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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1010/2017

ATA/804/2018 du 07.08.2018 ( FORMA ) , REJETE

Recours TF déposé le 14.09.2018, rendu le 11.06.2019, REJETE, 2C_820/2018
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1010/2017-FORMA ATA/804/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 août 2018

2ème section

 

dans la cause

 

A______, enfant mineur agissant par sa mère Madame B______,
représentée par Groupe Sida Genève, soit pour lui Mme C______, mandataire

contre

OFFICE DE L'ENFANCE ET DE LA JEUNESSE – SECRÉTARIAT À LA PÉDAGOGIE SPÉCIALISÉE



EN FAIT

1) A______ (ci-après : l’enfant), né le ______ 2000, ressortissant suisse, souffre de troubles complexes et sévères des apprentissages, pour la prise en charge desquels il a bénéficié de prestations notamment en matière de logopédie. D’abord fournies dans le cadre de l’assurance-invalidité (ci-après : AI), ces prestations de logopédie ont été reprises dès le 1er janvier 2008 par le département de l’instruction publique, devenu depuis lors le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP).

Dès la rentrée scolaire 2009, l’enfant a bénéficié d’une prise en charge des coûts de l’enseignement spécialisé et du transport y relatif. Les décisions concernant ces prestations de pédagogie spécialisée mentionnaient l’obligation de renseigner le DIP sur toute modification de la situation personnelle ou économique susceptible de se répercuter sur le droit aux prestations, en particulier tout changement d’adresse.

2) Habitant avec sa mère, Madame B______, de nationalité suisse, l’enfant a été domicilié dans le canton de Genève jusqu’au 25 juillet 2015, date à laquelle sa mère s’est établie en France voisine, auprès de son conjoint français épousé le même jour. Ledit conjoint n’est pas le père de A______. Il exerce une activité lucrative à Genève. Mme B______ n’exerce pas d’activité lucrative. Le déménagement n’a pas été annoncé au DIP.

3) En été 2016, lors d’un contrôle du dossier de l’enfant, qui avait terminé sa scolarité obligatoire, le DIP a constaté le départ de celui-ci pour la France. Par deux courriers du 12 août 2016, il a invité Mme B______ à se déterminer sur deux projets de décision mettant fin au 30 juin 2015 respectivement à la prise en charge de l’écolage externe et à la prise en charge du transport lié à l’école spécialisée. Le montant de CHF 400.- correspondant à un abonnement Unireso pour la période du 24 août 2015 au 23 août 2016 devait ainsi être remboursé.

4) Le 29 août 2016, Mme B______ a répondu qu’elle pensait que l’enfant étant au bénéfice d’une rente d’invalidité et qu’il était suisse, il pourrait continuer sa scolarité en Suisse. Il n’avait plus accès au centre de formation genevois depuis la rentrée 2016. Elle avait déménagé en France car elle n’avait plus de domicile fixe depuis 2003 et que cela était difficile à gérer.

5) Par deux décisions distinctes du 21 février 2017, le DIP a mis fin respectivement à la prise en charge de l’écolage externe de l’enfant et à la prise en charge des frais de transport y relatifs à la date du 30 juin 2015.

6) Le 28 février 2017, Mme B______ est revenue s’établir à Genève, seule avec son fils.

7) Le 21 mars 2017, agissant par l’entremise d’un mandataire, Mme B______, agissant pour son fils, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les deux décisions susmentionnées, concluant à leur annulation et à ce que le DIP prenne en charge les frais de scolarité et de transport de l’enfant pour l’année scolaire 2015-2016.

Elle n’avait pas été informée que son déménagement pourrait changer quelque chose à la situation de l’enfant et mettrait en péril les mesures de réadaptation octroyées par l’AI et, par extension, sa place au sein d’un établissement de pédagogie spécialisée. La décision querellée ne tenait pas compte de l’accord entre la Suisse et l’Union européenne sur la libre circulation des personnes, lequel consacrait l’égalité de traitement entre travailleurs ressortissants des pays parties à l’accord. Le critère du domicile excluait les membres de la famille de frontaliers du bénéfice du droit à des mesures de réadaptation de l’AI et constituait une discrimination indirecte en raison de la nationalité.

Le 24 janvier 2017, l’AI avait supprimé la prise en charge des mesures médicales de réadaptation en faveur de l’enfant, à partir du 1er août 2015, dès lors qu’il avait déménagé dans un pays ne permettant plus l’adhésion facultative à l’AI et, partant, la couverture d’assurance pour des mesures de réadaptation. L’enfant avait recouru contre cette décision auprès du TAF le 23 février 2017.

8) Le 27 mars 2017, suite au retour à Genève de Mme B______ et de son fils, le DIP a rendu deux nouvelles décisions par lesquelles il reprenait en charge les coûts liés à la scolarité spécialisée de l’enfant ainsi que les frais de transport y relatifs.

9) Le 10 mai 2017, le DIP a conclu au rejet du recours.

Les prestations de pédagogie spécialisée à la charge du canton étaient octroyées aux enfants et jeunes ayant leur domicile dans le canton. Il n’y avait pas de discrimination liée à la nationalité. Quant aux mesures de réadaptation, elles ne dépendaient pas du canton mais de l’AI.

10) Le 9 juin 2017, l’enfant a répliqué, persistant dans son recours et son argumentation.

11) Le 16 juin 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la prise en charge entre le 25 juillet 2015 et le 27 février 2017 des frais d’écolage externe et de transport y relatifs de l’enfant.

3) Aux termes de l’art. 30 LIP, de la naissance à l’âge de 20 ans révolus, les enfants et les jeunes qui ont leur domicile dans le canton ont droit à des prestations de pédagogie spécialisée s’il est établi qu’ils sont entravés dans leurs possibilités de développement et de formation au point qu’ils ne pourront pas ou ne peuvent plus suivre l’enseignement régulier sans soutien spécifique, ou lorsqu’un autre besoin éducatif particulier a été constaté.

Les conditions générales de l’art. 30 LIP ont été reprises de l’art. 3 de l’ancienne loi sur l'intégration des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés du 14 novembre 2008 (aLIJBEP - C 1 12), à teneur duquel, de la naissance à l'âge de 20 ans révolus, les enfants et les jeunes qui avaient leur domicile dans le canton avaient droit à des prestations de pédagogie spécialisée dans les conditions énoncées ensuite.

Ces dispositions s’inscrivent dans le cadre de l’accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée du 25 octobre 2007 (ALCPS - C 1 08), qui prévoit que les ayants droit de telles mesures doivent habiter en Suisse.

Dans le cadre des travaux préparatoires relatifs à la nouvelle LIP entrée en vigueur le 1er janvier 2016, en particulier des discussions entre la commission de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et du sport (ci-après : la commission) et le DIP, à la remarque d’un commissaire selon laquelle l’obligation de résidence dans le canton, selon le projet d’art. 30, entraînait un risque d’inégalité de traitement, notamment vis-à-vis des familles suisses résidant en France voisine (30’000 personnes), il a été répondu que cette disposition était issue des négociations autour de la répartition des tâches ; effectivement, les enfants non domiciliés dans le canton n’avaient pas la possibilité d’accéder à ce dispositif ; toutefois, les enfants déjà intégrés dans le dispositif avaient évidemment eu la possibilité de poursuivre leur formation sous cette forme jusqu’à son issue ; en outre, des accords cantonaux réglaient les transferts lorsque les infrastructures étaient insuffisantes. En réponse à la remarque du commissaire selon laquelle cela constituait une certaine discrimination, il a été relevé que cette décision avait été prise en considération de la capacité contributive des parents et de leur domicile fiscal ; il fallait être conscient qu’une ouverture plus large risquait bien de faire exploser les budgets, et la nationalité suisse ne saurait être suffisante pour justifier une telle prise en charge (rapport du 7 juillet 2015 de la commission chargée d’étudier le projet de loi du Conseil d’État sur l’instruction publique [LIP -C  1 10], PL 11470-A, p. 99 s.).

Ainsi, de par la volonté claire du législateur genevois, l’accès à des prestations de pédagogie spécialisée est réservé aux élèves domiciliés dans le canton.

Le recourant a été domicilié en France entre le 25 juillet 2015 et le 27 février 2017. Durant cette période, il ne remplissait pas l’une des conditions nécessaire pour bénéficier des prestations de pédagogie spécialisée dans ce canton (ATA/805/2016 du 27 septembre 21016 consid. 5 ; ATA/354/2016 du 26 avril 2016 consid. 9b).

4) Le recourant se plaint d’une discrimination indirecte injustifiée fondée sur la nationalité, qui violerait l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

a. Le recourant se prévaut de l’ALCP, se plaignant d’être de manière injustifiée exclu du bénéfice du droit à des mesures de réadaptation de l’AI.

La problématique du droit à ces mesures ressortit à la seule compétence de la juridiction fédérale saisie par le recourant le 23 février 2017 d’un recours dont l’issue n’est pas connue de la chambre de céans. L’intéressé ne fournit par ailleurs pas de développement permettant de déterminer si et dans quelle mesure l’ALCP trouverait une application propre, dans son cas particulier, pour les décisions cantonales querellées, dès lors qu’il n’a pas de lien de parenté avec le mari de sa mère, lequel est un travailleur frontalier salarié au sens de l’annexe I ALCP, que sa mère n’exerçait pas activité lucrative en Suisse entre le 25 juillet 2015 et le 27 février 2017 et qu’aucune indication n’a été fournie quant à une prise en charge dans le cadre de la Sécurité sociale française. Le grief sera dès lors écarté pour autant qu’il soit recevable.

b. Selon la jurisprudence, une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF  138  V 176 consid. 8.2 p. 183 ; ATA/803/2013 du 10 décembre 2013 ; Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, 2003, p. 260 ss).

Il ressort de l’ALCPS comme de la LIP qu’en matière plus précisément de prestations de pédagogie spécialisée, ces dernières s’inscrivent dans le contexte plus large du mandat public de formation incombant aux cantons (art. 62 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Depuis la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT) du 3 octobre 2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2008 (AS 2007 5765), ces mesures qui dépendaient de l’AI et s’adressaient à des assurés, concernent des élèves ou de futurs élèves de l’enseignement obligatoire (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique - CDJP - Commentaire des dispositions de l’ALCPS p. 6).

C’est ainsi que la LIP régit l’intégration et l’instruction des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés de la naissance à l’âge de 20 ans révolus (art. 1 al. 2 LIP), et qu’une structure complète de prise en charge et de contrôle a été mise en place (art. 28 et ss LIP ; règlement sur l'intégration des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés du 21 septembre 2011 - RIJBEP - C 1 12.01).

Ce système vise les élèves de l’enseignement genevois, lequel s’adresse aux enfants habitant le canton (art. 19 du règlement de l’enseignement primaire du 7 juillet 1993, entré en vigueur le 15 juillet 1993 - REP - C 1 10.21) et 25 du règlement du cycle d'orientation du 9 juin 2010 (RCO - C 1 10.26), sous réserve d’exceptions non applicables au recourant.

Il résulte de ce qui précède que le domicile est un critère qui n’a en l’espèce aucun lien avec la nationalité. Il est pertinent au regard du système mis en place depuis la RPT, plus encore dans une logique de formation inclusive qu’il ne l’était dans une logique d’assurance sociale.

Le grief est infondé.

5) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

6) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçue (art. 87 al. 1 LPA). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 mars 2017 par A______, enfant mineur agissant par sa mère Madame B______ contre les décisions de l’office de l’enfance et de la jeunesse – secrétariat à la pédagogie spécialisée du 21 février 2017 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au Groupe Sida Genève, soit pour lui Mme C______, mandataire du recourant, ainsi qu'à l’office de l’enfance et de la jeunesse – secrétariat à la pédagogie spécialisée.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :