Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1541/2013

ATA/694/2014 du 02.09.2014 sur JTAPI/990/2013 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1541/2013-PE ATA/694/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 septembre 2014

1ère section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Pascal Pétroz, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
17 septembre 2013 (JTAPI/990/2013)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______1965, est ressortissant du Kosovo.

2) Selon ses déclarations, M. A______ a séjourné illégalement en Suisse depuis le 20 mai 2003.

Il a, le 15 mars 2007, épousé à Genève Mme B______, ressortissante suisse, née le ______ 1944.

Il a alors été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour (permis B), puis d'une autorisation d'établissement (permis C), le 30 août 2012.

3) En date du 14 mars 2013, ses deux filles, C______ A______, née le
______ 1996, et D______ A______, née le ______ 2003, qui vivaient au Kosovo avec leurs grands-parents paternels, leur oncle et son épouse, ont toutes deux déposé auprès de l'Ambassade de Suisse à Pristina (Kosovo) une demande d'entrée et de séjour pour venir vivre avec leur père à Genève.

4) a. Selon un rapport de l'Ambassade de Suisse à Pristina établi le même jour à l'attention de l’office fédéral des migrations (ci-après : l’ODM), lors du dépôt de la demande, D______ a déclaré ce qui suit : elle voyait son père en été et en hiver, lors de ses séjours au Kosovo ; elle se réjouissait lorsque son père venait en vacances, mais sa mère n’était pas présente parce qu’elle vivait avec son propre père ; D______ voyait sa mère chaque fin de semaine, car elle vivait loin, allait chez elle en taxi avec sa sœur mais n'y restait que cinq minutes ; elle vivait avec sa grand-mère et la femme de son oncle qui faisait la cuisine ; son père n'était pas marié, il vivait seul en Suisse ; D______ souhaitait que sa mère vienne aussi en Suisse, mais elle ne savait pas pourquoi elle ne pourrait pas le faire ; elle n’avait jamais vu ses parents ensemble.

b. D’après le même rapport, C______ a quant à elle déclaré ce qui suit : son père venait au Kosovo deux à trois fois par année ; il était venu plus souvent dernièrement à cause des documents. C______, accompagnée de sa sœur, voyait sa mère toutes les deux fins de semaine ; elle se rendait chez elle en taxi et y restait toute la journée ; son père vivait en Suisse avec une femme qui n'était jamais venue au Kosovo, elle l'avait vue une fois au moyen d'internet ; sa mère ne viendrait pas avec elles en Suisse parce qu’elle ne vivait pas avec son père, avec lequel elle n’avait aucun contact.

c. Le 14 mars 2013 également, Mme E______, née le______ 1969 et mère des deux filles, a signé une déclaration pré-imprimée par l’ambassade à teneur de laquelle elle donnait son accord pour que ses filles aillent vivre en Suisse auprès de leur père et était consciente qu’il était possible qu’elle ne les verrait plus.

Mme E______ a par ailleurs déclaré à l’ambassadeur qu’elle n’avait plus jamais parlé avec M. A______ depuis leur séparation il y avait six ans ; ils avaient été mariés traditionnellement, avec une célébration, mais son mari s’était tout de suite remarié ; elle voyait ses filles tous les six mois, son beau-frère - le frère de M. A______ - les amenait chez elle ; ses filles, qui vivaient dans un village éloigné de trente minutes du sien, restaient auprès d’elle une ou deux heures ; elle n'aimerait pas les voir plus qu'une fois tous les six mois car cela la rendrait triste ; ses filles auraient dit à l’ambassadeur qu’elles la verraient plus souvent « juste comme ça » ; « le père ne lui donnerait pas les filles pour les laisser vivre avec elle » ; Mme E______ était d'accord que ses filles aillent vivre en Suisse mais « seulement pour elles, pour qu'elles aient un futur meilleur qu'au Kosovo ».

Selon l'ambassadeur, pendant toute l'entrevue, Mme E______ avait paru extrêmement triste, et il avait dû lui demander plusieurs fois si elle allait bien « car elle avait l’air de ne pas aller bien du tout, elle avait l’air d’être brisée » ; au moment de la signature du document autorisant ses filles à aller vivre en Suisse, Mme E______ avait eu beaucoup d'hésitation mais sa fille aînée avait insisté pour qu'elle le signe « car elle [voulait] se rendre en Suisse ». Pour l’ambassadeur, le mariage de M. A______ en Suisse, avec une femme beaucoup plus âgée que lui, ne lui avait servi qu'à obtenir un permis de séjour. Sa nouvelle épouse ne s'était jamais rendue au Kosovo. Après s’être marié traditionnellement, les parents des filles avaient divorcé aussi traditionnellement, selon C______ qui avait répondu à la place de sa mère. L’ambassadeur avait eu l’impression que C______ était bien entraînée sur la manière de « gérer » sa mère lors du dépôt du dossier. Il était difficile de savoir si cette dernière avait toujours une relation avec M. A______.

d. Étaient en outre jointes à la demande de regroupement familial deux déclarations de ménage commun du 23 janvier 2013 à teneur desquelles C______ et D______ vivaient à Drobesh avec M. F______ A______ (né le ______1937), Mme G______ A______ (née le ______1938), M. H______ A______ (né le
______1958) et Mme I______ A______ (née le ______1962), à savoir leurs grand-père, grand-mère, oncle et l’épouse de ce dernier.

5) Par décision du 12 avril 2013, l'office cantonal de la population, devenu l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l’OCPM) a refusé la demande de regroupement familial présentée en faveur de C______ et D______.

Cette demande, déposée six ans après l'obtention par M. A______ de son autorisation de séjour et cinq ans et deux mois après l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20), était tardive.

En outre, ses filles avaient vécu toute leur enfance et le début de leur adolescence au Kosovo. Depuis le départ de leur père pour la Suisse, elles n'avaient pas vécu avec lui. Le centre de leurs intérêts avait donc toujours été basé au Kosovo et leur degré d'intégration y était total. Aucun changement notoire en ce qui concernait le lieu de vie et l'organisation de l'éducation des deux enfants n'était intervenu dernièrement.

Le fait que M. A______ ait attendu plusieurs années avant de demander le regroupement familial amenait l'OCPM à s'interroger sur les véritables motifs de sa demande et à douter qu'elle ne soit motivée que par la constitution d'une communauté familiale.

La mère des enfants avait d'ailleurs déclaré à la représentation diplomatique suisse qu'elle acceptait leur départ du pays pour leur offrir « un futur meilleur ». Or, le regroupement familial ne pouvait être motivé principalement par des arguments économiques ou par la situation politique dans le pays d'origine. Le requérant pouvait tout à fait assurer un soutien financier à ses enfants depuis la Suisse.

Enfin, M. A______ n'avait pas été en mesure d'avancer des raisons familiales majeures au sens de la loi. Sa fille aînée était proche de la majorité et les membres de la famille de ses filles vivant au Kosovo (leur mère, leur grand-mère, leur oncle et son épouse) n'étaient pas décédés ou ne souffraient pas d'une maladie les empêchant de s'occuper d'elles, comme ils l'avaient fait jusqu'à présent.

6) Par acte du 14 mai 2013, M. A______, par l'intermédiaire de son conseil, a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à l'octroi d'une autorisation de séjour au titre du regroupement familial en faveur de ses deux filles.

Lors de son départ pour la Suisse, il avait confié celles-ci à ses parents, leur mère ayant refusé de s'occuper d'elles. Aujourd'hui, l'état de santé et l'âge des grands-parents les empêchaient de s'occuper de ses filles. Leur oncle, qui vivait également avec les grands-parents, souffrait de la maladie de Parkinson à un stade avancé, de sorte qu'il était incapable de s'occuper de ses nièces.

Les autres membres de la famille au Kosovo devaient entretenir leurs propres familles et n'avaient pas les moyens d'accueillir C______ et D______. De plus, ils n'avaient pas de liens affectifs avec elles.

En l'état, C______ (âgée de ______) et D______ (âgée de ______) étaient livrées à elles-mêmes, leur entretien ne pouvant être assuré au Kosovo. En outre, on ne pouvait attendre de l'aînée qu'elle s'occupe de sa sœur cadette.

Le recourant et son épouse possédaient, à Genève, un appartement de quatre pièces suffisamment grand pour les accueillir. Son épouse s'était déclarée prête à recevoir ses filles et à s'en occuper comme de ses enfants. Le jeune âge de ses filles leur permettrait de s'intégrer pleinement en Suisse.

Par ailleurs, M. A______ travaillait pour un restaurant dans le canton de Genève et réalisait un revenu mensuel net de CHF 3'870.-. Son épouse percevait des prestations de l'AVS à hauteur de CHF 1'500.- par mois. Leurs revenus respectifs leur permettraient de subvenir aux besoins de C______ et de D______.

Étaient joints au recours un écrit du 7 mai 2013 de l’épouse du recourant se déclarant prête à recevoir les deux filles et à s’en occuper comme de ses propres enfants, de même que des certificats du Docteur J______, spécialiste en médecine familiale, et leurs traductions certifiées conformes, attestant qu'H______ A______ souffrait de Parkinson « d'une invalidité haute », que G______ A______ était âgée et souffrait de bronchite et de polyarthrite, et que F______ A______ souffrait d’hypertension artérielle et de problèmes cardiaques et gastriques, qui les empêchaient de prendre soin des enfants de leur frère, respectivement de leur fils.

7) L'OCPM a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision, les arguments invoqués par le recourant n'étant pas de nature à modifier sa position.

En particulier, les arguments de M. A______ relatifs à la dégradation de l'état de santé de ses parents ne suffisaient pas pour justifier un regroupement familial différé. En effet, il n'était pas contesté que ceux-ci soient vieillissants, mais ses filles grandissaient et tendaient à être de plus en plus indépendantes, nécessitant moins d'attention que si elles étaient en bas âge. C______ était d'ailleurs proche de la majorité. Enfin, les problèmes de santé des parents du recourant ne sauraient être considérés comme graves et impliquant un changement important des circonstances.

8) Par jugement du 17 septembre 2013, notifié le 18 septembre à
M. A______, le TAPI a rejeté le recours.

Dans la mesure où C______ était âgée de plus de douze ans en date du
1er janvier 2008, la demande de regroupement familial aurait dû intervenir dans les douze mois suivant l'entrée en vigueur de la LEtr, soit jusqu'au 31 décembre 2008 inclus. S'agissant de la demande de regroupement familial en faveur de D______, âgée de moins de douze ans, elle aurait dû être déposée au plus tard le
31 décembre 2012. Déposées le 14 mars 2013, auprès de l'Ambassade de Suisse à Pristina, les demandes de regroupement familial l'avaient été en dehors du délai légal, ce que le recourant ne contestait d'ailleurs pas.

L'OCPM n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que les raisons alléguées par le recourant à l'appui de sa demande de regroupement familial ne constituaient pas des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47
al. 4 LEtr.

M. A______ résidait en effet en Suisse depuis le mois de mai 2003, soit avant la naissance de sa deuxième fille avec laquelle il n'avait jamais vécu, et vivait séparé de sa fille aînée depuis plus de dix ans. Lors de son départ pour la Suisse, ses filles avaient été confiées à leurs grands-parents paternels, conformément au droit coutumier du Kosovo, lequel considérait que les enfants font partie de la famille du père et qu'ils restent au sein de cette dernière lorsque la mère quitte le foyer familial, pour quelque motif que ce soit.

S'il ressortait effectivement des rapports médicaux produits que les grands-parents étaient âgés et qu'ils souffraient de divers maux, et que l'oncle était atteint de la maladie de Parkinson, cette situation ne constituait pas une raison personnelle majeure. Il apparaissait que l'épouse de l'oncle, qui partageait le même foyer que les enfants et qui, selon les déclarations de la fille cadette, « cuisinait pour la famille », n'avait pas de problèmes de santé et qu'elle pouvait donc continuer à s'occuper des filles du recourant comme elle l'avait fait jusqu'à présent. En outre, ses filles avaient toujours des contacts avec leur mère, qu'elles voyaient, selon leurs déclarations, régulièrement et qui vivait dans un village situé à trente minutes en voiture. Enfin, il ne ressortait pas expressément du dossier que leur mère refuserait de les accueillir chez elle.

En définitive, la situation des filles du recourant n'avait pas changé de façon déterminante. Actuellement comme par le passé, elles pouvaient continuer à vivre auprès de leur famille au Kosovo, le recourant étant en mesure d'assumer leur entretien économique depuis la Suisse.

Étant nées et ayant toujours vécu au Kosovo, pays dans lequel elles avaient toute leur famille, à l'exception du recourant, C______ et D______ ne connaissaient pas la Suisse et ne parlaient pas le français, de sorte que leur venue en Suisse constituerait un véritable déracinement.

Enfin, la demande de regroupement familial différé paraissait davantage motivée par des raisons économiques, le recourant souhaitant que ses filles puissent bénéficier d'un meilleur avenir en Suisse, que par un réel désir de constituer une communauté familiale. Cet élément était corroboré par les déclarations faites par la mère des filles à la représentation diplomatique suisse de Pristina.

9) Par acte déposé le 11 octobre 2013 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre ce jugement, concluant, « avec suite de frais et dépens », à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial à C______ et D______.

Les déclarations de l’ambassadeur relativement à l’attitude de la mère lorsqu’il l’avait rencontrée pour la signature de la déclaration écrite étaient, en plus de n’être pas pertinentes, « totalement subjectives » et n’engageaient que lui-même, de sorte que l’on ne pouvait pas se fonder sur elles pour apprécier le bien-fondé de la demande de regroupement familial.

Les contacts de C______ et D______ avec leur mère étaient occasionnels et superficiels. Celle-ci n’avait à aucun moment avancé être prête à accueillir ses filles chez elle - on ignorait tout de son logement et de ses moyens économiques -, mais déclaré souhaiter qu’elles puissent vivre en Suisse avec leur père. Elle avait du reste, au moment du départ du recourant, refusé de s’occuper de leurs filles, négligeant ainsi de manière crasse ses devoirs.

Les principaux liens des enfants au Kosovo, soit leurs grands-parents paternels, leur oncle et l’épouse de ce dernier, étaient, vu leur âge avancé et leur état de santé pitoyable, incapables de s’en occuper, la situation s’étant fortement détériorée ces dernières années, leur causant des difficultés qu’ils n’étaient plus aptes à supporter. L’épouse de l’oncle ne pouvait pas, en plus de s’occuper de son mari atteint à un stade avancé de la maladie de Parkinson ainsi que de ses beaux-parents eux-aussi dans un état péjoré, encore assumer un entretien convenable des deux filles. Le seul fait qu’elle cuisinait ne démontrait à cet égard en rien qu’elle avait du temps à les consacrer.

C______ et D______ étaient livrées à elles-mêmes. La première fréquentait le lycée au Kosovo, la seconde l’école obligatoire ; elles recevaient donc l’éducation nécessaire à leur épanouissement professionnel futur.

En outre, M. A______ et son épouse étaient parfaitement disposés à accueillir chez eux les deux filles, qui partageraient l’une des deux chambres de l’appartement. Son épouse avait elle-même eu trois enfants, désormais majeurs et indépendants, et avait donc l’expérience nécessaire pour s’occuper de C______ et D______, et elle avait déjà sollicité à une reprise un visa de visite pour l’aînée afin qu’elle séjourne en Suisse du 1er juillet au 31 août 2011.

Enfin, le recourant, souhaitant renforcer avec ses deux filles la relation qu’il entretenait jusqu’à présent avec elles, se prévalait du respect de la vie familiale et privée garanti par les art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

10) Le 15 octobre 2013, le TAPI a transmis son dossier à la chambre de céans et renoncé à formuler des observations.

11) Dans sa réponse du 14 novembre 2013, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Il n’y avait pas lieu d’écarter les déclarations de l’ambassadeur, qui relativisaient fortement les allégations du recourant selon lesquelles ses filles étaient restées auprès de ses parents parce que leur mère refusait de s’occuper d’elles.

Il n’avait pas été prouvé à satisfaction de droit que celle-ci n’était pas en mesure d’assumer la garde des enfants, ni qu’il n’existait aucune autre alternative de garde que leur venue en Suisse chez leur père.

12) Dans sa réplique du 20 décembre 2013, le recourant a maintenu sa position et ses arguments.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Il n’est pas contesté par le recourant que le délai prévu par l’art. 47 al. 1 à 3 LEtr pour demander le regroupement familial a été dépassé.

3) a. Conformément à l’art. 47 al. 4 LEtr, passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures ; si nécessaire, les enfants de plus de 14 ans sont entendus.

b. Les raisons familiales majeures au sens de cette disposition peuvent être invoquées, selon l'art. 75 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse.

C'est notamment le cas lorsque des enfants se trouveraient livrés à eux-mêmes dans leur pays d'origine (par ex. décès ou maladie de la personne qui en a la charge ; ATF 126 II 329 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_897/2013 du 16 avril 2014 consid. 2.2).

Le parent qui demande une autorisation de séjour pour son enfant au titre du regroupement familial partiel doit disposer (seul) de l'autorité parentale (ou au moins du droit de garde). En cas d'autorité parentale conjointe, il doit obtenir l'accord exprès de l'autre parent auprès duquel l'enfant vit à l'étranger (ATF 136 II 177 consid. 3.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2011 du 28 juillet 2011 consid. 4). Le risque est en effet que le parent résidant en Suisse utilise les dispositions de la LEtr en matière de regroupement familial pour faire venir un enfant auprès de lui, alors qu'il n'a pas l'autorité parentale sur celui-ci ou, en cas d'autorité parentale conjointe, lorsque la venue en Suisse de l'enfant revient de facto à priver l'autre parent de toute possibilité de contact avec lui. Or, le regroupement familial doit être réalisé en conformité avec les règles du droit civil régissant les rapports entre parents et enfants, et il appartient aux autorités compétentes en matière de droit des étrangers de s'en assurer (ATF 136 II 78 consid. 4.8). En d'autres termes, le parent qui considère qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de venir le rejoindre en Suisse doit, sous réserve de cas exceptionnels, être en droit de vivre avec son enfant selon les règles du droit civil (arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2011 précité consid. 4 ; ATF 125 II 585 consid. 2a).

C'est en outre l'intérêt de l'enfant qui prime (Message concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3549), et non les intérêts économiques (prise d'une activité lucrative en Suisse). Il ne sera fait usage de l'art. 47 al. 4 LEtr qu'avec retenue (arrêts du Tribunal fédéral 2C_897/2013 précité consid. 2.2 ; 2C_1198/2012 du 26 mars 2013 consid. 4.2). Le regroupement familial partiel suppose de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'exige l'art. 3
§ 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant conclue le 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2013 du 17 avril 2014 consid. 3.1).

Enfin, les raisons familiales majeures pour le regroupement familial ultérieur doivent être interprétées d'une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et 8 CEDH ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2013 précité consid. 3.1).

c. Le nouveau droit ne permet plus de justifier l'application des conditions restrictives posées par la jurisprudence en application de l’art. 17 al. 2 de l’ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (aLSEE) - qui exigeait que l’enfant vive auprès de « [ses] parents » - en cas de regroupement familial partiel si celui-ci est demandé dans les délais de l'art. 47 al. 1 LEtr. En revanche, ces conditions peuvent jouer un rôle en relation avec les « raisons familiales majeures » au sens de l'art. 47 al. 4 LEtr, laissant ainsi subsister, dans ce cas, les principes développés sous l'ancien droit (ATF 136 II 78 consid. 4.7).

d. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue sous l’ancien droit mais encore pertinente, la reconnaissance d'un droit au regroupement familial suppose que le parent établi en Suisse ait maintenu avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation et de la distance ou qu'un changement important des circonstances, notamment d'ordre familial, se soit produit, rendant nécessaire la venue des enfants en Suisse, comme par exemple une modification des possibilités de leur prise en charge éducative à l'étranger (ATF 133 II 6 consid. 3.1 ; 129 II 11 consid. 3.1.3 ; 129 II 249 consid. 2.1).

On peut notamment admettre qu'il y a une relation familiale prépondérante entre les enfants et le parent vivant en Suisse lorsque celui-ci a continué d'assumer de manière effective pendant toute la période de son absence la responsabilité principale de leur éducation, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles, au point de reléguer le rôle de l'autre parent à l'arrière-plan. Pour autant, le maintien d'une telle relation ne signifie pas encore que le parent établi en Suisse puisse faire venir ses enfants à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Il faut, comme dans le cas où les deux parents vivent en Suisse depuis plusieurs années séparés de leurs enfants, réserver les situations d'abus de droit, soit notamment celles dans lesquelles la demande de regroupement vise en priorité une finalité autre que la réunion de la famille sous le même toit. Par ailleurs, indépendamment de ces situations d'abus, il convient, surtout lorsque la demande de regroupement familial intervient après de nombreuses années de séparation, de procéder à un examen d'ensemble des circonstances portant en particulier sur la situation personnelle et familiale de l'enfant et sur ses réelles possibilités et chances de s'intégrer en Suisse et d'y vivre convenablement. Pour en juger, il y a notamment lieu de tenir compte de son âge, de son niveau de formation et de ses connaissances linguistiques. Un soudain déplacement de son centre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans le nouveau cadre de vie ; celles-ci seront d'autant plus probables et potentiellement importantes que son âge sera avancé (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1 ; ATF 129 II 11 consid. 3.3.2).

Lorsque le regroupement familial en Suisse est demandé en raison de la survenance d'un changement important des circonstances, par exemple une nouvelle donne familiale, les adaptations nécessaires devraient en principe, dans la mesure du possible, être d'abord réglées par les voies du droit civil. Toutefois, il faut réserver certains cas, notamment ceux où les nouvelles relations familiales sont clairement redéfinies - par exemple lors du décès du parent titulaire du droit de garde ou lors d'un changement marquant des besoins d'entretien - et ceux où l'intensité de la relation est transférée sur l'autre parent. Le cas échéant, il y a lieu d'examiner s'il existe dans le pays d'origine des alternatives, en matière de prise en charge de l'enfant, qui correspondent mieux à ses besoins spécifiques et à ses possibilités. L'opportunité d'un tel examen concerne particulièrement les enfants proches ou entrés dans l'adolescence qui ont toujours vécu dans leur pays d'origine, et pour lesquels une émigration vers la Suisse pourrait, comme on l'a vu, être ressentie comme un déracinement difficile à surmonter et devrait donc, autant que possible, être évitée. Toutefois, la jurisprudence rendue à propos des art. 17 al. 2 aLSEE et 8 CEDH ne doit pas conduire à n'accepter le regroupement familial que dans les cas où aucune alternative ne s'offre pour la prise en charge de l'enfant dans son pays d'origine. Simplement, une telle alternative doit être d'autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l'âge de l'enfant est avancé, que son intégration s'annonce difficile au vu de la situation et que la relation nouée jusqu'ici avec le parent établi en Suisse n'apparaît pas particulièrement étroite (ATF 133 II 6 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_897/2013 précité consid. 2.2). En d’autres termes, d'une manière générale, plus le jeune a vécu longtemps à l'étranger et se trouve à un âge proche de la majorité, plus les motifs propres à justifier le déplacement de son centre de vie doivent apparaître sérieux et solidement étayés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2013 précité consid. 3.1).

4) En l’espèce, le recourant n’allègue pas avoir gardé une relation familiale prépondérante avec C______ et D______, mais il apparaît que leurs grands-parents, leur oncle et l’épouse de ce dernier s’en sont toujours occupé, depuis le départ du recourant pour la Suisse, soit depuis plus de dix ans. Celui-ci les voit lorsqu’il revient au Kosovo, durant ses vacances.

À l’appui du changement important de circonstances qu’il invoque, le recourant fait valoir l’âge et les problèmes de santé de ses parents, ainsi que la maladie de Parkinson invalidante de son frère. Il ne ressort toutefois pas du dossier que ses parents ne pourraient, même dans une mesure limitée, s’occuper de ses filles, étant relevé qu’elles sont de plus en plus autonomes et ne nécessitent plus les soins dévolus de manière continue à de jeunes enfants, et que l’aînée est proche d’accéder à la majorité. En outre, rien ne permet de retenir que la belle-sœur du recourant ne pourrait plus préparer des repas et soutenir par ses autres tâches le ménage commun dans lequel vit cette famille élargie. Les allégations du recourant selon lesquelles ses filles seraient désormais livrées à elles-mêmes ne reposent sur aucun élément de fait un tant soit peu probant. Celles-ci n’ont du reste pas évoqué une telle situation lors de leur audition par l’ambassadeur, et selon les allégations mêmes du recourant, elles suivent une scolarité satisfaisante, apte à leur procurer un avenir professionnel. C’est dès lors à juste titre que le TAPI n’a pas admis un changement important de circonstances.

Par surabondance, on ne peut exclure que le départ de C______ et D______ pour la Suisse aurait pour conséquence de supprimer ou réduire les relations qu’elles ont actuellement avec leur mère, que ce soit à raison d’une fois par semaine, toutes les deux semaines ou tous les six mois. Cette préoccupation de la chambre de céans est corroborée par les constatations de l’ambassadeur relatives à l’attitude triste de celle-ci lors de la signature de sa déclaration écrite, dont rien, au vu de leur clarté, ne permet de douter de leur objectivité. Certes, le consentement de la mère à ce que ses filles aillent vivre auprès de leur père en Suisse paraît valable. Il semble néanmoins avoir été motivé bien plus par le souhait qu’elles aient un meilleur avenir dans ce pays que par la conviction de la nécessité qu’elles forment une communauté familiale avec leur père et l’épouse de ce dernier.

C’est sans le moindre début de preuve ou indice que le recourant prétend que la mère de ses filles aurait avec elles des contacts superficiels et, au surplus, qu’elle aurait refusé de s’en occuper lorsqu’il était parti pour la Suisse. Celle-ci a au contraire déclaré à l’ambassadeur que le recourant refuserait de laisser vivre leurs filles avec elle. Il est à cet égard rappelé qu’en droit coutumier du Kosovo, les enfants sont considérés comme faisant partie de la famille du père et restent au sein de cette dernière lorsque la mère quitte le foyer familial, pour quelque motif que ce soit ; depuis des décennies, selon la loi, l'homme comme la femme peuvent obtenir le droit de garde pour leurs enfants après un divorce ou une séparation ; cette loi n'est toutefois pas conforme à la tradition qui veut que les enfants restent dans le foyer du père et que la femme retourne dans sa famille d'origine ; les tribunaux ne soutiennent généralement pas le souhait de la mère de garder ses enfants, mais favorisent la solution traditionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_555/2012 du 19 novembre 2012 consid. 3.1).

Enfin, comme relevé par le TAPI, C______ et D______ ont toujours vécu au Kosovo, pays dans lequel elles ont toute leur famille, à l'exception du recourant. Elles ne connaissent pas la Suisse et ne parlent pas le français, de sorte que, compte tenu notamment de leur âge, leur venue en Suisse constituerait un déracinement. Il n’est en outre nullement démontré qu’elle serait conforme au bien de ces enfants, ni du reste que C______ et D______ seraient à ce point proches de leur père au plan affectif que le désir qu’elles auraient de vivre avec lui primerait sur leur souhait - en soi légitime, mais insuffisant - de bénéficier d’un meilleur avenir en Suisse.

5) Au vu de ce qui précède, la condition des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47 al. 4 LEtr n’est pas remplie, de sorte que le regroupement familial sollicité ne peut pas être admis, ce qui, au regard des principes et des circonstances énoncés plus haut, est conforme aux art. 13 Cst. et 8 CEDH.

Le recours doit en conséquence être rejeté.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 octobre 2013 par M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 septembre 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de M. A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Pétroz, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à l'office fédéral des migrations.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.