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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1835/2003

ATAS/200/2004 (1) du 30.03.2004 ( PC ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 18.05.2004, rendu le 04.04.2005, ADMINISTRATIF
Descripteurs : PC; PRESTATION COMPLÉMENTAIRE; DETTE ALIMENTAIRE; CONTRE-PRESTATION; DONATION ; DESSAISISSEMENT DE FORTUNE ; FORTUNE
Normes : LPC.3c.1.let.g
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1835/2003 ATAS/200/2004/

ARRÊT

DU TRIBUNAL CANTONAL DES
ASSURANCES SOCIALES

du 30 mars 2004

1ère Chambre

 

En la cause

 

Madame B__________ recourante

Comparant par Maître Mauro POGGIA

en l’étude duquel elle élit domicile

 

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DES intimé

PERSONNES AGEES

Route de Chêne 54, 1211 - GENEVE 29

 

 


EN FAIT

 

1. Madame B__________, née en octobre 1938, a été victime d’un accident en juin 1981. Elle a été mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité depuis 1982, et de prestations complémentaires fédérales depuis 1994.

 

2. Un rapport d’enquête a été établi par l’Office cantonal des personnes âgées (ci-après l’OCPA) le 19 janvier 2001, à la suite duquel le calcul des prestations complémentaires a été repris, tenant compte de l’état de la fortune mobilière et des intérêts y relatifs, y compris la valeur de rachat d’une assurance vie que Madame B__________ n’avait pas déclarée, d’un montant de biens dessaisis d’environ 772'067 fr., ainsi que des intérêts de la fortune relative aux titres, de même que le produit des biens dessaisis.

 

3. Les prestations complémentaires ont été suspendues dès fin août 2000 et par décision du 5 février 2001, l’OCPA a réclamé à Madame B__________ le remboursement de la somme de 151'361 fr. 50 représentant les prestations qu’il considérait lui avoir versées à tort.

 

4. Par jugement du 17 juillet 2002, la Commission cantonale de recours AVS-AI a déclaré irrecevable pour cause de prescription la décision de restitution en tant qu’elle portait sur les biens mobiliers dont Madame B__________ se serait dessaisie, a admis la bonne foi de celle-ci s’agissant de la remise de l’obligation de restituer le montant représentant les valeurs de rachat de l’assurance-vie et renvoyé la cause à l’intimé pour nouveau calcul le cas échéant, et nouvelle décision.

 

5. Saisie par l’OCPA d’une demande d’interprétation, la Commission cantonale de recours AVS-AI a décidé de ne pas entrer formellement en matière et la greffière en charge du dossier s’est bornée à inviter l’OCPA à rendre une décision au plus tôt sur le montant des prestations complémentaires qui pourrait être dû à Madame B__________ depuis la date à laquelle les versements avaient été suspendus.

 

6. Par décisions du 20 novembre 2002, l’OCPA a informé Madame B__________ que de septembre 2000 jusqu’au 1er décembre 2002 et à compter de cette date, aucune prestation ne pouvait lui être accordée, compte tenu des biens dessaisis pris en considération.

L’OCPA a confirmé ce refus par décision sur opposition du 24 janvier 2003.

 

7. Madame B__________, représentée par Maître Mauro POGGIA, a interjeté recours le 25 février 2003 auprès de la Commission cantonale de recours AVS-AI. La recourante allègue que l’OCPA n’était pas fondé à statuer le 20 novembre 2002 sur son droit aux prestations complémentaires dès le 1er septembre 2000, dès lors que cette question avait déjà été abordée dans la décision à elle notifiée le 5 février 2001, décision qui avait été portée devant la Commission cantonale de recours AVS-AI. Reprenant les considérants du jugement du 17 juillet 2002, Madame B__________ considère qu’en examinant les cinq conditions auxquelles est soumis le principe de la bonne foi régissant les rapports entre l’administration et les administrés, la Commission cantonale de recours AVS-AI avait bel et bien abordé la question de la suspension au 1er septembre 2000 des prestations complémentaires. Elle en conclut que lorsque la Commission a renvoyé la cause à l’OCPA pour « nouveau calcul le cas échéant », il ne pouvait s’agir pour ce dernier que de chiffrer des prestations pour 2001 et 2002 qui n’avaient pas encore pu être calculées compte tenu de la procédure en cours.

Madame B__________ conteste par ailleurs qu’il y ait dessaisissement de biens. Elle rappelle à cet égard qu’après son accident et jusqu’en 1989, elle avait dû faire appel à l’aide de tiers pour subsister et aider financièrement son fils. La rente d’invalidité qui lui était versée ne dépassait pas en effet le montant de 295 fr. par mois et le premier acompte de 380'000 fr. versé par les assurances n’est intervenu qu’en 1984. Madame B__________ rappelle également que son fils, né en 1961, souffre d’une grave affection médicale qui l’a toujours rendu incapable de travailler, que ce nonobstant, il n’avait accepté de déposer une demande de prestations AI que très tardivement et n’avait ainsi obtenu une rente qu’en juin 1999, qu’elle s’est également occupée de sa mère qui vivait extrêmement modestement. Elle fait enfin valoir le principe de la protection de la bonne foi de l’administration et soutient que :

« Ainsi l’autorité doit respecter ses promesses et l’attente qu’elle a fait naître auprès de l’administré, lui-même de bonne foi. Sans que la jurisprudence ne le dise clairement, c’est à l’issue d’une pesée des intérêts en présence, conformément au principe de la proportionnalité, qu’il est décidé si la préférence doit être donnée au principe de la légalité ou à celui de la bonne foi ».

 

8. Dans son préavis du 30 avril 2003, l’OCPA rappelle la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances en matière de biens dessaisis, confirme avoir procédé au calcul de la valeur de l’entretien selon une méthode appliquée dans tous les cas de biens dessaisis et souligne enfin que le principe de la légalité doit l’emporter sur celui de la bonne foi. Il conclut au rejet du recours et au maintien de la décision sur opposition attaquée.

 

9. Renseignements pris auprès de l’OCAI, il s’avère que le fils de la recourante a déposé le 21 juin 1999 une demande de prestations AI, au motif qu’il souffrait de troubles psychiques depuis 1989 ; qu’il a obtenu, par décision du 14 juin 2001, une rente entière d’invalidité, avec effet au 1er juin 1998, après avoir été reconnu invalide depuis le 1er janvier 1983.

 

10. Les différents allégués des parties seront repris en tant que de besoin dans la partie « en droit » qui suit.

 

 

EN DROIT

 

1. Le recours, interjeté auprès de la Commission cantonale de recours AVS-AI-PC en temps utile, est recevable à la forme.

La cause a été transmise d’office au présent Tribunal conformément à l’article 3, al. 3 de la loi du 14 novembre 2002 modifiant la loi sur l’organisation judiciaire (LOJ).

 

2. La recourante conteste les décisions du 20 novembre 2002, en tant qu’elles portent sur son droit aux prestations complémentaires dès le 1er septembre 2000, considérant que cette question a déjà fait l’objet de la décision du 5 février 2001. Force est cependant de constater que par jugement du 17 juillet 2002, la Commission cantonale de recours AVS-AI n’a examiné que les conditions d’une restitution. Elle a du reste renvoyé la cause à l’OCPA pour nouveau calcul le cas échéant et nouvelle décision.

Il sied également de préciser ici que lorsqu’elle a passé en revue les cinq conditions, qui si elles sont réunies, peuvent obliger l’administration à consentir à un administré un avantage contraire à la loi (principe de la bonne foi), elle ne l’a fait que pour en conclure que la recourante n’avait pas à rembourser la somme de 151'361 fr. 50 ce par surabondance de moyens.

On ne saurait dès lors parler dans ces conditions d’autorité de la chose jugée. La Commission cantonale de recours AVS-AI dans son jugement du 17 juillet 2002, ne s’est pas déterminée sur la question de savoir si l’OCPA était fondé ou non à considérer qu’il y avait dessaisissement de biens. Cette question fait précisément l’objet du présent arrêt.

En vertu de l’article 3c al. 1 let. g de loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS-AI (LPC), les revenus déterminants comprennent également les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi. Les éléments de fortune auxquels il a été renoncé sont pris en compte, lors du calcul de la prestation complémentaire, au même titre que la fortune dont l’assuré ne s’est pas dessaisi.

Dans sa teneur valable jusqu’à fin 1986, l’article 3 al. 1 let. f LPC prévoyait qu’il fallait prendre en compte « les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi en vue d’obtenir des prestations complémentaires ». Selon la jurisprudence y relative, il y avait intention d’éluder la loi au sens de cette disposition déjà lorsque l’assuré n’était pas juridiquement tenu de renoncer aux biens cédés, lorsqu’il n’avait pas reçu de contre-prestation adéquate pour cette cession et lorsque l’on pouvait d’après les circonstances conclure que la perspective d’obtenir une prestation complémentaire avait joué au moins un certain rôle. Ces circonstances devaient être telles que l’ensemble des autres motifs de cet acte ne suffisait pas à écarter la présomption d’une intention dolosive, cette présomption s’imposant d’elle-même lorsqu’il n’y avait ni obligation juridique ni contre-prestation adéquate (cf. notamment RCC 1985, p. 243). Tel était le cas par exemple lorsque la demande de prestations complémentaires était présentée relativement peu de temps après la renonciation (RCC 1977, p. 251). Etant donné que la preuve de telles intentions était souvent difficile à apporter dans la pratique, le texte de l’article 3, al. 1 let. f LPC a été modifié lors de la deuxième révision de cette loi. Il parle, depuis le 1er janvier 1987, des « ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi ». Cette nouvelle réglementation qui vise à empêcher des abus permet de trouver une solution uniforme et équitable ; en effet il est désormais superflu de procéder à l’examen difficile consistant à déterminer si l’idée d’obtenir une prestation complémentaire a vraiment joué un rôle dans la renonciation à un revenu ou à une part de fortune.

 

3. L’article 3 al. 1 let. g LPC est dorénavant applicable dès que l’assuré a renoncé entièrement ou partiellement à des éléments de revenu ou de fortune sans y avoir été tenu juridiquement et sans avoir reçu une contre-prestation adéquate (RCC 1988, p. 207)

 

4. En l’espèce, l’OCPA, dans sa décision du 20 novembre 2002, constatant que la fortune de la recourante avait passé de 1'043'122 fr. en 1989 à 173'201 fr. en 1993, a considéré que le total des biens dessaisis s’élevait à 895'503 fr. de 1989 à 1993, se décomposant comme suit :

 

Fr.  550'000,-- remboursement sur divers prêts Fr.  200'000,--

entretien pour son fils : Fr.  300'000,--

entretien pour sa mère : Fr.  50'000,--

Fr.  345'503,-- (son propre entretien Fr. 500'000,--/moins revenu minimum d’aide social Fr. 154'497,-- + loyer sur cinq ans).

 

5. Du remboursement de prêts : 200'000 fr.

 

L’OCPA a tenu compte de ces 200'000 fr. à titre de biens dessaisis.

Or, la recourante rappelle que de 1981 - date de son accident - à 1984 - date à laquelle elle a reçu de la part des assurances un premier acompte de 380'000 fr., - elle a vécu d’un prêt remboursable ; de 1984 à 1989, elle a été contrainte, vu le faible montant de la rente AI (295 fr. par mois), à faire appel à l’aide de tiers, pour subvenir à son propre entretien, à celui de son fils et pour aider sa mère. Elle allègue ainsi avoir consacré une somme de 200'000 fr. au remboursement des divers prêts que des amis lui avaient consentis. Elle n’en apporte cependant pas la preuve. Sommée de donner l’identité de ceux qui l’ont aidée durant cette période, elle persiste à se taire, rappelant qu’elle avait promis la confidentialité à la personne qui l’avait aidée alors qu’elle se trouvait en difficulté et qu’elle entendait bien « respecter la parole donnée » (cf. courrier du 03 février 2004).

Or, celui qui est incapable de prouver que ses dépenses ont été effectuées moyennant contre-prestation adéquate ne peut pas invoquer son état de fortune ainsi réduit mais doit accepter que l’on s’enquière des motifs de cette diminution et, le cas échéant que l’on prenne en compte une fortune hypothétique (VSI 1994, p. 222).

Rien ne permet en l’espèce d’écarter l’hypothèse qu’elle ait fait un autre usage de cet argent que celui qu’elle prétend avoir fait. Vu son refus d’apporter quelque précision susceptible d’établir, à satisfaction de droit, l’importance de l’aide qui lui aurait été accordée, d’une part, et si le cas échéant, elle devait rembourser, et à quelles conditions, les prêts consentis, d’autre part, force est de considérer qu’elle s’est dessaisie de la somme de 200'000 fr. sans contre-prestation économique adéquate.

 

 

6. De son propre entretien : 500'000 fr.

 

La recourante allègue avoir dépensé 500'000 fr. pour son propre entretien en cinq ans, soit 100'000 fr. par année.

Son mandataire souligne qu’il est d’autant plus compréhensible vu les huit années de privation vécues de 1981 à 1989 qu’elle ait souhaité vivre un peu plus confortablement, à réception des indemnités auxquelles elle avait droit.

Il invoque à cet égard la bonne foi.

L’OCPA n’a admis qu’une somme de 154'497 fr. représentant sur cinq ans le revenu minimum d’aide sociale et le loyer et a qualifié le solde de biens dessaisis.

La jurisprudence fait dépendre l’ensemble des éléments constitutifs du dessaisissement de fortune du seul fait que la cession de fortune a été effectuée sans obligation juridique et sans contre-prestation adéquate.

Lorsque les conditions susceptibles de reconnaître l’existence d’un dessaisissement ne sont pas remplies, le TFA n’admet cependant pas la prise en compte d’une fortune, ce même pas dans les cas où le requérant aurait pu vivre de ses ressources avant de présenter une demande de prestations complémentaires. Le TFA a répété à maintes reprises que le système des prestations complémentaires n’offrait aucune possibilité légale de procéder à un contrôle du style de vie des assurés, d’ailleurs toujours différent, et de se demander en conséquence si un requérant a vécu par le passé en fonction ou au-dessus d’une « limite normale » qui devrait en outre être encore définie d’une manière plus précise. Au contraire on doit plutôt se fonder sur les conditions effectives en constatant qu’un requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour couvrir ses besoins vitaux dans une mesure appropriée et – ce toujours sous réserve des restrictions prévues par l’article 3 al. 1 let. f LPC – ne pas s’enquérir des raisons de cette situation (RCC 1990, p. 371 ; RCC 1992, p. 436). Le TFA a encore précisé que l’on ne pouvait, en se fondant sur la jurisprudence, tirer de l’article 3 al. 1 let f LPC une obligation d’agir en personne responsable avant la concrétisation du risque assuré ou couvert que dans la mesure où un assuré n’était pas autorisé à « se dessaisir » d’éléments de fortune (arrêt non publié P. du 8 février 1993).

Le TFA a eu l’occasion de juger, dans un arrêt non publié K. du 10 mai 1983, le cas d’un rentier AVS qui avait vécu modestement jusqu’à la retraite et qui avait touché à ce moment-là un capital de son employeur. Il avait consacré une partie importante de sa fortune à des voyages à l’étranger, à des traitements dentaires, à divers achats et repas au restaurant. Le TFA n’avait pas admis l’application de l’article 3 al.1 let. f LPC, considérant que :

« L’expérience de la vie enseigne qu’un tel comportement est fréquent dans des situations de ce genre et même si le recourant devait être taxé d’imprévoyance, on ne saurait dire pour autant qu’il ait manifesté une intention dolosive au sens des principes rappelés plus haut. Au demeurant en édictant l’article 3 al.1 let f LPC, le législateur n’a sans doute pas voulu sanctionner l’assuré prodigue. Il s’agissait avant tout d’empêcher qu’un assuré se dessaisisse de tout ou partie de ses biens au profit d’un tiers, sans obligation juridique et de manière à diminuer le revenu déterminant le droit aux prestations complémentaires et leur montant. Mais l’assuré qui dépense sa fortune pour acquérir des biens de consommation ou pour améliorer son train de vie use de sa liberté personnelle et ne saurait tomber sous le coup de cette disposition ».

Le TFA a ainsi non seulement nié dans ce cas l’intention d’éluder la loi – encore exigée sous l’empire de l’ancien droit – mais également l’existence même d’un acte de renonciation important.

Le TFA a également jugé qu’une personne ayant dépensé sa fortune pour ainsi dire par « portions » par le biais de modestes et de plus grands retraits au guichet de la banque ou au bancomat, pour « vivre un peu mieux » qu’elle n’en avait l’habitude, ne devait pas être considérée comme s’étant dessaisie de sa fortune sans obligation juridique et sans contre-prestation appropriées (RCC 1990, p. 371). Il en a été de même pour l’assuré qui utilise le capital reçu de son entreprise pour effectuer des acquisitions, augmenter son niveau de vie et s’offrir des voyages (ATF 115 V 352).

Tous les jugements dans lesquels le TFA a critiqué la prise en compte d’une fortune et d’un revenu fictif en se prévalant du fait que toute base pour procéder à un « contrôle du style de vie » faisait défaut ne concernaient que des cas où l’assuré avait reçu de l’argent inopinément. Il s’agissait de déterminer si les dépenses opérées moyennant contre-prestation adéquate (achat de biens de consommation, voyage, etc.) devaient être également considérées comme un dessaisissement de fortune. On ne peut en revanche rien tirer de décisif de ces jugements pour le cas où l’argent a été dilapidé sans contre-prestation. C’est ainsi que le TFA a considéré qu’un intimé ayant perdu son argent dans un casino, s’était livré à un dessaisissement de fortune parce qu’il avait dilapidé son argent librement sans obligation juridique et sans avoir reçu pour cela une contre-prestation économique adéquate (VSI 1994, p. 222). Le TFA avait à cet égard déclaré que « l’intimé a toujours continué à prétendre qu’il avait perdu son argent au jeu sans donner plus de précisions. On pourrait toutefois aisément penser qu’il a fait un autre usage de cet argent ; il aurait pu s’en défaire sous forme de dons ou le placer secrètement ailleurs, deux usages qui entraîneraient la prise en compte de la somme en cause à des titres divers (article 3 al. 1 let. b et f LPC) ». Le TFA n’avait ainsi pas voulu appliquer sa jurisprudence selon laquelle le droit régissant les prestations complémentaires ne contiendrait aucune base légale pour procéder à un « contrôle général du style de vie ».

D’une façon générale, le TFA a précisé que l’on pouvait renoncer à rechercher les causes d’une diminution de fortune et se fonder sur la situation effective uniquement dans le cas où il n’y avait pas dessaisissement au sens de l’article 3 al. 1 let. f LPC. Il y a à cet égard lieu de rappeler que celui qui ne peut démontrer que ses dépenses ont été honorées d’une contre-prestation adéquate ne saurait solliciter une prise en compte de son état de fortune réduit seulement ; bien au contraire, il doit accepter la recherche des motifs de la diminution et le cas échéant, faute de preuves appropriées, la prise en compte d’une fortune hypothétique (VSI 1994, p. 226 ; VSI 1995, p. 176).

Il se justifie, au vu de la jurisprudence précitée relative à l’absence de base légale pour procéder à un « contrôle général du style de vie », de ne pas prendre en compte dans le calcul du revenu déterminant la fortune ayant servi à son propre entretien, étant à toutes fins utiles précisé que la contre-prestation peut encore être considérée comme équivalente lorsque la différence entre la prestation et la contre-prestation n’excède pas 10% environ de la valeur de la prestation (ATF 122 V 400, considérant 5).

 

7. De l’entretien de son fils : 300'000 fr.

La recourante allègue avoir entretenu son fils de 1989 à 1993 à hauteur de 300'000  fr. au total.

L’OCPA considère qu’il n’y a pas ici contre-prestation adéquate ni obligation juridique et qualifie ces 300'000 fr. de biens dessaisis.

La donation constitue par excellence un acte de dessaisissement au sens de l’article 3 al. 1 let. f LPC. Le TFA a ainsi confirmé le refus d’allouer des prestations complémentaires à une assurée qui ayant hérité de plusieurs centaines de milliers de francs dans la succession de son frère avait généreusement distribué sa fortune à diverses congrégations religieuses et à des personnes nécessiteuses (RDAT 1993 II 188).

Aux termes de l’article 328 du code civil cependant, chacun est tenu de fournir des aliments à ses parents en ligne directe ascendante et descendante ainsi qu’à ses frères et sœurs, lorsqu’à défaut de cette assistance, ils tomberaient dans le besoin.

Par nature l’obligation alimentaire des parents tend précisément à éviter que la personne dans le besoin ne tombe tout simplement et en premier lieu à la charge de la collectivité et à la faire assister par ses parents dans la mesure où ceux-ci en sont financièrement capables (cf. notamment JdT 1976, p. 609).

Est dans le besoin notamment celui qui n’est pas apte au travail ou n’a pas la possibilité de réaliser un gain ou dont on ne peut pas exiger qu’il exerce une activité rémunérée. La personne nécessiteuse doit se trouver dans une situation telle qu’elle tomberait dans le besoin. La loi ne dit pas ce qu’il faut entendre par là. Est dans le besoin celui qui ne peut plus trouver ce qui est nécessaire à son entretien sans une aide étrangère. Ses moyens propres doivent être épuisés. Il va de soi que la personne nécessiteuse doit s’efforcer sérieusement de se procurer elle-même ce qui est nécessaire à son entretien. Elle doit mettre sa capacité de travail en valeur notamment faire tout son possible, dans la mesure de ses forces, pour obtenir du travail. Celui qui omet cela par malveillance pour vivre aux frais de ses parents n’a aucun droit à des aliments (FJS N° 637). S’agissant de l’obligation d’entretien des père et mère précisément, l’article 276 al. 3 CC stipule en effet que :

« Les pères et mères sont déliés de leur obligation d’entretien dans la mesure où l’on peut attendre de l’enfant qu’il subvienne à son entretien par le produit de son travail ou par ses autres ressources ».

Le TFA a jugé qu’un devoir moral ne suffisait pas. Il a eu l’occasion d’examiner le cas d’une mère et de sa sœur qui avaient donné en gage à la banque créancière de leur fils et neveu tous les objets mobiliers qu’elles possédaient en garantie des dettes actuelles et futures du débiteur. Par la suite elles avaient encore remis en nantissement à cette banque deux polices d’assurance-vie garantissant à chacune des assurées une rente viagère mensuelle moyennant le paiement de primes uniques. Tous ces biens furent engloutis dans la déconfiture du fils et neveu. Les deux assurées, ainsi dépouillées de leur fortune et réduites à vivre de leur rente de vieillesse, sollicitèrent des prestations complémentaires faisant notamment valoir pour expliquer leur comportement qu’elles avaient eu l’obligation morale de venir en aide à leur fils et neveu dont les affaires avaient mal tourné. Le TFA les a déboutées en leur rappelant qu’elles ne pouvaient faire supporter à la collectivité publique qui finance les prestations complémentaires les conséquences de leur imprévoyance (ATF 120 V 187).

En l’occurrence, le fils de la recourante, P. C__________ né en 1961, souffre d’un important handicap et est incapable de travailler à 100% depuis toujours. L’article 3 al. 3 LPC consacre la priorité des prestations complémentaires en tant que prestations d’assistance sur les prestations d’aide ou d’entretien. Cette priorité des prestations complémentaires a été prévue en ce sens que les secours apportés par des proches ne doivent pas être pris en compte dans le calcul du revenu déterminant. Elle ne concerne en conséquence pas le cas d’espèce. Le fait est que le fils de la recourante n’a accepté de déposer une demande de prestations AI que le 21 juin 1999, en raison précisément de la nature de son atteinte à la santé. Il a du reste été reconnu invalide depuis le 1er janvier 1983 et mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité avec effet rétroactif à compter du 1er juin 1998. Il serait à l’évidence tombé dans le dénuement sans l’intervention financière de sa mère. On ne saurait dès lors soutenir que la recourante a aidé son fils sans obligation juridique aucune, les conditions de l’article 328 CC étant réunies. L’aide apportée à son fils ne doit ainsi pas être considérée comme un dessaisissement de fortune. Il s’agit à présent de déterminer le montant de cette aide.

Il convient préalablement de relever que pour calculer le montant de la contribution d’entretien due en vertu de l’article 328 CC, il faut en déduire notamment les rentes d’assurances sociales. En l’espèce, le fils de la recourante a été mis au bénéfice d’une rente d’invalidité à partir de 1998. On ne saurait dès lors en tenir compte en déduction de la contribution d’entretien pour les années 1989 à 1993.

Selon l’article 329 CC, l’action alimentaire est intentée contre les débiteurs dans l’ordre de leurs droits de succession ; elle tend aux prestations nécessaires à l’entretien du demandeur et compatibles avec les ressources de l’autre partie. Les parents contribuent aux besoins dans la proportion du solde revenus/minimum vital de chacun. On tient compte des circonstances particulières. En revanche la contribution d’entretien ne saurait simplement être fixée sur la base du revenu du débiteur. En présence d’une situation financière confortable et d’un standard de vie des parents qui lui correspond, on évalue les besoins de l’enfant de façon plus généreuse (JdT 1993 I 165, JdT 1996 I 218 ; Cyril HEGNAUER, Droit suisse de la filiation et de la famille, Précis de droit STAMPFLI, 4ème éd. p. 127 et ss. ; p. 139 et 140).

Les conditions de la créance alimentaire sont fixées par le droit civil, à la différence de l’assistance publique des indigents qui est réglée sur le plan cantonal. De la sorte, il peut déjà y avoir une situation de besoin alors qu’une pauvreté au sens du droit public n’est pas encore donnée. Les besoins élémentaires sont la nourriture les vêtements et les soins en cas de maladie. Les frais d’hospitalisation entrent aussi en considération. Pour les jeunes gens, la créance est un peu plus étendue ; elle comprend aussi les frais d’éducation et ceux d’une formation professionnelle correspondant aux forces et aux aptitudes de l’ayant droit.

Le minimum vital selon le droit des poursuites constitue une base pour déterminer la limite inférieure du besoin (JdT 1976 I 608 ; HEGNAUER p. 221).

