Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3087/2020

ATAS/1006/2021 du 30.09.2021 ( LPP ) , ADMIS

Recours TF déposé le 18.11.2021, rendu le 17.11.2022, PARTIELMNT ADMIS, 9C_590/2021
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3087/2020 ATAS/1006/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 septembre 2021

8ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, à Thônex, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Thierry STICHER

 

demanderesse

contre

 

CIEPP - CAISSE INTER-ENTREPRISES DE PREVOYANCE PROFESSIONNELLE, sise rue de Saint-Jean 67, case postale 5278, Genève

FONDATION EN FAVEUR DU PERSONNEL DE LA SFG, sise Société Fiduciaire et de Gérance SA, Genève, en Liquidation, rue des Vieux-Grenadiers 8B, Genève, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Fabien RUTZ

 

 

 

défenderesses


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après: l'assurée ou la demanderesse), née le ______ 1969 et mère d'une fille née le ______ 1995, a travaillé du 1er juin 1997 au 30 septembre 2009 en tant que comptable pour la B______, (ci-après: fiduciaire B______)

2.        À ce titre, elle était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation en faveur du personnel de cette société (ci-après: la Fondation C______).

3.        En 2006, elle touchait un salaire de CHF 96'200.- à la fiduciaire B______. Ce salaire est passé à CHF 80'364.- en 2007 et s'est élevé à CHF 81'250 en 2008. Dans les relevés du compte d'épargne de la Fondation C______, le salaire annuel assuré était de CHF 96'200.- en 2006 et de CHF 79'300.- en 2007.

4.        Du 12 au 31 octobre 2009, elle a travaillé dans la même profession au taux de 80% pour D______ et était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès d'AXA Fondation LPP. Selon le certificat de travail de cet employeur du 9 novembre 2009, elle avait été engagée avec un contrat de durée déterminée. Il est attesté dans ce certificat qu'elle s'était exécutée de ses tâches avec engagement et professionnalisme à l'entière satisfaction de l'employeur qui a en outre relevé qu'elle était consciencieuse et organisée.

5.        Du 1er novembre 2009 au 28 février 2010, l'intéressée était au chômage, avec une pleine aptitude au placement.

6.        À côté de son travail, l'assurée était membre du comité de la compagnie de E______ de 1999 à 2009, selon l'attestation du 22 mars 2018 de celle-ci.

7.        Dès le 1er mars 2010, elle a été engagée comme comptable à 80% par F______ (aujourd'hui: G______). Dans le cadre de l'entreprise, elle était affiliée à la Caisse Inter-Entreprise de Prévoyance professionnelle (ci-après: la CIEPP), ainsi qu'à AXA Vie SA pour la prévoyance professionnelle surobligatoire.

8.        Dans le rapport du 28 février 2011 relatif à la consultation initiale au laboratoire du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), il est indiqué notamment que l'assurée a déclaré avoir souffert d'une dépression très importante en janvier 2010. En raison de troubles du sommeil persistants, elle avait subi un enregistrement polysomnographique au centre CENAS en octobre 2010, lequel avait permis d'exclure toute problématique organique du sommeil. Selon le laboratoire, il s'agissait également d'une insomnie non organique.

9.        Du 5 au 18 février 2014, l'assurée était en incapacité de travail totale, puis à 50% pour une durée indéterminée, selon le rapport du 23 octobre 2014 du docteur H______ qui a retenu les diagnostics de cervico-brachialgies et dorsalgies, d'état dépressivo-anxieux bipolaire et de troubles du sommeil.

10.    En octobre 2014, l'assurée a requis des prestations de l'assurance-invalidité. Elle y a indiqué les atteintes suivantes : dépression depuis 2010, bipolarité depuis toujours avec aggravation depuis 2010 et névralgie cervico-brachiale depuis fin 2013/début 2014.

11.    Dans le rapport d'évaluation du 27 novembre 2014 du service de réadaptation de l'assurance-invalidité, il est indiqué notamment qu'elle a déclaré être actuellement dans une phase de dépression qui avait commencé en 2009. En cette dernière année, la dépression avait nécessité un suivi médical rapproché au programme Care des HUG. Elle était à ce moment au chômage et l'avait mal vécu. Les douleurs physiques seraient liées, selon ses dires, à son atteinte psychique. Elle ne voulait pas que son employeur fût informé de son atteinte psychique.

12.    Dans son expertise du 10 novembre 2014, le docteur I______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, a constaté que l'assurée présentait un raccourcissement du membre inférieur droit entraînant une chute du bassin et des troubles posturaux importants du rachis, avec des contractures musculaires importantes au niveau dorsal. Les dorsalgies reposaient ainsi sur un substrat médical objectivable. Il n'en allait pas de même des cervicalgies, raison pour laquelle des investigations psychiques étaient indiquées. Sur le plan somatique, la capacité de travail était de 50% jusqu'en décembre 2014 et de 100% dès cette date.

13.    Selon le rapport d'expertise du 18 novembre 2014 du docteur J______, l'assurée a notamment déclaré avoir présenté un premier épisode dépressif lors de sa grossesse et qu'elle avait alors été hospitalisée pendant une semaine. Par la suite, son état psychique avait été sur un mode hypomaniaque avec hyperactivité et tendance à la désinhibition. À la fin de son emploi chez la fiduciaire B______, en 2009-2010, elle avait présenté un épisode dépressif majeur et avait quitté son emploi. Elle était alors suivie par les unités spécialisées du département de psychiatrie des HUG et c'est à cette époque que le diagnostic de trouble bipolaire avait été posé. Malgré une amélioration de son état, elle était restée par la suite et jusqu'à présent sub-dépressive. Selon l'expert, elle présentait depuis janvier 2014 un nouvel épisode dépressif important dans le cadre d'un trouble affectif bipolaire. L'épisode dépressif s'était d'abord manifesté par une symptomatologie somatoforme de douleurs au niveau cervical et dorsal.

14.    Dans son rapport du 2 décembre 2014, le docteur K______, psychiatre et psychothérapeute FMH, ainsi que psychiatre traitant de l’assurée depuis juillet 2014, a retenu les diagnostics suivants : trouble affectif bipolaire depuis plus de 10 ans (F31), trouble affectif bipolaire, épisode actuel de dépression d'intensité moyenne (F31.3), trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen depuis plus de 10 ans (F33.1), troubles du sommeil avec insomnie de cause non organique depuis l'adolescence (F51.0) et syndrome douloureux somatoforme persistant récurrent (F45.4). Elle souffrait d'importants troubles du sommeil et de périodes de dépression depuis son adolescence. Les phases dépressives avaient toutefois été de courte durée, d'intensité légère et toujours en relation avec des évènements de vie. Ni les périodes de dépression ni celles d'élévation de l'humeur n'avaient entraîné des répercussions sur son fonctionnement social et professionnel. Elle avait réussi à gérer seule ces épisodes, sans médicaments. Elle-même se présentait comme sociable et positive et considérait qu'elle avait toujours fonctionné plus vite que la moyenne des personnes. Elle avait développé un épisode dépressif lors d'une rupture sentimentale en juin 2009, puis en septembre 2009 lorsqu'elle a décidé de quitter son emploi en raison d'un conflit majeur. Elle traversait alors une période de mal-être progressif caractérisé par une hypersensibilité aux événements du quotidien, une baisse de l'humeur, une anxiété, une diminution de la sociabilité et l'apparition de troubles cognitifs. En janvier 2010, son état s’était aggravé jusqu’à entraîner une hospitalisation en psychiatrie en octobre 2010 pour évaluation. En décembre 2010, le diagnostic de trouble affectif bipolaire de type 2 a été posé pour la première fois. D'autres hospitalisations avaient suivi, au printemps 2012, puis durant l'été 2014. L'assurée s'accrochait à sa vie sociale et professionnelle, mais elle avait de plus en plus de mal à tenir, dissimulait ses problèmes de santé à son employeur et avait du mal à accepter que ses capacités de travail soient limitées par la maladie. La capacité de travail était de 50%.

15.    Les taux d'incapacité de travail ont été récapitulés comme suit par le psychiatre traitant le 29 juin 2016 : 100% du 5 février au 17 février 2014, 50% du 18 février 2014 au 31 mai 2015, 40% du 1er juin au 31 août 2015 et 30% à compter du 1er septembre 2015.

16.    Dans son expertise du 3 juin 2015, le Dr J______ a mentionné dans l'anamnèse que l'assurée était restée pendant douze ans dans la fiduciaire B______ et que "À la fin de cette période, en 2009-2010, elle a présenté un épisode dépressif majeur et a quitté cet emploi".

17.    Le 24 novembre 2016, le docteur L______, spécialiste FMH en médecine interne et médecin traitant de l'assurée depuis mai 2012, a attesté de l’existence d’un état dépressif sévère en 2009 et d'une bipolarité traitée et relativement stabilisée. Il a évoqué des douleurs invalidantes de type fibromyalgie et des insomnies sévères participant à l'aggravation de l'état dépressif. L’assurée était incapable de travailler à plus de 50-60 %.

18.    Dans le cadre de son recours contre la décision du 27 février 2017 de l'office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après: OAI), qui avait retenu un statut mixte, l'assurée a affirmé avoir quitté son emploi en 2009 suite à un épisode dépressif majeur et avoir préféré, après une période de chômage, de se contenter d'un taux de 80% pour des raisons de santé. Elle avait d'ailleurs demandé à pouvoir travailler à 80% déjà en 2006 pour des motifs de santé, après avoir constaté qu'elle était régulièrement en arrêt de travail. Lors de son audition, elle a notamment déclaré qu’elle souffrait d’insomnies depuis toujours. Jusqu’à 40 ans, elle avait pu travailler à plein temps parce qu’elle était jeune et arrivait à surmonter les difficultés induites par ce problème, notamment en raison de son tempérament. Elle s'en était accommodée durant un certain temps, jusqu’au jour où sa qualité de vie s’était tellement dégradée qu’elle avait demandé à son employeur de réduire son taux d’activité à 80% afin de pouvoir dormir un peu plus longtemps au moins une fois par semaine. Si son état le lui permettait, elle travaillerait à « 110% », comme ses collègues. En 2009, le diagnostic de bipolarité en phase dépressive avait été posé. Plus jeune, elle avait été d’ailleurs quasiment hyperactive et avait assumé pendant presque dix ans pratiquement deux activités à plein temps (spectacles, comptabilité, accueil, réunions du comité, etc.). Elle avait toujours cherché à rester active le plus possible. À cet égard, elle a relevé qu'elle avait été engagée par son employeur actuel alors même qu’elle était en dépression et sous anxiolytiques. Pendant très longtemps, elle avait réussi à cacher tant la dépression que la bipolarité.

19.    Dans son arrêt du 22 novembre 2018, la chambre de céans a retenu qu'au degré de la vraisemblance prépondérante, l'assurée aurait travaillé à plein temps au-delà de l'année 2009, si elle avait été en bonne santé, et lui a octroyé une demi-rente d'invalidité de mai à novembre 2015, puis un quart de rente dès décembre 2015 (ATAS/1100/2018).

20.    En juillet 2019, l'assurée a demandé à la CIEPP des prestations de prévoyance professionnelle. Celle-ci les lui a refusées, par courrier du 11 juillet 2019, au motif qu'elle présentait une incapacité de travail de 20% au moins en lien avec l'atteinte à la santé invalidante depuis une date antérieure au début de son assujettissement à sa caisse. Par conséquent, elle n'était pas compétente pour l'octroi d'une rente.

21.    Par courrier du 8 octobre 2019, l'assurée a demandé à la Fondation C______ l'octroi d'une rente d'invalidité.

22.    Par courrier du 28 novembre 2019, la CIEPP a confirmé ne pas être compétente pour le versement d'une rente d'invalidité. Elle a par ailleurs indiqué que l'assurée aurait dû être assurée en plan Minima dès le début de son assujettissement le 1er mars 2010, dès lors que sa capacité de travail n'était pas entière à cette date. Ainsi, si elle devait être condamnée au paiement d'une rente, ses éventuelles prestations seraient versées conformément au plan Minima.

23.    Par déclaration du 10 janvier 2020, la Fondation C______ en liquidation a renoncé, jusqu'au 30 octobre 2020, à se prévaloir de l'exception de prescription à l'encontre des prétentions de l'assurée en relation avec son invalidité.

24.    Par courrier du 17 février 2020, la Fondation C______ a également considéré qu'elle n'était pas compétente pour le versement d'une rente d'invalidité. En effet, durant toute la durée des rapports de travail avec la B______, l'assurée ne s'était jamais trouvée en incapacité de travail de longue durée. Encore après la fin des rapports de travail, elle avait occupé un poste à 80% chez un autre employeur. Par la suite, elle avait perçu des indemnités de chômage, ce qui impliquait qu'elle présentait une pleine capacité de travail. Enfin, elle avait repris une activité lucrative auprès de son dernier employeur au taux volontairement réduit de 80%. Elle avait aussi déclaré dans la procédure de recours contre la décision de l'assurance-invalidité que, jusqu'à 40 ans, elle avait réussi à surmonter les difficultés induites par son problème médical notamment en raison de son tempérament. Partant, le début de l'incapacité de travail dont la cause était à l'origine de l'invalidité, remontait au plus tôt au 5 février 2014. Par ailleurs, selon le Tribunal fédéral, le moment de la survenance de l'incapacité de travail devait être prouvé au degré de la vraisemblance prépondérante et ne pouvait être fondé sur des suppositions et réflexions commerciales ou médicales spéculatives ultérieures.

25.    Par courrier du 17 mars 2020, la CIEPP a persisté dans sa position, tout en relevant qu'une incapacité de travail était importante, selon la jurisprudence, lorsqu'elle atteignait un degré de 20%.

26.    Dans son rapport du 6 juin 2020, le Dr K______ a posé les diagnostics de trouble affectif bipolaire, trouble dépressif récurrent, épisode moyen depuis quinze ans, de troubles du sommeil non organiques avec insomnie et de syndrome douloureux somatoforme persistant récurrent. Les troubles dépressifs s'étaient aggravés depuis 2009. Il y avait des oscillations de l'humeur avec trois à quatre fois par année des périodes de fluctuation de l'humeur qui duraient quelques semaines. Les premiers soins psychologiques dataient de 2001 et le premier contact avec un psychiatre de 2009.

27.    Par demande du 30 septembre 2020, l'assurée a saisi la chambre de céans, en concluant à la condamnation de la CIEPP au paiement des prestations légales et réglementaires en cas d'invalidité à compter du 1er mai 2015, avec intérêts à 5% l'an dès le 4 juillet 2015, sous suite de dépens. Subsidiairement, elle a conclu à la condamnation de la Fondation C______ en liquidation au versement de ces prestations, sous suite de dépens. Après avoir été au chômage avec une pleine aptitude au placement, elle avait accepté un emploi chez son employeur actuel au taux offert par cette entreprise, soit de 80%. Dans le courant de l'année 2014, son état s'était aggravé, ce qui avait entraîné de nombreux arrêts de travail. Une demi-rente d'invalidité lui avait été accordé dès mai 2015, puis un quart de rente dès décembre 2015 en raison d'une invalidité à compter du 5 février 2014. Avant cette date, elle n'avait pas été en incapacité de travail pendant de longues durées. Au contraire, après avoir démissionné de son poste de travail au 30 septembre 2009, elle avait immédiatement accepté un autre emploi, puis avait présenté une totale aptitude au placement, lorsqu'elle était au chômage. L'épisode dépressif de 2009 ne pouvait ainsi être considéré comme point de rattachement temporel de l'invalidité qui avait commencé en 2014. Partant, l'invalidité était survenue lorsqu'elle était affiliée à la CIEPP. À défaut, il conviendrait de condamner la Fondation C______ aux prestations d'invalidité.

28.    Dans sa réponse du 30 novembre 2020, la Fondation C______ en liquidation, représentée par son conseil, a conclu en substance au rejet de la demande en ce qui la concerne et à la condamnation de la CIEPP au versement des prestations d'invalidité, sous suite de dépens. Le fait que des symptômes étaient apparus dans le passé ne signifiaient pas nécessairement qu'il y avait incapacité de travail, selon la jurisprudence. Ce n'était pas le moment à partir duquel une maladie avait commencé à se développer qui était décisif, mais celui où elle avait atteint une gravité telle qu'une incapacité de travail durable et considérable était constatée. Par ailleurs, il convenait d'établir l'incapacité de travail au moment de sa survenance et non de manière médico-théorique des mois et des années plus tard. La preuve de l'incapacité de travail ne pouvait pas être remplacée par des suppositions. L'incapacité de travail devait être au contraire être établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Ainsi, l'atteinte à la santé devait s'être manifestée sur le lieu du travail par une diminution de la capacité de travail. Était décisif quand et comment l'atteinte à la santé était devenue manifeste et permanente. La présence d'une période de non-emploi de quelques mois entre deux emplois ne signifiait pas non plus que le travailleur était en incapacité de travail à cette époque, à fortiori si ce dernier était jeune. La réduction du temps de travail n'était pas suffisante pour prouver une diminution fonctionnelle du rendement. Il fallait en plus une confirmation médicale, en temps réel, de la connexité entre la réduction du taux d'occupation et l'atteinte à la santé était requise. Par ailleurs, la connexité matérielle étroite requise entre l'incapacité de travail et l'invalidité faisait défaut, lorsque l'affection à l'origine de l'invalidité n'était pas identique à l'atteinte à la santé qui s'était déjà manifestée durant l'affiliation à la précédente institution de prévoyance. En l'occurrence, la demanderesse ne s'était pas trouvée en incapacité de longue durée pendant les rapports de service auprès de B______ et avait donné entièrement satisfaction à son employeur. Elle avait librement décidé de mettre fin à ce contrat. Il ne lui aura pas fallu deux semaines pour retrouver un autre emploi, ce qui était un signe d'une entière capacité de travail. Si elle avait réduit son taux de travail à 80%, cela tenait davantage à une convenance personnelle qu'à une incapacité de travail médicalement attestée à l'époque. Partant, il fallait en conclure qu'elle était pleinement capable de travailler à l'époque, même si certains de ses troubles étaient déjà présents il y a 10 ans en arrière. Au demeurant, l'assurance-invalidité, dont les constatations étaient en principe contraignantes pour les institutions de prévoyance, avait fixé le début de l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité au plus tôt au 5 février 2014. Enfin, l'incapacité de travail de la demanderesse avait été provoquée en 2014 par des cervico-brachialgies et dorsalgies, de sorte qu'une connexité matérielle et temporelle ne pouvait être retenue.

29.    Le 30 novembre 2020, la CIEPP a conclu au rejet de la demande la concernant et, subsidiairement, à ce que le début du droit à la rente et le montant de la rente fussent fixés en application des dispositions réglementaires de sa caisse concernant le plan Minima. Elle a relevé que la demanderesse avait été engagée à la B______ à 100% au départ, mais qu'elle avait demandé, dès 2006, à ce que son taux d'activité soit baissé à 80% pour des raisons de santé. Les troubles de la santé non contestés avaient entraîné une incapacité de travail déjà avant l'assujettissement à la CIEPP, soit depuis 2004 au moins, selon le Dr K______. Cela ressortait également de l'arrêt du 22 novembre 2018 de la chambre de céans. Elle avait par ailleurs abruptement abandonné son emploi auprès de D______ en raison d'une crise de panique, selon ses dires. Pour son emploi actuel, elle avait opté pour un 80%, jugeant impossible de travailler à 100% au vu de son état de santé. Elle aurait en effet continué à travailler à 100% si son état de santé le lui avait permis, comme cela avait été constaté par la chambre de céans. Le lien de connexité temporelle ne pouvait par ailleurs être rompu que si l'incapacité de travail était inférieure à 20% dans une activité adaptée pendant au moins trois mois. Or, la demanderesse avait toujours travaillé à 80%.

30.    Dans sa réplique du 18 janvier 2021, la demanderesse a maintenu ses conclusions, en reprenant son argumentation selon laquelle la CIEPP était la caisse compétente. Quant au plan de prévoyance applicable, elle a allégué avoir été pleinement capable de travailler au début du contrat de travail.

31.    La fondation C______ en liquidation a également persisté dans ses conclusions dans sa duplique du 15 janvier 2021. Elle a allégué que la demanderesse avait été occupée à 100% pendant toute la durée du contrat auprès de la B______. Cela ressortait aussi du courrier de son conseil du 24 août 2017. Cette dernière n'avait pas subi d'incapacité de travail qualitativement et quantitativement significative durant cet emploi. Ses soucis de santé n'avaient pas eu de répercussions sur ses prestations et son rendement de travail. La baisse du taux d'occupation était ainsi survenue après la fin des rapports de travail avec la B______ et donc son affiliation à la fondation C______. Quant au Dr K______, il s'était prononcé sur d'éventuelles incapacités de travail au moment de la prise d'emploi chez l'employeur éventuel seulement des années après le début du contrat de travail. Son appréciation de la capacité de travail devait ainsi être qualifiée de pures conjectures médico-théoriques qui n'étaient pas probantes en l'espèce. La demanderesse avait par ailleurs déclaré à ce médecin que les baisses de moral avaient été de courte durée et qu'elle avait toujours réussi à les surmonter seule. Ces périodes de mal-être n'avaient pas entraîné de répercussion sur son fonctionnement social et professionnel, selon la demanderesse. Partant, elles n'avaient pas eu d'incidences sur sa capacité de travail, même si les symptômes de sa maladie remontaient à 2004. La diminution du taux d'occupation à 80% ne suffisait pas à prouver une diminution fonctionnelle du rendement, en l'absence d'un certificat d'arrêt de travail ou de rapport médical établi à l'époque de l'affiliation à la Fondation C______. De surcroît, certains symptômes, telles que les cervico-brachialgies et dorsalgies, étaient apparus après la fin de l'affiliation à la Fondation C______, indépendamment du fait que la demanderesse avait présenté une aptitude au placement lors de sa période de chômage. Il n'y avait ainsi pas de lien de connexité matérielle ni temporelle.

32.    La CIEPP a aussi maintenu ses conclusions, dans sa duplique du 11 février 2021. La réduction du taux d'activité était un indice important pour la présence d'une incapacité de travail, selon la jurisprudence. La demanderesse avait en outre admis avoir réduit son taux d'occupation pour des raisons de santé. Par conséquent, elle était incapable de travailler à 20% lors de son affiliation à sa caisse. Quant aux périodes de chômage, elles étaient équivalentes à celles durant lesquelles une activité lucrative était exercée.

33.    Après que la chambre de céans a ordonné l'apport du dossier de l'OAI et a invité les parties à s'y déterminer, la Fondation C______ en liquidation a persisté dans ses conclusions, par écritures du 7 septembre 2021, tout en rappelant que la première incapacité de travail s'était manifestée lors de l'affiliation de la demanderesse à la CIEPP. Même si le Dr J______ avait considéré que la demanderesse était restée dans un état subdépressif après un épisode dépressif important en 2009 et 2010, il faisait état d'épisodes dépressifs bien distincts et n'avait fixé le début de l'arrêt de travail qu'au 6 février 2014. Il n'y avait dès lors aucune connexité matérielle et temporelle entre les symptômes de 2009 et l'invalidité en 2014 d'autant moins que la demanderesse avait été en mesure de travailler pleinement dans cet intervalle.

34.    Par écritures du 10 septembre 2021, la CIEPP a également maintenu ses conclusions. Au moment de l'assujettissement de la demanderesse à la CIEPP en date du 1er mars 2010, elle présentait déjà une incapacité de travail partielle pour des raisons psychiatriques, comme cela ressortait du dossier de l'OAI, en particulier du rapport du 6 juin 2020 du Dr K______ Selon la demanderesse elle-même, elle était restée sub-dépressive après l'épisode dépressif de 2009-2010 et incapable de travailler à plein temps.

35.    Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.      Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220]; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40).

2.      Le for de l'action est au siège ou domicile suisse du défendeur ou au lieu de l'exploitation dans lequel l'assuré a été engagé (art. 73 al. 3 LPP).

3.      La demanderesse travaillant à Genève, la compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

4.      L’ouverture de l’action prévue à l’art. 73 al. 1 LPP n’est soumise, comme telle, à l’observation d’aucun délai (Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, Recueil de jurisprudence neuchâteloise, 1984; Jacques-André SCHNEIDER / Thomas GEISER / Thomas GÄCHTER, LPP et LFLP, Commentaire des assurances sociales suisse, ad art. 73 N 78).

5.      La demande respecte en outre la forme prévue à l'art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

6.      Elle est par conséquent recevable.

7.      Le litige porte sur le droit de la demanderesse à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle. Il s’agit plus particulièrement de déterminer quelle institution de prévoyance est compétente pour la prise en charge de l’invalidité.

8.      L’art. 10 LPP dispose que l’assurance obligatoire commence en même temps que les rapports de travail ; pour les bénéficiaires d’indemnités journalières de l’assurance-chômage, elle commence le jour où ils perçoivent pour la première fois une indemnité de chômage (al. 1). Selon l'alinéa 2 de cette disposition, l’obligation d’être assuré cesse, sous réserve de l’art. 8 al. 3 LPP, à l’âge ordinaire de la retraite (let. a) ; en cas de dissolution des rapports de travail (let. b); lorsque le salaire minimum n’est plus atteint (let. c) ; lorsque le droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage s’éteint (let. d). Durant un mois après la fin des rapports avec l’institution de prévoyance, le salarié demeure assuré auprès de l’ancienne institution de prévoyance pour les risques de décès et d’invalidité (al. 3). Si un rapport de prévoyance existait auparavant, c’est la nouvelle institution de prévoyance qui est compétente (al. 4).

9.      Conformément à l’art. 23 let. a LPP, ont droit à des prestations d’invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 40 % au moins au sens de l’AI, et qui étaient assurées lorsqu’est survenue l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité. L’art. 24 al. 1 let. a LPP dispose que l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à raison 70 % au moins au sens de l’AI.

10.  Comme cela ressort du texte de l’art. 23 LPP, les prestations sont dues par l’institution de prévoyance à laquelle l’intéressé est ou était affilié au moment de la survenance de l’événement assuré. Dans la prévoyance obligatoire, ce moment ne coïncide pas avec la naissance du droit à la rente de l’assurance-invalidité selon l’art. 28 al. 1 let. b de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20), mais correspond à la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité; les mêmes principes sont applicables en matière de prévoyance plus étendue, à tout le moins en l’absence de dispositions réglementaires ou statutaires contraires. Selon la jurisprudence, la qualité d’assuré doit exister au moment de la survenance de l’incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l’apparition ou de l’aggravation de l’invalidité. Lorsqu’il existe un droit à une prestation d’invalidité fondée sur une incapacité de travail survenue durant la période d’assurance, l’institution de prévoyance concernée est tenue de prendre en charge le cas, même si le degré d’invalidité se modifie après la fin des rapports de prévoyance. Dans ce sens, la perte de la qualité d’assuré ne constitue pas un motif d’extinction du droit aux prestations au sens de l’art. 26 al. 3 LPP (ATF 123 V 262 consid. 1a ; ATF 118 V 45 consid. 5).

11.  Cependant, pour que l’institution de prévoyance reste tenue à prestations après la dissolution du rapport de prévoyance, il faut non seulement que l’incapacité de travail ait débuté à une époque où l’assuré lui était affilié, mais encore qu’il existe entre cette incapacité de travail et l’invalidité une relation d’étroite connexité. La connexité doit être à la fois matérielle et temporelle (ATF 130 V 270 consid. 4.1). Il y a connexité matérielle si l’affection à l’origine de l’invalidité est la même que celle qui s’est déjà manifestée durant le rapport de prévoyance et qui a entraîné une incapacité de travail.

12.  La relation de connexité temporelle suppose qu’après la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité, la personne assurée n’ait pas à nouveau été capable de travailler pendant une longue période. L’existence d’un tel lien doit être examinée au regard de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, tels la nature de l’atteinte à la santé, le pronostic médical, ainsi que les motifs qui ont conduit la personne assurée à reprendre ou ne pas reprendre une activité lucrative. Il peut également être tenu compte du comportement de la personne assurée dans le monde du travail, tel que, par exemple, le fait qu’elle perçoive des indemnités journalières de l’assurance-chômage en qualité de demanderesse d’emploi pleinement apte au placement, étant précisé que les périodes de chômage indemnisées ne sauraient être pleinement assimilées à des périodes de travail effectif (ATF 134 V 20 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 2.3). La connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure est interrompue lorsque la personne concernée dispose d’une capacité de travail de plus de 80 % dans une activité adaptée pendant plus de trois mois (ATF 144 V 58 consid. 4.4) et que celle-ci lui permette de réaliser un revenu excluant le droit à une rente (ATF 134 V 20 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_375/2019 du 25 septembre 2019 consid. 4.2 et les références citées).

13.  a. Selon la jurisprudence et la définition générale de l’art. 6 LPGA, l’on entend par incapacité de travail toute perte ou diminution de la capacité de rendement de l’assuré dans sa profession ou son domaine d’activité. Afin que cette perte puisse devenir pertinente pour le droit de la prévoyance, elle doit, aussi bien qualitativement, atteindre une certaine importance. Ainsi, une perte d’au moins 20% est exigée, d’après une pratique bien établie (ATF 144 V 58 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2013 du 8 août 2013 consid. 2.1.2 ; Marc HÜRZELER, in SCHNEIDER/GEISER/GÄCHTER, Commentaire des assurances sociales suisses, LPP et LFLP, Berne 2020, n. 8 ad art. 23 LPP). De plus, la diminution de rendement doit être durable, dans le sens que le dommage à la santé à la base de cette diminution est susceptible, à long terme, de porter gravement atteinte à la capacité de travail de la personne assurée. Cette exigence n’est en principe pas remplie en cas d’absences répétées de courte durée pour cause de maladie de peu de jours ou de semaines isolées. En aucun cas, une atteinte à la santé qui n’a pas (encore) d’effet sur la capacité de travail de la personne assurée ne suffira pour le rattachement selon l’art. 23 LPP ; en particulier, des symptômes qui se sont déjà manifestés auparavant n’entraînent pas nécessairement une incapacité de travail (arrêts du Tribunal fédéral 9C_162/2013 du 8 août 2013 consid. 2.3.1 ; 9C_315/2013 du 22 octobre 2013 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 49/03 du 23 septembre 2004 consid. 2.3). Une incapacité de travail pertinente au sens de l’art. 23 LPP n’est pas donnée uniquement lorsque la personne assurée ne peut plus ou que partiellement exercer l’activité précédente pour des raisons de santé. Elle existe aussi lorsque l’activité ne peut plus être poursuivie sans aggraver l’état de santé de la personne (arrêt du Tribunal fédéral 9C_18/2009 consid. 4.2).

14.  b. Le début de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité au sens de l’art. 23 LPP est d’une importance primordiale pour déterminer quelle institution de prévoyance est compétente. En droit de la prévoyance professionnelle, on ne peut renoncer à une preuve suffisamment claire en ce qui concerne sa survenance (Marc HÜRZELER, op. cit., n. 11 ad art. 23 LPP). Selon la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans le domaine, une perte de la capacité fonctionnelle de rendement est « en règle générale, mais pas obligatoirement », prouvée de manière satisfaisante par une incapacité de travail attestée en temps réel (« echtzeitlich ») par un médecin. Des suppositions ultérieures ainsi que des réflexions commerciales ou médicales spéculatives, telles que par exemple une incapacité de travail établie rétroactivement de manière médico-théorique après de nombreuses années, ne suffisent pas (arrêts du Tribunal fédéral 9C_162/2013 du 8 août 2013 consid. 2.1.2 ; 9C_653/2016 du 2 mars 2017 consid. 4.4 et les références citées ; 9C_420/2015 du 26 janvier 2016 consid. 4.2.1). Est plutôt déterminant le fait de savoir si, quand et comment l’atteinte à la santé s’est manifestée de façon durable, acquérant ainsi une pertinence du point de vue du droit du travail (arrêts du Tribunal fédéral des assurances B 88/06 du 13 août 2007 consid. 5.1 ; B 61/06 du 23 octobre 2006 consid. 2.2 ; RSAS 2007 p. 480). L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur le rapport de travail, c’est-à-dire que la perte de la capacité fonctionnelle de rendement doit s’être manifestée dans des aspects de droit du travail, par exemple, par une baisse de rendement qui a été constatée par l’employeur, voire un avertissement de l’employeur, ou des absences au travail pour des raisons de santé, qui sortent de l’ordinaire de par leur fréquence (arrêt du Tribunal fédéral 9C_420/2015 du 26 janvier 2016 consid. 4.2.1 et les références citées). Cela étant, des évaluations médicales établies rétrospectivement, peuvent, dans certains cas, représenter un complément de preuve important, en particulier en cas de tableaux cliniques avec une évolution instable, pour lesquels la succession de périodes d’incapacités de travail et de capacité de travail ne peut être évaluée de manière fiable qu’à la lumière de constatations ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2013 du 24 février 2014 consid. 4.2.2).

15.  c. Peu importe le moment où un phénomène pathologique a commencé à se développer. Ce qui est décisif, c’est le moment où ce phénomène a atteint une gravité fondant une incapacité de travail significative et durable. Si l’assuré ne parvient pas à établir que l’incapacité significative de travail existait déjà pendant le rapport de prévoyance, il supporte le défaut de la preuve (RSAS 2004 p. 443). Une réduction du temps de travail pour des raisons de santé est un indice d’une incapacité de travail déterminante en matière de prévoyance professionnelle, mais ne suffit en règle générale pas à démontrer une baisse fonctionnelle de rendement. Il faut généralement qu’une attestation médicale en temps réel confirme que la réduction du temps de travail est motivée par des problèmes de santé, entre autres parce que la poursuite de l’activité professionnelle risque d’aggraver l’état de santé. On peut renoncer à une telle exigence seulement lorsqu’il est fondé d’admettre en raison d’autres circonstances – telles que des absences pour maladie avant la baisse du taux d’activité – que cette démarche est objectivement dictée par des raisons de santé et qu’il y a ainsi lieu d’admettre une baisse de rendement au travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.1 et les références).

16.  d. Conformément à l’art. 26 al. 1 LPP, les dispositions de la LAI s’appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d’invalidité. Si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l’invalidité dans l’assurance-invalidité, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l’estimation de l’invalidité des organes de l’assurance-invalidité, sauf lorsque cette estimation apparaît d’emblée insoutenable (ATF 126 V 311 consid. 1 in fine). Cette force contraignante vaut non seulement pour la fixation du degré d’invalidité (ATF 115 V 208), mais également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l’assuré s’est détériorée de manière sensible et durable (ATF 123 V 271 consid. 2a et les références citées). Cependant, l’office AI est tenu de notifier d’office une décision de rente à toutes les institutions de prévoyance entrant en considération (ATF 129 V 73). Lorsqu’il n’est pas intégré à la procédure, l’assureur LPP - qui dispose d’un droit de recours propre dans les procédures régies par la LAI - n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité (principe, taux et début du droit) à laquelle ont procédé les organes de l’assurance-invalidité.

17.  Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré et le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (ATF 126 V 319 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 339/03 du 19 novembre 2003 consid. 2).

18.  En l’espèce, la demanderesse réclame le versement d’une rente entière d’invalidité dès le 1er mai 2015 principalement à la CIEPP et subsidiairement à la Fondation C______ en liquidation.

19.  Il est établi que la demanderesse a travaillé du 1er juin 1997 au 30 septembre 2009 en tant que comptable pour la B______. À ce titre, elle était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation SFG, aujourd'hui en liquidation. Du 12 au 31 octobre 2009, elle a travaillé dans la même profession au taux de 80% pour D______ et était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès d'AXA Fondation LPP. Du 1er novembre 2009 au 28 février 2010, l'intéressée était au chômage, avec une pleine aptitude au placement. Dès le 1er mars 2010, elle a été engagée comme comptable à 80% par F______ (aujourd'hui: G______). Dans le cadre de l'entreprise, elle était affiliée à la CIEPP, ainsi qu'à AXA Vie SA pour la prévoyance professionnelle surobligatoire.

20.  La chambre de céans a reconnu à la demanderesse une demi-rente d'invalidité de mai à novembre 2015, puis un quart de rente dès décembre 2015 (ATAS/1100/2018). Ce faisant, elle a considéré, avec l'OAI, qu'une incapacité de travail supérieure à 40% était survenue à partir de février 2014. Par ailleurs, au degré de la vraisemblance prépondérante, l'assurée aurait travaillé à plein temps au-delà de l'année 2009, si son état de santé le lui aurait permis.

21.  Ces constatations ne sont en l'occurrence pas déterminantes pour établir le début d'une incapacité de travail significative dont la cause est à l'origine de l'invalidité. En effet, dans la procédure de l'assurance-invalidité seule était pertinente la question de savoir quand l'assurée a subi une incapacité de travail d'au moins 40% ouvrant le droit à une rente d'invalidité, et non celle de savoir à partir de quand elle était incapable de travailler à 20% au moins de façon durable.

22.  Partant, le début de l'incapacité de travail en février 2014, retenu par les organes de l'assurance-invalidité et la Cour de céans, ne permet pas d'établir in casu le début de l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité selon le droit applicable en prévoyance professionnelle.

23.  Il résulte du dossier que la demanderesse a réduit son temps de travail à 80% déjà en 2007 lorsqu'elle travaillait pour la fiduciaire B______. Cela ressort de son recours contre la décision du 27 février 2017 de l'OAI où elle a allégué avoir demandé à cette fiduciaire en 2006 de pouvoir travailler à 80% pour des motifs de santé, après avoir constaté qu'elle était régulièrement en arrêt de travail. Elle a confirmé ses dires lors de son audition devant la chambre de céans en date du 15 mars 2018, tout en ajoutant que la diminution du temps de travail lui permettait de dormir plus longtemps au moins une fois par semaine.

24.  La réduction du temps de travail correspond également à son compte individuel. En effet, elle touchait en 2006 un salaire de CHF 96'200.- à la fiduciaire B______. Ce salaire est passé à CHF 80'364.- en 2007 et s'est élevé à CHF 81'250 en 2008. Par ailleurs, dans les relevés du compte d'épargne de la Fondation B______, le salaire annuel assuré était de CHF 96'200.- en 2006 et de CHF 79'300.- en 2007.

25.  Il est en outre indéniable que la demanderesse souffre de troubles psychiques majeurs et de très importantes insomnies depuis l'adolescence. Ainsi, le Dr K______ atteste le 2 décembre 2014 qu'elle présente un trouble affectif bipolaire depuis plus de 10 ans et des troubles du sommeil avec insomnies de cause non organique depuis l'adolescence. Le trouble affectif bipolaire se manifeste par des périodes de dépression et les troubles du sommeil sont importants. Ces diagnostics sont aussi confirmés par les autres médecins et experts qui ont examiné la demanderesse. Cela corrobore le fait qu'en 2007 la diminution du temps de travail était motivée par les atteintes à la santé de la demanderesse et non par des motifs de convenance personnelle pour disposer de plus de temps, en particulier pour sa fille qui avait à l'époque 12 ans.

26.  Il est vrai que la demanderesse n'était pas suivie par un psychiatre en 2006-2007, de sorte qu'il n'existe aucun rapport constatant une incapacité de travail à cette époque. Ce n'est qu'en 2010 que la demanderesse a été évaluée et suivie au niveau psychiatrique aux HUG. Le diagnostic de trouble bipolaire n'a ainsi été posé qu'en décembre 2010. En effet, selon le rapport du Dr K______ du 2 décembre 2014, elle a réussi auparavant à gérer seule les épisodes dépressifs. Il n'en demeure pas moins que la demanderesse elle-même admet ses importants troubles du sommeil depuis l'adolescence. Elle a toujours indiqué avoir diminué son temps de travail à cause de ces troubles. Ainsi, les diagnostics psychiatriques établis a posteriori des années plus tard ne peuvent être qualifiés in casu de suppositions. Par conséquent, il sied de constater qu'en l'occurrence la diminution du temps de travail était objectivement dictée par des motifs de santé.

27.  Il est ainsi établi au degré de la vraisemblance prépondérante que la demanderesse a déjà subi une incapacité de travail d'une certaine importance, soit de 20%, et de façon durable en 2007 lorsqu'elle était affiliée à la Fondation B______.

28.  En tout état de cause, même en admettant qu'elle n'avait pas présenté une incapacité de travail d'une certaine importance durant son emploi pour la fiduciaire B______, il conviendrait de constater que la demanderesse était fortement atteinte dans sa santé psychique au plus tard à la fin de cet emploi. En effet, le Dr J______ indique dans son expertise du 18 novembre 2014 qu'elle a présenté un épisode dépressif majeur à la fin du contrat de travail en 2009-2010 et qu'elle a alors quitté cet emploi. Le Dr K______ atteste dans son rapport du 2 décembre 2014 qu'elle a développé un épisode dépressif en juin 2009 lors d'une rupture sentimentale, puis en septembre lorsqu'elle a décidé de quitter l'emploi en raison d'un conflit majeur. En janvier 2010, son état s'est aggravé. Le Dr L______ mentionne aussi un état dépressif sévère en 2009. Certes, la demanderesse déclare avoir mis fin au contrat en raison d'un conflit de travail. Il n'en demeure pas moins qu'elle présentait à l'époque un épisode dépressif majeur. C'est aussi à cette époque qu'elle a cessé de faire partie du comité de la compagnie de E______, selon l'attestation du 22 mars 2018 de celle-ci.

29.  Il est vrai que la demanderesse fait état à plusieurs reprises avoir souffert d'une dépression très importante en janvier 2010, comme cela ressort du rapport du 28 février 2011 relatif à la consultation du sommeil des HUG et de ses déclarations dans la demande de prestations de l'assurance-invalidité. Toutefois au service de réadaptation de l'OAI, elle indique être dans une phase de dépression qui a commencé en 2009. Dans le cadre de son recours contre la décision du 27 décembre de l'OAI, elle allègue aussi avoir quitté son emploi en 2009 suite à un épisode dépressif majeur. Ainsi, ses déclarations quant à la date de survenance de l'état dépressif varient, ce qui peut être dû à l'importance de ses troubles psychiatriques qui ont une répercussion sur la mémoire. Cependant, les psychiatres indiquent clairement que son second épisode dépressif est survenu à la fin du contrat de travail avec la fiduciaire B______ en septembre 2009. Dans la mesure où cette date est reliée à un évènement précis, elle paraît plus vraisemblable.

30.  Donc au plus tard en octobre 2009, la demanderesse a dû diminuer son temps de travail à 80% pour des motifs de santé. Elle n'a repris un nouvel emploi à 80% que le 12 octobre 2009, alors même qu'elle avait déjà résilié le contrat de travail en juin 2009 et aurait donc eu largement le temps de retrouver un nouvel emploi dès le 1er octobre 2009. À cette date, elle était encore couverte en prévoyance professionnelle par la Fondation B______ pour le risque d'invalidité (cf. art. 10 al. 3 LPP).

31.  a. En ce qui concerne la connexité matérielle, la demanderesse a subi une incapacité de travail durable de 40% au moins depuis février 2014 essentiellement pour des raisons psychiatriques. En effet, dans son expertise du 18 novembre 2014, le Dr J______ constate qu'elle présente depuis janvier 2014 un nouvel épisode dépressif important dans le cadre d'un trouble affectif bipolaire. Certes, cet épisode s'est manifesté dans un premier temps par une symptomatologie de douleurs au niveau cervical et dorsal. Toutefois, le Dr I______ retient, dans son expertise du 10 novembre, que seules les dorsalgies reposent sur un substrat médical objectivable, mais qu'il n'en va pas de même pour les cervicalgies, pour lesquelles des investigations psychiques sont nécessaires. Au niveau somatique, l'expert I______ n'a admis une incapacité de travail que jusqu'à décembre 2014.

32.  Cela étant, il appert que l'invalidité trouve sa cause dans la même atteinte qui a obligé la demanderesse à demander une diminution de travail de 20% en 2007, si bien que la connexité matérielle doit être admise.

33.  b. S'agissant la connexité temporelle, il convient de constater que la demanderesse n'a pas été capable de reprendre une activité lucrative à plus de 80% depuis la diminution de son temps de travail en 2007. Il n'y a ainsi pas eu d'interruption de l'incapacité de travail de 20% depuis cette date. Partant, il existe également une connexité temporelle entre l'incapacité de travail survenue en 2007 et celle à partir de février 2014.

34.  Par conséquent, il doit être admis que l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité est survenue alors que la demanderesse était affiliée à la Fondation C______, aujourd'hui en liquidation. Il appartient donc à celle-ci de verser les prestations d'invalidité légales et réglementaires dues.

35.  Au vu de ce qui précède, la demande dirigée à l'encontre de la CIEPP sera rejetée et celle dirigée contre la Fondation C______ en liquidation admise. Cela étant, cette dernière sera condamnée à octroyer à la demanderesse les prestations légales et réglementaires en cas d'invalidité à compter du 1er mai 2015, en fonction des degrés d'invalidité retenus par l'OAI.

36.  La demanderesse demande également des intérêts de 5% dès le 4 juillet 2015.

37.  Conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral rendue dans le domaine de la prévoyance professionnelle, il y a lieu d'appliquer aux prestations de rente l'art. 105 al. 1 CO, qui prévoit que les intérêts moratoires commencent à courir qu'à partir du jour de la mise en poursuite ou de la demande en justice. Sauf disposition réglementaire dérogeant à l'art. 104 al. 1 CO, le montant des intérêts moratoires s'élève à 5% (Commentaire des assurances sociales suisse op. cit., Marc HÜRZELER, ad art. 26 LPP N 8).

38.  En l'espèce, la demande a été introduite le 30 septembre 2020. Par conséquent, le montant des prestations dues porte intérêt dès cette date au taux de 5%, vu l'absence de disposition réglementaire contraire à ce sujet.

39.  La demanderesse obtenant presque entièrement gain de cause à l'encontre de la Fondation SFG, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera octroyée à titre de dépens (art. 89H al. 6 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]).

40.  Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 3 LPA).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Rejette la demande dirigée contre la Caisse Inter-Entreprise de Prévoyance professionnelle.

3.        Admet la demande à l'encontre de la Fondation C______ en liquidation.

4.        Condamne la Fondation C______ à octroyer à la demanderesse les prestations légales et réglementaires en cas d'invalidité à compter du 1er mai 2015, en fonction des degrés d'invalidité retenus par l'office cantonal de l'assurance-invalidité, avec intérêts à 5% dès le 30 septembre 2020.

5.        Condamne la Fondation C______ à verser à la demanderesse une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente suppléante

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le