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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3802/2020

ATAS/1089/2021 du 28.10.2021 ( AVS )

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3802/2020 ATAS/1089/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt incident du 28 octobre 2021

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à 1205 Genève

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise Service juridique; 12, rue des Gares; Case postale 2595, 1211 Genève 2

 

 

intimé

 


 

Considérant, en fait, que Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1967, domicilié dans le canton de Genève, sans enfant, a épousé, en date du ______ 2006, Madame B______ née C______ le 18 mai 1958 (ci-après : Mme B______), mère de deux enfants issus de deux premières unions conjugales, nés respectivement les ______ 1977 et ______ 1982, qui n'ont jamais vécu dans le ménage commun de leur mère et l'assuré ;

Qu'aucun enfant n'est issu de l'union de l'assuré et Mme B______ ;

Que cette dernière est décédée le 29 décembre 2019 ;

Que, le 11 mai 2020, l'assuré a saisi la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la CCGC) d'une demande de rente de survivant (autrement dit d'une rente de veuf), en exprimant le souhait que "les dispositions spéciales accordées aux femmes le soient aussi en toute égalité de droit de la famille à l'homme" ;

Que, par décision du 14 mai 2020, la CCGC lui a refusé l'octroi d'une telle rente, pour le motif qu'il ne remplissait pas la condition d'avoir des enfants âgés de moins de 18 ans prévue, s'agissant d'un veuf, par l'art. 24 al. 2 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10) ;

Que, le 16 mai 2020, l'assuré a formé opposition à cette décision, notamment en revendiquant, au nom de l'égalité de traitement entre femmes et hommes, d'être mis au bénéfice d'une rente de veuf aux conditions que prévoit en faveur des femmes l'art. 24 al. 1 LAVS pour l'octroi d'une rente de veuve en l'absence d'enfant (à savoir, au décès du conjoint, avoir atteint 45 ans révolus et été mariée pendant cinq ans au moins) ;

Que, par décision sur opposition du 27 octobre 2020, la CCGC a rejeté l'opposition de l'assuré et confirmé sa décision du 14 mai 2020, pour le motif qu'en l'absence d'enfant(s) de moins de 18 ans, les conditions d'ouverture du droit à une rente de veuf en sa faveur n'étaient pas réalisées, selon les dispositions légales limpides que constituaient les art. 23 et 24 LAVS ;

Que, par acte du 23 novembre 2020 enregistré sous le numéro de cause A/3802/2020, l'assuré a recouru contre cette décision sur opposition auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS), en persistant intégralement dans les motifs et conclusions de son opposition précitée ;

Que, le 22 décembre 2020, la CCGC a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, invoquant que l'assuré ne remplissait pas la condition prévue par l'art. 23 LAVS pour l'octroi d'une rente de veuf, lui et son épouse n'ayant pas eu d'enfants au décès de cette dernière ;

Que, le 18 janvier 2021, l'assuré a persisté dans ses écritures antérieures ;

Que la CCGC n'a pas présenté d'observations complémentaires ;

Que, le 24 août 2021, rouvrant l'instruction de cette cause, la CJCAS a invité la CCGC à répondre à des griefs soulevés par l'assuré auxquels cette dernière n'avait pas répondu, s'étant bornée à nier le droit de l'assuré à une rente de veuf "motif pris que la condition de l'art. 23 LAVS n'était pas remplie", alors qu'il résultait de l'ensemble du dossier qu'il revendiquait, au nom du principe de l'égalité entre femmes et hommes, d'être mis au bénéfice d'une rente de veuf aux conditions que prévoyait en faveur des femmes l'art. 24 al. 1 LAVS pour l'octroi d'une rente de veuve ;

Que – faisant référence à l'arrêt qu'avait rendu, le 20 octobre 2020, la troisième section de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : la CourEDH) dans la cause B. contre Suisse (n° 78630/12), reconnaissant le caractère discriminatoire de l'art. 24 al. 2 LAVS, ainsi qu'à la demande de renvoi dont cet arrêt avait fait l'objet de la part du gouvernement suisse à la Grande Chambre de la CourEDH, acceptée le 8 mars 2021 par le collège de cinq juges de cette dernière, et à l'audience que la Grande Chambre avait tenue dans cette affaire le 16 juin 2021, à l'issue de laquelle cette juridiction avait indiqué qu'elle se retirait pour délibérer et se prononcerait à un stade ultérieur –, la CJCAS a demandé aux parties si elles étaient d'accord que la cause A/3802/2020 soit suspendue jusqu'à ce que la Grande Chambre de la CourEDH ait rendu son arrêt sur renvoi de la cause n° 78630/12 précitée ;

Que, par écriture du 22 septembre 2021, la CCGC s'est opposée à une suspension de la procédure A/3802/2020 jusqu'à droit jugé par la Grande Chambre de la CourEDH dans la cause n° 78630/12, parce que cette dernière, fondée sur l'art. 24 al. 2 LAVS, concernait l'extinction d'un droit pour les veufs, tandis que la cause A/3802/2020, fondée sur les art. 23 al. 1 et 24 al. 1 LAVS, concernait les conditions mises à la naissance d'un droit en faveur de veuves, ajoutant qu'il relevait de la marge de manœuvre reconnue aux états contractants de prévoir des conditions particulières (soit celles fixées par l'art. 24 al. 1 LAVS) pour la naissance d'un droit à une rente de veuve en l'absence d'enfant(s), et persistant dans les conclusions de la décision attaquée ;

Que, le 7 octobre 2021, l'assuré s'est prononcé en faveur d'une suspension de la procédure jusqu'à droit jugé par la Grande Chambre de la CourEDH dans la cause précitée, en faisant valoir que si le cas soumis à cette juridiction européenne n'était certes pas identique à celui faisant l'objet de son recours A/3802/2020, seules des considérations très fortes pouvaient amener à estimer compatible avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) une différence de traitement fondée sur le sexe, indépendamment du point de savoir si la discrimination alléguée frappait une femme ou un homme, et estimant que si les principes énoncés dans l'arrêt de la CourEDH du 20 octobre 2020 étaient confirmés par la Grande Chambre, ils s'appliqueraient à l'inégalité de traitement résultant aussi bien de l'art. 24 al. 1 LAVS que de l'art. 24 al. 2 LAVS ;

Considérant, en droit, que le recours A/3802/2020 est recevable, ayant été interjeté devant la juridictions compétente (art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 - LPGA - RS 830.1 - relatives à la LAVS), en temps utile (art. 60 al. 1 LPGA), dans le respect des exigences de forme et de contenu prescrites (art. 61 let. b LPGA ; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), et par une personne ayant qualité pour recourir (art. 59 LPGA ; art. 60 al. 1 let. a et b et 89A LPA) ;

Qu'une procédure administrative contentieuse est suspendue notamment avec l'accord de toutes les parties (art. 78 let. a LPA) ;

Qu'aux termes de l'art. 14 al. 1 LPA (et art. 76 LPA), elle peut également l'être lorsque son sort dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative pendante devant une autre autorité, jusqu’à droit connu sur ces questions ;

Qu'en l'espèce, il est déterminant de savoir, dès lors que la CEDH est applicable en Suisse, si une autorité suisse (ce qu'est la CJCAS) peut et doit le cas échéant se distancer du sens limpide et univoque d'une disposition d'une loi fédérale par hypothèse contraire à la CEDH ou un Protocole additionnel applicable en Suisse, nonobstant l'art. 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), selon lequel le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international ;

Qu'il est également très important, sinon décisif, de savoir si l'art. 24 al. 2 LAVS (prévoyant l'extinction du droit à la rente de veuf, mais pas de veuve, lorsque le dernier enfant atteint l'âge de 18 ans) constitue une discrimination incompatible avec la CEDH, pour juger du point de savoir si la différence de traitement, en jeu dans la cause A/3802/2020, que consacre l'art. 24 al. 1 LAVS (en tant qu'il prévoit, en l'absence d'enfant[s], l'ouverture du droit à une rente de veuve, mais pas de veuf, lorsqu'au décès du conjoint, la survivante avait atteint 45 ans révolus et avait été mariée pendant cinq ans au moins) a ou non un caractère discriminatoire condamné par l'art. 14 CEDH, en envisageant non seulement l'applicabilité de l'art. 8 CEDH (sur le droit au respect de la vie privée et familiale) mais aussi celle de l'art. 5 (sur l'égalité entre époux) du Protocole n° 7 à la CEDH du 22 novembre 1984 (RS 0.101.7) ;

Que l'arrêt que rendra la Grande Chambre de la CourEDH dans la cause n° 78630/12 traitera ces deux questions (à savoir la portée de l'art. 190 Cst. et celle de l'art. 24 al. 2 LAVS) ;

Que, sans affirmer que le raisonnement que ladite juridiction européenne retiendra s'agissant de la validité de l'art. 24 al. 2 LAVS sera forcément transposable à l'examen de la validité de l'art. 24 al. 1 LAVS, il n'apparaît pas s'imposer d'emblée qu'une distinction doive être faite, pour l'admission ou non d'une discrimination fondée sur le sexe, entre les deux situations visées par ces dispositions parce que cette disposition-ci traite d'un cas particulier d'ouverture du droit à une rente de veuve (mais pas de veuf), tandis que cette disposition-là prévoit un cas d'extinction du droit à une rente de veuf (mais pas de veuve) mais en réalité aussi – comme en l'espèce – un cas de non-ouverture d'un tel droit ;

Qu'il se justifie d'admettre que le sort de la cause A/3802/2020 dépend, au sens de l'art. 14 al. 1 LPA, de la solution qui sera donnée par la Grande Chambre de la CourEDH aux questions précitées dans la cause n° 78630/12 ;

Que l'état d'avancement du traitement de la cause n° 78630/12 devant la Grande Chambre de la CourEDH permet d'augurer d'un arrêt dans un délai relativement proche, si bien qu'une suspension de la procédure A/3802/2020 devant la CJCAS n'impliquerait pas une prolongation de la procédure constitutive d'un déni de justice ;

Vu l'art. 133 al. 3 LOJ ;

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

1.        Suspend l'instruction de la cause A/3802/2020 jusqu'à droit jugé par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme dans la cause n° 78630/12.

2.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marguerite MFEGUE AYMON

 

Le président suppléant

 

 

 

 

Raphaël MARTIN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le