Selon le Tribunal fédéral, on peut prendre le minimum d’existence du droit des poursuites en considération à titre de comparaison lors de l’examen des dépenses que peut se permettre une personne ayant un revenu donné devant vivre pour l’essentiel de ses gains. Le Tribunal fédéral n’admet l’établissement du minimum du droit d’existence du droit des poursuites et sa comparaison avec le revenu du débiteur cependant que comme un moyen accessoire pour juger les conditions concrètes. C’est une question de libre appréciation que de savoir dans quelle mesure l’excédent du revenu net dépassant le minimum d’existence nécessaire peut être pris en considération pour l’entretien de parents. Le Tribunal fédéral entend par revenu net le revenu diminué du loyer, des primes d’assurances obligatoires et usuelles et des autres débours obligatoires (ATF 82 II 200).

Faute d’éléments suffisants dans le dossier, le Tribunal cantonal des assurances sociales n’est pas en mesure d’établir lui-même le montant de la dette alimentaire que la recourante aurait eue envers son fils de 1989 à 1993. Il appartiendra à l’OCPA de le calculer, ce conformément aux principes dégagés ci-dessus. Il veillera à évaluer les charges nécessaires à l’entretien du fils de la recourante sans se borner au minimum vital du droit des prestations, qui ne constitue qu’un point de départ. Il tiendra également compte des ressources importantes dont disposait la recourante à ce moment-là, étant à cet égard rappelé que lorsque les parents bénéficient d’une situation financière confortable, les besoins de l’enfant sont d’autant plus généreusement évalués. Ceci fait, il devra considérer que le montant ainsi obtenu ne constitue pas un bien dessaisi.

 

8. De l’entretien de sa mère : 50'000 fr.

La recourante allègue avoir versé à sa mère, Madame V. H__________, la somme de 50'000 fr.. Elle déclare que celle-ci vivait très modestement (rente AVS et prestations complémentaires depuis 1986). Certes l’article 328 CC vise-t-il également les parents en ligne directe ascendante, les autres conditions ne sont cependant pas ici réalisées, tant il est vrai que Madame H__________ ne serait pas quoi qu’il en soit, tombée dans le besoin. C’est en conséquence à juste titre que l’OCPA a retenu à la somme de 50'000 fr. à titre de biens dessaisis.

 

9. De la bonne foi de l’administration :

La recourante rappelle les cinq conditions auxquelles est soumis le principe de la bonne foi et considère qu’elle satisfait à toutes.

Elle précise qu’elle a organisé son budget, sa vie somme toute, en se fondant sur le fait qu’elle avait droit au versement de prestations complémentaires. L’OCPA l’a confortée dans cette idée en lui accordant de telles prestations de 1994 à 2000.

Tel ne saurait être l’avis du Tribunal de céans. La Commission cantonale de recours AVS-AI a certes constaté la bonne foi de la recourante lorsqu’elle a reçu des prestations de l’OCPA indûment. Cela n’implique nullement qu’elle puisse faire valoir le même principe pour obtenir que les mêmes prestations continuent à lui être versées.

La recourante sait à présent qu’une certaine partie de sa fortune dépensée peut être qualifiée de biens dessaisis. On ne voit pas bien quelles dispositions irréversibles elle aurait pu prendre.

Toutes les conditions de bonne foi, s’agissant du maintien du droit aux prestations complémentaires, ne sont dès lors manifestement pas réalisées.

 

10. La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de 1'500 fr. lui sera accordée à titre de dépens.


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

conformément à la disposition transitoire de l’article 162 LOJ

 

Admet partiellement le recours ;

Renvoie la cause à l’OCPA pour nouveau calcul dans le sens des considérants ;

Condamne l’OCPA à verser à la recourante la somme de 1'500 fr. à titre de dépens ;

Dit que pour ce qui a trait aux prestations complémentaires fédérales, les parties peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Ce mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs le recourant estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter la signature du recourant ou de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu'il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints au mémoire s'il s'agit de pièces en possession du recourant. Seront également jointes au mémoire la décision attaquée et l'enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

 

La greffière :

Marie-Louise QUELOZ

 

 

La présidente :

Doris WANGELER

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe