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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1878/2005

ATA/67/2006 du 07.02.2006 ( TPE ) , REJETE

Parties : WEILL Pierre, WEILL Dominique et Pierre / DPT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, POLLA Jean-Marie
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1878/2005-TPE ATA/67/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 février 2006

dans la cause

 

Madame Dominique et Monsieur Pierre WEILL
représentés par Me Corinne Nerfin, avocate

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

et

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

et

Monsieur Jean-Marie POLLA

représenté par Me Alain Maunoir, avocat



1. Madame Dominique et Monsieur Pierre Weill (ci-après : les époux Weill ou les recourants) sont copropriétaires, pour moitié chacun, de la parcelle n° 475, feuille 29 du cadastre de la commune de Jussy, d’une surface de 3200 m2 sur laquelle sont construits une villa, un garage, un couvert en bois et une piscine, à l’adresse 60, route de Lullier.

2. Monsieur Jean-Marie Polla (ci-après : M. Polla ou l’intimé) ainsi que Madame Joséphine Pellet et Messieurs Pierre et Guillaume Pellet sont propriétaires de la parcelle n° 290, feuille 41, du cadastre de la commune de Jussy. Cette parcelle, située en 4ème zone villageoise protégée, est contiguë à la parcelle des époux Weill. Elle est bordée sur sa limite ouest et nord par la route de Lullier qui relie le hameau du même nom au village de Jussy, en formant d’abord un large virage à droite puis un virage à angle droit à gauche. Au sud de ladite parcelle se trouve le chemin de Buffard qui débouche sur la partie basse de la route de Lullier.

3. Le 3 septembre 2003, M. Polla a saisi le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement - devenu depuis le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI ou le département) - d’une demande définitive en autorisation de construire (DD 98’731-32) visant à édifier sur sa parcelle deux immeubles d’habitation villageoise comprenant 14 logements au total, avec 29 places de parc dont 25 en sous-sol.

4. Le projet initial a été remanié plusieurs fois au cours de l’instruction de la requête. Finalement, l’architecte de M. Polla a prévu l’entrée du parking au nord de la parcelle sur la route de Lullier, à quelques mètres du virage à droite formé par celle-ci, à côté de l’accès à la propriété des époux Weill.

5. Ce projet a fait l’objet des préavis suivants :

a. En date du 16 mars 2004, l’office des transports et de la circulation (ci-après : OTC) a délivré un préavis favorable, sans aucune motivation.

b. Le 16 mars 2004 également, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS) a demandé un complément. Se référant au préavis de l’OTC susmentionné, elle a en outre indiqué ne pas s’opposer à l’entrée du parking au nord de la parcelle tout en l’estimant dangereuse, au vu de la géométrie de la route.

c. Le 22 mars 2004, la commune de Jussy a émis un préavis favorable en émettant une remarque sur les ouvertures des bâtiments qui ne correspondaient pas à l’esprit du bâti existant dans le village.

d. Le 4 mai 2004, la CMNS a émis un préavis favorable car le projet déposé répondait aux demandes qu’elle avait formulées.

6. En date du 10 juin 2004, divers habitants du village, dont les recourants, ont adressé un courrier au département en faisant part de la dangerosité de la sortie du garage souterrain au nord de la parcelle en plein virage. Ils ont proposé d’aménager la sortie du garage à l’ouest de la parcelle.

7. L’ensemble des services consultés ayant préavisé favorablement le projet, l’autorisation de construire requise a été délivrée le 9 novembre 2004 et publiée dans la Feuille d’avis officielle du 14 novembre 2004.

8. Les époux Weill ont interjeté recours auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) contre ladite autorisation.

Cette dernière allait à l’encontre du principe d’une édification en limite de propriété consacré par la jurisprudence du Tribunal administratif (ATA/519/1998 du 1er septembre 1998 ; ATA W. du 21 novembre 1990), afin de respecter l’architecture du village. En effet, la construction de deux groupes de bâtiments au milieu de la parcelle était en contradiction flagrante avec ce principe.

Le département avait violé l’article 14 alinéa 1 lettre a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), dès lors que le projet impliquait une vue plongeante sur leur piscine, leur jardin et leur terrasse, engendrant pour eux des inconvénients graves.

Les impératifs de sécurité commandaient de ne pas autoriser la sortie du parking au nord de la parcelle, au milieu d’un virage, la visibilité étant masquée par un arbre.

9. Par décision du 29 avril 2005, la commission a rejeté le recours. Les conditions de sécurité relatives à l’emplacement de la sortie du parking avaient été examinées et approuvées par l’OTC et, par conséquent, le département n’avait pas violé la loi en délivrant l’autorisation. Par ailleurs, le fait d’invoquer le non-respect de ces conditions relevait de l’action publique (sic) proscrite par la loi. De plus, le département avait examiné le projet de manière conforme à la procédure instituée par l’article 106 LCI, en récoltant les préavis nécessaires, de sorte qu’il n’avait pas excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation. En conséquence, le projet respectait les conditions légales et n’était pas de nature à causer des inconvénients graves aux époux Weill.

10. Par acte déposé au greffe le 1er juin 2005, les époux Weill ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif, étant précisé qu’ils l’avaient reçue le 6 mai 2005. Ils ont conclu, préalablement, à ce qu’un transport sur place soit ordonné et principalement, à l’annulation de la décision attaquée, puis au renvoi du dossier au département pour qu’il étudie un nouvel emplacement de la sortie du garage souterrain.

La sortie du garage souterrain au nord telle que prévue par l’autorisation de construire représentait un danger et une gêne durables pour la circulation et violait ainsi l’article 14 LCI. Dès lors, les recourants exigeaient que l’autorisation de construire soit modifiée concernant la sortie du garage, afin que cette dernière soit prévue à un autre endroit ne présentant pas de danger.

11. Les époux Weill ne remettaient plus en cause la construction des bâtiments eux-mêmes, ni celle du parking. Leurs griefs portaient exclusivement sur l’emplacement de la rampe d’accès au parking souterrain. L’intimé a sollicité le retrait de l’effet suspensif, en date du 10 juin 2005.

12. Invité à se déterminer sur cette requête, le département s’en est rapporté à la justice le 14 juin 2005.

13. Le 20 juin 2005, le conseil des époux Weill a indiqué ne pas s’opposer au retrait de l’effet suspensif, pour autant qu’il soit fait interdiction à M. Polla jusqu’à droit jugé au fond de construire la rampe d’accès au parking au nord de la parcelle ou d’édifier toute autre installation relative à ladite rampe d’accès.

14. Par décision du 28 juin 2005, le président du Tribunal administratif a retiré l’effet suspensif attaché au recours, sauf en ce qui concerne la construction de la rampe d’accès au parking souterrain, quel que soit l’emplacement de celle-ci.

15. L’intimé s’est déterminé sur le fond du litige en concluant au rejet du recours. Il a relevé que celui-ci ne portait plus que sur l’emplacement de la rampe d’accès au parking souterrain.

16. Dans ses observations du 30 juin 2005, le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision du 9 novembre 2004.

L’OTC, en tant qu’organe compétent, avait examiné la question de la dangerosité de la sortie du parking et estimé que le projet ne présentait pas de danger pour la circulation. De plus, ce préavis avait un poids plus considérable que celui de la CMNS, organe chargé uniquement de se prononcer sur l’intégration d’un projet dans le site. Enfin, la commission de recours avait considéré que le département n’avait pas violé la loi.

17. Dans leur mémoire de réplique du 15 juillet 2005, les époux Weill ont persisté dans leurs conclusions.

18. Dans sa duplique déposée au greffe du Tribunal administratif le 27 juillet 2005, l’intimé a maintenu ses conclusions en reprenant ses arguments précédents.

19. Le 25 novembre 2005, un transport sur place a été organisé en présence des parties auquel a participé Monsieur Pierre-André Gesseney en sa qualité de signataire du préavis émis par l’OTC. Monsieur Serge Cochet, architecte des promoteurs et propriétaires de la parcelle n° 290, assistait également à cet acte d’instruction.

M. Gesseney a expliqué que l’OTC avait émis un préavis favorable le 16 mars 2004 en considérant que la sortie du parking telle qu’elle était prévue sur la route de Lullier était acceptable car elle ne créait pas de danger particulier pour la sécurité routière. Avant d’émettre ce préavis, il n’était pas venu sur place car il connaissait les lieux. Il n’avait pas connaissance du projet mis à l’enquête publique par la commune de Jussy prévoyant, selon M. Cochet, un engazonnement longeant le mur se trouvant sur la gauche de l’entrée du parking tel qu’il était projeté, engazonnement qui aurait pour effet de rétrécir la chaussée et de ralentir le trafic. M. Gesseney a ajouté que des pans coupés de 2,50 m de côté à 45° de part et d’autre de l’accès d’un parking étaient exigés, ce qui était le cas en l’espèce. De plus, la largeur de la sortie était de plus de 10 m ce qui était suffisant.

20. Les parties ont été invitées à déposer leurs observations à l’issue de ce transport sur place et elles ont persisté dans leurs conclusions respectives.

Le 8 décembre 2005, les recourants ont indiqué tout ignorer de la réalisation, par la commune, du projet d’engazonnement évoqué par M. Cochet.

Dans une écriture du 20 décembre 2005, l’avocat des intimés a produit un extrait de la Feuille d’Avis Officielle du 23 mars 2005 comportant la délivrance à la mairie de Jussy d’une autorisation définitive de construire des aménagements routiers ainsi qu’une lettre du 8 décembre 2005 adressée par le maire de Jussy à un cabinet d’architecture certifiant que les travaux en question seraient réalisés durant le premier semestre 2006.

Dans un courrier du 23 décembre 2005, le département a précisé que l’engazonnement serait réalisé avant que le parking ne soit utilisé.

21. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le tribunal a procédé à un transport sur place comme les recourants le demandaient préalablement. Il apprécie ainsi les faits de la cause avec un plein pouvoir d’examen et les faits pertinents sont suffisamment établis pour permettre de trancher le litige.

3. Le recours porte désormais exclusivement sur l’accès au parking. Les recourants invoquent la violation de l’article 14 alinéa 1 lettres a et e LCI en soutenant que la sortie prévue au nord de la parcelle à trois mètres de leur propriété représenterait un danger accru, la visibilité de la route étant très réduite en raison de son tracé.

4. A teneur de l’article 14 LCI, le département peut refuser les autorisations prévues à l’article 1 LCI lorsqu’une construction ou une installation peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public (art. 14 al. 1 litt. a), ou, lorsqu’elle peut créer par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne durable pour la circulation (art. 14 al. 1 litt. e).

5. a. Les dispositions cantonales concernant la limitation quantitative des nuisances n’ont plus de portée propre dans les domaines réglés par le droit fédéral (ATF 117 Ib 157). En effet, les inconvénients graves pour le voisinage sont tout d’abord examinés en regard du droit fédéral sur la protection de l’environnement (ATA B. et C. du 17 mai 1992) qui règle depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01) la protection des personnes contre les atteintes nuisibles et incommodantes telles que notamment les pollutions atmosphériques et le bruit (art. 1 et 7 al. 1 LPE).

b. Toutefois, l’article 14 lettre e LCI qui tend à lutter contre un type de nuisances secondaires, tels que les difficultés de la circulation et le danger pour la sécurité humaines qui lui sont liées, conserve une portée propre. Il en va de même de l’article 14 lettre a LCI dans la mesure où, comme en l’espèce, les inconvénients invoqués se rapportent uniquement à la circulation des véhicules (SJ 1992 p. 517 ; ATA D. du 20 décembre 1994).

c. La notion d’inconvénients graves est une norme juridique indéterminée qui laisse à l’autorité une liberté d’appréciation qui n’est limitée que par l’excès et l’abus de pouvoir (A. GRISEL, Droit administratif suisse, 1984, p. 332 et ss).

Comme en matière de dérogation, le département dispose d’un certain pouvoir d’appréciation ; les autorités de recours dans ce cas doivent s’imposer une certaine retenue et n’intervenir que dans les situations où le département se serait laissé guider par des considérations non fondées objectivement ou étrangères au but prévu par la loi (ATA/649/2002 du 5 novembre 2002).

d. Il est de jurisprudence constante qu’un préavis est, en principe, sans caractère contraignant pour l’autorité administrative et que, s’il va de soi que cette dernière ne saurait faire abstraction des préavis exprimés dans les conditions prévues par la loi, l’autorité de décision reste libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison de l’intérêt public supérieur (RDAF 1983 p. 344 ; ATA P. du 23 mars 1993).

Cela étant, chaque fois que l’autorité inférieure suit les préavis requis, l’autorité de recours doit s’imposer une certaine retenue qui est fonction de son aptitude à trancher un litige. Ainsi, la commission de recours, composée pour une part de spécialistes, peut exercer un contrôle plus étendu que le Tribunal administratif, qui est composé de magistrats (ATA H. du 9 août 1994).

6. En l’espèce, la question de la dangerosité de la sortie du parking souterrain au nord de la parcelle a été examinée par l’OTC, service cantonal chargé notamment de s’assurer du respect de la sécurité routière. Celui-ci a rendu un préavis favorable en date du 16 mars 2004 sans aucune motivation. Cependant, lors du transport sur place effectué par le juge délégué le 25 novembre 2005, M. Gesseney a explicité la position de l’OTC. Malgré la proximité d’une courbe à gauche à la sortie du parking, les pans coupés prévus de part et d’autre de la sortie du garage projeté devaient permettre une vue suffisante pour les automobilistes quittant le parking. Enfin, il est apparu qu’un engazonnement allait être réalisé par la commune de Jussy, ce qui réduirait la largeur de la chaussée et contraindrait les usagers à ralentir. Cet élément nouveau est de nature à renforcer le préavis favorable émis par l’OTC car un tel engazonnement réduira les risques et les inconvénients graves relatifs à la sécurité routière que dénonçaient les recourants.

7. En conséquence, le recours sera rejeté.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge des recourants. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à M. Polla qui a pris des conclusions dans ce sens (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er juin 2005 par Madame Dominique et Monsieur Pierre Weill contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 29 avril 2005 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de CHF 1'500.- à Monsieur Jean-Marie Polla à charge des recourants ;

communique le présent arrêt à Me Corinne Nerfin, avocate des recourants, à Me Alain Maunoir, avocat de Monsieur Jean-Marie Polla, à la commissions cantonale de recours en matière de constructions ainsi qu’au département des constructions et des technologies de l’information.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges

 

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste :

 

 

S. Hüsler

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :