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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2696/2010

ATA/868/2010 du 07.12.2010 ( TAXIS ) , ADMIS

Descripteurs : ; TAXI ; CHAUFFEUR DE TAXI ; AUTORISATION D'EXPLOITER UN SERVICE DE TAXI ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL) ; LACUNE(LÉGISLATION)
Normes : LTaxis.12 ; LTAXIS.17
Résumé : La LTaxis et le RTaxis ne contiennent aucune disposition régissant le transfert d'un permis de service public appartenant à un chauffeur de taxis indépendant. Cette situation n'ayant pas été prévue par le législateur, cette lacune authentique doit être comblée par le juge.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2696/2010-TAXIS ATA/868/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 décembre 2010

1ère section

dans la cause

 

Monsieur B______ et T______ SÀRL
représentés par Me Jacques Roulet, avocat

contre

SERVICE DU COMMERCE




EN FAIT

1. De 2002 à 2006, Monsieur B______ exploitait l'entreprise individuelle A______, sise à Genève, dont le but était notamment le service d'auto-taxis, la location de voitures, l'auto-école, ainsi que le commerce de véhicules automobiles et atelier de réparations mécaniques.

Dans le cadre de son activité, il était titulaire de trente-six permis de service public.

2. En date du 26 janvier 2000, M. B______ a fondé l'entreprise de taxis U______ S.A. (ci-après : U______).

3. La nouvelle loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30) est entrée en vigueur en date du 15 mai 2005.

4. Le jour même, M. B______ a demandé au service des autorisations et patentes (ci-après : SAP) l'autorisation de transférer ses permis de service public à U______.

5. Par décision du 21 décembre 2005, le SAP a autorisé A______ à transférer ses trente-six permis de service public à U______.

6. En date du 1er décembre 2007, le SAP est devenu le service du commerce (ci-après: SCom ou le service).

7. La faillite d'U______ a été prononcée par le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) le 24 juin 2008, puis confirmée par le Tribunal fédéral le 3 décembre 2008.

8. Durant le mois de juillet 2008, douze permis de service public ont été restitués au SCom contre versement du montant compensatoire.

9. En octobre puis en décembre 2008, seize autres permis de service public ont été restitués au SCom. Le service a refusé de payer l'indemnité compensatoire au vu de la procédure de faillite en cours.

10. Dans le cadre de la procédure de faillite de la société U______, l'office des faillites (ci-après : OF) considérait que les huit permis de service public restants étaient détenus par U______, alors que M. B______ estimait être le seul et unique propriétaire desdits permis.

11. Suite à un accord conclu entre la masse en faillite d'U______ et M. B______, le TPI a prononcé un jugement le 21 janvier 2010 par lequel il constatait que M. B______ était seul et légitime propriétaire de trois permis de service public saisis dans la faillite d'U______ et donnait acte à ce dernier de ce qu'il renonçait à revendiquer les cinq autres permis de service et créances correspondantes.

12. Suite à ce jugement, l'OF a restitué au SCom le montant compensatoire relatif aux trois permis de service public appartenant à M. B______.

13. En date du 9 février 2010, M. B______ a constitué la société de taxis T______ Sàrl (ci-après: T______), dont il était l'associé gérant.

14. Le 12 février 2010, M. B______ a déposé une requête en vue de l'obtention d'une autorisation d'exploiter l'entreprise T______, conformément à l'art. 12 LTaxis.

15. Par courrier du 7 mai 2010, M. B______ a transmis au SCom le contrat de cession du 9 février 2010 entre lui-même et T______ afin que le service l'examine et le ratifie, en application de l'art. 10 al. 5 du règlement d’exécution de la LTaxi du 4 mai 2010 (RTaxis - H 1 30.01).

Les comptes du dernier exercice de l'entreprise A______ et l'expertise de sa valeur, laquelle était réduite à la valeur des trois permis de service public, ne pouvaient être produits au vu des circonstances.

16. Par décision du 7 juillet 2010, le SCom a refusé la demande d'autorisation de transférer les trois permis de service public de M. B______ à T______ ainsi que l'autorisation de T______ d'exploiter une entreprise de taxis en vertu de l'art. 12 LTaxis.

M. B______, soit A______ n'était pas titulaire d'une autorisation d'exploiter une entreprise de taxi de service public. Le SCom ne pouvait donner l'autorisation de transférer son entreprise de taxis comprenant trois permis de service public à T______.

Pas plus M. B______ lui-même que la société T______ n'était propriétaire de 3 permis de service public. La condition de l'art. 12 al. 1 let. b LTaxis, soit le fait que la requérante d'une autorisation d'exploiter soit au bénéfice d'un permis de service public pour chacun des véhicules de son entreprise n'était pas remplie.

17. En date du 9 août 2010, M. B______ et T______ ont fait recours contre la décision du SCom du 7 juillet 2010 et ont conclu à son annulation.

M. B______ était autorisé à transférer les trois permis de service public dont il était titulaire à T______. Le SCom devait autoriser l'exploitation de T______, entreprise de service public.

Dans le cadre de la fondation d'U______, une convention de partenariat avait été conclue entre Monsieur S______ et M. B______. M. S______ s'était engagé à apporter du financement dans U______, et M. B______ à transférer l'ensemble des actifs et passifs de A______ à U______.

La décision du SAP du 21 décembre 2005 autorisant A______ à transférer ses trente-six permis de service public à U______ avait été prise suite à un examen manifestement insuffisant de la situation.

Le transfert des permis de service public de M. B______ à U______ était nul et inefficace. Il avait été réalisé en violation des règles de la LTaxis et sans titre d'acquisition juridiquement valable.

En raison d'un conflit entre M. B______ et M. S______, le transfert formel des plaques n'avait jamais eu lieu. Comme le mentionnait le SAP dans l'attestation du 24 mars 2006, M. B______ était resté inscrit en tant que titulaire de permis de service public.

M. B______ demeurait l'unique propriétaire des trois permis qu'il avait revendiqués dans la faillite d'U______, comme le confirmait l'accord conclu avec l'OF.

Dans le courant du mois de janvier 2010, le chef des autorisations du SCom avait indiqué à M. B______ que l'autorisation d'exploiter serait délivrée à T______.

La société des concessionnaires indépendants de taxis (ci-après : SCCIT) était coactionnaire de la société P______ S.A. (ci-après : P______) avec M. B______. Le président de la SCCIT avait tenté d'évincer M. B______ de l'actionnariat de P______ au motif qu'il ne disposait pas de permis de service public. Ledit président était en relation étroite avec le SCom et avait influencé le SCom afin qu'aucune autorisation ne soit délivrée à T______.

18. Invité à se déterminer, le SCom a répondu le 27 septembre 2010 et conclu au rejet du recours formé par M. B______ et T______. Sa décision du 7 juillet 2010 devait être maintenue.

L'autorisation de transfert du 21 décembre 2005 était valable.

L'attestation du SAP du 18 août 2006 qui annulait et remplaçait la précédente établie le 24 mars 2006 confirmait qu'U______ était la détentrice des trente-six permis de service public.

Le jugement du TPI constatait que M. B______ était seul et légitime propriétaire de trois permis de service public saisis dans le cadre de la faillite d'U______.

T______ n'était pas propriétaire des trois permis de service public. La condition de l'art. 12 LTaxis n'était pas remplie, T______ ne pouvait être autorisée à exploiter une entreprise de taxis.

19. Le juge délégué a entendu les parties le 18 octobre 2010 lors d'une audience de comparution personnelle des parties.

M. B______ avait demandé le transfert de trente-six plaques au nom d'U______. La reprise des actifs et des passifs ne s'était jamais concrétisée et U______ avait été mise en faillite. Durant la procédure de faillite, il avait déposé douze plaques. La procédure s'était déroulée sous le nom "B______ chez U______" et le montant compensatoire relatif à ces plaques lui avait été restitué. Lorsqu'il avait déposé seize autres plaques, l'argent avait été versé à l'OF.

Le SCom lui avait suggéré de constituer une société à responsabilité limitée (ci-après : Sàrl) laquelle reprendrait ses trois permis de service public sans qu'il ne soit nécessaire de formellement créer de société intermédiaire à son nom.

Il était titulaire de la carte de dirigeant d'entreprise et remplissait les conditions de l'art. 12 LTaxis. Les éventuelles question de solvabilité devraient être réglées prochainement.

Le SCom a indiqué que les sommes restituées ont été versées à U______ et non à M. B______ lui-même. La constitution d'une Sàrl était nécessaire pour respecter la loi et s'assurer des conditions de transfert.

A l'issue de l'audience le juge délégué a indiqué que la cause était gardée à juger, avec l'accord des parties.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Lors de son entrée en vigueur, la LTaxis a abrogé la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (aLTaxis).

Parallèlement, le règlement d'exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (aRTaxis) a été abrogé par le RTaxis.

3. a. Selon l'art. 12 al. 1 let. b LTaxis, l'autorisation d'exploiter une entreprise de taxis de service public est strictement personnelle et intransmissible. Elle est délivrée à une personne physique ou morale lorsque la requérante se voit délivrer un permis de service public pour chacun des véhicules de son entreprise.

b. L'art. 17 al. 4 stipule que :

"le titulaire d'une autorisation d'exploiter au sens de l'art. 12 en raison individuelle peut obtenir du département l'autorisation de transférer l'autorisation d'exploiter, le cas échéant les permis de service public qui y sont liés, à une personne morale s'il est actionnaire de la personne morale et continue à effectivement diriger l'entreprise […]".

4. a. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les réf. citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

b. S’agissant plus spécialement des travaux préparatoires, bien qu’ils ne soient pas directement déterminants pour l’interprétation et ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme. En effet, ils révèlent la volonté du législateur, laquelle demeure, avec les jugements de valeur qui la sous-tendent, un élément décisif dont le juge ne saurait faire abstraction même dans le cadre d’une interprétation téléologique (ATF 119 II 183 consid. 4b p. 186 ; 117 II 494 consid. 6a p. 499). Les travaux préparatoires ne seront toutefois pris en considération que s’ils donnent une réponse claire à une disposition légale ambiguë et qu’ils aient trouvé expression dans le texte de la loi (ATF 124 III 126 consid. 1b p. 129).

5. Il y a lacune dans une réglementation juridique lorsqu’une question se pose à laquelle aucune réponse ne peut être trouvée par l’interprétation ou, en droit administratif, par l’application de principes généraux ou de règles générales. Il convient alors de décider s’il s’agit là d’un silence qualifié (lacune non authentique) ou d’une lacune authentique. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante (ATA/778/2002 du 10 décembre 2002).

Si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n’appelle pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié.

D’après la jurisprudence, seule l’existence d’une lacune authentique appelle l’intervention du juge, tandis qu’il lui est en principe interdit de corriger les autres lacunes, à moins que le fait d’invoquer le sens réputé déterminant de la norme, ne soit constitutif d’un abus de droit, voire d’une violation de la Cst. (ATF K 66/01du 19 octobre 2001 ; ATF 125 III 425 consid. 3a p.427-428 et les arrêts cités ; ATA/59/2003 du 28 janvier 2003).

6. En l'espèce, M. B______ est titulaire de trois permis de service public - délivrés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi - sans bénéficier d'une autorisation d'exploiter une entreprise de taxis. Les dispositions rappelées ci-dessus, qui régissent le transfert d'une entreprise de taxi de service public, ne lui sont dès lors pas applicables.

Tant la loi que son règlement d'application ne contiennent aucune disposition régissant le transfert de permis de service public qui ne sont pas liés à une entreprise de taxis ou à une autorisation d'exploiter à titre d'indépendant. Ce silence n'a rien d'étonnant. La situation dans laquelle se trouve M. B______, manifestement exceptionnelle, ne pouvait être anticipée par le législateur. Il s'agit là d'une lacune authentique, qu'il appartient au juge de combler.

7. Les objectifs principaux de la LTaxis tels qu'expliqués dans l'exposé des motifs du législateur (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève, 2003-2004/VII, Volume des annexes, p. 3199) sont notamment de protéger le consommateur contre certaines pratiques abusives des taxis, de rendre les entreprises plus attractives, et de recréer des personnes morales.

La volonté de M. B______, propriétaire de trois permis de service public, de transférer ces derniers à T______, soit à une personne morale, est donc conforme au but du législateur. Aucune disposition légale ne s'y oppose et il serait contraire à une saine économie de procédure que de contraindre l'intéressé a créer une entreprise individuelle de taxi de service public uniquement dans le but d'immédiatement la transférer à T______.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision du 7 juillet 2010 du SCom sera annulée, et le dossier sera renvoyé au SCom pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

9. Vu l'issue du litige, il n'est pas nécessaire d'examiner si la décision du SAP du 21 décembre 2005 autorisant A______ à transférer ses trente-six permis de service public à U______ avait été prise suite à un examen manifestement insuffisant.

10. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du SCom. Une indemnité d’un montant de CHF 1'500.- sera allouée à M. B______ (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 août 2010 par Monsieur B______ et T______ Sàrl contre la décision du service du commerce du 7 juillet 2010 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du 7 juillet 2010 du service du commerce ;

renvoie l'affaire au service du commerce pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met à la charge du service du commerce un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il est alloué une indemnité de CHF 1'500.- à Monsieur B______, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat des recourants ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :