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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/511/2019

ATAS/581/2020 du 13.07.2020 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/511/2019 ATAS/581/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 juillet 2020

10ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à Châtelaine, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Damien CHERVAZ

recourante

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après : l'assurée), originaire du Pakistan et née le ______1974, est arrivée en Suisse en novembre 1997. Après une formation en tant qu'auxiliaire de santé d'avril à juin 2007, elle a travaillé auprès de la fondation Les Marronniers dès le 30 juin 2008. Entre mai 2011 et mai 2012, elle a complété sa formation par celle d'aide-soignante.

2.        En incapacité de travail depuis 2012 en raison de douleurs, l'assurée a fait l'objet, en date du 15 mai 2013, d'une communication à l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'OAI), pour détection précoce.

3.        Dans ce cadre, l'OAI a rassemblé divers documents et notamment un rapport d'examen réalisé, à la demande de l'assureur-perte de gain maladie, par la doctoresse B______, spécialiste en rhumatologie auprès de la Clinique Corela à Genève. Selon ce rapport daté du 24 mai 2013, l'assurée souffrait d'une fibromyalgie en phase aiguë, laquelle n'entraînait toutefois pas de répercussions sur la capacité de travail. En effet, faute de maladie psychiatrique grave patente (schizophrénie, épisode dépressif sévère invariable, etc.) ou d'affection somatique longue avec un traitement particulièrement lourd et vu le maintien des relations sociales, la Dresse B______ était d'avis que les critères jurisprudentiels permettant d'admettre le caractère invalidant de cette atteinte n'étaient pas remplis, de sorte qu'elle ne retenait pas d'incapacité de travail.

4.        Après examen des pièces récoltées et notamment du rapport précité, l'OAI a informé l'assurée, par courrier du 3 juillet 2013, que le dépôt d'une demande de prestations d'invalidité n'était pas indiqué, l'atteinte dont elle souffrait n'étant pas incapacitante au sens de la loi.

5.        Le 23 septembre 2013, sous la plume de son conseil, l'assurée s'est opposée à la communication précitée, relevant qu'elle était toujours incapable de travailler et ce durablement. Elle invitait par conséquent l'OAI à revoir sa position ou, à défaut, à rendre une décision formelle, motivée.

6.        Le 14 janvier 2014, elle a persisté dans les termes de son courrier du 23 septembre 2013.

7.        Par courrier du 26 février 2014, l'OAI a précisé à l'assurée que la communication du 3 juillet 2013 s'inscrivait dans le contexte d'une détection précoce. Elle disposait donc toujours de la possibilité de déposer une demande de prestations.

8.        En date du 26 mars 2014, l'assurée a ainsi saisi l'OAI d'une demande de prestations en raison des atteintes suivantes : fibromyalgie, canal carpien, dépression et hypertension artérielle (HTA), ces atteintes étant présentes depuis le début de l'année 2010.

9.        Les médecins interrogés par l'OAI lors de l'instruction de la demande de prestations précitée ont évoqué les diagnostics de syndrome douloureux chronique, état dépressif et anxiété, probable syndrome de Sjögren et syndrome du tunnel carpien bilatéral ainsi qu'obésité, HTA traitée, rhino-conjonctivite allergique et allergie à l'iode (choc anaphylactique lors du CT-Scan) (rapport de la doctoresse C______, spécialiste FMH en médecine interne, du 22 avril 2014) ; syndrome douloureux chronique dans le cadre d'une fibromyalgie, syndrome du canal carpien bilatéral modéré confirmé par ENMG en juin 2013 et traité par infiltration bilatérale en août 2013 ; suspicion de syndrome de Sjörgen (Ac anti-SS-A positifs) infirmé en raison de test de Schurmer sialométrie, IRM des glandes parotidiennes normales et absence de syndrome inflammatoire biologique ; état dépressif (rapport du centre multidisciplinaire d'étude et de traitement de la douleur, Hôpitaux universitaires de Genève, du 4 mars 2014) ; fibromyalgie (12 points sur 18) depuis 2012 en tout cas, possible syndrome de Sjögren depuis 2012 ; suspicion d'état dépressif depuis une date inconnue ; HTA traitée depuis une date inconnue, syndrome du canal carpien bilatéral modéré et asthme allergique saisonnier (rapport du docteur D______, spécialiste FMH en rhumatologie du 16 mai 2014). En raison principalement du syndrome douloureux ou fibromyalgie et de l'état dépressif, la capacité de travail était comprise entre 0 % (cf. rapport de la Dresse C______ du 22 avril 2014) et 50 % environ (cf. rapport du Dr D______ du 16 mai 2014).

10.    Le dossier de l'assurée a été soumis au service médical régional de l'assurance-invalidité (ci-après : le SMR), lequel a préconisé, dans un avis du 15 juin 2015, la réalisation d'une expertise rhumatologique et psychiatrique.

11.    L'examen en question a été effectué les 19 octobre 2015 et 2 mars 2016 par la doctoresse E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et par le docteur F______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, médecins auprès du SMR. Selon leur rapport du 7 mars 2016, les diagnostics avec effet sur la capacité de travail étaient ceux de rachialgies diffuses dans le cadre de troubles statiques modérés du rachis et de troubles dégénératifs du rachis dorsal avec anomalie transitionnelle lombosacrée (M54) et syndrome rotulien bilatéral dans le cadre d'une discrète gonarthrose bilatérale (M17). À titre de diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, les médecins du SMR ont évoqué une fibromyalgie (M9.0), une suspicion très peu probable de syndrome de Sjögren, une HTA traitée, une obésité avec BMI à 31, une rhino-conjonctivite perannuelle et saisonnière avec allergie aux pollens, aux acariens, aux poils de chien et de chat, une allergie alimentaire aux noisettes, mangues et fraises, un asthme allergique anamnestique et un status après drainage d'une lymphadénite suppurative rétropharyngée. Dans leur appréciation du cas sur le plan psychique notamment, les médecins du SMR ont considéré que l'assurée avait développé une symptomatologie dépressive réactionnelle, d'accompagnement de la fibromyalgie, objectivée en 2014. En cours d'été 2014, l'assurée avait ainsi débuté une prise en charge psychiatrique ambulatoire auprès de la doctoresse G______, spécialiste FMH en psychiatrie. Elle voyait sa psychiatre une fois par mois et bénéficiait d'un traitement antidépresseur. Sous prise en charge psychiatrique ambulatoire, accompagnée d'un traitement médicamenteux antidépresseur, l'état de santé de l'assurée s'était progressivement amélioré et était actuellement complètement stabilisé. En tout état, pour les médecins du SMR, en présence de douleurs chroniques persistantes, les états dépressifs constituaient des manifestations réactives, d'accompagnement de ces troubles, de sorte qu'un tel diagnostic ne saurait être constitutif d'une comorbidité psychiatrique autonome du trouble douloureux chronique. Anamnestiquement, la symptomatologie présentée par l'assurée était d'intensité légère, sans répercussion sur la capacité de travail. L'examen clinique psychiatrique n'avait pas démontré de dépression majeure, de décompensation psychotique, d'anxiété généralisée, de trouble phobique, de trouble panique, de trouble de la personnalité morbide, d'état de stress post-traumatique, de trouble obsessionnel compulsif, de trouble dissociatif, de perturbation sévère de l'environnement psychosocial ni de limitations fonctionnelles psychiatriques à caractère incapacitant. L'assurée présentait en revanche une importante amplification des plaintes somatiques. Elle était très démonstrative, portant une collerette cervicale en mousse, des attelles aux deux poignets de type velcro et une ceinture abdominale. Elle faisait des grimaces tout au long de l'entretien, ce qui ne l'empêchait toutefois pas, par moments, de sourire, tout en présentant un comportement algique. Pour les médecins du SMR, il existait ainsi des divergences entre les symptômes décrits et le comportement de l'assurée en situation d'examen. Ils n'avaient en effet objectivé ni diminution des capacités fonctionnelles due à une quelconque atteinte à la santé, ni diminution des ressources mais avaient surtout constaté des facteurs étrangers à l'invalidité (situation économique difficile, démotivation, perspective d'être au chômage). Certes, la vie sociale était diminuée mais l'assurée voyait de temps en temps ses amies. Elle se rendait en outre deux fois par mois à la Mosquée et une fois par année, elle rentrait au Pakistan, en avion, ce qui correspondait à un vol de 10 heures.

Les atteintes relevées par les médecins du SMR entraînaient les limitations fonctionnelles suivantes : au niveau du rachis : nécessité de pouvoir alterner deux fois par heure la position assise et la position debout, pas de soulèvement régulier de charges d'un poids excédant 5kg, pas de port régulier de charges d'un poids excédant 8 kg, pas de travail en porte-à-faux statique prolongé du tronc, pas d'exposition à des vibrations ; au niveau des membres inférieurs : pas de génuflexion répétée, pas de franchissement régulier d'escaliers, d'escabeau ou d'échelle. Sur le plan psychiatrique, aucune limitation fonctionnelle n'était relevée.

En raison des limitations fonctionnelles précitées, la capacité de travail de l'assurée était nulle dans son activité habituelle d'aide-soignante diplômée dans un EMS mais entière dans une activité adaptée. Sur le plan psychiatrique, la capacité de travail était entière. L'assurée était surtout démotivée. Elle se positionnait dans un rôle d'invalide, était très démonstrative et ne se voyait toujours pas travailler en raison de son état de santé.

12.    Le 26 octobre 2016, l'OAI a présenté les conclusions du SMR à l'assurée. Comme cette dernière n'arrivait pas à se projeter dans une activité professionnelle, une mesure d'orientation lui a été proposée, ce qu'elle a accepté.

13.    Le 8 mai 2017, l'assurée a ainsi commencé un stage auprès de PRO, entreprise sociale privée. Dès le premier jour, l'assurée a présenté une incapacité de travail. Celle-ci était de 50 % du 8 au 17 mai, de 75 % du 17 mai au 4 juin et de 100 % du 5 au 30 juin 2017. Selon le rapport de fin de stage du 20 novembre 2017, la mesure d'observation était initialement prévue sur treize semaines mais elle ne s'était pas étendue au-delà de sept semaines en raison de l'état de santé de l'assurée. Le taux d'activité de 100 % fixé par l'OAI n'avait au demeurant jamais pu être atteint. Compte tenu de la péjoration de l'état de santé de l'assurée, aucune orientation professionnelle n'était possible. Vu les observations faites durant le stage, une activité professionnelle, même adaptée, sur le marché traditionnel de l'emploi, paraissait fortement compromise, compte tenu des importantes limitations constatées.

14.    Suite aux conclusions de PRO, l'OAI a procédé au calcul du degré d'invalidité, qu'il a établi à 24,3 % après comparaison des revenus (cf. rapport final du 22 novembre 2017).

15.    Par projet du 15 novembre 2018, confirmé le 10 janvier 2019, l'OAI a rejeté la demande de prestations de l'assurée. Le degré d'invalidité de 24,3 %, inférieur aux 40 % requis, était insuffisant pour l'ouverture d'un droit à la rente. Par ailleurs, même une mesure de reclassement ne serait pas de nature à réduire le dommage et la mesure d'orientation professionnelle n'avait pas permis de définir de pistes.

16.    Par courrier du 7, complété le 22 février 2019, l'assurée (ci-après : la recourante), sous la plume de son conseil, a interjeté recours contre la décision du 10 janvier 2019, concluant sous suite de frais et dépens, préalablement à la réalisation d'une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, psychiatrie et rhumatologie), principalement, à l'annulation de la décision querellée et à l'octroi d'une rente d'invalidité entière à compter du 27 mars 2014, subsidiairement à l'octroi de mesures professionnelles. À l'appui de ses conclusions, elle a essentiellement contesté la valeur probante du rapport du SMR du 7 mars 2016 établi, selon elle, principalement sur la base du rapport de la Dresse B______, médecin au sein de la Clinique Corela. À cet égard, elle a relevé que l'assureur perte de gain, qui avait sollicité cette expertise, en avait désavoué les conclusions, en acceptant de prester au-delà de la date qui y était retenue. En outre, ni les médecins du SMR ni l'OAI n'avaient examiné le caractère invalidant de ses atteintes à l'aune des indicateurs jurisprudentiels découlant de l'ATF 141 V 281. Subsidiairement, dans l'hypothèse où la chambre de céans ne devrait pas retenir son droit à une rente d'invalidité, la recourante concluait à l'octroi de mesures professionnelles.

17.    L'OAI (ci-après : l'intimé) a répondu le 20 mars 2019 et a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée. Il a notamment contesté le fait que le SMR se serait essentiellement fondé sur l'expertise de la Dresse B______ pour établir son rapport, dès lors que le service médical précité avait notamment procédé à un examen clinique tant rhumatologique que psychiatrique. De plus, le rapport du SMR du 7 mars 2016 se fondait sur une étude circonstanciée du dossier, des examens complets et un status détaillé. La description du contexte médical et l'appréciation de la situation étaient claires. Enfin, les conclusions des médecins étaient dûment motivées, de sorte que le rapport en question remplissait tous les critères jurisprudentiels pour lui voir reconnaître une pleine valeur probante. L'intimé relevait également que l'évaluation des indicateurs permettait de retenir que la recourante ne présentait pas de comorbidités psychiatriques justifiant une incapacité de travail, l'état dépressif en question constituant une manifestation réactive, d'accompagnement des douleurs chroniques persistantes. Par ailleurs, on ne pouvait parler d'échec de traitement, ni de processus maladif s'étendant sur plusieurs années, dès lors que suite au traitement psychiatrique ambulatoire, accompagné d'un traitement médicamenteux dépressif, l'état de santé de la recourante s'était progressivement amélioré et était désormais stabilisé. Il n'y avait pas de limitation uniforme dans toutes les activités de la vie quotidienne, ce qui montrait que la recourante disposait de ressources personnelles préservées, étant précisé, dans ce contexte, que deux fois par mois, elle se rendait à la Mosquée et qu'une fois par année, elle rentrait au Pakistan, en avion, ce qui impliquait un vol de 10 heures. Il existait en outre des incohérences entre l'incapacité de travail et les éléments figurant au dossier comme cela ressortait du rapport du SMR du 7 mars 2016. Par ailleurs, l'examen clinique du SMR permettait de confirmer l'absence de caractère invalidant de la fibromyalgie compte tenu des indicateurs de la nouvelle jurisprudence. Enfin, toutes les atteintes à la santé de la recourante avaient été prises en considération.

S'agissant des mesures professionnelles, l'intimé a rappelé que la recourante avait bénéficié d'une orientation professionnelle, au terme de laquelle il n'avait pas été possible d'évaluer les performances, étant donné qu'elle n'était capable de travailler qu'à 25 %, avant d'interrompre la mesure pour se consacrer à ses séances de physiothérapie et se rendre au Pakistan. Par ailleurs et en tout état, le marché du travail offrait un éventail suffisamment large d'activités légères adaptées aux limitations de la recourante et accessibles sans aucune formation particulière.

18.    Par courrier du 12 avril 2019, la recourante a transmis à la chambre de céans un rapport du Dr D______ du 25 février 2019, dont il ressort que dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, sa capacité de travail était de 50 à 70 % en tenant compte des différentes pathologies. L'activité adaptée ne devait pas nécessiter de travaux physiquement pénibles, de ports de charges lourdes, de positions debout ou de marche prolongée, de travaux fréquents, de travaux de précision avec les mains. Elle devrait par ailleurs être employée dans une activité permettant des pauses, sans contrainte de temps. Enfin, pour le Dr D______, l'association des douleurs diffuses dues à la fibromyalgie et de sa présentation psychique, quel que soit le diagnostic retenu, conduisait à une incapacité de travail à tout le moins partielle.

19.    Le 15 mai 2019, l'intimé a transmis à la chambre de céans l'avis de son SMR du 2 mai 2019, dont il ressort que pour les médecins du service précité, le Dr D______ n'apportait aucun élément clinique nouveau ou même ancien qui n'aurait pas été pris en compte lors de l'évaluation du SMR.

20.    Une audience de comparution personnelle des parties s'est tenue le 13 janvier 2020. À cette occasion, la recourante a expliqué qu'en 2018, elle avait abandonné le suivi psychiatrique pour des raisons financières liées au coût des franchises et des participations de la caisse-maladie, ne conservant que le traitement médicamenteux. Elle avait toutefois repris son suivi en 2019, non pas en raison d'une amélioration de sa situation financière mais parce qu'elle ne se sentait pas bien. Son médecin actuel était le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Il avait repris le suivi de la Dresse G______ en mars ou avril 2019. Il lui prescrivait les mêmes médicaments que précédemment. Initialement, elle le voyait une fois par mois. Depuis décembre 2019, elle le voyait à raison de deux à trois fois par mois. Lors des consultations, elle lui parlait de ses douleurs (nuque, dos, bras, lombaires). Le Dr H______ parlait de changer de traitement mais elle avait poursuivi car elle avait le sentiment que les médicaments amélioraient un peu son état même si ses plaintes relevaient, d'après son médecin, d'effets secondaires. Sur le plan rhumatologique, elle n'était plus suivie par le Dr D______, celui-ci l'ayant renvoyée à son médecin traitant, sauf problématique sévère et urgente. Elle avait récemment consulté la doctoresse I______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie en raison des douleurs aux genoux.

21.    Le 18 février 2020, la recourante a transmis à la chambre de céans un rapport du Dr H______ du 12 février 2020, dans lequel ce médecin a évoqué un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2) présent depuis 2012 environ. Le problème psychiatrique de la recourante avait débuté en 2009-2010 suite à une agression physique sur son lieu de travail. En effet, un résident masculin de l'EMS dans lequel elle travaillait, atteint de démence de type Alzheimer, et connu pour des actes violents, l'avait prise par les cheveux lors d'un soin, et l'avait secouée très brutalement. Un collègue avait dû intervenir pour que le résident cesse. Cet incident avait été débriefé sur le mode de la normalisation de la violence chez les personnes démentes lors d'une réunion avec l'infirmière-cheffe. La recourante avait alors bénéficié de deux ou trois jours de repos à cause de la perturbation de son fonctionnement émotionnel. Elle était ensuite partie au Pakistan dans sa famille, pour les vacances. Elle avait gardé cet événement secret et n'en avait jamais parlé. Elle avait toutefois décrit un état de choc lors de son séjour au Pakistan, avec une grande inquiétude, un sentiment d'incapacité à faire face, à supporter la situation, une altération du fonctionnement habituel et une tendance à un comportement dramatique. Par la suite, elle avait consulté un médecin pour des céphalées avec une poussée hypertensive avec la crainte d'un AVC. Une HTA avait alors été diagnostiquée et un traitement lui avait été prescrit. À son retour en Suisse, elle avait repris son activité d'aide-soignante mais elle était devenue évitante et méfiante envers les résidents. Elle évitait ainsi les personnes agitées et attendait qu'elles soient calmes avant de s'en occuper. Le contact direct avec les résidents devenait de plus en plus difficile. Parallèlement, elle évitait de penser à cet événement traumatique, au point de l'oublier, et se focalisait de plus en plus sur ses douleurs (somatisation). Elle était progressivement incapable de se rendre sur son lieu de travail et invoquait de plus en plus la symptomatologie douloureuse. Ce procédé lui évitait de penser à la violence subie, d'une part, par la personne malade et, d'autre part, par ses collègues qui tenaient un discours normalisant. Ce mécanisme psychique de refoulement était bien connu et se traduisait par la mise en avant et l'accentuation des douleurs fibromyalgiques, déjà présentes avant l'épisode traumatique. Compte tenu de cet historique, le trouble de l'adaptation (F43.2) après son traumatisme en 2009-2010 avait évolué en un trouble de l'adaptation, réaction dépressive prolongée (F43.21), plus durable, qui compte tenu de sa durée, permettait de poser le diagnostic de trouble dépressif récurrent (F33) avec des symptômes majoritairement somatiques à partir de 2012-2013. La symptomatologie dépressive n'était donc pas à considérer comme secondaire à la symptomatologie douloureuse mais primaire. Le trouble dépressif était secondaire au traumatisme physique et psychique, qui n'avait pas été diagnostiqué et ainsi traité. En raison du trouble psychique, l'assurée était épuisée mentalement après 20 minutes d'entretien. Elle n'avait pas d'endurance. La fatigue et la fatigabilité à l'effort dominaient. Les ressources sociales étaient pauvres, son époux étant âgé et malade et son réseau social d'aide très restreint. La recourante ne disposait pas des ressources psychiques nécessaires pour surmonter ses troubles et mettre à profit sa capacité de travail. La symptomatologie la rendait incapable de fournir un effort de volonté. Par ailleurs, l'échec des traitements antidépresseurs, l'ancienneté du traumatisme et la focalisation sur les symptômes douloureux limitaient considérablement les chances d'évolution. Le pronostic était donc mauvais. S'agissant du traitement, le psychiatre précité a relevé que la liste des médicaments, antidépresseurs, antalgiques, anti-inflammatoires et anti-hypertenseurs était longue et relativement inefficace sur la symptomatologie douloureuse et dépressive. Il travaillait de concert avec la doctoresse J______, généraliste FMH, pour simplifier la liste des médicaments avant d'en prescrire d'autres. En effet, selon certains pharmacologues, au-delà de trois médicaments, la synergie entre les molécules devenait complexe. De plus, la découverte de l'événement traumatique précité lui faisait aborder la question de la dépression de manière différente, qui mobilisait la réflexion sur ce qui faisait mal au lieu de supprimer la douleur.

Dans son courrier d'accompagnement, la recourante sollicitait également l'audition du Dr H______.

22.    L'intimé a soumis le rapport précité du Dr H______ à son SMR, lequel a considéré, en substance, dans un avis du 9 mars 2020, adressé le même jour à la chambre de céans, que le Dr H______ avait fait état d'une éventuelle dégradation de l'état psychique de la recourante, postérieure à la décision attaquée. Partant, le SMR maintenait ses précédentes conclusions.

23.    Par courrier du 1er avril 2020, la recourante s'est étonnée de la position du SMR. En effet, il ne s'agissait pas de faits nouveaux proprement dits mais d'une erreur de diagnostic du corps médical. Il s'agissait ainsi d'éléments médicalement objectifs, lesquels appelaient une nouvelle appréciation de la situation. La recourante relevait également que le Dr H______ n'avait nullement évoqué une dégradation postérieure à la décision attaquée mais qu'il avait au contraire évoqué un trouble de l'adaptation après le traumatisme de 2009-2010, lequel avait évolué en trouble de l'adaptation, avec réaction dépressive prolongée, lequel avait lui-même permis de poser le diagnostic de trouble dépressif récurrent avec des symptômes majoritairement somatiques à partir de 2012-2013.

24.    Après échange des écritures, la cause a été gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

3.        Le litige porte sur le point de savoir si l'intimé était fondé à rejeter la demande de prestations de la recourante. Concrètement, le litige porte sur la valeur probante du rapport du SMR et, partant, le caractère incapacitant des atteintes dont elle souffre.

4.        Aux termes de l'art. 8 al. 1er LPGA, est réputée invalidité l'incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée.

Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique ou mentale et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008). Pour qu'il y ait ainsi incapacité de gain au sens de l'art. 7 LPGA, l'assuré doit ne pas pouvoir surmonter, objectivement, par ses propres efforts, les répercussions négatives de ses problèmes de santé sur sa capacité de gain. En d'autres termes, ce n'est qu'à partir du moment où l'effort n'est plus réalisable, faute d'être exigible, que la question de l'incapacité de gain se pose (Susana MESTRE CARVALHO, Exigibilité - La question des ressources mobilisables, in RSAS 2019, p. 60).

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

5.        a. Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 130 V 352 consid. 2.2.1).

b. La fibromyalgie est une affection rhumatismale reconnue par l'Organisation mondiale de la santé [OMS] (CIM-10 : M79.0), caractérisée par une douleur généralisée et chronique du système ostéoarticulaire et s'accompagne généralement d'une constellation de perturbations essentiellement subjectives (tels que fatigue, troubles du sommeil, sentiment de détresse, céphalées, manifestations digestives et urinaires d'allure fonctionnelle). Comme la fibromyalgie ne peut guère, étant donné son étiologie incertaine, être rangée dans la catégorie des atteintes à la santé psychiques ou psychosomatiques, ou encore dans celle des atteintes à la santé organiques, il se dégage une tendance générale parmi les auteurs d'admettre une combinaison de ces deux éléments, avec cependant une prépondérance des facteurs psychosomatiques. À ce jour, le Tribunal fédéral n'a cependant pas pris position sur cette controverse médicale (ATF 132 V 65 consid. 3.2 et 3.3).

c. En ce qui concerne la question de l'appréciation de la capacité de travail d'une personne atteinte de fibromyalgie, il faut admettre que l'on se trouve dans une situation comparable à celle de l'assuré souffrant d'un trouble somatoforme douloureux. Ces deux atteintes à la santé présentent en effet des points communs. Tout d'abord, on peut constater que leurs manifestations cliniques sont pour l'essentiel similaires (plaintes douloureuses diffuses). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'est pas rare de voir certains médecins poser indistinctement l'un ou l'autre diagnostic ou assimiler la fibromyalgie au trouble somatoforme douloureux. Ensuite, dans l'un comme dans l'autre cas, il n'existe pas de pathogenèse claire et fiable pouvant expliquer l'origine des douleurs exprimées. Cela rend la limitation de la capacité de travail difficilement mesurable car l'on ne peut pas déduire l'existence d'une incapacité de travail du simple diagnostic posé. En particulier, un diagnostic de fibromyalgie ou de trouble somatoforme douloureux ne renseigne pas encore sur l'intensité des douleurs ressenties par la personne concernée, ni sur leur évolution ou sur le pronostic qu'on peut poser dans un cas concret. Certains auteurs déclarent du reste que la plupart des patients atteints de fibromyalgie ne se trouvent pas notablement limités dans leurs activités. Eu égard à ces caractéristiques communes et en l'état actuel des connaissances, il se justifie donc, sous l'angle juridique, d'appliquer par analogie les principes développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux lorsqu'il s'agit d'apprécier le caractère invalidant d'une fibromyalgie (ATF 132 V 65 consid. 4.1).

d. Quand bien même le diagnostic de fibromyalgie est d'abord le fait d'un médecin rhumatologue, il convient ici aussi d'exiger le concours d'un médecin spécialiste en psychiatrie, d'autant plus que les facteurs psychosomatiques ont, selon l'opinion dominante, une influence décisive sur le développement de cette atteinte à la santé. Une expertise interdisciplinaire tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et psychiques apparaît donc la mesure d'instruction adéquate pour établir de manière objective si l'assuré présente un état douloureux d'une gravité telle - eu égard également aux critères déterminants - que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part. On peut réserver les cas où le médecin rhumatologue est d'emblée en mesure de constater, par des observations médicales concluantes, que les critères déterminants ne sont pas remplis, ou du moins pas d'une manière suffisamment intense, pour conclure à une incapacité de travail (ATF 132 V 65 consid. 4.2).

6.        a. Les troubles d'ordre psychosomatique ou syndromes sans pathogénèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique, tels que la fibromyalgie ou le trouble somatoforme douloureux, sont difficilement objectivables et il n'est pas évident d'identifier ce qui est raisonnablement exigible de l'assuré et s'il a les ressources nécessaires pour fournir l'effort requis (Susana MESTRE CARVALHO, op. cit., p. 61).

b. L'évaluation des syndromes sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique ne faisait pas l'objet d'un consensus médical (arrêt du Tribunal fédéral 9C_619/2012 du 9 juillet 2013 consid. 4.1). Pour ces motifs, la jurisprudence avait dégagé un certain nombre de principes et de critères normatifs pour permettre d'apprécier - sur les plans médical et juridique - le caractère invalidant de ce genre de syndromes. Selon la jurisprudence ayant cours jusqu'en 2015, ceux-ci n'entraînaient pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la capacité de travail pouvant conduire à une invalidité (ATF 130 V 352 consid. 2.2.3). Il existait une présomption que de tels syndromes ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 131 V 49 consid. 1.2). Le Tribunal fédéral avait toutefois reconnu qu'il existait des facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendaient la personne incapable de fournir cet effort de volonté, et avait établi des critères permettant d'apprécier le caractère invalidant de ces syndromes (cf. ATF 130 V 352 consid. 2.2. et ATF 131 V 49 consid. 1.2). Au premier plan figurait la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères pouvaient être déterminants, tels que des affections corporelles chroniques, un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou progressive), une perte d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, un état psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de la personne assurée (ATF 132 V 65 consid. 4.2). En présence de tels syndromes, la mission d'expertise consistait surtout à porter une appréciation sur la vraisemblance de l'état douloureux et, le cas échéant, à déterminer si la personne expertisée disposait des ressources psychiques lui permettant de surmonter cet état. Eu égard à la mission confiée, les experts failliraient à celle-ci s'ils ne tenaient pas compte des différents critères mis en évidence par le Tribunal fédéral dans le cadre de leur appréciation médicale (ATF 132 V 65 consid. 4.2 et 4.3).

7.        a. Dans un arrêt du 3 juin 2015 (ATF 141 V 281) le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en matière de trouble somatoforme douloureux. Désormais, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d'une part et les ressources de compensation de la personne d'autre part (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). Il n'y a plus lieu de se fonder sur les critères de l'ATF 130 V 352, mais sur une grille d'analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

Le point de départ de l'évaluation précitée est l'ensemble des éléments médicaux et constatations y relatives. Les experts doivent motiver le diagnostic psychique de telle manière que l'organe d'application du droit puisse comprendre non seulement si les critères de classification sont remplis mais aussi si, et comment, les limitations concrètes dans les fonctions de la vie quotidienne, qui sont présupposées dans la classification, doivent être prises en compte lors de l'évaluation de la capacité de travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.1).

Dans ce cadre, il convient d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources). Les indicateurs pertinents sont notamment l'expression des constatations et des symptômes, le recours aux thérapies, leur déroulement et leurs effets, les efforts de réadaptation professionnelle, les comorbidités, le développement et la structure de la personnalité, le contexte social de la personne concernée ainsi que la survenance des restrictions alléguées dans les différents domaines de la vie (travail et loisirs).

b. Le 30 novembre 2017, le Tribunal fédéral a étendu sa jurisprudence sur les troubles somatoformes douloureux à tous les troubles psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7). Désormais, la jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée.

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d'un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

8.        a. Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents qu'un médecin, éventuellement d'autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est, à ce motif, incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

b. Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

b/aa. Selon l'art. 43 al. 1, 1ère phrase LPGA, l'assureur examine les demandes, prend d'office les mesures d'instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Conformément à l'art. 59 al. 2 et 2bis LAI, des services médicaux régionaux (SMR) interdisciplinaires sont à la disposition des offices AI pour évaluer les conditions médicales du droit aux prestations. Ils établissent les capacités fonctionnelles de l'assuré, déterminantes pour l'AI conformément à l'art. 6 LPGA, à exercer une activité lucrative ou à accomplir ses travaux habituels dans une mesure qui peut être raisonnablement exigée de lui. Ils sont indépendants dans l'évaluation médicale des cas d'espèce. Fondé sur les données de son service médical, l'office AI sera en mesure de déterminer les prestations à allouer, lesquelles doivent reposer sur des rapports médicaux satisfaisant aux exigences d'une qualité probante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1063/2009 du 22 janvier 2010 consid. 4.2.3). Pour effectuer leurs tâches, les SMR peuvent se prononcer sur dossier (art. 59 al. 2 bis LAI et 49 al. 1 du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 [RAI - RS 831.201]) ou examiner les assurés au sein du SMR (art. 49 al. 2 RAI). L'OAI peut également confier à un médecin expert indépendant la charge d'une expertise (art. 59 al. 3 LAI et 44 LPGA). Selon cette dernière disposition, si l'assureur doit recourir aux services d'un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l'expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. À noter que l'art. 43 al. 2 LPGA prévoit que l'assuré doit se soumettre à des examens médicaux ou techniques si ceux-ci sont nécessaires à l'appréciation du cas et qu'ils peuvent être raisonnablement exigés.

L'art. 44 LPGA prévoyant les conditions de mise en oeuvre d'une expertise externe indépendante ne s'applique pas aux examens médicaux réalisés par les SMR (ATF 135 V 254 consid. 3.4). Cela étant, le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee). Dans de telles constellations, il convient toutefois de poser des exigences sévères à l'appréciation des preuves. Une instruction complémentaire sera ainsi requise, s'il subsiste des doutes, même minimes, quant au bien-fondé des rapports et expertises médicaux versés au dossier par l'assureur (ATF 135 V 465 consid. 4.3 et ss; ATF 125 V 351 consid. 3b ee; ATF 123 V 175 consid. 3d; ATF 122 V 157 consid. 1d; aussi arrêts du Tribunal fédéral I 143/07 du 14 septembre 2007 consid. 3.3 et 9C_55/2008 du 26 mai 2008 consid. 4.2 avec références, concernant les cas où le service médical n'examine pas l'assuré mais se limite à apprécier la documentation médicale déjà versée au dossier).

b/bb. Lorsque l'assuré présente ses propres moyens de preuve pour mettre en doute la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l'assurance, il s'agit souvent de rapports émanant du médecin traitant ou d'un autre médecin mandaté par lui. Ces avis n'ont pas valeur d'expertise et, d'expérience, en raison de la relation de confiance liant le patient à son médecin, celui-ci va plutôt pencher, en cas de doute, en faveur de son patient. Ces constats ne libèrent cependant pas le tribunal de procéder à une appréciation complète des preuves et de prendre en considération les rapports produits par l'assuré, afin de voir s'ils sont de nature à éveiller des doutes sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l'assurance (arrêt du Tribunal fédéral 8C_408/2014 et 8C_429/2014 du 23 mars 2015 consid. 4.2).

b/cc. À noter, dans ce contexte, que le simple fait qu'un avis médical divergent - même émanant d'un spécialiste - ait été produit ne suffit pas à lui seul à remettre en cause la valeur probante d'un rapport médical (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 365/06 du 26 janvier 2007 consid. 4.1).

9.        a. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

b. Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en oeuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en oeuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

c. Les expertises en matière de trouble somatoforme douloureux mises en oeuvre selon l'ancien standard de procédure ne perdent pas en soi valeur de preuve. Lors de l'application par analogie des exigences désormais modifiées en matière de droit matériel des preuves, il faut examiner dans chaque cas si l'expertise administrative et/ou juridique demandée - le cas échéant dans le contexte d'autres rapports médicaux réalisés par des spécialistes - permet ou non une évaluation concluante à la lumière des indicateurs déterminants. Suivant le degré et l'ampleur de clarification nécessaire, un complément ponctuel peut dans certaines circonstances suffire (ATF 141 V 281 consid. 8).

10.    En l'espèce, l'intimé s'est fondé sur le rapport des Drs F______ et E______ du 7 mars 2016 pour nier le droit de la recourante à une rente.

À titre liminaire, il y a lieu de relever que les Drs F______ et E______ ont réalisé un examen sur la personne au sens de l'art. 49 al. 2 RAI. En tant qu'il a été établi par des médecins du SMR, le rapport du 5 juin 2018 ne constitue pas une expertise au sens de l'art. 44 LPGA, ce qui ne signifie pas pour autant que la valeur probante dudit document doit être niée d'emblée. Elle doit simplement être examinée conformément aux réquisits jurisprudentiels.

Cela étant précisé, force est de constater que ledit rapport remplit plusieurs des exigences auxquelles la jurisprudence soumet la valeur probante d'un tel document : il contient en effet un résumé du dossier, une anamnèse détaillée, les indications subjectives de la recourante et des observations cliniques.

La discussion générale du cas et les conclusions des médecins du SMR ne sont toutefois pas motivées à satisfaction de droit.

En effet, les médecins du SMR ont tout d'abord examiné le caractère invalidant de la fibromyalgie conformément aux critères valables sous l'empire d'une jurisprudence, qui a été modifiée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 3 juin 2015 (ATF 141 V 281). Désormais, il y a lieu d'examiner si les répercussions fonctionnelles de l'atteinte à la santé constatée médicalement sont prouvées de manière définitive et sans contradiction avec une vraisemblance (au moins) prépondérante au moyen des indicateurs standards. Le rapport des Drs F______ et E______ ne permet toutefois pas de se prononcer sur le caractère invalidant des troubles de la recourante à l'aune des indicateurs jurisprudentiels, certains aspects tels que celui de l'axe de la personnalité (avec les fonctions du Moi notamment) ou l'existence d'un traitement bien suivi n'ayant pas été examinés.

Ensuite, sur le plan psychique, les médecins du SMR ont considéré que l'état de la recourante s'était stabilisé sous prise en charge psychiatrique ambulatoire accompagnée d'un traitement médicamenteux antidépresseur. Aucun rapport dans ce sens ne figure toutefois au dossier alors que la recourante était suivie par la Dresse G______. La Dresse E______ n'a à aucun moment sollicité des informations de ce médecin. En outre, la psychiatre du SMR est partie de la présomption que le trouble dépressif était réactionnel au trouble douloureux, conformément à la jurisprudence en vigueur jusqu'en 2015. Or, il ressort du rapport du Dr H______ du 12 février 2020 qu'un traumatisme en 2009 ou 2010, sous la forme d'une agression physique par un résident soigné à l'EMS, serait l'origine d'une atteinte psychique, elle-même ayant entraîné ou du moins aggravé les atteintes rhumatologiques. Contrairement à ce que prétendent le SMR et l'intimé dans leurs écritures respectives du 9 mars 2020, il ne s'agit là pas d'un fait nouveau qui serait survenu postérieurement à la décision querellée et qui constituerait une aggravation de l'état de santé de la recourante mais d'un fait ancien, découvert postérieurement à la décision querellée. Or, la découverte de ce fait aurait pu être susceptible de modifier l'appréciation de la Dresse E______.

Dans de telles conditions, on ne saurait reconnaître une pleine valeur probante au rapport des Drs F______ et E______ et la chambre de céans ne saurait procéder à une appréciation concluante selon les indicateurs développés par la jurisprudence (ATF 141 V 281 et ATF 143 V 418) sur la base du rapport des médecins du SMR.

S'y ajoute le fait que l'intimé n'a pas instruit les faits à satisfaction de droit. En effet, la recourante a été examinée par les médecins du SMR en date des 19 octobre 2015 et 2 mars 2016. La mesure d'orientation professionnelle initiée le 8 mai 2017, soit près de 15 mois après, s'est soldée par un échec en raison de l'état de santé de la recourante. Pourtant, malgré l'écoulement de près de 15 mois entre le dernier examen au SMR et le début de la mesure d'orientation professionnelle, l'OAI n'a pas jugé nécessaire de faire réexaminer la recourante ou, du moins, de requérir des compléments auprès de ses médecins traitants. Ensuite, il s'est à nouveau passé près d'un an et demi entre la mesure d'orientation professionnelle et la décision de l'OAI sans que ce dernier ne procède à la moindre instruction médicale alors que les conclusions de la mesure auprès de l'entreprise PRO auraient justifié une instruction complémentaire. En résumé, entre le 2 mars 2016, date du dernier examen clinique au SMR, et le 10 janvier 2019, date de la décision querellée, soit pendant près de trois ans, l'intimé n'a procédé à aucune instruction médicale, se contentant de se fonder sur les conclusions du rapport du SMR du 7 mars 2016.

Dans ces circonstances, le rapport du 7 mars 2016 ne revêt à l'évidence pas une valeur probante suffisante pour que la chambre de céans puisse s'y référer pour examiner le bien-fondé de la décision querellée. La chambre de céans n'a donc d'autre choix que de renvoyer la cause à l'OAI pour qu'il mette en oeuvre une expertise pluridisciplinaire en médecine interne, psychiatrie et rhumatologie, laquelle devra notamment se prononcer sur le caractère invalidant des atteintes dont souffre la recourante conformément à la grille d'évaluation élaborée par le Tribunal fédéral en 2015. Il appartiendra également à l'expert nouvellement nommé d'indiquer les motifs pour lesquels il s'écarte, le cas échéant, du diagnostic d'état dépressif d'intensité sévère posé par les médecins traitants de la recourante.

11.    Eu égard à ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision du 10 janvier 2019 sera annulée. La cause sera renvoyée à l'intimé pour instruction complémentaire au sens du considérant précité, et nouvelle décision.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 1'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Étant donné que la procédure n'est pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.-.

 

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement et annule la décision du 10 janvier 2019.

3.        Renvoie la cause à l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

4.        Condamne l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève à verser à la recourante une indemnité de CHF 1'500.- à titre de participation à ses frais.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève.

6.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Mario-Dominique TORELLO

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le