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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3876/2019

ATA/863/2021 du 24.08.2021 sur JTAPI/546/2020 ( ICC ) , REJETE

Normes : LHID.1.al1; LHID.2.al1.leta; LHID.13.al1; LHID.14.al1; LCP.1.leta.ch3; LIPP.46; LIPP.47.al1.leta; LIPP.49; LIPP.50.lete; LIPP.52.al2; LIPP.52.al3; LIPP.52.al4.letb; LIPP.52.al5
Résumé : Estimation de la valeur d'un immeuble occupé par la veuve, après le décès de son époux. La question est de savoir si l'aLEFI prolonge la suspension de l'adaptation de la valeur d'estimation en cas de succession ou si la valeur fixée lors de la succession doit être retenue au terme de la période décennale. Au vu d'un arrêt du Tribunal fédéral qui a retenu que les différentes LEFI n'avaient pas pour objectif de remplacer entièrement le système d'estimation mis en place par le législateur cantonal et, en particulier, qu'elles ne permettaient pas de déroger aux nouvelles valeurs d'estimation au sens de l'art. 52 al. 3 LIPP, la prorogation de la valeur d'estimation jusqu'au 31 décembre 2018 prévue par l'aLEFI ne reconduit pas la suspension de la valeur d'estimation visée par l'art. 52 al. 3 let. b LIPP. La valeur fixée lors de la succession s'applique au terme de la période décennale. Ce sera cette valeur qui sera prise en considération pour les années fiscales suivantes. Elle constitue en outre une valeur plus récente et plus proche de la valeur vénale de l'immeuble. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3876/2019-ICC ATA/863/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 août 2021

4ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Antoine Berthoud, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 juin 2020 (JTAPI/546/2020)


EN FAIT

1) Le litige concerne l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2016 de Madame A______ (ci-après : la contribuable), en particulier la valeur fiscale d'un bien immobilier.

2) Monsieur A______ était propriétaire des parcelles n°s 1______ et 2______ feuille 3______, de la commune B______, sises à l’adresse route C______ à B______ (ci-après : l'immeuble) sur laquelle est érigée une villa qu'il occupait avec son épouse, Mme A______, depuis 1973.

3) Suite au décès de M. A______, survenu le ______ 2005, l'usufruit de l'immeuble a été attribué à Mme A______, qui continue de l'occuper comme domicile principal.

4) Dans la déclaration de succession du 27 janvier 2006, l'exécuteur testamentaire a mentionné une valeur de l'immeuble de CHF 4'212'125.-, sur la base de l'estimation de la régie D______ SA (arrondie à CHF 4'212'000.-) selon sa lettre du 20 décembre 2005.

Compte tenu d'un autre immeuble (locatif) sis dans le quartier des Eaux-Vives estimé à CHF 4'032'720.-, la valeur des biens immobiliers genevois du de cujus retenue par l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) pour le calcul des droits de succession s'élevait à CHF 8'244'720.- selon bordereau du 22 mai 2006.

5) La valeur de l'immeuble prise en compte pour l'impôt sur la fortune s'est élevée à CHF 609'202.- (soit CHF 365'521.- après abattement de 40 %) pour l'ICC 2005 et à CHF 608'978.- (soit CHF 365'387.- après abattement) pour les années fiscales 2006 à 2014.

6) Pour la taxation 2015, l'AFC-GE a retenu une valeur immobilière de CHF 4'212'000.- (soit CHF 2'527'200.- après abattement), qui a été contestée en vain par la contribuable en raison de la tardiveté de sa réclamation.

7) Dans la déclaration fiscale 2016, le mandataire de Mme A______ a déclaré une valeur d'immeuble de CHF 4'212'000.- (soit CHF 2'527'200.- après abattement).

8) Par bordereau et avis de taxation du 28 juin 2017, l'AFC-GE a pris en compte ces derniers montants pour fixer l'ICC 2016 à CHF 30'384.20 sur la base d'un revenu imposable de CHF 44'414.- au taux de CHF 45'431.- et d'une fortune imposable de CHF 2'816'726.- au taux de CHF 2'940'123.-.

9) Le 18 juillet 2017, Mme A______ a formé réclamation contre la taxation ICC 2016.

Son bien immobilier sis à B______ avait été réévalué à CHF 4'000'000.- provoquant une importante augmentation de ses impôts.

10) Le 19 septembre 2017, Mme A______ a complété sa réclamation, soulignant que la nouvelle valeur fiscale de l'immeuble avait généré une augmentation de sa charge fiscale de plus de CHF 20'000.-.

L'AFC-GE avait appliqué la valeur de succession en évoquant la fin de la période décennale, pour le bien immobilier sis à B______.

Or, la loi genevoise sur les estimations fiscales de certains immeubles du 28 août 2014 (aLEFI - D 3 10), entrée en vigueur le 1er janvier 2015, avait prorogé jusqu'au 31 décembre 2018 les valeurs fiscales valables jusqu'au 31 décembre 2014. Par conséquent, la valeur fiscale de l'immeuble pour l'année 2016 devait rester inchangée à CHF 608'978.-.

11) Le 6 février 2019, l'AFC-GE a expliqué à Mme A______ que sa réclamation avait été suspendue dans l'attente de l'arrêt du Tribunal fédéral rendu le 1er octobre 2018 (2C_194/2018), portant sur une problématique similaire. Cet arrêt confirmait que l'adaptation de la valeur d'estimation pour le logement principal devait être suspendue jusqu'à la fin de la période décennale. Le Tribunal fédéral précisait également que celle-ci s'étendait du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2014. L'AFC-GE avait dès lors l'intention de retenir une estimation fiscale de CHF 4'212'000.- pour l'année 2016.

Un délai de trente jours était imparti à la contribuable pour indiquer si elle maintenait sa réclamation.

12) Le 11 mars 2019, Mme A______, sous la plume de son nouveau mandataire, a indiqué maintenir sa réclamation en se fondant sur trois arrêts de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) rendus en 2018 (ATA/45/2018 du 16 janvier 2018 ; ATA/127/2018 du 6 février 2018 et ATA/810/2018 du 7 août 2018), non contestés par l'AFC-GE. L'arrêt du Tribunal fédéral ne portait quant à lui que sur la réévaluation d'une partie de l'immeuble non occupée par l'héritier.

La valeur fiscale de l'immeuble hérité par Mme A______ en 2007 devait être évaluée sur les mêmes bases qu'au 31 décembre 2014.

13) Par décision sur réclamation du 7 octobre 2019, l'AFC-GE a maintenu le bordereau ICC 2016 en se fondant sur l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité. La nouvelle estimation fiscale de l'immeuble, déterminée lors du décès de l'époux de Mme A______ à CHF 4'212'000.-, était applicable à compter du 1er janvier 2015.

14) Par acte du 17 octobre 2019, Mme A______ a interjeté recours contre cette décision sur réclamation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant, « sous suite de frais et de dépens », à ce que la valeur fiscale de l'immeuble soit fixée à CHF 608'978.- (soit CHF 588'638.- pour la parcelle n° 1______ + CHF 20'340.- pour la parcelle n° 2______).

Elle a repris et développé ses arguments formulés dans sa réclamation du 11 mars 2019.

15) Le 31 janvier 2020, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

16) Le 17 février 2020, Mme A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

17) Le 9 mars 2020, l'AFC-GE a dupliqué, persistant également dans ses conclusions. La jurisprudence du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précitée avait été appliquée dans un jugement du TAPI du 8 avril 2019 (JTAPI/335/2019), lequel n'avait pas fait l'objet d'un recours à la chambre administrative.

18) Le 25 mars 2020, Mme A______, après avoir obtenu une copie du susdit jugement du TAPI, a relevé que la juridiction n'avait ni procédé à un examen détaillé de l'art. 2 aLEFI du 28 août 2014, ni appliqué et ni même cité l'ATA/127/2018 précité qui contenait une analyse détaillée de l'aLEFI.

19) Par jugement du 29 juin 2020, le TAPI a rejeté le recours.

Dans un arrêt du 6 février 2018 (ATA/127/2018 précité, cité par Mme A______) relatif à une problématique juridique similaire, la chambre administrative avait considéré que « le législateur s'était abstenu de régler un point qu'il aurait dû fixer, étant donné qu'aucune solution claire n'émane ni d'une interprétation systématique (relation de la LEFI avec la loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 - LIPP - D 3 08) ni d'une interprétation historique ou encore téléologique de la LEFI. Il s'agit d'une lacune que le juge peut combler, tout en restant toujours lié par un texte clair et sans équivoque de la loi et ne pouvant s'en écarter que s'il existe des motifs sérieux de penser que sa lettre ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée ». La chambre administrative avait dès lors fait prévaloir l'interprétation littérale de l'aLEFI, laquelle était d'ailleurs une lex specialis ainsi qu'une loi postérieure par rapport à la LIPP. Elle avait ainsi jugé que la valeur fiscale devant être retenue pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018 était la même que celle fixée jusqu'au 31 décembre 2014 et que, contrairement à l'interprétation du TAPI, selon l'art. 1 aLEFI « il n'y avait pas la place » pour une nouvelle estimation faite par une commission d'experts durant ces quatre années (2015 à 2018).

Dans un arrêt du 1er octobre 2018 (2C_194/2018 précité) sur recours contre l'ATA/45/2018 précité (cité par Mme A______), le Tribunal fédéral avait toutefois jugé que « les différentes lois sur les estimations fiscales de certains immeubles, adoptées après 1964, ont pour but de pallier l'absence d'évaluations décennales des immeubles non locatifs par une commission d'experts. Il n'est dès lors pas arbitraire de considérer que ces lois n'ont pas pour objectif de remplacer entièrement le système d'estimation mis en place par le législateur cantonal et, en particulier, qu'elles ne permettent pas de déroger aux nouvelles valeurs d'estimation au sens de l'art. 52 al. 3 LIPP, étant entendu que les adaptations prévues par cette disposition en cas d'aliénation ou de succession tendent à faire en sorte que les valeurs fiscales reconnues correspondent au mieux à la valeur vénale, comme l'exige l'art. 14 al. 1 LHID ».

En l'occurrence, au décès de l'époux de Mme A______ survenu le 27 octobre 2005, la contribuable était devenue usufruitière de l'immeuble qu'elle occupait comme domicile principal depuis 1973. La valeur de succession de ce bien-fonds avait alors été fixée à CHF 4'212'000.-. Suivant l'art. 52 al. 4 let. b LIPP, l'application de cette nouvelle estimation avait été suspendue jusqu'au 31 décembre 2014, soit jusqu'à la fin de la période décennale (2005-2014).

Contrairement à ce que soutenait la contribuable, la prorogation de la valeur d'estimation jusqu'au 31 décembre 2018 prévue par l'aLEFI ne reconduisait pas la suspension de la valeur d'estimation visée par l'art. 52 al. 4 let. b LIPP.

En effet, conformément à l'arrêt du Tribunal fédéral susmentionné, la prorogation prévue par l'aLEFI ne permettait pas de déroger aux nouvelles valeurs estimées dans le cadre de l'art. 52 al. 3 LIPP. La valeur de succession, par le fait qu'elle avait fait l'objet d'une estimation plus récente valablement reconnue, apparaissait plus conforme à ce qu'exigeait l'art. 14 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), c'est-à-dire que la valeur fiscale de l'immeuble correspondait « au mieux à la valeur vénale ».

Enfin, l'ATA/810/2018 précité, également cité par Mme A______, n'était d'aucune utilité dans le cas présent, dès lors qu'il ne concernait pas l'application de l'aLEFI, mais qu'il ne faisait que confirmer la suspension de la valeur d'estimation pour le reste de la période décennale, à savoir de 2012 à 2014, sans se prononcer sur la question du maintien de cette suspension à une année postérieure à 2014.

20) Par acte du 29 juillet 2020, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant à ce qu'il soit dit que les valeurs fiscales des parcelles n°s 1______ et 2______ de la commune B______ sises, route C______ soient fixées, respectivement, à CHF 588'638.- et CHF 20'340.-, soit un total de CHF 608'978.-, ceci « sous suite de frais et dépens ».

L'ATA/45/2018 précité, qui avait fait l'objet de l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité concernait une situation de fait et une législation applicable différentes du dossier de Mme A______. En effet, cet arrêt concernait la valeur imposable pour l'ICC 2010 d'un immeuble qui avait été hérité en 1999. Était alors applicable la LEFI dans sa teneur du 30 novembre 2007. La chambre administrative avait retenu que la suspension de l'adaptation de la valeur fiscale pour le conjoint survivant ne valait que jusqu'à la fin de la période décennale qui courait de 1994 à 2004 et que par conséquent, pour la taxation effectuée en 2010, c'était la valeur taxée par le service de l'enregistrement la même année qui était déterminante. Le Tribunal fédéral avait confirmé cet arrêt.

Dans l'ATA/127/2018 précité, dont l'état de fait était plus proche du cas d'espèce, et qui concernait la taxation 2015 d'une contribuable qui avait hérité d'un bien immobilier de feu son mari, décédé en 2011, la chambre administrative avait clairement retenu que la LEFI du 29 novembre 2012 puis celle du 28 août 2014 constituaient une lex specialis ainsi qu'une norme postérieure par rapport à la LIPP. Dès lors, la valeur qui devait être appliquée à l'immeuble à partir du 1er janvier 2015 était celle qui était déterminante au 31 décembre 2014.

Dans un arrêt ultérieur du 7 août 2018 (ATA/810/2018 précité), la chambre administrative avait confirmé une taxation manifestement basée sur les mêmes principes en ce qui concernait la partie occupée d'un bien immobilier hérité.

L'état de fait de ces deux arrêts présentait de larges similitudes avec le dossier de Mme A______, dans la mesure où le décès du conjoint propriétaire de l'immeuble était intervenu pendant la période décennale 2005-2014, et qu'il s'agissait de statuer sur la valeur fiscale déterminante de l'immeuble pendant la période décennale suivante (de 2015 à 2024).

L'arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité n'avait, contrairement à ce qu'avait retenu le TAPI, pas statué sur la question du droit applicable en l'espèce. L'instance inférieure ne pouvait donc pas faire application des principes dégagés par cet arrêt relatif à un état de fait, une période décennale et une législation différente du cas d'espèce.

La chambre administrative devait par conséquent confirmer sa jurisprudence relative aux effets de la LEFI pour l'évaluation pendant la période décennale 2015-2024 d'immeubles hérités pendant la période décennale précédente.

21) Le 16 octobre 2020, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il importait peu que la période décennale concernée dans l'ATA/127/2018 précité soit identique à celle du présent dossier, sauf à vouloir considérer qu'un simple élément formel tel que l'identité d'une période décennale spécifique (2005-2014) doive primer le principe d'estimation général des biens immobiliers fixé dans la LIPP.

La question consistait à déterminer, non pas quelle version de la LEFI devait être appliquée, ni si le décès était intervenu en 2005, comme en l'espèce, ou en 1999 – comme dans l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité – mais si les principes d'estimation immobilière qui découlaient de l'art. 52 al. 3 LIPP en cas d'aliénation ou, de succession, devaient prévaloir, nonobstant l'adoption des LEFI.

Le Tribunal fédéral avait clairement répondu que les différentes LEFI adoptées après 1964 n'avaient pas pour objectif de remplacer entièrement le système d'évaluation mis en place par le législateur cantonal et notamment pas à l'art. 52 al. 3 LIPP (arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité consid. 6.4).

Dans le même arrêt, le Tribunal fédéral avait précisé que l'art. 52 al. 3 LIPP tendait à faire en sorte que les valeurs fiscales reconnues correspondent « au mieux » à la valeur vénale préconisée par l'art. 14 al. 1 LHID (arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité consid. 6.4).

Dès lors, il n'y avait pas lieu de faire prévaloir l'ATA/127/2018 précité sur l'arrêt 2C_194/2018 déjà cité, dès lors notamment que ce dernier était postérieur.

Par ailleurs, dans la mesure où la contribuable relevait que dans l'ATA/45/2018 précité, la chambre administrative avait considéré que la suspension de l'adaptation de la valeur fiscale pour le conjoint survivant ne valait que jusqu'à la fin de la période décennale qui courait de 1994 à 2004 pour un immeuble hérité en 1999, l'AFC-GE ne comprenait pas comment l'intéressée pouvait conclure que la chambre administrative doive « confirmer sa jurisprudence », alors qu'elle n'était en mesure de se référer qu'à l'ATA/127/2018 déjà cité.

L'ATA/810/2018 précité n'était d'aucune utilité dans le cas présent et ne faisait que confirmer la suspension de la valeur d'estimation pour le reste de la période décennale, à savoir de 2012 à 2014, sans se prononcer sur la question du maintien de cette suspension à une année postérieure à 2014.

Enfin et manifestement, une valeur de CHF 608'978.- ne correspondait pas à la valeur vénale préconisée par l'art. 14 LHID, d'application obligatoire depuis 2001.

22) Le 28 octobre 2020, Mme A______ a informé la chambre administrative qu'elle persistait dans ses conclusions.

23) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2) Le litige concerne l'ICC de la recourante pour l'année 2016, plus précisément la valeur fiscale de son actif immobilier sis à B______.

3) La recourante soutient que la valeur fiscale de son immeuble doit être fixée à CHF 608'978.- pour la période décennale 2015-2024.

4) a. La LHID désigne les impôts directs que les cantons doivent prélever et fixe les principes selon lesquels la législation cantonale les établit (art. 1 al. 1 LHID).

L'art. 2 al. 1 let. a LHID prévoit que les cantons doivent prélever un impôt sur la fortune des personnes physiques. L'impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID).

Selon l'art. 14 al. 1 LHID, la fortune est estimée à la valeur vénale. Toutefois, la valeur de rendement peut être prise en considération de façon appropriée.

b. Un impôt sur la fortune est perçu, chaque année, dans le canton de Genève (art. 1 let. a ch. 3 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 - LCP - D 3 05). L'impôt sur la fortune est régi par la LIPP, en particulier aux art. 46 à 60 LIPP, lesquels forment le chapitre IV.

L'art. 46 LIPP précise que cet impôt a pour objet l'ensemble de la fortune nette après déductions sociales. Selon l'art. 47 al. 1 let. a LIPP, les immeubles sont soumis à l'impôt sur la fortune. Aux termes de l'art. 49 LIPP, l'état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû (al. 1). La fortune est estimée, en général, à la valeur vénale (al. 2).

L'art. 50 let. e LIPP indique que pour « les autres immeubles » situés dans le canton, notamment les villas, parcs, jardins d'agrément, ainsi que les immeubles en copropriété par étage, sont estimés en tenant compte du coût de leur construction, de leur état de vétusté, de leur ancienneté, des nuisances éventuelles, de leur situation, des servitudes et autres charges foncières les grevant, de prix d'achats récents ou d'attribution ensuite de succession ou de donation et des prix obtenus pour d'autres propriétés de même nature qui se trouvent dans des conditions analogues, à l'exception des ventes effectuées à des prix de caractère spéculatif. Cette estimation est diminuée de 4 % par année d'occupation continue par le même propriétaire ou usufruitier, jusqu'à concurrence de 40 %. Il est également tenu compte de la durée d'occupation continue par le précédent propriétaire, lorsqu'il s'agit, en cas de liquidation du régime matrimonial, de donation, d'acquisition par avancement d'hoirie ou par succession, du conjoint, de ses parents en ligne directe ou de ses frères et sœurs.

