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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3277/2018

ATAS/455/2019 du 21.05.2019 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3277/2018 ATAS/455/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 mai 2019

1ère Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à ONEX, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Karin BAERTSCHI

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Monsieur A______ (ci-après l'assuré ou le recourant), né en 1965, a obtenu un certificat fédéral de capacité de serrurier en 1985. Il a essentiellement accompli des missions intérimaires jusqu'en 2002, date à partir de laquelle il n'a plus travaillé.

2.        En juin 2007, l'assuré a adressé une demande de prestations à l'Office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après l'OAI ou l'intimé), invoquant une atteinte de la main droite et de la colonne vertébrale depuis 2003.

3.        Dans un rapport du 29 novembre 2007, la doctoresse B______, spécialiste FMH en médecine interne, a posé les diagnostics avec répercussions sur la capacité de travail de troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation d'opiacés, suit actuellement un régime de substitution, depuis 1987 (F 1.22) ; de troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation d'alcool, utilise actuellement la drogue (F 10.24), de personnalité émotionnellement labile de type borderline depuis l'adolescence (F 60.31), de trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger (F 33.0), de douleurs lombaires après spondylodiscite depuis 2003 et de main droite avec griffe cubitale depuis 2001. L'assuré souffrait également d'une hépatite C, sans incidence sur sa capacité de travail. Il était totalement incapable de travailler depuis 2002. Il ne s'était jamais senti bien chez ses parents et disait avoir subi des violences physiques de la part de son père. Il avait réussi à bien diminuer sa consommation d'héroïne depuis le début de sa cure de méthadone. Depuis sa spondylodiscite en novembre 2003, il ne pouvait rester debout immobile plus de 15 minutes, ni agenouillé plus de 10 minutes. En 2001, les injections avaient conduit à une paralysie de la flexion digitale des doigts, pour laquelle il avait subi une intervention. Il présentait depuis un défaut d'extension et ne pouvait utiliser le pouce et l'inde pour faire une pince. L'exercice de son métier de serrurier était impossible, et une réévaluation de ses compétences professionnelles était indispensable.

4.        Le 13 février 2008, les docteurs C______ et D______, spécialistes FMH en rhumatologie et psychiatrie et médecins auprès du Service médical régional de l'assurance-invalidité (SMR), ont examiné l'assuré. Ils ont posé les diagnostics suivants avec répercussion sur la capacité de travail : importantes séquelles fonctionnelles du membre supérieur droit, status après paralysie médio-cubitale haute droite avec griffe cubitale D2, D3, D4, D5 avec lésions nerveuses à la suite d'injections d'héroïne dans le canal huméral, traitées chirurgicalement en 2004 (T 92.4) ; lombalgies chroniques, status après spondylodiscite L4-L5 en 2003 (M 51.8) ; trouble dépressif récurent, actuellement en rémission (F 33.4) ; et les diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail d'hépatite C chronique, de personnalité émotionnellement labile de type borderline (F 60.31), de dépendance aux opiacés, suit actuellement un régime de substitution sous surveillance médicale (F 11.22) et de dépendance aux opiacés, utilisation épisodique (F 11.26).

Au plan psychiatrique, l'anamnèse révélait une personnalité émotionnellement labile de type borderline dès l'adolescence. Toutefois, cette personnalité n'avait jamais été à l'origine d'un arrêt de travail de longue durée. En outre, lors de deux ruptures sentimentales, l'assuré avait présenté un état dépressif sans demande de soins. Ce n'était qu'en 2005 qu'il avait présenté un effondrement dans le contexte d'une cure de méthadone, raison pour laquelle son médecin avait introduit un traitement antidépresseur, arrêté fin 2007 après amélioration. Ces différents épisodes rentraient dans le contexte d'un trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission. L'examen psychiatrique ne révélait pas de symptomatologie psychotique, dépressive ou anxieuse. Les critères pour retenir un trouble de la personnalité décompensé n'étaient pas présents. Compte tenu de l'anamnèse, évoquant cinq ou six overdoses, un examen neuropsychologique était indiqué. Si des séquelles cognitives dues à la dépendance à l'héroïne étaient éliminées, des mesures de réadaptation professionnelle seraient indiquées.

Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : pas de travail impliquant la dextérité de la main droite (même la manipulation d'une souris d'ordinateur ou d'un clavier posait problème), pas de travail imposant le soulèvement ou le port de charges de plus de quelques kilos, nécessité d'alterner régulièrement les positions assise et debout. Elles devaient être réévaluées sur le plan neuropsychologique. L'incapacité de travail remontait à 2002, conformément aux indications de la Dresse B______. Au plan psychique, elle remontait à 2005. L'activité de serrurier n'était plus possible. Au plan purement somatique, on pouvait admettre qu'une activité professionnelle respectueuse des nombreuses limitations fonctionnelles aurait pu être possible dès l'été 2005 environ, soit neuf mois après l'intervention chirurgicale. Sur le plan psychiatrique, une amélioration était constatée fin 2007. Toutefois, dans l'attente des résultats de l'examen neuropsychologique, une amélioration globale ne pouvait pas encore être confirmée.

5.        La Professeure E______, spécialiste FMH en neurologie, et Madame F______, psychologue au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), ont procédé à l'examen neuropsychologique de l'assuré.

Dans leur rapport du 1er juillet 2008, elles ont noté que ce dernier avait peu de plaintes spontanées, hormis le handicap de la main droite et la persistance des douleurs dorsales. Il signalait des difficultés de mémoire sur les faits récents, apparues dans les 18 à 24 derniers mois, fluctuantes et sans aggravation. Leur examen avait mis en évidence un ralentissement et un défaut d'attention, mais il se situait par ailleurs dans les limites des normes. Elles ne relevaient pas d'éléments manifestes en faveur de troubles thymiques.

Elles ont conclu à l'absence de troubles cognitifs significatifs susceptibles d'avoir des répercussions sur le taux d'activité, mais à un ralentissement et à un défaut d'attention pouvant infléchir le rendement. Du point de vue neuropsychologique, la capacité de travail exigible était d'environ 80 % en raison de la diminution de rendement, mais une réorientation professionnelle (apprentissage de nouvelles données simples) était possible, même si des difficultés motivationnelles en limiteraient les chances de succès. Les orientations évoquées étaient celles de concierge ou magasinier. Il faudrait s'assurer d'un bon encadrement.

6.        Après plusieurs tentatives de convocation s'étant soldées par une sommation à l'assuré, l'OAI a pris en charge un stage d'observation auprès de PRO Entreprise sociale privée du 23 février au 24 mai 2009.

Dans leur rapport du 16 juin 2009, les maîtres de stage ont indiqué que le rendement était situé entre 60 % et 70 % dans les activités fines, et de l'ordre de 80 % lorsque celle-ci l'était moins. Le rendement en qualité était toujours de 100 %. Ils ont souligné les bonnes compétences sociales de l'assuré, sa motivation et son intérêt. Son engagement et l'inventivité dont il faisait preuve pour chercher à dépasser ses limitations physiques avaient montré à quel point il souhaitait aller de l'avant sur le plan professionnel. Cependant, les limitations fonctionnelles de sa main droite restaient bien présentes. De plus, l'assuré avait connu de sérieux problèmes de dos et de jambes au cours du stage. Compte tenu de ce dernier élément, il paraissait prématuré d'envisager des pistes professionnelles. Néanmoins, un métier tel que concierge paraissait peu adapté. Celui de magasinier ne semblait pas non plus concevable, dans la mesure où l'assuré n'arrivait pas à déplacer à bout de bras des éléments trop lourds. Il pourrait être intéressant d'envisager une formation dans un domaine non manuel, eu égard aux limitations fonctionnelles.

7.        Le 15 septembre 2010, l'OAI a calculé le degré d'invalidité de l'assuré. Pour le revenu après invalidité, il s'est référé au revenu statistique tiré d'activités simples et répétitives pour un homme selon l'Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2008, TA1, Ligne Total, niveau 1, soit CHF 4'806.-). Adapté à la durée normale de travail de 41.6 heures, le revenu annuel était de CHF 59'979.- à 100 % et de CHF 47'923.- en tenant compte de la diminution de rendement de 20 %. Le revenu sans atteinte à la santé était de CHF 61'140.- en 2011, ce qui correspondait au revenu statistique tiré d'une activité de serrurier (ESS 2008 TA7 ligne 10 niveau 4). La comparaison de ces revenus aboutissait à un taux d'invalidité de 21.5 %.

8.        Du 4 au 6 octobre 2010, l'assuré a séjourné dans le Service de médecine interne des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en raison d'une douleur du membre inférieur gauche sur syndrome post-thrombotique et status variqueux. Le diagnostic de probable consommation excessive d'alcool était posé. Les comorbidités actives de toxicomanie intraveineuse active depuis plus de vingt ans, substituée, et d'hépatite C étaient mentionnées. Le port de bas de contention était préconisé. Aucune incapacité n'était retenue.

9.        Le 24 novembre 2010, la Dresse B______ a certifié que l'assuré pouvait suivre des mesures professionnelles avec les limitations fonctionnelles suivantes : il faudrait éviter les longues stations debout en raison des douleurs du membre inférieur gauche sur syndrome post-thrombotique, et l'utilisation de la main droite était limitée.

10.    Après avoir sommé sans succès l'assuré en décembre 2010 de se soumettre à une mesure en atelier d'intégration professionnelle, l'OAI a clos le dossier en raison de son défaut de collaboration.

11.    Le 22 mars 2011, l'OAI a adressé à l'assuré un projet d'acceptation de rente entière du 1er juin 2006 au 31 mars 2008. Dès janvier 2008, l'état de l'assuré s'était amélioré, et il disposait d'une capacité de travail de 80 % dans une activité adaptée. Le degré d'invalidité de 21.5 % dès cette date n'ouvrait pas le droit à une rente.

12.    L'assuré a contesté ce projet par courrier du 18 avril 2011, invoquant des problèmes à la jambe, au dos et à la main qui n'avaient pas été pris en compte.

13.    Dans une attestation du 3 mai 2011, la Dresse B______ a souligné que l'assuré présentait de nombreux problèmes de santé entraînant des limitations fonctionnelles. La capacité de travail à 80 % dans une activité adaptée lui semblait surestimée.

14.    Dans un rapport du 4 juillet 2011, la Dresse B______ a indiqué que l'état de l'assuré s'était aggravé. Le nouveau diagnostic de douleurs du membre inférieur gauche, attribuées à un status post-thrombotique, était apparu en 2009. L'assuré ne pouvait rester longtemps assis ou debout en raison des douleurs. La capacité de travail dans une activité adaptée devait être évaluée.

15.    L'OAI a confié une expertise au docteur G______, spécialiste FMH en médecine interne. Ce dernier a établi son rapport le 5 décembre 2011. Il a résumé le dossier médical de l'assuré. Dans ce cadre, l'assuré a déclaré ne plus consommer de drogues depuis cinq mois, se contentant de méthadone. Il mentionnait boire jusqu'à quatre litres de bière par jour. Il se plaignait du manque de force de la main droite, dont il ne pouvait étendre les doigts. Il avait mal à la jambe gauche en position debout après quelques heures, avec l'apparition de fourmis sous le pied. La position assise le soulageait, mais la douleur remontait parfois. Il ne pouvait rester assis longtemps en raison de ses douleurs dorsales, qui le fatiguaient au bout de 2 à 3 heures.

À l'issue de son status, l'expert a retenu les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail de parésie sur lésion bi-tronculaire des nerfs médian et cubital droits (aiguille d'injection en place dans le canal huméral), de lombalgies résiduelles après spondylodiscite L4-L5, et d'insuffisance veineuse du membre inférieur gauche avec status variqueux et incontinence de la veine saphène interne tronculaire et syndrome post-thrombotique sur fibrose de la veine fémorale superficielle. Les diagnostics sans incidence sur la capacité de travail étaient une polytoxicomanie (héroïne), en cure de substitution, une consommation d'alcool susceptible de nuire à la santé, et une hépatite C non traitée.

Dans son appréciation, le Dr G______ a relevé que certains facteurs de risque prédisposant l'assuré à une toxicomanie, tels un milieu modeste et des difficultés relationnelles, étaient retrouvés. En ce qui concernait les atteintes physiques, l'évaluation de l'examen bi-disciplinaire du SMR gardait toute sa valeur. L'atteinte du membre supérieur droit ne s'était pas aggravée. Il était même permis de penser à une légère amélioration, la main ne présentant plus une allure en griffe et une minime extension active étant possible. L'assuré s'était bien adapté à son handicap, arrivant à écrire, à faire du vélo et même à jouer au badminton. En ce qui concernait le dos, la mobilité était conservée. L'assuré disait ne pas être gêné pendant plusieurs heures parfois. Pour ces deux pathologies, les contraintes restaient inchangées. L'aggravation de l'état de santé mentionnée par le médecin traitant dans un rapport de juillet 2011 n'était pas argumentée. Les limitations fonctionnelles induites par le syndrome post-thrombotique du membre inférieur gauche étaient pratiquement les mêmes que celles de l'appareil locomoteur : il convenait d'éviter la station debout ou assise prolongée. Sur le plan psychologique, l'assuré paraissait stable. Il avait de l'intérêt pour certaines activités. Une réadaptation était certainement envisageable. L'assuré était apte à travailler à un établi (réparation, entretien de matériel), mais aussi à la distribution de courrier, la marche n'étant de loin pas exclue. La profession de serrurier était définitivement proscrite. Une activité adaptée devait éviter les mouvements fins et répétitifs de la main droite, les stations debout et assise prolongées, la sollicitation du tronc de manière répétitive (flexion/extension) et le port répété de charges de plus de 10 kg. Des activités exigeant responsabilité et anticipation n'étaient pas compatibles avec la consommation d'alcool. Il était raisonnable de ne pas faire travailler l'assuré dans un environnement où de l'alcool était consommé. Une activité adaptée pouvait être exercée à 80 %, sans diminution de rendement dans les meilleures conditions. Il convenait cependant de noter qu'il existait une certaine insécurité liée à la consommation d'alcool. Il faudrait commencer avec des taux plus modestes, tout en resserrant l'encadrement médical lors de la reprise. Une amélioration de l'état de santé était possible moyennant une activité physique régulière, l'arrêt du tabagisme et une forte diminution de la consommation d'alcool.

16.    Par décision du 7 février 2013, l'OAI a confirmé les termes de son projet.

17.    En décembre 2014, l'assuré a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l'OAI. Il a joint un certificat du 1er décembre 2014 du docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie, attestant une incapacité de travail totale depuis le 1er juin 2007.

18.    Le 16 décembre 2014, l'OAI a indiqué à l'assuré qu'il lui appartenait de rendre plausible l'aggravation de son état de santé depuis la dernière décision.

19.    Le 14 janvier 2015, le Dr H______ a établi un certificat, aux termes duquel l'assuré souffrait d'une dépendance aux opiacés et à l'alcool, la première en régime de maintenance sous Subutex® avec des consommations épisodiques dans des confrontations à des situations de stress, et la deuxième avec une consommation plus régulière, également dans un cadre auto-thérapeutique. L'assuré présentait un trouble dysthymique et un trouble grave de la personnalité de type borderline et dyssocial, en sus de la problématique somatique d'une certaine ampleur. L'évolution tendait vers la chronicisation de ses troubles. Toutes les tentatives d'insertion socio-occupationnelle, toujours de courtes durées et dans des milieux rassurants et non contraignants, s'étaient soldées par des échecs. L'assuré avait beaucoup de difficultés à garder le lien et à maintenir une relation stable au-delà de quelques semaines, rentrant assez vite dans des relations conflictuelles avec la projection comme mécanisme de défense. Sur le plan symptomatique, il présentait une anxiété la plupart de la journée, une aboulie, une tristesse, une insomnie, une anhédonie et une perte de l'élan vital, un vide existentiel, un désintérêt pour son environnement et une instabilité dans ses relations, avec un caractère impulsif et une grande difficulté à investir les taches propres à sa vie quotidienne. Le pronostic concernant sa qualité de vie était satisfaisant grâce au suivi psychiatrique et pharmacologique entamé. En revanche, la capacité de travail était nulle. Un projet de réadaptation professionnelle n'était pas indiqué non plus. Une activité occupationnelle à temps partiel et sans exigences serait souhaitable, mais n'était pas envisageable de façon stable. Ce médecin préconisait l'octroi d'une rente d'invalidité complète.

20.    Dans un avis du 14 juillet 2015, la doctoresse I______, médecin au SMR, a considéré que le certificat du Dr H______ ne révélait pas de nouvelle atteinte à la santé. L'aggravation de l'état de santé de l'assuré n'était pas rendue plausible.

21.    Le 21 juillet 2015, l'OAI a adressé à l'assuré un projet refusant d'entrer en matière sur sa nouvelle demande.

22.    Par courrier du 8 septembre 2015 au SMR, le Dr H______ a déclaré soutenir la demande de révision de l'assuré. Sa dépendance à l'alcool et aux opiacés était connue depuis le début de l'âge adulte. Ses troubles de la personnalité, de type borderline et dyssocial, étaient apparus à la même époque. Ils avaient leur origine dans l'adolescence de l'assuré, après plusieurs séparations traumatiques qui l'avaient conduit à développer une personnalité dépressive avec la consommation de toxiques dans un but d'automédication. La toxicomanie n'était pas primaire, mais secondaire à un malaise intérieur très profond. L'expertise de 2008 avait mis en évidence une problématique psychiatrique qui ne l'empêchait pas de travailler et de bénéficier de mesures de réadaptation professionnelle. Partant, son état s'était aggravé depuis, puisque plusieurs tentatives de réinsertion occupationnelle s'étaient soldées par des échecs.

23.    Le 24 mars 2016, l'OAI a informé l'assuré du fait qu'il avait mandaté le professeur J______, spécialiste FMH en psychiatrie, pour une expertise. Celui-ci était invité à faire valoir d'éventuels motifs de récusation et à compléter les questions destinées à l'expert.

24.    Le Pr J______ et Madame K______, psychologue, ont rendu leur rapport le 15 août 2016.

Après le résumé du dossier et l'anamnèse, ils ont notamment relevé que l'assuré se plaignait d'un fort sentiment de découragement face à l'isolement psychosocial et à la marginalisation en lien avec sa toxicodépendance. Il définissait son humeur en dents de scie, mais insistait sur un état de passivité et de démission sur le plan existentiel. La toxicodépendance était devenue le seul modus vivendi possible. L'assuré rapportait peu de contacts, car il évitait de côtoyer les gens du milieu de la consommation et ne se sentait pas à sa place avec les personnes qui ne consommaient pas. Il avait des relations occasionnelles avec sa famille. Il jouait au badminton deux fois par semaine et participait au club d'échecs à Onex. Il s'occupait seul des activités de la vie quotidienne.

Lors du status, les experts ont noté une thymie triste avec fixation de la tonalité au pôle dépressif. On retrouvait un sentiment de dévalorisation et de faillite de projet existentiel au premier plan. Il y avait un sentiment d'inutilité et une forte perte de l'estime de soi (« un vieux toxicomane »), associés à un repli sur soi. La projection dans l'avenir était floue, hormis la perpétuation de l'addiction. Des troubles biologiques de la dépression, tels que sommeil diminué et appétit altéré, étaient rapportés, de même que des idées noires fréquentes, sans projet suicidaire. Il existait une perte de plaisir, mais pas d'arguments en faveur d'un trouble anxieux.

Les experts ne retrouvaient pas de troubles de la gestion de l'impulsivité ni de comportements auto-dommageables autres que les comportements addictifs, ni de labilité émotionnelle ou d'instabilité affective. Les mécanismes de défense étaient davantage du registre de l'évitement, la mobilisation des défenses archaïques étant très rare.

Le bilan neuropsychologique révélait un homme collaborant, investi et impliqué. Il n'existait pas de difficulté attentionnelle significative, de signe de distractibilité, ni de signes d'agitation psychomotrice. Le bilan mettait en évidence certaines difficultés attentionnelles, un ralentissement marqué et quelques difficultés d'autocontrôle, associés à un déficit modéré de la mémoire auditivo-verbale. En revanche, le fonctionnement exécutif global était bon, de même que les capacités d'attention sélective et de vigilance. Tous les autres domaines évalués se situaient également dans la norme. La cognitivité globale était satisfaisante.

Les diagnostics retenus étaient ceux de troubles mentaux et troubles du comportement liées à l'utilisation des opiacés, syndrome de dépendance, utilisation continue (F 11.25) dès 1986 ; de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l'utilisation d'alcool, utilisation nocive pour la santé (F 10.1) dès 1995, et de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F 32.11) dès septembre 2015. Les diagnostics primaires étaient sans aucun doute ceux du champ addictologique. Le trouble dépressif actuel de sévérité moyenne devait être compris comme une réaction à la prise de conscience au seuil des 50 ans de la faillite du projet d'une vie dominée par l'addiction. La thérapie addictologique avait été suivie selon les règles de l'art. L'assuré avait bien collaboré aux thérapies dès 2005. L'introduction d'un traitement antidépresseur était nécessaire. Les efforts de réadaptation avaient échoué compte tenu de la mauvaise coopération de l'assuré, pris dans la spirale de ses consommations compulsives. Les problèmes rencontrés lors de la réadaptation dépendaient entièrement de la toxicodépendance et du trouble dépressif récurrent. Avant l'amendement des symptômes dépressifs, aucune mesure de réadaptation n'était envisageable. Par la suite, une réadaptation à un taux maximum de 80 % était atteignable par paliers.

En somme, le parcours de vie de l'assuré avait été conditionné par une toxicodépendance lourde, installée dès son jeune âge dans un contexte de privation affective et de violences. Dans un premier temps, il avait su compenser l'addiction, qui était allée en s'aggravant jusqu'en 2001, date de la perte de son emploi. Par la suite, on assistait à la cascade classique de désinsertion psycho-sociale qui le conduirait à l'assistance publique et à un isolement croissant. Sa réaction à cette détérioration de sa qualité de vie était celle d'un trouble dépressif récurrent, dont l'apparition était difficile à dater avec précision. Il était probable que ce trouble dépressif persistait depuis la fin 2015 et venait s'ajouter à la comorbidité de lourde toxicodépendance. Les experts ont toutefois précisé que l'assuré ne présentait pas de trouble de la personnalité, et notamment pas de comportements du registre de l'état limite, contrairement aux affirmations retrouvées dans son dossier. Sur un plan neurocognitif, l'évaluation confirmait le déficit attentionnel observé par la Pre E______ en 2008. L'ampleur des troubles attentionnels était importante et pourrait être compatible avec une perturbation de l'attention sans hyperactivité de l'enfant et du jeune adulte. Toutefois, la prise de substances et la comorbidité dépressive ne permettaient pas de retenir un tel diagnostic. Par ailleurs, les antécédents étaient vierges de tout comportement de type hyperactif.

La capacité de travail dans l'activité exercée était nulle, et serait de 80 % après amendement de la symptomatologie dépressive.

25.    Dans un avis du 6 décembre 2016, la doctoresse L_____, médecin au SMR, a retenu un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F 32.1) dès septembre 2015, et des séquelles fonctionnelles du membre supérieur droit avec lésions nerveuses médio-cubitales. L'aggravation psychiatrique remontait à 2015. La capacité de travail était nulle dans toute activité. Un suivi psychiatrique était exigible, avec introduction d'un traitement antidépresseur et un suivi addictologique.

26.    Le 5 janvier 2017, l'OAI a communiqué à l'assuré les traitements préconisés par le SMR, lesquels étaient exigibles en vertu de son obligation de diminuer le dommage. Il lui a rappelé les conséquences d'un éventuel défaut de collaboration, en précisant qu'il se prononcerait sur le droit aux prestations à l'échéance du traitement médical, fixée au 1er août 2017.

27.    Par courrier du 14 mars 2017 à l'OAI, le Dr H______ a confirmé que l'assuré était suivi deux fois par mois en psychothérapie et pharmacothérapie. Son évolution était satisfaisante avec le traitement instauré, ce qui se traduisait par une légère amélioration de sa qualité de vie. Son incapacité de travail restait inchangée.

Ce psychiatre a par la suite adressé chaque mois à l'OAI la feuille de suivi psychiatrique dûment complétée.

28.    Dans son rapport du 25 juillet 2017, le Dr H______ a qualifié l'état de l'assuré de stationnaire. Ce dernier avait entamé une psychothérapie de façon stable et suivie. Le pronostic était bon pour une amélioration de la qualité de vie, mais sombre par rapport à la reprise d'une activité professionnelle.

29.    Dans un avis du 7 février 2018, la Dresse I______ du SMR a indiqué qu'après réexamen des pièces médicales, elle ne retenait pas d'aggravation de l'état de santé. En effet, l'assuré présentait déjà des polytoxicomanies d'origine primaire lors de sa demande en 2007. À la relecture de l'expertise, le diagnostic de trouble récurrent, épisode actuel moyen, ne semblait pas avoir eu de retentissement majeur sur l'activité quotidienne de l'assuré, qui jouait au squash et aux échecs chaque semaine. De plus, l'expert avait admis que les diagnostics primaires relevaient de l'addiction. L'évolution satisfaisante sous sevrage corroborait cette hypothèse. Par conséquent, les conclusions du SMR du 30 juillet 2008 restaient valables.

30.    Le 16 février 2018, le Dr H______ a confirmé à l'OAI que le suivi psychiatrique de l'assuré se poursuivait.

31.    Dans un avis du 7 mai 2018, le docteur M_____, médecin au SMR, a indiqué qu'il fallait comprendre que « suite à la mise en place du suivi psychiatrique, et, en particulier, du sevrage, on constate que, comme évoqué par l'expert, le Pr J______, le trouble dépressif est une réaction à la dépendance à l'alcool ». Par conséquent, après une prise en charge adéquate, on disposait des éléments nécessaires pour considérer que la dépendance à l'alcool était seule responsable des incapacités de travail, lesquelles ne pouvaient être prises en compte par l'OAI.

32.    Le 4 juin 2018, l'OAI a adressé à l'assuré un projet de décision rejetant sa demande. Le SMR estimait qu'il n'existait aucune atteinte reconnue entraînant une incapacité de gain propre à ouvrir le droit à une rente. Des mesures professionnelles n'étaient pas indiquées, car elles ne seraient pas de nature à améliorer la capacité de gain.

33.    Le 8 août 2018, la doctoresse N_____, médecin au SMR, a affirmé que l'expertise psychiatrique de 2016 ne retenait pas de diagnostic incapacitant au sens de l'assurance-invalidité. Elle a conclu à l'absence de nouveaux éléments susceptibles de modifier les conclusions du SMR.

34.    Par décision du 21 août 2018, l'OAI a confirmé les termes de son projet.

35.    Par courrier du 14 septembre 2018 à l'OAI, l'assuré a déclaré recourir contre la décision du 21 août 2018.

Il a produit un rapport du 2 juillet 2018 du Dr H______, dans lequel ce médecin a répété que le traitement médicamenteux avait amélioré de manière significative la qualité de vie de l'assuré, mais n'avait pas d'incidence sur une activité professionnelle ou une réinsertion professionnelle. Son incapacité de travail restait entière, malgré une thérapie antidépressive et addictologique bien investie. Le handicap physique rendait l'assuré incapable de travailler dans sa profession de serrurier. Le psychiatre invitait l'OAI à revenir sur sa décision.

36.    L'OAI a transmis ce courrier à la chambre de céans comme objet de sa compétence le 17 septembre 2018.

37.    Dans sa réponse du 8 novembre 2018, l'intimé a conclu au rejet du recours. Il s'est référé à l'expertise du Pr J______ et au traitement exigé. Le SMR avait constaté à l'issue du traitement et du sevrage que le médecin traitant ne mentionnait plus la présence d'un trouble dépressif invalidant. Dans son courrier du 2 juillet 2018, le psychiatre traitant confirmait une amélioration significative de la qualité de vie et ne mentionnait plus d'atteinte à la santé.

38.    Par décision du 20 novembre 2018, le Vice-Président du Tribunal de première instance a mis le recourant au bénéfice de l'assistance juridique.

39.    Dans un rapport du 14 novembre 2018, le Dr H______ a réaffirmé que la capacité de travail de l'assuré restait nulle. En outre, au vu de très nombreux éléments anamnestiques, il avait pu mettre en évidence un syndrome de déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH), contrairement à l'expertise. La consommation de toxiques avait débuté dans ce contexte, notamment pour pallier son état anxieux, et le manque de motivation était secondaire à ce syndrome. Un syndrome oppositionnel s'y était ajouté. Les symptômes du TDAH s'étaient produits tout au long de la vie du recourant, avec une grande difficulté à investir une activité professionnelle. Le Dr H______ soutenait le recours interjeté contre la décision de l'intimé.

40.    Par réplique du 19 novembre 2018, le recourant a conclu à l'annulation de la décision de l'intimé et à l'octroi d'une rente entière dès le 15 décembre 2013. Il a soutenu que contrairement à l'avis des experts, l'intimé n'avait pas réévalué sa situation mais s'était contenté de retenir une amélioration de sa qualité de vie. Sa décision de refus de mesures professionnelles devait être annulée pour ce motif. Le Dr H______, qui était le mieux à même d'évaluer son incapacité de travail à l'issue du suivi, avait considéré que cette incapacité restait totale. C'était ainsi un taux d'invalidité de 100 % qui devait être retenu « avec effet au 16 décembre 2013, soit une année avant le dépôt de la deuxième demande de prestations du 16 décembre 2014 ».

41.    Par écriture du 31 janvier 2019, l'intimé a déclaré ne pas avoir d'observations à formuler.

42.    La chambre de céans a transmis copie de cette écriture au recourant le 5 février 2019.

43.    Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        Interjeté dans les formes et délai prescrits par la loi, le présent recours est recevable (art. 56 à 61 LPGA).

3.        Le litige porte sur la question de savoir si le recourant a droit à des prestations d'invalidité.

4.        Aux termes de l'art. 8 al. 1er LPGA, est réputée invalidité l'incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée. Selon l'art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d'activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d'incapacité de travail de longue durée, l'activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d'une autre profession ou d'un autre domaine d'activité. En vertu de l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur un marché du travail équilibré dans son domaine d'activité, si cette diminution résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles. Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

En vertu de l'art. 28 al. 1er LAI, l'assuré a droit à une rente d'invalidité aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d'accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d'au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). L'art. 28 al. 2 LAI dispose que l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70 % au moins, à trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50 % au moins ou à un quart de rente s'il est invalide à 40 % au moins.

5.        Selon une jurisprudence constante, la dépendance - qu'elle prenne la forme de l'alcoolisme, de la pharmacodépendance ou de la toxicomanie - ne constitue pas en soi une invalidité au sens de la loi. Elle joue en revanche un rôle dans l'assurance-invalidité lorsqu'elle a provoqué une maladie ou un accident qui entraîne une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique nuisant à la capacité de gain, ou si elle résulte elle-même d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui a valeur de maladie (ATF 124 V 265 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_395/2007 du 15 avril 2008 consid. 2.2). La situation de fait doit faire l'objet d'une appréciation globale incluant aussi bien les causes que les conséquences de la dépendance, ce qui implique de tenir compte d'une éventuelle interaction entre dépendance et comorbidité psychiatrique. Pour que soit admise une invalidité du chef d'un comportement addictif, il est nécessaire que la comorbidité psychiatrique à l'origine de cette dépendance présente un degré de gravité et d'acuité suffisant pour justifier, en soi, une diminution de la capacité de travail et de gain, qu'elle soit de nature à entraîner l'émergence d'une telle dépendance et qu'elle contribue pour le moins dans des proportions considérables à cette dépendance. Si la comorbidité ne constitue qu'une cause secondaire à la dépendance, celle-ci ne saurait être admise comme étant la conséquence d'une atteinte à la santé psychique. S'il existe au contraire un lien de causalité entre l'atteinte maladive à la santé psychique et la dépendance, la mesure de ce qui est exigible doit alors être déterminé en tenant compte de l'ensemble des limitations liées à la maladie psychique et à la dépendance (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 169/06 du 8 août 2006 consid. 2.2 et les références).

L'existence d'une comorbidité psychiatrique - dont le diagnostic a été posé  lege artis - ne constitue pas encore un fondement suffisant pour conclure sur le plan juridique à une invalidité du chef d'une dépendance. Il est nécessaire que l'affection psychique mise en évidence contribue pour le moins dans des proportions considérables à l'incapacité de gain présentée par la personne assurée. Une simple anomalie de caractère ne saurait à cet égard suffire. En présence d'une pluralité d'atteintes à la santé, l'appréciation médicale doit décrire le rôle joué par chacune des atteintes à la santé sur la capacité de travail et définir à quel taux celle-ci pourrait être évaluée, abstraction faite des effets de la dépendance. Si l'examen médical conduit à la conclusion que la dépendance est seule déterminante du point de vue de l'assurance-invalidité, il n'y a pas lieu d'opérer une distinction entre les différentes atteintes à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2014 du 9 janvier 2015 consid. 5.4).  

6.        Dans un arrêt récent concernant les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), le Tribunal fédéral a retenu que la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d'une part et les ressources de compensation de la personne d'autre part. Il y a désormais lieu de se fonder sur une grille d'analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (consid. 3.6). Ces indicateurs concernent deux catégories, à savoir celle du degré de gravité fonctionnelle et celle de la cohérence.

I. Catégorie «  degré de gravité fonctionnelle »

Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l'instrument de base de l'analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

A. Axe « atteinte à la santé »

1. Expression des éléments pertinents pour le diagnostic et des symptômes

Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l'atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l'étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Par exemple, sur le plan étiologique, la caractéristique du syndrome somatoforme douloureux persistant est, selon la CIM-10 (F 45.5), qu'il survient dans un contexte de conflits émotionnels ou de problèmes psycho-sociaux. En revanche, la notion de bénéfice primaire de la maladie ne doit plus être utilisée (consid.  4.3.1.1).

2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers

Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L'échec définitif d'un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d'espèce, on ne peut rien en déduire s'agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d'une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation. Si des mesures de réadaptation entrent en considération après une évaluation médicale, l'attitude de l'assuré est déterminante pour juger du caractère invalidant ou non de l'atteinte à la santé. Le refus de l'assuré d'y participer est un indice sérieux d'une atteinte non invalidante. À l'inverse, une réadaptation qui se conclut par un échec en dépit d'une coopération optimale de la personne assurée peut être significative dans le cadre d'un examen global tenant compte des circonstances du cas particulier (consid. 4.3.1.2).

3. Comorbidités

La comorbidité psychique ne joue plus un rôle prépondérant de manière générale, mais ne doit être prise en considération qu'en fonction de son importance concrète dans le cas d'espèce, par exemple pour juger si elle prive l'assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l'influence du trouble somatoforme douloureux avec l'ensemble des pathologies concomitantes (consid. 4.3.1.3). Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2) n'est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1), mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d'affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l'approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).

B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)

Il s'agit d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l'assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu'on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l'autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d'autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées (consid. 4.3.2).

C. Axe « contexte social »

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l'assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s'assurer qu'une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d'autres difficultés de vie (consid. 4.3.3).

II. Catégorie « cohérence »

Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l'assuré (consid. 4.4).

A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie

Il s'agit ici de se demander si l'atteinte à la santé limite l'assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l'exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple ses loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu'ici doit désormais être interprété de telle sorte qu'il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l'assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d'activité sociale de l'assuré avant et après la survenance de l'atteinte à la santé (consid. 4.4.1).

B. Poids de la souffrance révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation

La prise en compte d'options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d'évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n'est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l'absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d'une incapacité (inévitable) de l'assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s'appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d'autres raisons que l'atteinte à la santé assurée (consid. 4.4.2).

Le juge vérifie librement si l'expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l'atteinte à la santé et si son évaluation de l'exigibilité repose sur une base objective (ATF 137 V 64 consid. 1.2 in fine).

7.        Dans un arrêt de 2017, le Tribunal fédéral a étendu la jurisprudence précitée à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5).

Il convient encore de préciser que même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais elle peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d'un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

8.        Une nouvelle jurisprudence ou un changement de celle-ci s'applique immédiatement et vaut pour les cas futurs, ainsi que pour les affaires pendantes devant un tribunal au moment de l'adoption de la nouveauté ou du changement (ATF 140 V 154 consid. 6.3.2). Toutefois, le changement de jurisprudence précité ne justifie pas en soi de retirer toute valeur probante aux expertises psychiatriques rendues à l'aune de l'ancienne jurisprudence. Ainsi que le Tribunal fédéral l'a précisé, il convient bien plutôt de se demander si, dans le cadre d'un examen global, et en tenant compte des spécificités du cas d'espèce et des griefs soulevés, le fait de se fonder définitivement sur les éléments de preuve existants est conforme au droit fédéral. Il y a ainsi lieu d'examiner dans chaque cas si les expertises administratives ou judiciaires - le cas échéant en les mettant en relation avec d'autres rapports médicaux - permettent ou non une appréciation concluante du cas à l'aune des indicateurs déterminants. En fonction du degré de clarification, un complément ponctuel peut suffire (ATF 141 V 281 consid. 8).  

9.        En l'espèce, l'expertise du Pr J______ et de Mme K______ ne se prononce pas sur les indicateurs nouvellement applicables selon la jurisprudence pour déterminer le caractère invalidant d'une pathologie psychiatrique.

Force est de constater que le contenu de cette expertise ne suffit pas non plus à la chambre de céans pour trancher la question de la capacité de travail et de gain du recourant en procédant à son propre examen de la réalisation de ces indicateurs. En effet, le rapport ne contient guère d'élément portant sur la gravité fonctionnelle de l'atteinte. Si une thymie triste est mentionnée, à l'instar de symptômes dépressifs, on ignore leur ampleur et leur retentissement concret. Partant, il n'est pas non plus possible de se prononcer sur le critère de la cohérence, notamment eu égard aux loisirs du recourant. S'agissant des éventuelles comorbidités, les experts ont écarté le trouble borderline pourtant retenu par les autres médecins et experts, sans guère motiver les éléments qui fondent l'exclusion de ce diagnostic. Dans ce cadre, ils ne se sont pas non plus prononcés sur l'incidence des comorbidités et de la toxicomanie sur les ressources du recourant. Ils n'ont pas non plus discuté l'exigibilité d'un sevrage.

Les autres rapports médicaux, notamment ceux établis par le Dr H______, ne permettent pas non plus de déterminer l'incapacité de gain de manière conforme aux nouvelles exigences jurisprudentielles.

Quant aux avis du SMR, ils appellent les commentaires suivants. On peut d'abord s'étonner qu'après s'être rallié aux conclusions de l'expertise, comme l'a fait la Dresse L_____ en décembre 2016, le SMR ait finalement nié l'incapacité de gain imputable au trouble dépressif sous la plume de la Dresse I______ en février 2018, au motif que le recourant jouerait aux échecs et au badminton. Quant au fait que « l'évolution satisfaisante sous sevrage » confirmerait l'hypothèse de diagnostics primaires liés à l'addiction, elle n'a guère de sens. En effet, si le recourant s'est bien soumis au traitement exigé par le SMR, aucun des rapports du Dr H______ ne permet d'affirmer qu'il se serait sevré avec succès de l'héroïne et de l'alcool, ni que les symptômes dépressifs auraient disparu. Quant à l'avis du Dr M_____, qui affirme que le trouble dépressif serait une réaction à la dépendance à l'alcool, il est également erroné en tant qu'il affirme qu'un sevrage aurait été réalisé. D'autre part, ce médecin paraît ignorer l'utilisation d'héroïne. Enfin, l'avis de la Dresse N_____, affirmant que les experts n'auraient pas admis de diagnostics incapacitants au sens de la loi, est clairement en contradiction avec les conclusions du Pr J______ et de la psychologue. En effet, ces derniers ont admis que le trouble dépressif entraînait une incapacité de travail. Or, sans autres explications, on ne peut inférer de leur rapport que cette atteinte relève d'une simple manifestation réactionnelle à la prise d'alcool et d'héroïne, qui disparaîtrait en cas de sevrage. En effet, ce trouble paraît plutôt résulter d'un constat d'échec dans le cadre d'une crise existentielle plus profonde.

Eu égard à ces éléments, la chambre de céans ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer sur le droit aux prestations du recourant.

L'intimé n'ayant pas instruit le dossier du recourant conformément au droit, il convient de lui renvoyer la cause, à charge pour lui de compléter l'instruction. La chambre de céans relève que dès lors que le Pr J______ et Mme K______ ont déjà pris connaissance de l'anamnèse et du dossier du recourant, un complément d'expertise analysant la capacité de gain du recourant à l'aune des nouveaux indicateurs, et motivant l'exclusion ou l'admission d'un éventuel trouble de la personnalité, pourrait s'avérer suffisant.

10.    Eu égard aux éléments qui précèdent, le recours est partiellement admis.

Le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 1'500.- (art. 61 let. g LPGA).

La procédure en matière d'assurance-invalidité n'étant pas gratuite, l'intimé supporte l'émolument de CHF 500.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision de l'intimé du 21 août 2018.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Condamne l'intimé à verser au recourant une indemnité de CHF 1'500.- à titre de dépens.

6.        Met un émolument de CHF 500.- à la charge de l'intimé.

7.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le