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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3378/2019

ATA/766/2020 du 18.08.2020 sur JTAPI/239/2020 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3378/2019-PE ATA/766/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 août 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______ B______ et Monsieur C______ B______, et leurs enfants D______ B______ et E______ F______, et leur petit-fils, G______ H______, enfant mineur
représentés par le Centre social protestant, soit pour lui Madame Sandra Lachal, juriste

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mars 2020 (JTAPI/239/2020)


EN FAIT

1) Monsieur C______ B______, né le ______ 1978, ressortissant camerounais, est entré en Suisse le 13 juin 2002. Sa demande d'asile, le recours contre le refus de celle-ci et ses demandes de reconsidération ont été rejetés. Le 29 août 2008, l'office fédéral des migrations (devenu depuis le secrétariat d'État aux migrations, ci-après : SEM) lui a délivré une autorisation de séjour, l'intéressé remplissant les conditions pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. Le 30 septembre 2014, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) l'a mis au bénéfice d'une autorisation d'établissement. Le 5 décembre 2019, M. B______ a été naturalisé suisse.

2) Le 21 janvier 2012, M. B______ a épousé, au Cameroun, Madame A______, née le ______ 1980, de nationalité camerounaise. Arrivée en Suisse le 19 décembre 2012, elle a été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour pour regroupement familial le 30 janvier 2013. Depuis le 29 septembre 2019, elle est titulaire d'une autorisation d'établissement.

3) Les époux B______ sont les parents de :

-          Monsieur E______ F______, né le ______ 1998, et de

-          Madame D______ B______, née le ______ 1999, cette dernière étant par ailleurs la mère de G______ H______, né le ______ 2014.

En outre, Mme B______ est la mère d'I______ J______, née le ______ 2002, née de père inconnu.

4) a. Au moment où Mme B______ a rejoint son époux en Suisse, celui-ci travaillait depuis 2002 pour l'hôtel K______ pour un salaire mensuel brut de CHF 3'450.-. Il vivait dans un appartement de deux pièces de 32m2 au 1______, Rue L______ à Genève. Son loyer était de CHF 485.- sans les charges.

b. Le 20 septembre 2013, M. B______ a sollicité l'octroi d'un permis C de façon anticipée. Il a souligné les difficultés de trouver un nouvel emploi et un nouvel appartement tant qu'il n'était titulaire que d'une autorisation de séjour.

En l'absence de réponse, son employeur a relancé l'OCPM le 10 juillet 2014.

L'intéressé a obtenu une réponse favorable de l'OCPM le 9 septembre 2014. Le dossier était transmis SEM.

À une date non précisée dans le dossier, située entre juillet 2016 et mai 2017, M. B______ a changé d'emploi en faveur de M______. Son salaire brut mensuel s'élève à CHF 5'530.-, treize fois l'an.

c. Mme B______ a trouvé un emploi dès le 1er mai 2014 en qualité d'aide-soignante à la Résidence N______ à O______. Son salaire mensuel brut s'élevait à CHF 5'082.- treize fois l'an. S'y ajoutaient des indemnités, de nuit et week-end principalement.

d. Les époux ont signé un bail pour un logement de « quatre pièces plus une chambrette à l'étage » au 1______, av. P______, dès le 15 mai 2015. Le loyer mensuel convenu s'élevait à CHF 1'950.- sans les charges.

e. Dans ses demandes de renouvellement d'autorisations (formulaire M), à la question de savoir si ses trois enfants allaient venir en Suisse, Mme B______ a répondu « non » le 20 décembre 2012 et le 21 octobre 2013. Elle n'a pas répondu à la question le 2 décembre 2014. Elle a répondu « oui » dès le 4 août 2015.

5) Le 6 août 2015, les trois enfants de Mme B______ et son
petit-fils G______ (ci-après : les enfants) ont déposé auprès de l'ambassade suisse à Yaoundé une demande d'autorisation de séjour pour regroupement familial.

6) Le 4 juillet 2016, l'OCPM a adressé aux époux B______ une demande de renseignements portant sur la demande de regroupement familial.

7) Par pli du 18 juillet 2016, Mme B______ a exposé qu'elle avait rendu visite à ses enfants avant les fêtes de fin d'année. Le reste du temps, elle conservait des contacts avec eux par SMS ou par téléphone. Les enfants vivaient avec leurs grands-parents depuis 2012, mais ceux-ci étaient déjà très âgés et en mauvaise santé. Son souhait était de pouvoir leur donner un cadre de vie familial et l'affection dont ils avaient été privés. Ils n'étaient jamais venus en Suisse.

8) Par lettre du 16 août 2017, l'OCPM a fait part aux époux B______ de son intention de rejeter la demande de regroupement familial sauf en tant qu'elle concernait I______.

Mme B______ avait obtenu une autorisation de séjour pour regroupement familial le 30 janvier 2013, si bien qu'elle aurait dû déposer sa requête en faveur de E______ et d'D______ au plus tard le 30 janvier 2014, puisque les précités étaient alors âgés de plus de 12 ans. Ceux-ci étant désormais majeurs, ils étaient à même de se prendre en charge. Enfin, au vu du temps qu'ils avaient passé dans leur pays d'origine, des problèmes d'intégration pourraient survenir en cas d'établissement en Suisse.

9) Dans leur détermination du 15 septembre 2017, les époux B______ ont fait valoir qu'ils avaient déposé leur demande de regroupement familial le 16 août 2015, soit seulement six mois après l'expiration du délai légal. Le but de la loi était de garantir l'intégration des enfants et l'acquisition d'une éducation et de connaissances scolaires, si bien qu'un tel retard ne contrevenait pas à cette exigence. L'application rigide de ce délai constituait du formalisme excessif. De langue maternelle française, les enfants étaient scolarisés. Le refus d'accorder le regroupement familial à ses frère et soeur imposait à I______ de choisir entre eux et ses parents. Une telle décision ne pouvait lui être imposée sans porter préjudice à son bien-être.

10) Le 26 février 2018, les époux B______ ont transmis à l'OCPM un rapport psychologique établi le 1er février 2018 par la Doctoresse Q______ de l'Hôpital général de Yaoundé concernant I______.

I______ avait perdu connaissance et avait dû être amenée aux urgences. Sa grand-mère avait indiqué qu'il s'agissait de la troisième perte de connaissance. Il ressortait de l'examen psychologique effectué que la jeune fille souffrait d'un manque de présence, d'attention et d'affection parentale. Elle commençait à en vouloir à sa grand-mère. Un suivi psychothérapeutique hebdomadaire et la reconstruction de la cellule familiale étaient préconisés.

11) Par pli du 15 octobre 2018 adressé à l'OCPM, les époux B______ ont exposé que le regroupement familial des enfants devait être autorisé pour des raisons familiales majeures : leur grand-mère résidait dorénavant à Paris et sa santé ne lui permettait plus de vivre seule ; son époux était trop âgé pour prendre soin d'elle. Les enfants vivaient avec leur grand-père, qui les avait toujours maltraités psychologiquement. Ces maltraitances ne connaissaient plus de limite depuis que son épouse ne pouvait plus les protéger.

Ils se prévalaient de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996. Instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107). Il résultait de lettres d'I______, de son frère et de sa soeur, produites, que ceux-ci étaient livrés à eux-mêmes, insultés et maltraités par leur grand-père. Le fait que ces derniers avaient atteint l'âge de la majorité ne changeait rien. Était en effet déterminant l'âge des enfants au moment du dépôt de la demande. La séparation de la fratrie contrevenait à l'intérêt supérieur des enfants et à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Demander à I______ de choisir entre ses parents et ses frère et soeur aurait les mêmes conséquences.

12) Le 5 avril 2019, M. B______ et son épouse ont invité l'OCPM à statuer sur leur demande de regroupement familial.

13) Par pli du 28 juin 2019, les précités ont relancé l'OCPM et repris les arguments exposés dans leurs précédentes écritures. Ils avaient agi selon les conseils de l'OCPM et déposé leur demande dès qu'ils réunissaient toutes les conditions légales, y compris en termes de logement. Par la suite, ils avaient fait preuve de la diligence requise tout au long de la procédure. L'argument selon lequel leur requête aurait été formée tardivement était malvenu, compte tenu de la lenteur avec laquelle l'OCPM traitait leur dossier.

Un délai de quatre ans pour statuer sur une demande de regroupement familial n'était en aucun cas raisonnable. Sans réponse de la part de l'OCPM le 31 juillet 2019, ils interjetteraient recours pour déni de justice.

14) À la demande de l'OCPM indiquant ne pas être en possession des résultats de l'analyse ADN, les époux B______ ont transmis les résultats du test, confirmant qu'I______ était la fille de Mme B______.

15) Par décision du 30 juillet 2019, l'OCPM a rejeté la demande de regroupement familial déposée en faveur de E______, d'D______, ainsi que de son fils G______, mais l'a acceptée pour I______.

Formée au-delà du 30 janvier 2014, leur requête était tardive. En revanche, la demande concernant I______, déposée un peu avant son treizième anniversaire, avait été déposée en temps utile.

La CDE ne s'appliquait qu'aux enfants âgés de moins de 18 ans. Par ailleurs, les époux B______ ne produisaient aucun document faisant état de la maltraitance subie par les enfants, ni n'établissaient que leur intérêt supérieur consisterait à vivre auprès de leurs parents en Suisse. Le rapport de la Dresse Q______ indiquait qu'I______ ne connaissait pas son père et n'avait pas revu sa mère depuis cinq ans. S'agissant de la séparation de la fratrie, le rapport signalait qu'I______ ne vivait pas avec son frère et sa soeur, mais que chaque enfant vivait avec différents membres de la famille. De plus, E______ et D______ étaient majeurs et pouvaient se prendre en charge. Enfin, les époux B______ avaient librement décidé de quitter le Cameroun pour venir s'installer en Suisse.

16) I______ est entrée en Suisse le 26 août 2019.

Elle a obtenu une autorisation de séjour pour regroupement familial le 12 septembre 2019.

17) Par acte du 13 septembre 2019, les époux B______ et les enfants ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l'encontre de la décision du 30 juillet 2019 en concluant à son annulation et à l'octroi d'une autorisation de séjour en faveur de E______, d'D______ et de son fils. Ils ont repris, en les développant, les arguments exposés dans leurs précédentes écritures.

Lorsqu'ils s'étaient rendus dans les locaux de l'OCPM pour se renseigner au sujet du regroupement familial, seules les conditions des art. 43 et 44 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr) leur avaient été communiquées. De bonne foi, ils avaient fait confiance aux informations que l'autorité leur avaient données et attendu de remplir les conditions de ces dispositions légales pour déposer leur demande. Il ne saurait ainsi leur être reproché d'avoir agi tardivement. En outre, ils avaient, à plusieurs reprises, relancé l'autorité intimée.

Il semblait incohérent que l'autorité intimée invoque la tardiveté du dépôt de la requête, alors que de son côté, elle avait mis quatre ans pour rendre sa décision. Que les intéressés aient déposé leur demande dans les délais n'aurait rien changé. Ce n'était qu'à partir du moment où ils avaient disposé des moyens financiers suffisants et avaient trouvé un logement qu'ils remplissaient les conditions pour bénéficier du regroupement familial. Des raisons familiales majeures justifiaient la venue des enfants en Suisse, car la prise en charge provisoire par leurs
grands-parents n'avait cessé de se dégrader, après le départ de leur grand-mère. D______ s'était retrouvée enceinte à l'âge de 14 ans, un soir au cours duquel elle s'était fait mettre à la porte de chez elle. Son frère avait très mal vécu le fait qu'I______ avait pu rejoindre ses parents et pas lui.

18) Dans ses observations du 18 novembre 2019, l'OCPM a proposé le rejet du recours.

19) Par jugement du 4 mars 2020, le TAPI a rejeté le recours.

Au moment du dépôt de la demande d'autorisation de séjour, E______ et D______ se trouvaient très proches de la majorité, puisqu'ils étaient âgés respectivement de 17 ans et demi et 16 ans et demi. S'il était fait droit à cette requête, les précités rencontreraient des problèmes d'intégration en Suisse, puisque, ainsi que leur mère l'avait expliqué dans sa lettre à l'OCPM du 18 juillet 2016, ils ne s'étaient jamais rendus dans ce pays. Compte tenu de leur âge, il s'avérait que ladite demande tendait, non pas à leur permettre de mener une vie familiale commune avec leurs parents, mais davantage d'accéder au marché du travail helvétique.

Dans sa lettre du 1er octobre 2018, I______ écrivait qu'elle vivait dans un environnement antipathique. Elle avait subi des injures et des humiliations de la part de son grand-père. L'année précédente, elle n'avait pas été reçue au baccalauréat, car l'absence de ses parents l'avait beaucoup affectée et rendue malade. Dans une lettre du même jour, son grand frère exposait que son grand-père le traitait de « tous les noms d'oiseaux ». Le TAPI doutait que ces circonstances à elles seules justifient un droit au regroupement familial différé.

Les époux B______ n'avaient en outre pas démontré avoir assumé la responsabilité principale de l'éducation des enfants, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles.

L'argument des intéressés selon lequel il convenait de ne pas séparer une fratrie ne pouvait, en l'espèce, être retenu, car selon le rapport rédigé le 1er février 2018 par la Dresse Q______, les enfants ne vivaient pas ensemble.

E______ et D______ étaient désormais majeurs. Ils ne prétendaient pas souffrir d'une maladie grave ni être affectés d'un quelconque handicap et rien n'indiquait qu'ils se trouveraient, d'une manière ou d'une autre, dans un rapport de dépendance particulier, tel que défini par la jurisprudence, avec leurs parents. Partant, l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ne leur était d'aucun secours. G______ n'avait pas encore atteint l'âge de la majorité. Toutefois, il ne saurait se prévaloir de cette disposition conventionnelle, puisque sa mère ne disposait pas d'un droit de séjour en Suisse.

E______ et D______ étaient tous deux âgés de plus de 18 ans. Dès lors, ils ne pouvaient invoquer à leur profit les dispositions de la CDE. G______ était actuellement âgé de 5 ans et demi. Son intérêt supérieur commandait davantage qu'il vive auprès de sa mère au Cameroun, comme tel avait toujours été le cas depuis sa naissance, plutôt qu'auprès de ses grands-parents en Suisse, qu'il n'avait jamais rencontrés.

20) Par acte du 5 mai 2020, les époux B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Ils ont conclu à son annulation ainsi qu'à celle de la décision de l'OCPM du 30 juillet 2019 et au constat que E______, D______ et G______ remplissaient les conditions pour l'octroi d'un permis de séjour au titre de regroupement familial. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé à l'autorité inférieure.

L'autorité intimée avait violé son devoir d'information. Il ressortait notamment de la doctrine que l'autorité avait le devoir d'informer d'office la personne étrangère des délais impératifs posés en vue du regroupement familial lors de la délivrance du titre de séjour ou de son enregistrement auprès de sa commune au moins lorsqu'elle se renseignait dûment. Le fait que l'information lacunaire ait été donnée de manière orale uniquement ne devait pas jouer en défaveur des recourants. Il ne devait pas leur être reproché d'avoir déposé tardivement leur demande alors même qu'ils avaient agi selon les indications des autorités.

De surcroît, la famille remplissait la condition des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI. L'arrivée d'I______ au mois d'août 2019 et son intégration en Suisse s'étaient bien déroulées. La situation avait toutefois engendré un très grand sentiment de culpabilité chez celle-ci, étant la seule des trois enfants à avoir pu rejoindre ses parents. Les membres de la famille attendaient depuis près de 7 ans de pouvoir vivre à nouveau réunis. Ils se parlaient quotidiennement et souffraient de la séparation. Il était erroné d'affirmer que la demande de regroupement familial tendait davantage à permettre aux enfants d'accéder au marché du travail que de mener une vie familiale.

Le respect de la vie familiale était garanti par l'art. 8 CEDH. C'était à tort que le TAPI avait considéré que cet article ne leur était pas applicable. La pesée des intérêts exigée par l'application de cet article n'avait pas été effectuée par le TAPI. De surcroît, une durée excessive de la procédure et un retard dans l'application des obligations positives imposées par l'art. 8 CEDH pouvaient constituer une violation de cet article, ce que la jurisprudence de la Cour européenne avait déjà relevé. En l'espèce, l'OCPM avait mis quatre ans à se déterminer sur la demande de regroupement familial et les recourants avaient dû relancer à de nombreuses reprises les autorités, et finalement les menacer de recourir pour déni de justice afin d'obtenir une décision de leur part. La lenteur de la procédure avait eu un impact direct sur l'équilibre et la santé des enfants qui se sentaient abandonnés par leurs parents.

21) L'OCPM a conclu au rejet du recours. Les arguments soulevés étant semblables à ceux présentés devant le TAPI, il persistait dans ses conclusions.

22) Une audience de comparution personnelle des parties et d'enquêtes s'est tenue le 9 juillet 2020.

a. Selon leurs parents, E______, D______ et son fils G______ vivaient chez une cousine depuis fin juin 2019. Leur grand-père maternel les avait mis à la porte suite à l'effondrement d'une partie de sa maison. Il s'agissait du seul parent encore au Cameroun apte à s'occuper de leurs enfants. La grand-mère maternelle était restée à Paris pour raisons de santé dès 2018. La dernière fois que M. B______ s'était rendu au Cameroun remontait au mois de juillet 2019. Il y était allé afin de soutenir ses enfants après ce qu'ils avaient vécu avec leur grand-père. Il les avait trouvés « dévastés », notamment E______. Après son retour du Cameroun, la famille avait reçu la décision négative de l'OCPM, sauf pour I______. Cette décision n'avait pas été comprise par les enfants, notamment par E______ qui avait dès lors refusé de parler à ses parents. Il leur reprochait d'avoir « choisi leur [meilleur] enfant ». Un SMS du 31 août 2019 attestait de cette incompréhension. Il avait fallu deux mois et demi avant qu'il ne reparle à sa mère, puis progressivement à son père. Toutes les explications avaient été vaines. E______ suivait une formation en maintenance en informatique à laquelle son père l'avait inscrit lors de son passage au Cameroun en été 2019. Elle devait s'achever avant la fin 2020. La date précise n'était pas connue à la suite des conséquences de la COVID-19. D______ devait obtenir sa licence en soins infirmiers en août 2020. Leurs deux enfants encore au pays ne concevaient leur avenir qu'en Suisse. Leurs parents avaient regardé dans quelle mesure leur formation pourrait se poursuivre à Genève. D______ pourrait entrer à la Haute école de santé et E______ poursuivre sa formation auprès de l'IFAGE ou du CEPTA. La COVID-19 les avait empêchés d'effectuer, au printemps 2020, un voyage au Cameroun avec I______ pour rendre visite à leurs enfants restés sur place.

À son arrivée en Suisse, I______ était très abattue. La période avait été difficile. Elle s'était renfermée sur elle-même. Son enseignant avait réussi à la motiver et elle avait obtenu d'excellents résultats à la fin juin 2020. Elle savait que sa venue en Suisse était liée au fait qu'elle n'avait pas encore 18 ans. Elle comprenait les termes des courriers de la procédure dont ils discutaient, mais elle n'acceptait pas la situation.

Leurs enfants avaient été utilisés comme source de revenus par les
grands-parents. L'entier des sommes que ceux-ci recevaient n'était pas utilisé pour l'entretien des jeunes. Leurs enfants n'avaient jamais osé dire à leurs parents la réalité de ce qu'ils vivaient avec leurs grands-parents. M. B______ avait pu constater lors de son voyage en été 2019 que ses enfants étaient devenus des « bombes », en grave manque de tendresse. La situation de grossesse d'D______ était issue de cette maltraitance de leurs grands-parents.

b. I______ J______ a été entendue à titre de renseignements. Elle a souvent pleuré lors de son audition. De longs silences ont précédé les réponses.

Elle était arrivée en Suisse en août 2019. Elle avait vécu avec ses grands-parents maternels jusqu'à fin 2017, début 2018. À cette date, sa grand-mère était partie, pour des raisons de santé, en France. La vie avec leur grand-père était compliquée. Il ne voulait pas que les enfants restent à la maison. Il éteignait souvent la lumière au salon lorsqu'elle travaillait, lui indiquant qu'elle ne devait pas étudier et qu'en tous les cas elle ne réussirait pas. Il éteignait souvent la lumière au salon et chassait les trois enfants, leur niant leur droit d'apprendre. La toiture de la maison était abîmée et il pleuvait dans celle-ci. Leur grand-père s'en moquait. Il insultait aussi leur grand-mère en disant qu'elle avait « rempli sa maison avec des souris », en parlant d'eux.

Elle avait gardé des contacts avec son frère et sa soeur par « WhatsApp » plusieurs fois par semaine. Elle souhaitait ardemment qu'ils la rejoignent en Suisse. Elle avait pour projet de commencer l'école supérieure de commerce en août 2020.

À la question du mandataire des parents, à laquelle elle ne s'attendait manifestement pas, de savoir ce qu'elle avait fait de son premier argent de poche, elle a indiqué, en pleurant, qu'elle avait demandé à sa mère de le transmettre à son frère et à sa soeur.

c. Copie du livret scolaire d'I______ a été versée à la procédure. Ses résultats étaient excellents, sous réserve de quelques notions en mathématiques encore en voie d'acquisition. Son attitude était respectueuse et collégiale.

d. À l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI confirmant la décision de l'autorité intimée refusant de délivrer une autorisation d'entrée et de séjour aux époux B______ au titre de regroupement familial en faveur de leurs deux enfants communs et de leur petit-fils.

3) Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, celle-ci ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3).

4) a. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), qui a alors été renommée LEI, et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées avant le 1er janvier 2019 sont régies par l'ancien droit (arrêts du Tribunal fédéral 2C_496/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4 ; 2C_841/2019 du 11 octobre 2019 consid. 3 ; 2C_737/2019 du 27 septembre 2019 consid. 4.1)

b. En l'espèce, la demande de regroupement familial a été déposée le 6 août 2015, de sorte que c'est l'ancien droit, soit celui en vigueur avant le 1er janvier 2019, qui s'applique.

5) La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants camerounais.

6) a. Les enfants étrangers célibataires de moins de 18 ans d'un ressortissant suisse ont droit à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité, à condition de vivre en ménage commun avec lui (art. 42 al. 1 LEI). Les enfants de moins de 12 ans ont droit à une autorisation d'établissement (art. 42 al. 4 LEI).

Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI et 73 al. 1 OASA).

Passé ce délai, le regroupement familial différé n'est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA).

Le moment déterminant du point de vue de l'âge comme condition du droit au regroupement familial en faveur d'un enfant (art. 42 ss LEI) est celui du dépôt de la demande (ATF 136 II 497 consid. 3.7 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_409/2018 du 23 janvier 2019 consid. 3.1). La condition est réalisée et le droit doit être reconnu si, à ce moment, l'enfant n'a pas atteint l'âge limite. Le droit au regroupement ne disparaît pas lorsque l'enfant atteint cet âge pendant la suite de la procédure, avant que l'autorisation ne lui soit octroyée (ATF 136 II 497 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_84/2010 du 1er octobre 2010 ; Directives du SEM, domaine des étrangers, 2013, état au 1er novembre 2019, n. 6.10 [ci-après : directives]).

b. En l'espèce, il n'est pas contesté que le délai de l'art. 47 al. 1 LEI était échu au moment de la demande et que la requête doit être traitée comme une demande de regroupement familial différé, autorisé uniquement en présence de raisons familiales majeures.

7) a. Les raisons familiales majeures au sens des art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA peuvent être invoquées, selon l'art. 75 OASA, lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. C'est l'intérêt de l'enfant, non les intérêts économiques (prise d'une activité lucrative en Suisse), qui prime. Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération tous les éléments pertinents du cas particulier. Il y a lieu de tenir compte du sens et des buts de l'art. 47 LEI. Il s'agit également d'éviter que des demandes de regroupement familial différé soient déposées peu avant l'âge auquel une activité lucrative peut être exercée lorsque celles-ci permettent principalement une admission au marché du travail facilitée plutôt que la formation d'une véritable communauté familiale. D'une façon générale, il ne doit être fait usage de
l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.3 et les références citées).

La reconnaissance d'un droit au regroupement familial suppose qu'un changement important de circonstances, notamment d'ordre familial, se soit produit, telle qu'une modification des possibilités de la prise en charge éducative à l'étranger (ATF 130 II 1 consid. 2 ; 124 II 361 consid. 3a). Il existe ainsi une raison familiale majeure lorsque la prise en charge nécessaire de l'enfant dans son pays d'origine n'est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s'en occupait. Lorsque le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l'étranger, il convient toutefois d'examiner s'il existe des solutions alternatives permettant à l'enfant de rester où il vit. De telles solutions correspondent en effet mieux au bien-être de l'enfant, parce qu'elles permettent d'éviter que celle-ci ou celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance. Cette exigence est d'autant plus importante pour les adolescentes et adolescents qui ont toujours vécu dans leur pays d'origine dès lors que plus une ou un enfant est âgé, plus les difficultés d'intégration qui la ou le menacent apparaissent importantes. Il ne serait toutefois pas compatible avec l'art. 8 CEDH de n'admettre le regroupement familial différé qu'en l'absence d'alternative. Simplement, une telle alternative doit être d'autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l'âge de l'enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n'est pas (encore) trop étroite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.3.2 et les références citées).

Le regroupement familial ne saurait être motivé principalement par des arguments économiques (meilleures perspectives professionnelles et sociales en Suisse, prise en charge des frères et soeurs moins âgés, conduite du ménage familial en Suisse) ou par la situation politique dans le pays d'origine (SEM, op. cit., ch. 10.6.2).

b. Le parent qui fait valoir le regroupement familial doit disposer de l'autorité parentale ou au moins du droit de garde sur l'enfant (ATF 137 I 284 consid. 2.7 ; 136 II 78 consid. 4.8 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_576/2011 du 13 mars 2012 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-4615/2012 du 9 décembre 2014).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue sous l'ancien droit, mais encore pertinente, le regroupement familial suppose que le parent établi en Suisse ait maintenu avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation et de la distance (ATF 133 II 6 consid. 3.1). On peut notamment admettre qu'il y a une relation familiale prépondérante entre les enfants et le parent vivant en Suisse lorsque celui-ci a continué d'assumer de manière effective pendant toute la période de son absence la responsabilité principale de leur éducation, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles, au point de reléguer le rôle de l'autre parent à l'arrière-plan. Pour autant, le maintien d'une telle relation ne signifie pas encore que le parent établi en Suisse puisse faire venir ses enfants à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Il faut, comme dans le cas où les deux parents vivent en Suisse depuis plusieurs années séparés de leurs enfants, réserver les situations d'abus de droit, soit notamment celles dans lesquelles la demande de regroupement vise en priorité une finalité autre que la réunion de la famille sous le même toit. Par ailleurs, indépendamment de ces situations d'abus, il convient, surtout lorsque la demande de regroupement familial intervient après de nombreuses années de séparation, de procéder à un examen d'ensemble des circonstances portant en particulier sur la situation personnelle et familiale de l'enfant et sur ses réelles possibilités et chances de s'intégrer en Suisse et d'y vivre convenablement. Pour en juger, il y a notamment lieu de tenir compte de son âge, de son niveau de formation et de ses connaissances linguistiques. Un soudain déplacement de son centre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour elle ou lui et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans le nouveau cadre de vie ; celles-ci seront d'autant plus probables et potentiellement importantes que son âge sera avancé (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1 ; ATF 129 II 11 consid. 3.3.2).

Un regroupement familial différé peut ainsi être refusé si l'un des parents et les enfants ont toujours vécu séparés de l'autre parent à l'étranger et qu'ils peuvent sans autres continuer d'y séjourner (arrêts du Tribunal fédéral 2C_325/2019 du 3 février 2020 consid. 6.2 et les références citées).

c. Le désir - pour compréhensible qu'il soit - de voir (tous) les membres de la famille réunis en Suisse, souhait qui est à la base de toute demande de regroupement familial et représente même une condition d'un tel regroupement, ne constitue pas en soi une raison familiale majeure. Lorsque la demande de regroupement familial est déposée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1025/ 2017 du 22 mai 2018 consid. 6.1 et 6.2 et la jurisprudence citée).

8) Il faut également tenir compte de l'intérêt de l'enfant à maintenir des contacts réguliers avec ses parents, ainsi que l'exige l'art. 3 § 1 CDE, étant précisé que les dispositions de la convention ne font toutefois pas de l'intérêt de l'enfant un critère exclusif, mais un élément d'appréciation dont l'autorité doit tenir compte lorsqu'il s'agit de mettre en balance les différents intérêts en présence (ATF 139 I 315 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 5.2 et 5.3 et les références citées). Lorsque l'enfant est devenu majeur au cours de la procédure de regroupement familial, la CDE ne lui est plus applicable (art. 1 CDE ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_767/2013 du 6 mars 2014 consid. 3.5). Le pouvoir d'appréciation de l'autorité est donc encore plus restreint (arrêt du Tribunal fédéral C/4615/2012 du 9 décembre 2014 consid. 4.4).

9) a. Enfin, les raisons familiales majeures pour le regroupement familial ultérieur doivent être interprétées d'une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 et 8 CEDH ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1102/2016 du 25 avril 2017 consid. 3.2).

b. Aux termes de l'art. 8 CEDH, toute personne a notamment droit au respect de sa vie privée et familiale. Cette disposition ne confère cependant pas un droit à séjourner dans un État déterminé. Le fait de refuser un droit de séjour à une personne étrangère dont la famille se trouve en Suisse peut toutefois porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par cette disposition (ATF 139 I 330 consid. 2.1 ; 135 I 143 consid. 1.3.1 ; 135 I 153 consid. 2.1). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue, en vertu de l'art. 8 CEDH, un droit d'entrée et de séjour. Ainsi, lorsqu'une personne étrangère a elle-même pris la décision de quitter sa famille pour aller vivre dans un autre État, ce dernier ne manque pas d'emblée à ses obligations de respecter la vie familiale s'il n'autorise pas la venue des proches de la personne étrangère ou qu'il la subordonne à certaines conditions (arrêt du Tribunal fédéral 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 5.3 et les références citées).

Les relations visées par l'art. 8 CEDH sont avant tout celles qui existent entre époux ainsi que les relations entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (ATF 127 II 60 consid. 1d/aa ; 120 Ib 257 consid. 1d).

c. Une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 CEDH est possible aux conditions de l'art. 8 § 2 CEDH. La question de savoir si, dans un cas d'espèce, les autorités compétentes sont tenues d'accorder une autorisation de séjour fondée sur l'art. 8 CEDH doit être résolue sur la base d'une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence. S'agissant d'un regroupement familial, il convient de tenir compte dans la pesée des intérêts notamment des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci. Il n'est en effet pas concevable que, par le biais de l'art. 8 CEDH, une personne étrangère qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (ATF 142 II 35 consid. 6.1 ; 139 I 330 consid. 2 ; 137 I 284 consid. 2.6).

d. La protection accordée par l'art. 8 CEDH suppose que la relation avec l'enfant - qui doit être étroite et effective (ATF 139 I 330 consid. 2.1) - ait préexisté (arrêts du Tribunal fédéral 2C_537/2009 du 31 mars 2010 consid. 3 ; 2C_490/2009 du 2 février 2010 consid. 3.2.3). On ne saurait accorder le regroupement familial si le regroupant et le regroupé n'ont jamais vécu ensemble, sous réserve de la situation dans laquelle le regroupant fait établir le lien de filiation ultérieurement (Eric BULU, Le regroupement familial différé, in Actualité du droit des étrangers, les relations familiales, 2016, p. 88).

En matière de regroupement familial, sous l'angle de l'art. 8 CEDH, c'est l'âge atteint au moment où le Tribunal fédéral statue qui est déterminant (ATF  129 II 11 consid. 2 ; 120 Ib 257 consid. 1f ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_606/2009 du 17 mars 2010 consid. 1).

10) En l'espèce, le recourant est arrivé à Genève en juin 2002. Il y a demandé l'asile. Sa requête fait mention de la mère de ses enfants, lesquels étaient alors âgés de quatre et cinq ans. Le 14 septembre 2002, cette dernière a accouché d'I______, de père inconnu. Elle s'est occupée des trois enfants jusqu'à ce qu'elle rejoigne le recourant en Suisse, le 19 décembre 2012, après l'avoir épousé, au Cameroun le 21 avril 2012 et que celui-ci ait obtenu, en Suisse, une autorisation de séjour pour cas de rigueur. À son départ du Cameroun, les enfants étaient respectivement âgés de quatorze, treize et dix ans. Les enfants ont été confiés aux grands-parents maternels. D______ a accouché de G______ le 27 mai 2014, dix-huit mois après le départ de sa mère, alors qu'elle venait d'avoir quinze ans.

Au moment où la recourante a rejoint son époux à Genève, celui-ci vivait dans un appartement de 32 m2. Titulaire d'un permis de séjour, le recourant a obtenu, un permis d'établissement anticipé, invoquant les difficultés d'obtenir un autre emploi et un appartement. La recourante a trouvé un emploi dès mai 2014. Le couple a trouvé un nouveau logement de « quatre pièces plus chambrette » en mai 2015. Dès cette date, la recourante a indiqué qu'elle entendait faire venir ses enfants en Suisse. La requête a été déposée à Yaoundé dans les semaines qui ont suivi. Les enfants étaient alors âgés de dix-sept, seize et douze ans.

Il n'est pas contesté par l'autorité intimée que les parents ont entretenu des relations étroites et effectives avec tous leurs enfants restés au Cameroun, I______ comprise, notamment par le biais d'échanges quasi quotidiens par « WhatsApp », documentés au dossier, ainsi que par des versements mensuels réguliers aux fins de leur entretien et ce, dès la venue en Suisse de leur mère en décembre 2012. Les parents se sont par ailleurs rendus au Cameroun.

Il n'est pas contesté non plus que les époux B______ ont déposé une demande de regroupement familial dès que chacun des parents a eu un emploi et qu'un logement de cinq pièces leur a été attribué. Les époux expliquent cette attitude par les renseignements qui leur ont été donnés par l'autorité intimée, selon lesquels avant de déposer leur requête ils devaient réunir les conditions nécessaires à l'accueil de quatre personnes, soit trois enfants et un petit-fils. L'OCPM conteste avoir fourni un tel renseignement. Si certes, les recourants ne sont pas en mesure de prouver leurs dires, les conditions de disposer d'un logement approprié et de ne pas dépendre de l'aide sociale résultent du texte de loi (art. 43 LEI) et sont dûment développées dans les directives à disposition de l'autorité administrative. La chronologie des faits confirme les allégations des recourants. Ceux-ci ont obtenu un emploi pour la mère dès le 1er mai 2014, le permis d'établissement du père le 30 septembre 2014 permettant de faciliter les démarches en vue de l'obtention, pour lui, d'un emploi mieux rémunéré et d'un appartement, et un logement apte à accueillir la famille le 15 mai 2015. La demande de regroupement familial a été déposée par les recourants le 6 août 2015, auprès de la représentation suisse au Cameroun, à l'occasion de leurs vacances.

L'argument invoqué par les recourants d'une éventuelle obligation de l'autorité intimée de renseigner des administrés lors de la délivrance d'une autorisation de séjourner, notamment des délais dans lesquels un regroupement familial peut être sollicité, souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

Dès 2015, les époux ont entrepris des démarches permanentes afin de faire venir leurs enfants en Suisse. L'administration a mis quatre ans à leur répondre, étant régulièrement relancée par les justiciables, voire menacée du dépôt d'un recours pour déni de justice. Dans ces conditions, il ne peut être reproché aux recourants de faire venir leurs enfants exclusivement aux fins de leur assurer un avenir professionnel en Suisse à la veille de leur majorité. L'entier du dossier démontre une réelle et constante volonté des parents de regrouper la famille et se retrouver réunis sous le même toit.

C'est en effet à raison que les recourants se plaignent de la lenteur de la procédure, dès lors qu'ils ont déposé leur demande en faveur de leurs enfants et de leur petit-fils depuis le Cameroun dès qu'il leur a été possible de prendre des vacances, soit en août 2015, qu'ils sont restés une année sans réponse, soit jusqu'au 4 juillet 2016, date à laquelle on leur a demandé des renseignements. Une année supplémentaire a été nécessaire à la suite de leur réponse du 18 juillet 2016, l'OCPM ne leur adressant un courrier que le 16 août 2017 afin qu'ils fassent valoir leur droit d'être entendus. Les recourants s'étant exécutés dans le mois, le 14 septembre 2017, ils ont dû mandater un avocat afin de relancer l'OCPM le 26 février 2018. Ils relevaient l'urgence de faire venir leurs enfants au plus vite, un rapport médical étant notamment joint quant à l'état d'I______, hospitalisée en urgence à la suite de crises d'angoisse, relatant l'impact négatif que l'éloignement de ses parents provoquait sur sa santé psychologique ainsi que les difficultés qui découlaient de la prise en charge par ses grands-parents. Après un délai d'attente supplémentaire d'une année, l'OCPM a sollicité, le 12 septembre 2018, qu'un test ADN soit effectué pour confirmer le lien de parenté entre Mme B______ et I______. Bien que les époux aient relaté par courrier du 15 octobre 2018 les violences dont les enfants étaient victimes de la part de leur grand-père, désormais seul à les prendre en charge et bien que le rapport ADN ait confirmé le lien de parenté et ait été dûment adressé à l'OCPM, les recourants ont dû relancer ladite autorité le 17 mai 2019. En l'absence de réponse, une nouvelle relance a été adressée le 28 juin 2019. Ce n'est que le 8 juillet 2019 que l'OCPM a réagi en demandant les résultats du test ADN pourtant déjà préalablement transmis. C'est en conséquence à bon droit que les recourants se plaignent de la lenteur du traitement de leur demande de regroupement familial, ce d'autant plus que l'attention de l'autorité avait été attirée sur l'urgence de la situation.

Il sera retenu en leur faveur que malgré ces retards, ils ont maintenu des relations familiales prépondérantes au sens de la jurisprudence en dépit de la séparation, de la distance et de la durée de la procédure. Cette lenteur a par ailleurs été un facteur d'incompréhension de la part des trois enfants restés au Cameroun, lesquels évoquent un sentiment.

De même est un facteur d'incompréhension pour les enfants le fait que seule la cadette a été autorisée à venir à Genève. Le message de E______ du 31 août 2019 est à cet égard éloquent, parlant de « l'enfant préféré ». De même, le refus de celui-ci pendant les mois qui ont suivi la décision de l'OCPM de dialoguer avec ses parents a été détaillé en audience et est crédible. I______ a vécu avec sa mère, E______ et D______ de sa naissance en septembre 2002 au départ de sa mère à fin décembre 2012. Elle a continué à vivre avec son frère E______ et sa soeur D______, et le fils de celle-ci dès le 27 mai 2014, chez leurs grands-parents jusqu'à sa venue en Suisse le 26 août 2019. Elle a donc vécu avec sa fratrie dès sa naissance et pendant dix-sept ans, son frère et sa soeur étant sa plus proche famille pendant sept ans, entre décembre 2012 et août 2019, soit notamment pendant son adolescence, années cruciales de son développement.

Il ressort certes du certificat médical du 1er février 2018 que « tous les enfants ne vivent pas ensemble et qu'ils étaient répartis chez des membres de la famille ». Ce fait ne ressort pas d'autres pièces du dossier. Même à considérer que tel ait été le cas en 2018, une telle séparation serait intervenue alors que l'état de santé de la grand-mère maternelle était fortement altéré et que les aînés avaient déjà vingt ans pour son frère et dix-neuf ans pour sa soeur et suivaient tous deux des études. Pour le surplus, le certificat médical a confirmé les autres éléments du dossier, notamment qu'I______ était prise en charge par sa grand-mère depuis qu'elle avait onze ans suite au départ de sa mère, et qu'elle n'avait jamais vécu avec son père.

La décision querellée revient en conséquence à séparer la fratrie, laquelle avait vécu l'entier de son enfance ensemble, dont sept ans (décembre 2012 à septembre 2019, sous réserve éventuelle du certificat médical du 1er février 2018 précité), en l'absence de leurs parents.

S'agissant de leur intégration en Suisse, les enfants retrouveraient leurs deux parents et leur soeur. La famille de cinq personnes serait réunie, ainsi que G______. Les enfants bénéficieraient des revenus de chacun des parents et d'un logement suffisant. Les enfants auraient des perspectives scolaires et/ou professionnelles compte tenu des études suivies au Cameroun. Enfin, ils sont de langue maternelle française.

Certes aussi, des solutions alternatives existaient. La question peut toutefois se poser si l'analyse doit s'effectuer au moment du dépôt de la demande en 2015 ou de la décision querellée en 2019. En 2015, existait comme solution alternative celle des grands-parents. Elle s'est toutefois fortement péjorée dès le départ de la grand-mère maternelle à Paris, fin 2017, début 2018, pour raisons médicales. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, notamment des lettres des enfants ainsi que de l'audition d'I______ que la situation était tendue, le grand-père paternel ne souhaitant pas la présence des enfants à son domicile. Cette solution n'était en tous les cas plus possible dès l'effondrement de la maison du grand-père en juin 2019. Une autre solution alternative a alors été mise en place, chez une cousine.

Toutefois, l'éventuelle existence de solutions alternatives doit céder le pas devant l'intérêt des enfants devenus entretemps majeurs, d'I______ toujours mineure et des parents au regroupement de la famille. L'intérêt personnel de chacun d'entre eux à pouvoir se retrouver et vivre ensemble prime l'existence de toute autre solution alternative. Cette solution repose essentiellement sur le fait que les recourants aspirent à une vie familiale effective depuis décembre 2012, et qu'ils ont attendu entre le 6 août 2015, date du dépôt de la requête, et le 30 juillet 2019, date de la décision querellée, mais aussi parce que la fratrie se trouve séparée par la décision querellée.

Au regard de l'ensemble des circonstances très particulières du présent cas, il existe des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI.

Partant, le dossier des recourants aurait dû être transmis avec un préavis favorable au SEM en vue de l'obtention d'un permis d'entrée et de séjour pour les trois personnes concernées.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. Le jugement du TAPI du
4 mars 2020, de même que la décision de l'OCPM du 30 juillet 2019 seront annulés et le dossier sera renvoyé à l'autorité cantonale pour qu'elle procède dans le sens des considérants.

11) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourants (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 mai 2020 par Madame A______ B______ et Monsieur C______ B______ et leurs enfants D______ B______ et E______ F______, et leur petit-fils, G______ H______, enfant mineur, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mars 2020 ;

 

au fond :

l'admet ;

annule le jugement précité ainsi que la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 30 juillet 2019 ;

renvoie le dossier à l'office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ B______ et Monsieur C______ B______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au Centre social protestant, soit pour lui Madame Sandra Lachal, représentant les recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

 

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

...

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

...

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l'entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l'admission provisoire,

4. l'expulsion fondée sur l'art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d'admission,

6. la prolongation d'une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d'emploi du titulaire d'une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d'asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l'objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

...

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

...

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l'objet d'aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.