L'art. 52 let. b LIPP, portant le titre « immeubles estimés », prévoit que l'évaluation des « autres immeubles » est faite par des commissions d’experts et vaut pour une période décennale (al. 2). Lorsque pendant cette période, un immeuble est aliéné à titre onéreux ou gratuit, ou dévolu pour cause de mort, la valeur d'aliénation ou la valeur de succession retenue par le département pour la perception des droits d'enregistrement et de succession se substitue à la valeur d'estimation pour le reste de la période décennale (al. 3).

L'art. 52 al. 4 LIPP prévoit que pour le reste de la période décennale, l'adaptation de la valeur d'estimation selon l'al. 3 est suspendue en cas de succession, pour le logement principal de la personne décédée, s'il est attribué en propriété ou en usufruit à un héritier qui faisait ménage commun avec elle, tant que cet héritier continue à occuper personnellement le logement comme résidence principale (let. b).

Le Conseil d'État, comme le contribuable, ont, en tout temps, la faculté de faire procéder à de nouvelles estimations si des changements importants dans la valeur des immeubles le justifient (art. 52 al. 5 LIPP).

c. L'expertise mentionnée à l'art. 52 al. 2 LIPP, portant sur l'ensemble du parc immobilier genevois, a eu lieu pour la dernière fois en 1964. Sur décision du Grand Conseil, cette dernière n'a pas été renouvelée pour des raisons notamment économiques, mais a vu sa durée de validité prorogée respectivement jusqu'aux 31 décembre 1984, 1994, 2004 et 2012, les estimations étant, jusqu'en 2004, majorées de 20 % à chaque décennie (ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 5b et les références citées).

En effet, en 1974, lorsque la période décennale 1965-1974 approchait de son échéance, le Grand Conseil, après avoir considéré l'évolution de la situation du parc immobilier genevois et les ressources importantes nécessaires pour procéder à une nouvelle estimation générale, a décidé de renoncer à une expertise générale et de reconduire simplement les estimations existantes pour une nouvelle période décennale, en les majorant de 20 %, sauf pour les immeubles dont l'estimation fiscale avait été fixée ou modifiée durant la période décennale touchant à son terme (loi prorogeant jusqu'à fin décembre la durée de validité des estimations fiscales actuelles de certains immeubles du 21 mars 1974). Pour la nouvelle période décennale 1985-1994, puis celle de 1995-2004, le Grand Conseil, retenant les mêmes considérations qu'en 1974, a décrété chaque fois une nouvelle majoration linéaire de 20 %, sauf pour les immeubles dont l'estimation fiscale avait été fixée ou modifiée durant la période décennale touchant à son terme (anciennes LEFI du 12 mars 1981 et du 14 janvier 1993 - Rapport du Grand Conseil PL 11'397-A du 29 avril 2014, p. 2 ss).

Dans le cadre de la période décennale 2005-2014, le Grand Conseil a, en 2004, prorogé une première fois sans majoration les valeurs fiscales déterminantes au 31 décembre 2004 pour une période écourtée de trois ans, soit jusqu'au 31 décembre 2007 (aLEFI du 19 novembre 2004). Considérant l'envergure de la nouvelle estimation du parc immobilier à mettre en place, le Grand Conseil a, en 2007, décidé de proroger une seconde fois, sans aucune majoration, les valeurs fiscales déterminantes au 31 décembre 2007 pour une période écourtée cette fois-ci de cinq ans, soit jusqu'au 31 décembre 2012 (aLEFI du 30 novembre 2007 - loi 10060).

Le 29 novembre 2012, le Grand Conseil a prorogé les valeurs fiscales des immeubles pour une nouvelle période écourtée de deux ans, soit jusqu'en 2014 (Rapport du Grand Conseil PL 11'020-A du 13 novembre 2012 ; art. 1 aLEFI du 29 novembre 2012).

Le Grand Conseil a adopté, le 24 août 2014, une nouvelle LEFI, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, abrogeant ainsi l'aLEFI du 29 novembre 2012. Cette aLEFI du 24 août 2014 a elle-même été abrogée par la LEFI du 22 novembre 2018, entrée en vigueur le 1er janvier 2019 (art. 6 et 7 LEFI).

d. Selon l'art. 1 aLEFI du 24 août 2014, applicable en l'espèce puisque le droit applicable à la taxation est celui en vigueur pendant la période fiscale en cause (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1066/2013 du 27 mai 2014 consid. 3.3 et les références citées), la durée de validité des estimations de la valeur fiscale des immeubles visés à l’art. 50 let. b à e LIPP est prorogée jusqu’au 31 décembre 2018 ; est reconduite jusqu’à cette date la valeur fiscale actuelle de ces immeubles au 31 décembre 2014, sans nouvelle estimation par la commission d’experts.

La valeur fiscale actuelle au sens de l’art. 1 est celle qui est déterminante au 31 décembre 2014. Elle comprend, le cas échéant, la majoration prévue par la loi prorogeant jusqu’à fin décembre 1984 la durée de validité des estimations actuelles de certains immeubles, du 21 mars 1974, et celles figurant dans les lois sur les estimations fiscales de certains immeubles, du 12 mars 1981 et du 14 janvier 1993 (art. 2 aLEFI du 24 août 2014).

e. Dans sa jurisprudence (ATA/45/2018 précité), la chambre administrative a retenu que la valeur d'acquisition pour cause de mort des biens en usufruit s'était substituée à celle qui était en cours durant la période décennale de 1994 à 2004 (le de cujus est décédé le 26 décembre 1999).

f. Dans un autre arrêt (ATA/127/2018 précité), la chambre de céans a considéré que le législateur s'était abstenu de régler un point qu'il aurait dû fixer, étant donné qu'aucune solution claire n'émanait ni d'une interprétation systématique (relation de l'aLEFI avec la LIPP) ni d'une interprétation historique ou encore téléologique de l'aLEFI. Il s'agissait d'une lacune que le juge pouvait combler, tout en restant toujours lié par un texte clair et sans équivoque de la loi et ne pouvant s'en écarter que s'il existait des motifs sérieux de penser que sa lettre ne correspondait pas en tous points au sens véritable de la disposition visée.

Elle a ainsi fait prévaloir l'interprétation littérale de l'aLEFI, laquelle était d'ailleurs une lex specialis ainsi qu'une norme postérieure par rapport à la LIPP. Dès lors, la valeur fiscale qui devait être appliquée à l'immeuble à partir du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018 était la même que celle fixée au 31 décembre 2014.

Ainsi, l'aLEFI avait prolongé la suspension de l'adaptation de la valeur d'estimation au-delà de la période décennale 2005-2014.

g. La chambre administrative a également considéré que la valeur d'acquisition pour cause de mort du bien en usufruit s'était substituée à celle qui était en cours durant la période décennale considérée au moment du décès du de cujus (ATA/810/2018 précité).

h. L'ATA/45/2018 précité a fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral (2C_194/2018 déjà cité), lequel a rejeté le recours de la contribuable.

Il a retenu que les différentes lois sur les estimations fiscales de certains immeubles, adoptées après 1964, avaient pour but de pallier l'absence d'évaluations décennales des immeubles non locatifs par une commission d'experts. Il n'était dès lors pas arbitraire de considérer que ces lois n'avaient pas pour objectif de remplacer entièrement le système d'estimation mis en place par le législateur cantonal et, en particulier, qu'elles ne permettent pas de déroger aux nouvelles valeurs d'estimation au sens de l'art. 52 al. 3 LIPP, étant entendu que les adaptations prévues par cette disposition en cas d'aliénation ou de succession tendaient à faire en sorte que les valeurs fiscales reconnues correspondent au mieux à la valeur vénale, comme l'exigeait l'art. 14 al. 1 LHID (consid. 6.4).

Il a également considéré que l'ATA/127/2018 précité ne permettait pas de conclure à lui seul à une violation du principe d'égalité dans le cas d'espèce, pas plus qu'à une violation des principes de la légalité ou de l'interdiction de l'arbitraire, ne serait-ce que parce que l'arrêt querellé ici concernait une période de taxation datant d'avant l'entrée en vigueur de la nouvelle LEFI dont il était question dans la jurisprudence précitée. À cela s'ajoutait que ce dossier portait sur des faits différents de ceux de la présente cause. En l'occurrence, l'immeuble dont la valeur d'estimation était litigieuse pour l'ICC 2015 n'avait fait l'objet d'aucun partage successoral depuis sa dévolution à la contribuable, veuve depuis 2011, ni d'aucun acte de division et d'aliénation totale ou partielle depuis le début de la nouvelle période décennale qui courait depuis le 1er janvier 2015. Le canton n'avait ainsi retenu, durant cette période, aucune nouvelle valeur d'aliénation ou de succession pour la perception de droits d'enregistrement qui aurait pu se substituer – comme dans le cas présent – à l'ancienne valeur d'estimation en application du droit cantonal (art. 52 al. 3 LIPP ; consid. 6.5).

5) En l'espèce, l'époux de la recourante est décédé le ______ 2005. L'intéressée a ainsi acquis son droit d'usufruit sur le bien immobilier sis à B______ dès cette date (art. 537 al. 1 et 560 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). La valeur d’acquisition pour cause de mort du bien en usufruit s’est à ce moment-là substituée à celle qui était en cours durant la période décennale considérée. Alors qu'elle était jusqu'à ce moment-là fixée à CHF 608'978.-, la valeur de succession a été arrêtée à CHF 4'212'000.-. C'est donc ce montant qui s'est substitué à celui de CHF 608'978.- durant la période décennale 2005-2014.

Toutefois et conformément à l'art. 52 al. 4 let. b LIPP, l'adaptation de la valeur d'estimation de l'immeuble de la recourante a été suspendue jusqu'à fin 2014.

Comme l'a retenu le Tribunal fédéral dans son arrêt 2C_194/2018 précité consid. 6.4, même si les différentes LEFI adoptées après 1964, ont pour but de pallier l'absence d'évaluations décennales des immeubles non locatifs par une commission d'experts, ces lois n'ont pas pour objectif de remplacer entièrement le système d'estimation mis en place par le législateur cantonal et, en particulier, elles ne permettent pas de déroger aux nouvelles valeurs d'estimation au sens de l'art. 52 al. 3 LIPP, étant entendu que les adaptations prévues par cette disposition en cas d'aliénation ou de succession tendent à faire en sorte que les valeurs fiscales reconnues correspondent au mieux à la valeur vénale, comme l'exige l'art. 14 al. 1 LHID.

Ainsi et contrairement à ce qui avait été retenu dans l'ATA/127/2018 précité, la suspension de l'adaptation de la valeur d'estimation de l'immeuble de la recourante a pris fin au terme de la période décennale 2005-2014. Par conséquent et dès l'année 2015, la valeur immobilière du bien de la recourante sis à B______, calculée en application de l'art. 52 al. 3 LIPP, s'élevait à CHF 4'212'000.-.

D'ailleurs, c'est ce montant que la recourante a déclaré dans sa déclaration fiscale 2016. Elle constitue en outre une valeur plus récente qui est plus proche de la valeur vénale de l'immeuble tel que l'impose l'art. 14 al. 1 LHID pour le calcul de la fortune d'un contribuable. Il est évident qu'une valeur de CHF 608'978.- pour le bien considéré, à savoir une parcelle de 2'292 m2 sise à B______, sur laquelle est érigée une villa de 124 m2 au sol, ne correspond pas à la véritable valeur vénale du bien-fonds.

Quant à l'ATA/810/2018 précité et comme l'a retenu le TAPI, cet arrêt se limitait à confirmer la suspension de la valeur d'estimation pour le reste de la période décennale (2012-2014) sans que ne soit examinée la question d'une suspension postérieure.

Au vu de ces éléments, l'AFC-GE était fondée à fixer la valeur immobilière du bien de la recourante sis à B______ à CHF 4'212'000.- pour l'ICC 2016.

6) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 juillet 2020 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 juin 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine Berthoud, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

M. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :