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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/759/2013

ATA/885/2014 du 11.11.2014 ( EXPLOI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : PROTECTION DES TRAVAILLEURS ; CONDITIONS DE TRAVAIL ; INTÉRÊT ACTUEL ; PROCÈS DEVENU SANS OBJET
Normes : LPA.60.al1
Résumé : Une société qui se conforme à une décision de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail après avoir déposé un recours à son encontre, n'a plus d'intérêt actuel à recourir. Partant, son recours est irrecevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/759/2013-EXPLOI ATA/885/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 novembre 2014

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Sabrina Cellier, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : la société) est une société genevoise active dans le domaine de la bijouterie, l'horlogerie, ainsi que l'exploitation de galeries d'art. Monsieur B______ en est l’administrateur président et est inscrit depuis mai 2011 au registre du commerce à ce titre.

2) Le 16 septembre 2011, le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (ci-après : le SIT) a demandé à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : l’OCIRT) de recevoir les employés de la société.

Des problèmes concernant leurs conditions de travail, ainsi que le paiement de leur salaire avaient surgi suite à la reprise de la société par M. B______.

3) Le 5 octobre 2011, onze employés de la société se sont entretenus avec l’OCIRT.

Ils subissaient des menaces à répétition dès qu’ils évoquaient l’organisation de leur travail ou les retards dans le versement de leur salaire. M. B______ était insultant envers eux et les problèmes d’organisation de la société les empêchaient d’exécuter correctement leur travail.

4) Le 25 octobre 2011, faisant suite à un entretien du 21 octobre 2011 avec les représentants de la société, l’OCIRT a adressé une lettre à cette dernière.

Les représentants de la société ayant contesté les affirmations faites par les employés à l’OCIRT, cette dernière avait dans un premier temps rappelé l’obligation de tout employeur de protéger la santé de ses travailleurs, ainsi que de veiller à ce que le travail soit organisé de manière appropriée. Au vu de l’incompréhension persistante manifestée par les représentants de la société, l’OCIRT avait alors imposé la mise en place des mesures suivantes : rétablissement d’une communication respectueuse dans l’entreprise ; mise en place d’un dispositif en matière de prévention et de gestion des conflits ; réglementation de l’organisation du travail. Un délai de trente jours était fixé à la société pour présenter à l’OCIRT les mesures demandées, étant précisé qu’elle devait également en informer son personnel.

5) Le 15 novembre 2011, la société a répondu qu’un cahier des charges avait été rédigé pour chaque employé et qu’elle avait veillé à ce qu’ils comprennent clairement leurs tâches. Etant donné que ses employés avaient choisi l’OCIRT comme interlocuteur pour évoquer les problèmes rencontrés dans le cadre de leur travail, elle souhaitait que cette solution puisse être maintenue.

6) Le 5 décembre 2011, l’OCIRT a informé la société qu’il avait constaté que les mesures demandées n’avaient pas été prises. Elle était sommée de les mettre en œuvre sans délai.

7) Le 19 janvier 2012, l’OCIRT a adressé à la société le procès-verbal de l’entretien qu’il avait eu avec les employés concernant la mise en place des mesures sollicitées.

Il en ressortait que la communication était meilleure. Cependant, il subsistait encore de graves problèmes d’organisation. Aucun mécanisme de gestion interne des conflits n’avait été mise en place et les employés n’avaient pas été informés des mesures à prendre par la société.

8) Le 8 mars 2012, l’OCIRT a réitéré sa demande du 5 décembre 2011.

9) Le 26 mars 2012, la société a répondu qu’elle avait établi de nouveaux cahiers des charges, défini les responsabilités quotidiennes de ses employés, tenu régulièrement des réunions, amélioré l’espace de travail, renforcé les conditions sécuritaires du magasin et consulté régulièrement les employés sur les projets de développement et la stratégie.

10) Le 24 mai 2012, l’OCIRT a notifié un avertissement à la société.

Elle n’avait pas pu fournir de documents démontrant que les mesures exposées dans sa lettre du 26 mars 2012 avaient réellement été prises. L’OCIRT avait été informé par le personnel que les problèmes signalés n’avaient pas été résolus et que la société ne payait ni les salaires ni ne s’acquittait de la part des cotisations sociales incombant à un employeur. Ces éléments constituant des infractions à la loi sur le travail, il enjoignait la société de mettre en œuvre les mesures suivantes : établir un cahier des charges du personnel ; instruire le personnel sur les risques professionnels d’atteinte à sa santé ; identifier lesdits risques et y remédier par des mesures ; désigner une personne de confiance à laquelle le personnel pouvait s’adresser en cas de problèmes. La société était également invitée à présenter des attestations de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS), de la prévoyance professionnelle, de l’assurance-accidents, ainsi que la déclaration des salaires AVS pour l’année 2011. Un délai de soixante jours lui était imparti à cet effet, les employés devant en être informés.

11) Le 23 juillet 2012, la société a fourni les documents demandés par l’OCIRT, dont il ressortait que la société C______ SA avait été choisie comme médiatrice.

12) Par demande du 4 octobre 2012, réitérée le 9 novembre 2012, l’OCIRT a requis de la société des renseignements supplémentaires, soit une liste de ses employés, leurs contrats de travail, leurs fiches de salaire, ainsi que leur horaire.

13) Par décision du 4 février 2013, l’OCIRT a constaté que la société n’assurait pas la protection de la santé de ses employés.

Ses demandes des 4 octobre et 9 novembre 2012 étaient restées sans réponse. En outre, des employés de la société lui avaient transmis des certificats médicaux mentionnant une atteinte à leur santé en lien avec leurs conditions de travail et le SIT lui avait demandé d’intervenir une nouvelle fois afin de faire respecter les prescriptions légales relevant de la protection de la santé des travailleurs. Les instructions données dans son avertissement n’avaient donc pas été mise en œuvre de façon satisfaisante. La société devait apporter les preuves sollicitées par l’OCIRT d’ici le 10 février 2013, faute de quoi elle informerait les autorités de poursuite pénale des lacunes constatées.

14) Par courriel du 23 février 2013, la société a transmis les informations supplémentaires demandées par l’OCIRT dans ses courriers des 4 octobre et 9 novembre 2012.

15) Le 27 février 2013, l’OCIRT s’est entretenue avec des employés de la société concernant leurs conditions de travail.

Il ressortait de cet entretien qu’ils n’avaient pas été informés par les mesures préconisées par l’OCIRT et maintenaient les déclarations qu’ils avaient faites précédemment.

16) Par acte du 4 mars 2013, la société a recouru contre la décision du 4 février 2013 de l’OCIRT auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et conclu à son annulation.

Elle avait transmis les documents requis par l’OCIRT aux mois de juillet 2012 et février 2013.

17) Le 26 avril 2013, l’OCIRT a répondu, concluant au rejet du recours.

La société avait « sorti de son tiroir » des documents décrivant des mesures qui n’avaient aucune réalité. Les déclarations des employés recueillies lors de l’entretien du 27 février 2013 n’avaient pas varié par rapport à celles faites en 2011. La majorité d’entre eux avait en outre subi des atteintes à leur santé attestées par certificat médical en lien avec leurs conditions de travail. Par ailleurs, C______ SA, la « personne de confiance » désignée par la société, n’avait encore jamais été saisie par les employés.

18) Le 20 juin 2013, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a.              La représentante de l’OCIRT a déclaré attendre de la société qu’elle reconnaisse l’existence d’un problème et prenne des mesures pour y remédier. Le rôle de l’OCIRT était de prévenir et contrôler, non pas de donner des solutions aux problèmes.

b.             La représentante de la société a affirmé qu’à l’origine, les demandes de l’OCIRT n’avaient pas été comprises. Il y avait effectivement eu des manquements, mais la société était désormais prête à y apporter des solutions. À cet égard, elle sollicitait un délai supplémentaire pour réactualiser et étendre le mandat d’C______ SA afin d’examiner la situation, y compris sous l’angle de la santé et de la sécurité au travail. Elle prenait bonne note du souhait de l’OCIRT que les employés soient intégrés à ce processus.

c.              À l’issue de l’audience, le juge délégué a imparti un délai au 31 juillet 2013 à la société pour fournir la preuve que les employés avaient été informés des demandes de l’OCIRT, ainsi que du mandat donné à C______ SA.

19) Le 3 septembre 2013, l’OCIRT a déclaré maintenir sa décision attaquée et produit plusieurs documents, dont :

-              une copie de la lettre que la société avait adressée à ses employés les informant des mesures demandées par l’OCIRT ;

-              une copie de l’affiche apposée dans les locaux de la société mentionnant C______ SA comme « personne de confiance » ;

-              une copie d’une lettre d’C______ SA acceptant le mandat confié par la société ;

-              une copie d’une lettre du 4 septembre 2013 de l’OCIRT à la société, selon laquelle il ne pourrait se déterminer qu’à réception du rapport d’C______ SA. La procédure relative à la prévention et à la gestion des risques « psychosociaux » devait lui être soumise, de même que le cahier des charges de la personne de confiance retenue. Son exigence en matière d’information consistait à ce que l’employeur et ses employés puissent discuter des problèmes. Dès lors, une simple lettre n’apparaissait pas être favorable à un tel débat.

20) Le 14 octobre 2013, le juge délégué a suspendu la procédure jusqu’au 12 novembre 2013 suite à une requête de la société alléguant que la situation avait favorablement évolué et qu’elle avait déposé une demande en reconsidération de la décision attaquée.

21) Par décision du 4 novembre 2013, l’OCIRT a refusé d’entrer en matière sur la demande de reconsidération de la société au motif qu’aucune des mesures préconisées dans sa décision du 4 février 2013 n’avait été mise en œuvre.

22) Le 22 avril 2014, une nouvelle suspension de la procédure a été accordée par le juge délégué d’un commun accord avec l’OCIRT et la société, afin que cette dernière puisse mettre en place lesdites mesures.

23) Le 14 mai 2014, la société a informé le juge délégué qu’elle s’était conformée aux demandes de l’OCIRT.

En août 2013, ses employés avaient participé à une séance d’information donnée par un de ses représentants et C______ SA, afin de les informer des reproches formulés par l’OCIRT et de discuter de leurs conditions de travail. C______ SA avait également procédé à une identification des dangers dans les ateliers de la société et mis en place une procédure d’annonce. La société avait fermé ses boutiques, et occupait un espace temporaire au quai des D______. Elle n’employait que deux salariés à plein temps, ainsi qu’une femme de ménage quelques heures par semaine. Leurs cahiers des charges avaient été mis à jour. Les autres employés avaient été licenciés pour motifs économiques ou donné leur démission. La direction de la société avait été confiée à une personne qui était présente sur place avec les employés.

24) Le 15 mai 2014, l’OCIRT a confirmé qu’au vu de la réduction des activités et des effectifs de la société, cette dernière avait répondu de manière proportionnelle aux mesures qui lui avaient été demandées. Sa décision attaquée avait néanmoins été nécessaire et gardait son actualité pour le cas où la société engagerait du personnel et développerait ses activités.

25) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La jurisprudence a précisé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/581/2014 du 29 juillet 2014 ; ATA/4/2014 du 7 janvier 2014 et les références citées).

b. Cette notion de l’intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d’unité de la procédure qui figure à l’art. 111 al. 1 LTF (arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.1 ; ATA/581/2014 précité).

Selon le Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 128 II 34 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_834/2013 du 4 juin 2014 consid. 3.1 ; ATA/253/2013 du 23 avril 2013 et les références citées ; Bernard CORBOZ/Alain WURZBURGER/Pierre FERRARI/Jean-Marie FRéSARD/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, art. 89 n. 23). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle. Il est irrecevable si l’intérêt actuel faisait déjà défaut au moment du dépôt du recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATF 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_834/2013 du 4 juin 2014 consid. 3.1 ; ATA/253/2013 précité). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d’économie de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1C_834/2013 précité). La condition de l’intérêt actuel fait défaut en particulier lorsque, par exemple, la décision attaquée a été exécutée et a sorti tous ses effets (ATF 125 I 394 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_120/2014 du 18 juillet 2014 ; ATA/777/2014 du 30 septembre 2014 et les références citées).

Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; ATF 131 II 361 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/253/2013 précité).

c. En l’espèce, la société recourante a affirmé dans son acte de recours s’être conformée aux exigences de l’OCIRT, raison pour laquelle la décision attaquée n’avait pas lieu d’être. Or, durant la procédure devant la chambre de céans, elle a admis que les demandes de l’OCIRT n’avaient à l’origine pas été comprises et reconnu qu’il y avait des problèmes concernant les conditions de travail de ses employés. Par la suite, elle a bénéficié de plusieurs suspensions de procédure afin d’y remédier. Il ressort des dernières affirmations de la recourante et de l’OCIRT devant la chambre de céans que les mesures préconisées ont désormais été mises en place.

La recourante s’étant finalement conformée à la décision attaquée, elle n’a plus d’intérêt actuel à son annulation, étant précisé qu’elle ne démontre pas qu’il pourrait être renoncé à un tel intérêt.

3) Au vu de ce qui précède, le recours est devenu sans objet et doit être déclaré irrecevable. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).



* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 4 mars 2013 par A______ SA contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 4 février 2013 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sabrina Cellier, avocate de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :