Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/323/2022

ATAS/380/2022 du 27.04.2022 ( CHOMAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 08.06.2022, rendu le 07.10.2022, REJETE, 8C_367/2022
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/323/2022 ATAS/380/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 avril 2022

4ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à VEVEY, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Jean-Marc COURVOISIER

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE, sise rue de Montbrillant 40, GENÈVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1992, a travaillé dès le 1er décembre 2016 pour la société anonyme B______ SA (ci-après : la société), en dernier lieu en qualité de chef du département marketing (« Head of Marketing Department ») à compter du 1er août 2017, ce jusqu’à son licenciement immédiat le 2 octobre 2018, motivé par l’impossibilité de la société d’honorer son salaire depuis le mois de juin 2018. Durant sa collaboration avec la société, l’assuré a occupé la fonction d’administrateur de cette dernière entre le 19 octobre 2016 et le 5 avril 2017.

b. Le 30 août 2018, la direction de la société a délivré une attestation aux termes de laquelle l’assuré était au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée, non résilié à ce jour et dont la résiliation n’était pas envisagée. Le salaire mensuel brut se montait à CHF 12’500.- (douze fois l’an) et le dernier salaire versé était celui du mois de mai 2018. Elle était actuellement dans l’incapacité provisoire d’honorer le salaire de l’assuré en raison de mauvais résultats financiers au cours de l’été 2018 et parce qu’elle était dans l’attente d’une indemnité d’assurance destinée à couvrir le dommage consécutif à un incendie survenu le 28 février 2018 dans les locaux de la société.

c. Par jugement du 14 janvier 2021, le Tribunal de première instance a prononcé la faillite de la société.

d. Le 4 février 2021, le Tribunal de première instance a suspendu la procédure de faillite faute d’actif.

e. Le 18 février 2021, l’assuré a présenté une demande d’indemnité en cas d’insolvabilité (ci-après : ICI) à la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : la caisse ou l’intimée) pour un montant de CHF 50’000.- représentant quatre mois de salaire non payés (juin à septembre 2018) en précisant que les vacances n’avaient été ni prises ni payées et qu’il ne savait pas comment les compter. Il y a joint un document (intitulé : « subrogation »), signé le 17 février 2021, qui avait pour objet, d’une part, d’autoriser la caisse à prélever sur le salaire dû les sommes versées par la caisse relatives à l’ICI et, d’autre part, de donner acte à l’assuré de son engagement de produire auprès de l’office des poursuites et faillites sa créance de salaire.

f. Par courrier du 18 février 2021 à l’office cantonal des faillites, l’assuré a produit une créance salariale de CHF 74’193.55 dans la faillite de la société. Cette somme correspondait aux salaires impayés de juin à septembre 2018 (CHF 50’000.-), majorés de CHF 24’193.55 au titre de 42 jours de vacances non pris ni payés, montant que l’assuré expliquait avoir obtenu en multipliant le solde de 42 jours par son salaire journalier, lui-même déterminé en fonction du nombre mensuel moyen de jours ouvrés (21.7), soit : 42 x (12’500 / 21.7).

B. a. Par décision du 9 mars 2021, la caisse a refusé de donner suite à la demande d’ICI du 18 février 2021 en expliquant à l’assuré qu’entre le 31 mai 2018, date du dernier paiement de son salaire, et le 14 janvier 2021, date de la mise en faillite de la société, son dossier ne faisait mention d’aucune démarche de sa part, propre à sauvegarder ses prétentions salariales, soit pendant plus de 32 mois. Or, si un assuré n’avait pris aucune mesure en vue de récupérer son salaire pendant 3 mois après la fin des rapports de travail (par ex. sommation, réquisition de poursuite, action en paiement du salaire démarches auprès des Prud’hommes), la caisse se voyait contrainte de refuser la demande d’ICI. En effet, le but de cette indemnité était de soulager immédiatement le travailleur qui se voyait privé de son salaire et non d’ouvrir une nouvelle voie pour l’encaissement des créances résultant du contrat de travail.

b. Par courrier du 22 mars 2021, l’office cantonal des faillites a informé la caisse que par jugement du 18 mars 2021, le Tribunal de première instance avait clôturé par défaut d’actifs la liquidation de la faillite de la société.

c. Le 23 avril 2021, l’assuré a formé opposition à la décision du 9 mars 2021 en faisant valoir en substance qu’il avait mis son employeur en demeure, par lettre recommandée du 30 septembre 2018, de lui verser les salaires dus, avant même la fin des rapports de travail, qu’il avait régulièrement exigé des informations de
la part de la direction sur l’évolution des finances de la société et qu’au vu des particularités du cas (attente de l’indemnisation de la société par l’assurance de responsabilité civile d’un incendiaire, sans que pour le surplus, la société ne connaisse de « difficulté[s] croissante[s] » au cours de la période durant laquelle elle n’honorait pas ses obligations salariales), toute démarche plus incisive à son encontre (réquisition de poursuite par exemple) se serait révélée contreproductive. Durant la période en question, les employés – dont il faisait partie – avaient jugé préférable, à une exception près, de patienter jusqu’à l’indemnisation de la société par l’assurance responsabilité civile de l’incendiaire des locaux. Dans ce cas de figure, il en aurait résulté un bénéfice direct pour lui-même et indirect pour la caisse ; il aurait récupéré non seulement ses salaires impayés mais aussi son emploi, compte tenu d’une « promesse d’embauche » du 2 octobre 2018 en
sa faveur, dont l’exécution dépendait uniquement de l’aboutissement des négociations avec l’assurance précitée et du versement des prestations d’assurance par cette dernière.

Pour étayer ces allégations, l’assuré a produit notamment :

-          une « dernière sommation » du 30 septembre 2018, par laquelle l’assuré mettait la société en demeure de procéder sans délai au paiement de quatre mois de salaire impayés à ce jour, tout en indiquant que « comme [celle-ci l’avait] reconnu en date du 30 août dernier, vous me devez l’intégralité de mes salaires depuis celui de juin 2018 » ;

-          la promesse d’embauche du 2 octobre 2018 précitée ;

-          une coupure de presse relatant l’incendie qui s’était produit le 28 février 2018 au matin à Tramelan ;

-          une attestation du 8 janvier 2019 par laquelle la société, soit pour elle son administrateur, Monsieur C______, attestait que l’assuré n’avait en rien renoncé à ses prétentions salariales envers elle. La société reconnaissait devoir à l’assuré la totalité des salaires de juin, juillet août et septembre 2018 et, le cas échéant, « les mois relatifs aux délais qui [n’avaient] en l’occurrence pas pu être respectés [ ]. » ;

-          un décompte global établi par l’office cantonal des poursuites, adressé le 26 mai 2020 à la société, faisant état, à cette date, d’un total des poursuites et
des actes de défaut de bien à hauteur de CHF 192’863.10, respectivement
CHF 6’569.65.- ;

-          une commination de faillite du 10 juillet 2020, notifiée le 21 juillet 2020 à la société, faisant suite à une réquisition de continuer la poursuite initiée par la caisse sur la base d’un jugement du Tribunal des prud’hommes du 18 février 2019 portant condamnation de la société au paiement de la somme de
CHF 14’304.50 avec intérêt à 5% l’an dès le 17 août 2018 ;

-          une communication du 22 mars 2021 de l’office cantonal des faillites, informant l’assuré que par jugement du 18 mars 2021, le Tribunal de première instance avait clôturé par défaut d’actifs la liquidation de la faillite de la société ;

-          une attestation établie le 23 mars 2021, par laquelle M. C______, confirmait à l’assuré, à sa demande, que depuis l’incendie survenu le 28 février 2018 dans les locaux de la société, jusqu’à la fin des rapports de travail en octobre de la même année, puis périodiquement ensuite jusqu’à la faillite de la société, il était resté en relation permanente avec la direction, la sommant à maintes reprises de le payer. Cela étant, compte tenu de la situation particulière de l’entreprise qui était dans l’attente d’un rachat ou d’un règlement relatif à l’incendie, il avait consenti, faute de meilleure option, à patienter jusqu’au règlement par l’assurance de l’incendiaire ou jusqu’au rachat de l’entreprise car, en l’état, cette dernière n’était pas en position de solder ses dettes. Entre la date de l’incendie jusqu’à celle de la faillite le 14 janvier 2021, la société n’avait enregistré aucune recette et ne disposait d’aucun actif. Enfin,
M. C______ confirmait également qu’à la demande de l’assuré, la société lui avait régulièrement montré les preuves de la situation évoquée (extraits de comptes, relevés de poursuites, etc.) à compter du mois de juin 2018 et qu’elle l’avait chaque mois tenu informé des développements de la situation ;

-          un extrait de la Feuille officielle suisse du commerce du 26 mars 2021, annonçant la radiation d’office de la société du registre du commerce, en raison de la clôture de la procédure de faillite par jugement du 18 mars 2021

d. Par décision du 21 décembre 2021, la caisse a rejeté l’opposition en faisant valoir principalement que la mise en demeure du 30 septembre 2018 constituait la seule démarche contraignante écrite entreprise par l’assuré et que celle-ci n’avait été suivie d’aucune autre mesure concrète malgré l’absence de paiement de la part de la société. Au contraire, l’assuré avait décidé de patienter jusqu’à ce que l’assurance verse les indemnités requises suite à l’incendie du 28 février 2018, et ce, dans le but de récupérer son dû, voire même de reprendre son travail auprès
de la société. Quand bien même ces intentions paraissaient louables, il n’en demeurait pas moins qu’en agissant de la sorte, l’assuré ne s’était pas conformé à son devoir de diminuer le dommage. La caisse a allégué en outre – sans verser à la procédure les pièces correspondantes – que le dossier d’insolvabilité de la société contenait deux autres demandes d’ICI formées par des employés de cette dernière. L’une de ces demandes était accompagnée d’un jugement du Tribunal des Prud’hommes du 18 février 2019 et d’un procès-verbal d’audience établi le 17 juin 2019 par le Tribunal civil à la suite d’une requête en faillite sans poursuite préalable. Il ressortait dudit procès-verbal que l’assuré représentait la société à cette occasion. Avaient en outre été produites une réquisition de poursuite du 19 juin 2019 ainsi qu’une commination de faillite du 29 septembre 2020 « du collègue de l’intéressé » qui avait abouti à la mise en faillite de la société.

Tirant argument des indications figurant au procès-verbal d’audience précité, la caisse a relevé qu’au vu de sa position dirigeante dans l’entreprise – qui avait été officielle en tant qu’administrateur de la société du 24 octobre 2016 au 10 avril 2017 –, l’assuré n’avait pas droit aux ICI pour cette raison également. Enfin, la caisse a indiqué qu’elle réservait toutes autres conditions du droit à l’ICI – qui n’avaient pas à être examinées en l’état – dans la mesure où celles cumulatives, relatives à l’obligation de diminuer le dommage et à l’absence de position dirigeante, n’étaient pas réunies dans le cas particulier.

C. a. Le 28 janvier 2022, l’assuré, représenté par un avocat, a saisi la chambre
des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans)
d’un recours contre cette décision, concluant, principalement, à sa réformation
– en ce sens que la demande d’ICI présentée le 18 février 2021 était admise – et, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l’intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

À l’appui de ses conclusions, le recourant a fait valoir en synthèse qu’il avait une bonne raison de ne pas réclamer de manière trop insistante les salaires impayés
et qu’en attendant le règlement du sinistre par l’assurance responsabilité de l’incendiaire, il s’était conformé à son obligation de réduire le dommage. Par ailleurs, il a soutenu que même s’il avait personnellement représenté la société lors de l’audience de mise en faillite sans poursuite préalable du 17 juin 2019 auprès du Tribunal civil, il n’avait pas pu prendre une part prépondérante à la formation de la volonté de la société, dans les domaines qui touchaient à l’orientation, à l’étendue ou à la cessation d’activité et qu’ainsi, le prétendu statut d’organe de la société ne faisait pas obstacle au versement des ICI.

b. Par réponse du 24 février 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours en expliquant que le recourant n’apportait aucun élément nouveau lui permettant de revoir sa position. Enfin, elle a ajouté avoir constaté qu’en date du 17 juillet 2019, soit dix mois environ après la fin des rapports de travail, le recourant avait formé opposition à un commandement de payer notifié à la société. Cela laissait à nouveau à penser que le recourant était une personne occupant une position assimilable à celle d’un employeur au sein de la société.

c. Par réplique du 18 mars 2022, le recourant a admis avoir effectivement formé opposition à un commandement de payer destiné à la société postérieurement à son licenciement, ce afin d’éviter une procédure de faillite le temps que la société termine ses démarches auprès de l’assurance en vue du règlement du sinistre. Il s’était chargé de former opposition audit commandement de payer sur la base d’une procuration de même portée que celle dont il bénéficiait lorsqu’il avait représenté la société à l’audience de mise en faillite sans poursuite préalable du
17 juin 2019. En tout état, il n’avait fait que suivre les directives qui lui avaient été données par son ex-employeur, sans bénéficier d’un quelconque pouvoir de décision.

d. Le 21 mars 2022, une copie de cette écriture a été transmise, pour information, à l’intimée.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI – RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pour la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA), le recours est recevable.

3.             Le litige porte sur le droit du recourant à une indemnité en cas d’insolvabilité.

3.1 Aux termes de l’art. 51 al. 1 LACI, les travailleurs assujettis au paiement des cotisations, qui sont au service d’un employeur insolvable sujet à une procédure d’exécution forcée en Suisse ou employant des travailleurs en Suisse, ont droit à une indemnité pour insolvabilité (ci-après : indemnité) lorsqu’une procédure de faillite est engagée contre leur employeur et qu’ils ont, à ce moment-là, des créances de salaire envers lui (let. a), ou que la procédure de faillite n’est pas engagée pour la seule raison qu’aucun créancier n’est prêt, à cause de l’endettement notoire de l’employeur, à faire l’avance des frais (let. b), ou qu’ils ont présenté une demande de saisie pour créance de salaire envers leur employeur.

3.2 L’art. 52 al. 1 LACI prévoit que l’indemnité couvre les créances de salaire portant sur les quatre derniers mois au plus d’un même rapport de travail, jusqu’à concurrence, pour chaque mois, du montant maximal visé à l’art. 3 al. 2. Les allocations dues aux travailleurs font partie intégrante du salaire.

3.3 Conformément à l’art. 53 LACI, lorsque l’employeur a été déclaré en faillite, le travailleur doit présenter sa demande d’indemnisation à la caisse publique compétente à raison du lieu de l’office des poursuites ou des faillites, dans un délai de 60 jours à compter de la date de la publication de la faillite dans la Feuille officielle suisse du commerce (al. 1). En cas de saisie de l’employeur, le travailleur doit présenter sa demande d’indemnisation dans un délai de 60 jours à compter de la date de l’exécution de la saisie (al. 2). À l’expiration de ces délais, le droit à l’indemnité s’éteint (al. 3).

3.4 L’art. 55 al. 1 LACI dispose que dans la procédure de faillite ou de saisie, le travailleur est tenu de prendre toutes les mesures propres à sauvegarder son droit envers l’employeur, jusqu’à ce que la caisse l’informe de la subrogation dans ladite procédure. Une fois que la caisse est devenue partie à la procédure, le travailleur est tenu de l’assister utilement dans la défense de ses droits (al. 1). Le travailleur est tenu de rembourser l’indemnité, en dérogation à l’art. 25 al. 1 LPGA, lorsque sa créance de salaire n’est pas admise lors de la faillite ou de la saisie ou n’est pas couverte à la suite d’une faute intentionnelle ou d’une négligence grave de sa part ou encore que l’employeur a honoré la créance ultérieurement (al. 2).

3.5 L’art. 55 al. 1 LACI institue une obligation pour l’assuré de réduire le dommage (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_327/2020 du 17 juin 2020 consid. 3). Les assurés doivent se comporter comme si l’indemnité en cas d’insolvabilité n’existait pas (Thomas NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3ème éd. 2016, n. 627).

L’obligation de diminuer le dommage qui incombe à l’assuré avant la résiliation des rapports de travail n’est pas soumise aux mêmes exigences que l’obligation qui lui incombe après la résiliation des rapports de travail. L’étendue des démarches qui peuvent être exigées du travailleur pour récupérer tout ou partie de son salaire avant la fin des rapports de travail dépend de l’ensemble des circonstances du cas concret. On n’exige pas nécessairement de l’assuré qu’il introduise sans délai une poursuite contre son employeur ou qu’il ouvre action contre ce dernier. Il faut en tout cas que le salarié montre de manière non équivoque et reconnaissable pour l’employeur le caractère sérieux de sa prétention de salaire. Du point de vue de l’assurance-chômage, il importe d’éviter que le personnel d’un employeur insolvable renonce à réclamer les arriérés de salaire pendant de nombreux mois, en tablant sur la couverture de ses arriérés par l’assurance-chômage si l’employeur tombe en faillite (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 364/01 du 12 avril 2002 consid. 1b). En vertu de cette obligation, le travailleur doit entreprendre toute démarche utile à l’encontre de son employeur en vue de récupérer sa créance, sous peine de perdre son droit à l’indemnité en cas d’insolvabilité, et il ne peut pas rester inactif en attendant
le prononcé de la faillite de son ex-employeur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 27/06 du 25 janvier 2007 consid. 3.2.1). Cette obligation vaut également lorsque le rapport de travail est dissout avant l’ouverture de la procédure de faillite. Après la résiliation, l’assuré ne peut attendre plusieurs mois avant d’intenter une action judiciaire contre son ex-employeur. Il doit en effet compter avec une éventuelle péjoration de la situation financière de l’employeur, et donc avec une augmentation des difficultés, pour l’assurance-chômage, de récupérer les créances issues de la subrogation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_749/2016 du 22 novembre 2017 consid. 3.5.3). Les travailleurs doivent également tout entreprendre dans la procédure de faillite afin de sauvegarder leurs prétentions à l’encontre de l’employeur (ATF 127 V 183 consid. 3c). Selon la jurisprudence constante, l’assuré doit poursuivre de manière conséquente et continuer les démarches introduites, ce qui exclut une longue période sans réaction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_66/2013 du 18 novembre 2013 consid. 4.2).

3.6 La violation de l’obligation de diminuer le dommage implique que l’on puisse reprocher à l’assuré d’avoir commis une faute intentionnelle ou une négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 8C_898/2011 du 6 juin 2012 consid. 2.2).

Lorsque l’autorité examine si une violation de diminuer le dommage peut être reprochée à l’assuré, l’autorité doit prendre en compte la rapidité de sa réaction, les usages dans la branche, la langue dans laquelle l’assuré peut s’exprimer, ses connaissances juridiques, son éventuel domicile à l’étranger, le rapport entre les frais que l’assuré aurait dû assumer pour faire valoir sa créance et sa situation financière, un éventuel rapport de confiance, un conflit de loyauté, l’intégration dans l’entreprise, les responsabilités assumées et la possibilité de comparer sa situation à celle d’autres collègues (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n. 8 ad art. 55 LACI et les références).

Selon la jurisprudence, une assurée qui attend plus de neuf mois avant de faire valoir ses prétentions de salaire à l’encontre de son employeur, dont elle connaît les difficultés financières, viole l’obligation de réduire le dommage, ce qui entraîne la perte du droit à l’indemnité en cas d’insolvabilité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2011 du 11 juin 2012 consid. 6.2). Un assuré qui reste inactif durant près de trois mois après la fin de ses rapports de travail, reportant les conséquences de l’insolvabilité éventuelle de son ancien employeur sur l’assurance-chômage et faisant passer sciemment les intérêts d’un tiers avant ceux de l’assurance sociale, contrevient manifestement à son obligation de réduire le dommage (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 91/01 du 4 septembre 2001 consid. 2b). Un assuré qui sait que son employeur n’est pas en mesure de le rémunérer et qui s’en accommode sans prendre de mesures contraignantes, se contentant de réclamations orales ou écrites qui n’offrent aucune garantie, viole son obligation de diminuer le dommage (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 367/01 du 12 avril 2002 consid. 2b et 2c). Notre Haute Cour a confirmé qu’un assuré qui n’a entrepris aucune démarche entre la résiliation du contrat de travail et l’ouverture de la faillite viole son obligation de diminuer le dommage (arrêt du Tribunal fédéral 8C_630/2011 du 3 octobre 2011 consid. 4.1). Un assuré qui attend près de six mois avant de mettre en demeure son employeur de lui verser les arriérés de salaires commet une violation de l’obligation de réduire le dommage. Des réclamations orales ne suffisent pas à satisfaire à cette obligation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_956/2012 du 19 août 2013 consid. 6). Tel est également le cas d’un assuré qui attend plus d’un an pour le dépôt d’une requête en conciliation après la dernière correspondance adressée à son employeur (arrêt du Tribunal fédéral 8C_749/2016 du 22 novembre 2017 consid. 3.5.3), et d’une assurée ayant laissé s’écouler cinq mois entre le défaut de paiement de son salaire et le dépôt d’une action (arrêt du Tribunal fédéral 8C_66/2013 du 18 novembre 2013 consid. 4). En revanche, dans le cas d’un assuré ayant attendu près de six mois pour mettre en demeure son employeur par écrit après des sommations orales, le Tribunal fédéral a nié une violation de l’obligation de diminuer le dommage, dès lors que des pourparlers avaient amené l’employeur à s’acquitter d’une partie des salaires (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 235/04 du 23 décembre 2005 consid. 3.4 et 3.5).

Le Tribunal fédéral a précisé que de manière générale, l’assuré ne se conforme pas à son obligation de diminuer le dommage lorsqu’il n’a pas obtenu l’exécution du contrat par l’employeur pendant une période de plus de deux à trois mois, sans versement d’un acompte ou d’un paiement partiel, et qu’il ne peut tabler sur une amélioration de la situation, et qu’il n’existe pas de raisons objectives justifiant son attente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_66/2011 du 29 août 2011 consid. 4.2).

4.              

4.1 Selon l’art. 51 al. 2 LACI, n’ont pas droit à l’indemnité les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise ; il en va de même des conjoints de ces personnes, lorsqu’ils sont occupés dans la même entreprise.

4.2 En édictant l’al. 2 de l’art. 51 LACI, le législateur a voulu exclure d’une protection particulière les personnes qui exercent aussi bien une influence sur la conduite des affaires et sur la politique de l’entreprise qu’un droit de regard sur les pièces comptables et ne sont, de ce fait, pas surprises par la faillite subite de l’employeur (FF 1994 I p. 362 ; cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances
C 113/03 du 24 mars 2004 publié in DTA 2004, p. 196-199). Cette disposition n’exige donc pas que l’on puisse imputer aux intéressés une responsabilité effective dans l’insolvabilité de ce dernier. Preuve en est le fait que les conjoints des personnes visées par l’art. 51 al. 2 LACI, lorsqu’ils sont occupés dans la même entreprise, sont également exclus du cercle des ayants droit (DTA 2004 p. 196 consid. 4.2).

4.3 Dans un arrêt C 160/05 du 24 janvier 2006 (consid. 5.2 ss) le Tribunal fédéral des assurances a rappelé que selon la jurisprudence relative à l’art. 31 al. 3 let. c LACI – lequel, dans une teneur équivalente, exclut du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail le même cercle de personnes que celui visé par l’art. 51 al. 2 LACI et auquel on peut se référer par analogie (DTA 1996/1997
n° 41 p. 227 consid. 1b) –, il n’est pas admissible de refuser, de façon générale, le droit aux prestations aux employés au seul motif qu’ils peuvent engager l’entreprise par leur signature et qu’ils sont inscrits au registre du commerce. Il y a lieu de ne pas se fonder de façon stricte sur la position formelle de l’organe à considérer; il faut bien plutôt établir l’étendue du pouvoir de décision en fonction des circonstances concrètes. C’est donc la notion matérielle de l’organe dirigeant qui est déterminante, car c’est la seule façon de garantir que l’art. 31 al. 3 let. c LACI, qui vise à combattre les abus, remplisse son objectif (SVR 1997 ALV
n° 101 p. 311 consid. 5d). En particulier, lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est
la possibilité effective d’un dirigeant d’influencer le processus de décision de l’entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l’entreprise. On établira l’étendue du pouvoir de décision en fonction des circonstances concrètes (DTA 1996/1997 n° 41 p. 226 consid. 1b et 2; SVR 1997 ALV n° 101 p. 311 consid. 5c). La seule exception à ce principe, que reconnaît
le Tribunal fédéral des assurances, concerne les membres des conseils d’administration car ils disposent ex lege (art. 716 à 716b CO) d’un pouvoir déterminant au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI (DTA 1996/1997 n° 41 p. 226 consid. 1b et les références). Pour les membres du conseil d’administration, le droit aux prestations peut être exclu sans qu’il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu’ils exercent au sein de la société (ATF 122 V 273 consid. 3).

5.              

5.1 En l’espèce, il est constant que le recourant n’a plus touché son salaire au cours des quatre derniers mois (juin à septembre 2018) précédant la résiliation immédiate de son contrat de travail le 2 octobre 2018, et qu’aux termes de l’attestation établie le 23 mars 2021 par M. C______, il n’a eu de cesse, à compter du mois de juillet 2018, de solliciter, oralement, le versement de ses salaires auprès de la société. Il ressort au surplus des pièces du dossier que les seules autres initiatives prises par le recourant en vue de ménager ses droits vis-à-vis de la société se résument à la mise en demeure écrite du 30 septembre 2018 et, une fois les rapports de travail terminés, l’obtention d’une reconnaissance de dette le
8 janvier 2019 portant sur les salaires en souffrance.

5.2 Dans un premier moyen, le recourant soutient avoir manifesté de manière non équivoque et reconnaissable pour son employeur le caractère sérieux de sa prétention salariale.

La chambre de céans ne saurait se rallier à cette appréciation dès lors que des réclamations orales ne suffisent pas à satisfaire à l’obligation de réduire le dommage (cf. l’arrêt 8C_956/2012 précité, consid. 6). Dans le même sens, le Tribunal fédéral considère que la simple confirmation écrite et signée par laquelle l’employeur reconnait l’existence de créances salariales impayées ne peut pas
être assimilée à une mise en demeure écrite. Une telle reconnaissance de dette n’implique pas une invitation ferme à régler les arriérés de salaire dans les meilleurs délais mais peut être comprise plutôt comme un signe révélant que le créancier fait preuve de patience vis-à-vis du débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 8C_641/2014 du 27 janvier 2015 consid. 4.3). S’agissant enfin de la mesure la plus contraignante entreprise par le recourant, à savoir la mise en demeure de
la société le 30 septembre 2018, elle ne saurait être qualifiée de suffisante
puisque d’une part, le recourant en a affaibli la portée en demandant (et obtenant) la délivrance d’une reconnaissance de dette le 8 janvier 2019 et que d’autre part,
il s’est abstenu de toute autre démarche supplémentaire à l’encontre de la société jusqu’au prononcé de la faillite de cette dernière le 14 janvier 2021.

5.3 Dans un second moyen, le recourant fait valoir en substance qu’il existait des raisons objectives de ne rien entreprendre contre la société au cours des deux années qui ont précédé la faillite dans la mesure où la situation financière de la société ne pouvait pas se dégrader – puisqu’elle n’avait déjà plus aucun actif
ni aucun engagement auprès de tiers – mais qu’elle était au contraire appelée à s’améliorer à brève échéance sous l’effet de l’indemnité d’assurance escomptée, et qu’ainsi, des démarches juridiques que l’on pourrait habituellement attendre de la part d’un ex-employé – à savoir notamment une réquisition de poursuite, une mise en faillite ou encore une action judiciaire – auraient été inefficaces et même contreproductives.

La chambre de céans constate tout d’abord qu’il est erroné de prétendre que la situation financière ne pouvait pas se dégrader. On relève tout d’abord qu’en amont, soit à compter du mois de juin 2018, la société n’avait plus de rentrées d’argent (cf. recours p. 3, point 4) ou qu’à tout le moins, les résultats financiers étaient « mauvais » (cf. attestation du 30 août 2018). Or, même en admettant qu’à partir du mois de novembre 2018, la société avait licencié tous ses employés comme l’affirme le recourant, il n’en reste pas moins qu’elle devait continuer à s’acquitter des factures courantes (cf. le point 18 de l’opposition à la décision du
9 mars 2021) et s’attendre à ce qu’à terme, le risque de faillite (que faisaient planer sur elle notamment les démarches entreprises par deux ex-employés réclamant leur dû) se concrétise plus vite que l’encaissement de l’indemnité d’assurance alléguée. Quant au recourant, il était parfaitement au courant de ce risque puisqu’il était régulièrement tenu informé de l’évolution de la situation de la société à compter du mois de juin 2018, notamment par la mise à sa disposition d’extraits de comptes, de relevés de poursuites, etc. (cf. l’attestation délivrée
le 23 mars 2021 par M. C______). Au demeurant, il reconnaît lui-même que contrairement à certains collaborateurs – dont il faisait partie –, d’autres ne s’étaient pas contentés de « patienter » (cf. les points 23 et 25 de l’opposition), l’un d’entre eux allant jusqu’à obtenir un jugement du Tribunal des prud’hommes du 18 février 2019, portant condamnation de la société à lui payer la somme de CHF 14’304.50 (cf. commination de faillite du 10 juillet 2020). Il s’ensuit que malgré l’espoir d’un versement prochain, en faveur de la société, d’une indemnité d’assurance dont il n’est pas nécessaire de connaître davantage les détails, les circonstances sus-décrites, qui étaient bien connues du recourant, ne justifiaient pas objectivement que celui-ci renonce pendant plus de deux ans après la fin des rapports de travail – soit jusqu’à la faillite de la société – à des mesures plus incisives que la mise en demeure du 30 septembre 2018 (cf. l’arrêt 8C_66/2011 précité, consid. 4.3, pour un cas et une appréciation similaires). En conséquence, le recourant a violé son obligation de réduire le dommage en faisant preuve à tout le moins d’une négligence grave. Dans ces circonstances, la chambre de céans se dispensera d’examiner si le rôle d’organe de la société – que le recourant conteste avoir eu après son départ du conseil d’administration en avril 2017 – faisait de toute manière obstacle au versement des ICI litigieuses.

6.             Compte tenu de ce qui précède, le recours est rejeté.

7.             Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 LPGA et 89H al. 1 LPA).

 

*****

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d’État à l’économie par le greffe le