrance de ce médicament à des toxicomanes interpellait, dans la mesure où ceux-ci pouvaient se livrer à un trafic. Ce médicament n'entrait pas dans le TAO, seuls les benzodiazépines à diffusion lente étant recommandés et non à diffusion rapide comme le Dormicum. Il n'était pas non plus établi que le TAO engendrait des coûts élevés pouvant expliquer les indices. À cet égard, le défendeur n'avait pas démontré avoir suivi 25 patients avec un TAO en 2018. Le traitement de toxicomanes ne dispensait pas le défendeur de respecter les principes d'efficacité, d'adéquation et d'économicité. Il prescrivait aussi souvent la Ritaline. Se posait alors la question de savoir s'il soignait beaucoup d'hyperactifs ou s'il prescrivait ce médicament pour contrebalancer les effets du Dormicum. Il n'y avait par ailleurs pas de différences de dépassement de coûts énormes entre les différents groupes de patients, le défendeur étant systématiquement hors norme pour chaque coût moyen par patient. En ce qui concerne les visites à domicile, il n'en avait effectué que 47 en 2018. Quant à l'analyse de régression, la FMH, CURAFUTURA et SANTESUISSE avaient décidé, par une convention adoptée en 2018, de perfectionner la méthode ANOVA, ce qui a été fait avec l'institut E______, spécialiste en matière de statistiques. Cette méthode avait donc été développée par les représentants des médecins et des assurances. Elle avait été validée par le Tribunal arbitral des assurances de Zurich. E______ a en outre constaté que ses analyses empiriques n'avaient pas prouvé que les données individuelles apportaient une nette amélioration de la surveillance et que le nombre de faux positifs était même inférieur dans ses calculs avec des données agréées. Enfin, les critiques de la méthode de régression du défendeur n'étaient pas pertinentes.

11.         Dans sa réplique du 7 mai 2021, le défendeur a maintenu ses conclusions. La somme réclamée correspondait à la moitié de son chiffre d'affaires. Après imputation des frais généraux, il ne resterait plus rien pour le rémunérer. En critiquant ses prescriptions de médicaments, les demanderesses démontraient leur méconnaissance au sujet des troubles liés au stress post-traumatique, des troubles et des addictions qui y étaient liés, ainsi que les traitements dans le cadre du TAO. Il était spécialisé dans les soins de patients traumatisés depuis des décennies comme c'était le cas de ceux qui souffraient de troubles de l'addiction. L'absence de soins de tels patients engendrait un coût autrement plus important à la société que les soins qu'il leur prodiguait. Dans ce sens, ses traitements étaient économiques. Au demeurant, le suivi spécialisé des toxicomanes était imposé par la loi sur les stupéfiants et ses ordonnances. Ce type de patientèle nécessitait un long travail thérapeutique, commençant par l'apaisement et par l'administration d'un TAO. Le défendeur a par ailleurs justifié la prescription du Dormicum et de la Ritaline. Il a en outre établi deux tableaux, l'un regroupant l'intégralité de sa patientèle par classe d'âge et de sexe, et un second tableau concernant les patients hommes de 31 et 35 ans. Le seul examen du premier tableau confirmait l'immense disparité des coûts par patient, selon qu'il s'agissait d'un patient « ordinaire » ou d'un patient entrant dans la spécialité du défendeur. Les statistiques avaient de surcroît comptabilisé 79 patients en moins, ce que la seule non-transmission des factures à l'assurance-maladie ne permettait pas d'expliquer. Enfin, les demanderesses n'étaient pas autorisées à exiger la restitution des coûts directs sur la base des coûts totaux, lesquels comprenaient les coûts indirects sur lesquels le médecin ne percevait aucun honoraire.

12.         Par courrier du 1er juin 2021, la direction générale de santé (ci-après: DGS) a transmis au Tribunal de céans une liste avec les noms des médecins qui s'étaient annoncés en 2018 pour dispenser des traitements de substitution reposant sur la prescription de stupéfiants, ainsi que la directive du 1er juillet 2013 sur la prise en charge médicamenteuse des personnes toxicodépendantes.

13.         Par écritures du 15 juin 2021, les demanderesses ont persisté dans leurs conclusions et se sont opposées à une expertise analytique. Se référant à un arrêt de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, elles ont relevé que le Dormicum ne figurait pas parmi les traitements de substitution en cas de dépendance aux opiacés à charge de l'assurance obligatoire des soins. Quant à la différence entre le nombre de patients répertoriés par le défendeur et dans les statistiques, elle pouvait s'expliquer par le décalage entre la date des honoraires et le moment où ceux-ci ont été pris en charge, de ce que certains patients étrangers ne bénéficiaient pas d'une assurance-maladie et des franchises élevées. La méthode ANOVA confirmait par ailleurs pour l'essentiel le résultat de la méthode de régression.

14.         Par courrier du 17 juin 2021, le défendeur a notamment relevé qu'il ressortait de son échange de correspondances avec la DGS que sa pratique du traitement des toxicomanes existait depuis longtemps et qu'elle nécessitait un examen analytique de sa facturation.

15.         Le 23 juin 2021, la DGS a informé le Tribunal de céans que le défendeur avait été autorisé à prescrire des stupéfiants à des personnes toxicodépendantes par arrêté du 16 juin 2009.

16.         Par écritures du 15 septembre 2021, le défendeur a persisté dans ses conclusions et a requis une expertise analytique au vu des limites de la méthode de régression.

17.         Le 12 octobre 2021, le défendeur a désigné Monsieur Jacques-Alain WITZIG en tant qu'arbitre en lieu et place de Monsieur BRÜCKNER.

18.         Le 18 octobre 2021, les demanderesses ont désigné Monsieur Luciano DE TORO en tant qu'arbitre en lieu et place de Madame TRITTEN.

19.         Par courrier du 1er novembre 2021, le Tribunal de céans a informé les demanderesses qu'il ne paraissait pas judicieux dans la présente cause de se fonder sur les statistiques pour examiner si la pratique médicale du défendeur était constitutive d'une polypragmasie, en raison d'une grande disparité des coûts. Le Tribunal de céans avait par ailleurs jugé dans une autre cause que le suivi des addictions engendrait un coût considérable. Cela étant, il les a invitées à lui indiquer si elles contestaient que les coûts directs concernant les 280 premiers patients listés dans la pièce 33 du défendeur, représentant CHF 129'274.-, respectaient le principe de l'économicité des traitements.

20.         Par écritures du 14 décembre 2021, les demanderesses ont admis que le défendeur traitait davantage de patients toxicomanes que ses confrères, tout en jugeant peu fiables les listes anonymisées des patients sélectionnés. Quoi qu'il en soit, il en ressortait que les coûts relatifs au suivi des addictions variaient fortement, soit entre plusieurs milliers de francs par an et quelques centaines de francs. Toutefois, la nouvelle méthode de régression avait été affinée, si bien qu'il n'y avait pas de raison de ne pas s'y fonder. Elle présentait aussi l'avantage d'analyser l'ensemble de la pratique du médecin et non seulement un échantillon qui pourrait ne pas s'avérer représentatif. La chambre des assurances sociales de la Cour de justice avait par ailleurs jugé, concernant la prescription du Dormicum, qu'un médicament administré « hors étiquette » n'était en principe pas soumis à l'obligation de remboursement de l'assurance obligatoire des soins et le Dormicum ne figurait pas parmi les divers traitements de substitution en cas de dépendance aux opiacés à charge de l'assurance obligatoire des soins. L'assurance-maladie était en droit de limiter la prise en charge du Dormicum à un seul comprimé par jour. Or, le défendeur en prescrivait énormément. Quant à la méthadone, il en prescrivait que pour CHF 1'193.-, ce qui était marginal par rapport à l'ensemble des médicaments prescrits de CHF 394'252.-. Par ailleurs, le défendeur ne faisait pas partie du Groupe genevois des praticiens en médecine de l'addiction (ci-après: GPMA), de sorte que la convention conclue avec cet organisme, fixant le coût moyen à CHF 108.33 par semaine pour la prise en charge médico-pharmaco-psychothérapeutique des toxicomanes, ne pouvait lui être appliquée. Toutefois en admettant un forfait de médicaments de CHF 108.33 par consultation et en le déduisant des coûts directs du défendeur, son indice restait toujours hors normes (208.78). Il résultait enfin de la pièce 33 du défendeur que celui-ci pratiquait un système forfaitaire, en facturant dans un nombre considérable de cas (98) 35 minutes et dans 37 autres cas systématiquement deux consultations de 35 minutes, ce qui n'était pas conforme au TARMED.

21.         Par écritures du 13 janvier 2022, le défendeur a insisté sur la mise en œuvre d'une expertise analytique, tout en admettant que ses tableaux n'étaient pas totalement exacts.

22.         Le 15 mars 2022, le Tribunal de céans a informé les parties qu'il avait l'intention de mettre en œuvre une expertise analytique de la pratique médicale du défendeur, tout en leur communiquant le nom de l'experte pressentie et sa mission.

23.         Par écritures du 14 avril 2022, les demanderesses se sont opposées à la désignation de l'experte pressentie, au motif que celle-ci avait également été interpellée par rapport à ses indices statistiques trop élevés pour 2020, et a proposé deux autres noms d'expert. Elles ont en outre insisté pour que l'expert détermine au hasard les dossiers des patients à examiner, et ont complété la liste des questions à l'expert.

24.         Par écritures du 21 avril 2022, le défendeur s'est opposé à une des questions de la mission de l'expert. Il a par ailleurs soutenu que la charge de la preuve de la polypragmasie incombait aux demanderesses et que les statistiques ne constituaient pas une preuve suffisante. Il aurait dès lors appartenu à celles-ci de mettre en œuvre une expertise analytique avant d'introduire une action en justice contre le défendeur. Partant les frais d'expertise devaient être mis à la charge des demanderesses.

25.         Par écritures du 28 avril 2022, le défendeur s'est opposé à la question complémentaire proposée par les demanderesses et a jugé inadmissible que SANTESUISSE se permette de faire des propositions d'expert, dès lors qu'on devait douter de l'impartialité des personnes suggérées.

26.         Les experts proposés par les demanderesses n'ayant pas accepté le mandat, le Tribunal de céans a invité le 19 mai 2022 les demanderesses de faire d'autres propositions d'expert.

27.         Le 2 juin 2022, les demanderesses ont proposé le professeur F______, spécialiste FMH en médecine interne générale.

28.         Le 17 juin 2022, le défendeur a conclu au rejet de la demande, sans la mise en œuvre d'une expertise judicaire, au motif que les demanderesses avaient échoué dans la preuve d'une polypragmasie, et répété qu'il était inadmissible que celles-ci choisissent l'expert. Par ailleurs, le Prof. F______ n'apparaissait pas particulièrement formé pour le type d'expertise sollicité. Il a enfin proposé le nom d'un autre expert.

EN DROIT

1.             La procédure devant le Tribunal arbitral des assurances est régie par la maxime inquisitoire. Il appartient ainsi au Tribunal arbitral d'établir les faits déterminants et d'administrer les preuves nécessaires (art. 89 al. 5 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 -LAMal - RS 832.10). Le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver les faits allégués, mais ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait doit être imputée à la partie adverse. Toutefois, cette règle ne s'applique que s'il se révèle impossible d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2).

L'art. 89 al. 5 LAMal prescrit également que les cantons fixent la procédure. Aux termes de l'art. 19 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), l'autorité établit les faits d'office et n'est liée ni par les allégués ni par les offres de preuve des parties. Les règles sur la répartition du fardeau de la preuve en procédure civile ne sont ainsi pas applicables et remplacées par le pouvoir d'instruction de l'autorité (Stéphane GRODECKI, Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, note 326, p. 90).

Partant, le Tribunal de céans est tenu d'instruire la présente cause indépendamment de l'offre de preuve des parties.

Au demeurant, une violation du principe d'économicité est présumée, selon la jurisprudence développée avant l'adoption de la méthode de régression, lorsque la marge de tolérance des coûts totaux et des coûts directs des statistiques est dépassée (ATF 133 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 p. 47 ss). Les statistiques des assureurs-maladie peuvent ainsi constituer une preuve suffisante d'une polypragmasie, en l'absence d'indices mettant en doute la pertinence de leur application dans un cas précis, contrairement à ce qu'allègue le défendeur.

2.             En l'occurrence, le Tribunal de céans a un doute concernant l'applicabilité des statistiques pour établir une polypragmasie du défendeur. En effet, le coût des traitements atypiques et TAO au-dessus de CHF 600.- représentent CHF 193'793.64 pour 74 patients, selon les allégués du défendeur (cf. pce 47 déf.), alors que son chiffre d'affaires n'était que de CHF 284'289.15 en 2018 (cf. pce 34 déf.). Partant, son chiffre d'affaires pour les 274 patients restants était de CHF 90'495.21, ce qui correspond à un coût moyen de CHF 330.27 par patient, lequel est inférieur au coût moyen du groupe de comparaison en 2018 (CHF 452.45.-, sans les médicaments), selon les RSS (coût par malade du défendeur de CHF 968.26 : indice du défendeur de 214 x 100).

Il est également à relever que le nombre des patients du défendeur est trois fois inférieur à la moyenne du groupe de comparaison, de sorte que les cas hors normes ont un impact beaucoup plus important sur le coût moyen de ses patients.

Cependant, les demanderesses mettent en doute la fiabilité des tableaux établis par le défendeur et lui reprochent également de facturer selon un système forfaitaire, proscrit par le TARMED.

Au vu de ces éléments, les statistiques ne paraissent pas être en l'occurrence l'instrument adéquat pour établir si le principe d'économicité a été violé, de sorte qu'une expertise analytique s'avère nécessaire.

3.             Le défendeur s'oppose à la désignation du Prof. F______ en tant qu'expert judiciaire.

Toutefois, ce n'est pas parce que ce médecin est proposé par SANTESUISSE qu'il est partial. Il n'y a au contraire aucun indice qui le laisse supposer en l'espèce.

Il y a plus de doutes concernant l'impartialité de l'expert proposé par le défendeur, le docteur G______, celui-ci étant le directeur de H______ SA, une société créée sur mandat des sociétés cantonales de médecine des cantons de Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel et Valais qui en sont actionnaires, tout comme des centaines de médecins en pratique privée. Le but de H______ SA est de mettre à disposition des médecins un ensemble d’outils statistiques basés sur les factures établies par leur cabinet. Il s'agit donc d'une société au service exclusif des médecins.

Quant aux compétences du Prof. F______, il est spécialiste en médecine interne générale et a donc la même spécialisation que le défendeur. Le fait qu'il est également formé en homéopathie, un artisan du rapprochement entre les médecines et pionnier de la médecine intégrative en Suisse, comme l'allègue le défendeur, n'enlève rien à ses compétences dans son domaine de spécialisation et témoigne au contraire de son ouverture d'esprit à d'autres approches médicales.

Cela étant, il sied de confier le mandat d'expertise au Prof. F______.

4.             Quant à la détermination de l'échantillon de dossiers à examiner par l'expert, le Tribunal de céans persiste à considérer qu'il est pertinent d'examiner les 28 premiers dossiers de la pièce 33 du défendeur, soit les cas les plus coûteux. Toutefois, il sera admis que les 20 autres dossiers soient choisis par l'expert au hasard.

S'agissant de la question de savoir si la quantité de Dormicum prescrite par le défendeur est adéquate, question que les demanderesses aimeraient ajouter, elle n'a pas sa place dans le cadre d'une demande de restitution fondée sur une polypragmasie. En effet, seule la restitution des coûts directs peut être demandée et non de ceux qui ont trait aux prestations facturées par d'autres fournisseurs de prestations, sur prescription du médecin mis en cause (ATF 137 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 p. 47 ss). Cette question ne sera par conséquent pas incluse dans la mission d'expertise.

Concernant la question 10 qui était initialement incluse dans la mission d'expertise, il n'est pas attendu de l'expert qu'il explique le fonctionnement de la méthode statistique de régression, mais uniquement qu'il donne le cas échéant son avis sur le fait que l'indice de régression, pourtant très affiné, donne in casu éventuellement une image erronée de la pratique médicale du défendeur. Toutefois, afin d'éviter toute ambigüité, cette question sera finalement écartée.

5.             Enfin, le Tribunal de céans statuera sur la prise en charge des frais d'expertise avec le jugement au fond. Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 LPGA), l'administration est tenue d'ordonner une instruction complémentaire lorsque les allégations des parties et les éléments ressortant du dossier requièrent une telle mesure. En particulier, elle doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 283 consid. 4a; ATFA non publié du 19 mars 2004, I 751/03 consid. 3.3, RAMA 1985 K 646 p. 240 consid. 4).

 


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant préparatoirement

I.              Ordonne une expertise judiciaire analytique de la pratique médicale du Dr A______.

II.           La confie au Dr F______, FMH médecine interne générale, à Pully.

III.        Délie le Dr A______ du secret médical à l'égard de l'expert.

IV.        Dit que la mission de l'expert sera la suivante :

A.      Prendre connaissance du dossier et des pièces de la procédure.

B.       Sélectionner les dossiers des 28 premiers patients listés dans la pièce 33 du Dr A______ et une vingtaine de dossiers pour 2018 au hasard, étant précisé que le choix final des dossiers nécessaires à l'exécution de la mission d'expertise, ainsi que leur nombre sera laissé à l'appréciation de l'expert, lequel devra toutefois expliquer les critères de sélection des dossiers retenus.

C.       Inviter le Dr A______ à remettre à l'expert les dossiers sélectionnés à bref délai, ainsi que toute autre pièce que l’expert jugera nécessaire pour l’exécution de sa mission.

D.      Examiner les dossiers et pièces sélectionnés.

E.       Contrôler de façon aléatoire dans les agendas du Dr A______ que les rendez-vous agendés et le nombre d'heures facturées correspondent.

F.        Prendre tout renseignement utile auprès du Dr A______, ainsi que de tout autre tiers.

G.      S'adjoindre au besoin de spécialistes requis au titre de consultants.

H.      Etablir un rapport écrit et répondre notamment aux questions suivantes :

1.         La facturation des prestations par le Dr A______ est-elle conforme au TARMED ?

2.         En cas d'irrégularité de facturation constatée, évaluer à combien s'élève approximativement le surcoût de facturation sur l'ensemble des prestations, au degré de la vraisemblance prépondérante ?

3.         Les prestations facturées correspondent-elles au nombre d'heures réservé aux patients dans les agendas ?

4.         Au cas où le Dr A______ aurait facturé plus d'heures qu’il avait agendé pour les rendez-vous de ses patients, évaluer approximativement le surcoût facturé sur l'ensemble des prestations, au degré de la vraisemblance prépondérante.

5.         Les prestations effectuées sont-elles conformes au principe d'économicité ?

6.         Evaluer approximativement le surcoût engendré par des prestations non conformes au principe d'économicité, au degré de la vraisemblance prépondérante.

7.         L'examen des dossiers sélectionnés révèle-t-il, respectivement infirme-t-il, une pratique non économique du Dr A______, constitutive d'une polypragmasie ?

8.         Si vous deviez avoir constaté une polypragmasie, expliquer quelles en sont les raisons et en quoi elle consiste ?

9.         Le surcoût engendré par la polypragmasie correspond-il à celui résultant des statistiques au degré de la vraisemblance prépondérante ?

10.     Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

V.           Invite l’expert à déposer un rapport en trois exemplaires au Tribunal arbitral dans un délai de six mois à compter de l'entrée en force de la présente ordonnance.

VI.        Réserve le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

La greffière

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente suppléante

 

 

 

Maya CRAMER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le