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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2629/2018

ATA/865/2018 du 28.08.2018 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2629/2018-FORMA ATA/865/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 août 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______ représentée par sa mère, Madame B______

 

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



EN FAIT

1. Madame A______, née le ______1998, a, au terme de sa onzième année de scolarité au cycle d’orientation, commencé une formation gymnasiale au collège C______ à la rentrée du mois d’août 2014.

2. Elle a interrompu cette formation le 27 octobre 2014 pour se réorienter, dès le mois d’août 2015, en première année de l’école de culture générale (ci-après : ECG).

Elle a été promue, au terme de sa première année, avec une moyenne générale de 5,4.

3. Au terme du premier semestre de la deuxième année de formation, pendant l’année scolaire 2016-2017, elle avait une moyenne générale de 5,1 avec deux disciplines insuffisantes et une somme des écarts négatifs à la moyenne de 0,3, remplissant alors les conditions de promotion.

4. Au cours du deuxième semestre de l’année 2016-2017, Mme A______ a eu de très nombreuses absences pour cause de maladie.

Son médecin psychiatre traitant, la Doctoresse D______, a rédigé un certificat le 1er juin 2017, indiquant que des raisons médicales avaient rendu impossible la continuation de son cursus scolaire. Elle avait été hospitalisée à deux reprises à l’unité d’intervention et de thérapies brèves des hôpitaux universitaires de Genève et avait fait un long séjour à la clinique de la Métairie.

5. Au terme de l’année scolaire 2016-2017, Mme A______ a été exceptionnellement autorisée à redoubler la deuxième année de l’ECG.

6. Le 12 février 2018, le Docteur E______, médecin généraliste traitant de Mme A______, a certifié que l’état de santé de l’intéressée ne lui avait pas permis d’effectuer correctement sa scolarité « pour l’année 2017 » et que cet empêchement se prolongerait jusqu’au mois de juin 2018 inclus.

7. Le 6 avril 2018, Mme A______, agissant par la plume de sa mère, a demandé l’autorisation de « redoubler » l’année en question.

Elle pensait, au mois de septembre 2017, être soignée et ne savait pas qu’elle aurait pu demander une année sabbatique. Malheureusement, elle avait encore de forts effets secondaires des médicaments qui l’avaient empêchée de reprendre un rythme scolaire normal. Elle n’avait jamais eu de problèmes avec l’autorité et seule sa santé l’avait contrainte à ne pas achever ses années de formation.

Selon son médecin, il était essentiel qu’elle retrouve une vie normale avec ses activités antérieures, ce qu’elle ne pourrait pas faire si elle était intégrée à l’ECG pour adultes, comme cela avait été envisagé. Une telle formation, de plus, l’obligerait à interrompre des activités essentielles pour elle, telles que le basket-ball ou les activités de samaritains.

8. Par décision du 5 juillet 2018, la direction générale du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le département) a refusé à l’intéressée la possibilité de redoubler à nouveau sa deuxième année de l’ECG.

Elle n’avait pas été promue au terme de la deuxième année et les conditions autorisant un nouveau redoublement, exceptionnel, n’étaient pas réalisées. De plus, elle avait déjà bénéficié d’un tel redoublement.

9. Par acte du 2 août 2018, Mme A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée. Sa mère a fait de même, agissant en faveur de sa fille.

Il était important que Mme A______ retrouve une vie normale et qu’elle reprenne sa formation à l’ECG dans le cadre d’un groupe, afin de passer sa maturité spécialisée et d’être un jour sage-femme ou ostéopathe.

À ce recours était annexé un certificat médical du Dr E______. Mme A______ avait vécu deux années très douloureuses et était en rémission totale, n’ayant plus de traitement médicamenteux depuis huit mois. Il était important qu’elle puisse reprendre la vie là où elle l’avait laissée lorsqu’elle était tombée malade. Une transition trop rapide dans le monde adulte serait néfaste pour son développement. Un retour à l’ECG était essentiel pour elle.

10. Le 16 août 2018, le département a conclu au rejet du recours, reprenant et développant les éléments figurant dans sa décision initiale.

11. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 20 août 2018.

Mme A______ a confirmé les conclusions de son recours. Elle était tombée dans une grosse dépression deux ans auparavant et n’avait plus été capable de suivre l’école. Elle allait beaucoup mieux, était soutenue par sa psychothérapeute et avait envie de reprendre le cours de sa vie. Elle n’avait pas eu de problèmes scolaires si ce n’est ceux liés à sa maladie. Au cours de l’année scolaire 2017-2018, elle avait repris les cours mais avait été en arrêt maladie après une semaine. Le département l’avait orientée vers l’établissement Lullin où elle avait formellement été suivie jusqu’en janvier 2018, mais où elle ne s’était rendue qu’à quatre ou cinq reprises.

De son côté, le département a indiqué qu’au vu de l’âge de l’intéressée, le retour dans une ECG normale n’apparaissait pas souhaitable, dès lors que l’intéressée pouvait commencer l’ECG pour adultes.

Entendue en audience d’enquête, la Dresse D______, déliée de son secret médical, a exposé que Mme A______ avait souffert d’un trouble dépressif récurrent avec une composante de phobie scolaire, actuellement en totale rémission.

Il était important qu’elle puisse se réinsérer dans un groupe de pairs car elle était très isolée et n’avait que peu de relations sociales. L’ECG pour adultes apparaissait moins structurante, en particulier au vu du besoin de vie de groupe.

Mme A______ a encore précisé que la direction de l’ECG F______ avait indiqué être favorable à un retour.

12. Dans le délai imparti, le département a indiqué maintenir ses conclusions initiales. L’établissement Lullin se positionnait en faveur d’une intégration à l’ECG pour adultes plutôt qu’à un triplement, notamment au vu de l’aspect modulaire de la formation proposée. L’élève était libre du choix des cours et du moment où il souhaitait se présenter à l’examen, ce qui permettrait à Mme A______ de prendre le temps nécessaire pour sa santé, de se préparer à l’année de maturité spécialisée et de réaliser les stages nécessaires pour ce faire.

Le département, depuis deux ans, avait mis une limite d’âge à l’admission pour éviter les trop grands écarts dans les profils d’élèves et favoriser l’intégration des élèves très jeunes.

13. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur la question de savoir si la recourante devrait être ou non autorisée à répéter la deuxième année de l’ECG, étant précisé que le fait qu’elle ne remplisse pas les conditions de promotion est admis par l’ensemble des parties.

3. a. L’art. 29 al. 1 du règlement de l'enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 (REST - C 1 10.31) prévoit que les conditions de promotion sont déterminées par les règlements de chaque filière.

b. L’art. 31 REST rappelle que l’octroi du redoublement n’est pas un droit (al. 1). La direction d’un établissement, sur proposition de la conférence des maîtres de la classe ou du groupe ou, dans des cas exceptionnels, de sa propre initiative, peut autoriser un élève non promu à répéter l’année (al. 2). Dans les voies de formation générale, cette mesure ne peut être accordée qu'une seule fois par filière (al. 3). Un élève ayant bénéficié d’un redoublement ne peut prétendre ni à un triplement de l’année ni à un redoublement de l’année immédiatement supérieure (al. 4).

c. Dans ce cadre, l’autorité scolaire bénéficie d’un très large pouvoir d’appréciation (ATA/54/2017 du 24 janvier 2017 et les références citées), dont la chambre de céans ne censure que l’abus ou l’excès. Ainsi, alors même que l’autorité resterait dans le cadre de ses pouvoirs, quelques principes juridiques les restreignent, dont la violation constitue un abus de celui-ci : elle doit exercer sa liberté conformément au droit, respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Alexandre FLUCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I : Les fondements, 3ème éd., 2012, p. 739 ss n. 4.3.2).

4. a. En l’espèce, la recourante s’est trouvée en échec au terme de la première tentative en deuxième année de l’ECG (année scolaire 2016-2017) pour des raisons médicales dûment attestées et qui ne sont pas contestées.

Lors de l’année de redoublement, soit pendant l’année scolaire 2017-2018, elle n’a pas réellement pu reprendre les cours. À cet égard, il est constant que l’autorité intimée ne produit aucun document concernant ladite année scolaire. Elle indique que la recourante aurait été suivie par l’établissement Lullin, sans que l’intervention concrète de cette structure ne soit documentée.

Dans cette situation, la chambre administrative retiendra que l’autorisation de redoubler la deuxième année de l’ECG pendant l’année scolaire 2017-2018 n’a pas pu être utilisée par l’intéressée, et cela pour des raisons médicales.

La demande déposée le 6 avril 2018 par la recourante, ne peut en conséquence être traitée comme une demande de triplement, mais doit bien être considérée comme une nouvelle demande de redoubler l’année scolaire 2016-2017, laquelle était en échec.

b. L’analyse faite par l’autorité pour refuser la demande de redoublement litigieuse prête le flanc à la critique dès lors qu’elle se fonde principalement sur des conditions générales, telles que l’âge de la recourante et la différence d’âge qu’elle aurait avec les autres élèves, laquelle dépasserait les nouvelles normes que s’est fixé le département ou le fait que la voie de formation pour adultes proposée à la recourante offre, de par sa structure, plus de souplesse, sans tenir compte des spécificités de la pathologie et des problèmes rencontrés par la recourante.

En revanche, les éléments exposés par la recourante, par son médecin généraliste et par sa psychothérapeute, laquelle a été entendue par la chambre administrative en audience d’enquêtes, sont nettement plus convaincants. Les explications données quant à la nécessité pour la recourante de reprendre une structure d’enseignement normal, du même type que celle qu’elle a interrompue pour des raisons de santé, apparaissent déterminantes. De plus, la recourante, qui est née au mois d’octobre 1998 et n’a donc pas encore 20 ans, ne présentera pas une différence d’âge pouvant poser problème avec les autres élèves de sa classe à l’ECG.

c. Dans ces circonstances, et au vu de la situation tout à fait exceptionnelle de la recourante et de ses excellents résultats antérieurs, le recours sera admis et l’intéressée sera autorisée à répéter la deuxième année de l’ECG pendant l’année scolaire 2018-2019.

5. Vu l’issue de la procédure, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera versée, la recourante n'ayant pas pris de conclusions en ce sens et n'ayant pas encouru de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 août 2018 par Madame A______, représentée par sa mère, Madame B______, contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 5 juillet 2018 ;

au fond :

l’admet ;

 

annule la décision du département de l'instruction publique, de la formation de la jeunesse du 5 juillet 2018 ;

dit que Madame A______ est autorisée à répéter la deuxième année de l’école de culture générale pendant l’année scolaire 2018-2019 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s’il porte sur le résultat d’examens ou d’autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d’exercice d’une profession ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, représentée par sa mère, Madame B______, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : M. Thélin, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :